Italie

Rome

Fameuse sculpture représentant l'exode des juifs vers Rome avec la menorah
Arc de Titus. Photo de A Hunter Wright – Wikipedia

Les juifs de la capitale italienne sont peut-être les plus vieux Romains de souche : ils sont installés depuis 2000 ans dans les mêmes quartiers du cœur de la Ville éternelle, l’ancien ghetto et le Trastevere, de part et d’autre du Tibre au niveau du pont Fabricio ou des Quattro Capi. S’il est le plus ancien de la péninsule, le judaïsme romain représente aussi aujourd’hui la communauté la plus importante, la plus vivante et la plus fortement enracinée, possédant son propre dialecte mélangé de mots hébreux et sa propre tradition culinaire. Cette résidence doublement millénaire en un même lieu, sans équivalent hors d’Israël, a laissé de nombreux monuments de toutes les époques, depuis les catacombes juives ou la synagogue d’Ostia Antica jusqu’au Grand Temple construit au début du XXe siècle sur l’emplacement de l’ancien ghetto. La visite de la Roma ebraica mérite au moins cinq jours. Aux riches vestiges de l’histoire juive proprement dite, s’ajoutent en effet, dans cette capitale de la chrétienté, beaucoup de témoignages sur la politique des papes qui, parfois pour le meilleur et le plus souvent pour le pire, conditionnèrent la vie des juifs de Rome sinon de tout l’Occident.

La cuisine juive romaine

plat traditionnel d'artichaud faisant partie de la cuisine juive romaine
Carciofo alla Giudea. Photo de Signor DiFazio – Wikipedia

Certains de ses plats font désormais pleinement partie de la gastronomie romaine et figurent au menu de nombreux restaurants. C’est notamment le cas des carcioffi alla giudea (« artichauts à la juive »): l’artichaut, dont les petites feuilles craquent merveilleusement sous la dent, est frit dans l’huile. La cuisine traditionnelle du petit peuple de la Ville éternelle est à base d’ingrédients pauvres, de bas morceaux et de beaucoup de légumes. Ces caractères sont encore plus accentués dans les plats typiques des juifs de la capitale, confinés trois siècles durant dans la misère du ghetto.

Beaucoup de recettes, notamment pour le poisson, sont agro-dolci (« aigre-doux», avec sucre, vinaigre, pignons et raisins secs), témoignant ainsi d’une tradition qui remonterait à l’époque romaine. Les fritures se taillent la part du lion avec, outre les artichauts déjà mentionnés, les beignets de fiori di zucchine (« fleurs de courgette » farcies de mozzarella et d’anchois) ou le fritto di baccalà (« beignet de morue salée »). Les recettes de pâtes et de soupes tiennent bien au corps, comme la traditionnelle ceci e pennerelli (« pois chiches et petits restes de viande ») que l’on fait mijoter à feu très doux pendant trois heures.

L’ancien ghetto

Ce quartier, où les juifs furent forcés de résider pendant trois siècles jusqu’en 1870, est au centre de la capitale italienne, entre le largo Argentina, le Capitole et le Tibre. Il ne reste presque rien des étouffantes venelles du vieux serraglio degli ebrei, détruit, assaini et reconstruit dans les premières années du siècle dernier. Mais des ruelles avoisinantes, comme la via della Reginella, ou le début de la via Sant’Angelo in Pescheria, permettent de se faire une idée de ce que fut, pendant plus de 300 ans, la vie des juifs de la ville.

Parce qu’il est absurde et inconvenant…

Le ghetto fut institué le 14 juillet 1555 par Paul IV avec l’édit Cum Nimis Absurdum : « Parce qu’il est absurde et inconvenant au plus haut point que les juifs, condamnés pour leurs fautes par Dieu à l’esclavage éternel, puissent, avec l’excuse d’être protégés par l’amour chrétien, être tolérés dans leur cohabitation parmi nous…» Les murs du ghetto furent construits en moins de trois mois. En 1816, il occupait une superficie de 30000 m2, dont 23000 habitables. Plus de 5000 personnes y vivaient au moment où les murs tombèrent, il y a un peu plus d’un siècle. C’était l’une des plus fortes densités de la capitale, dans un quartier malsain, inondé à chaque crue du Tibre.

Les immeubles poussaient donc vers le ciel, de plus en plus hauts et de plus en plus surpeuplés, avec six ou sept étages, et les effondrements étaient fréquents. « Tout cet ensemble de persécutions était un peu tombé en désuétude mais depuis la mort de Pie VII [en 1823] tout a recommencé: les juifs sont enfermés dans leur ghetto à huit heures», notait Stendhal en 1827. Un quart de siècle plus tard, l’écrivain Edmond About s’indignait de la terrible misère et de l’insalubrité du quartier: « Dans la cité chrétienne, la pluie lave les rues, le soleil dessèche les immondices et le vent balaie la poussière, mais il n’y a ni pluie, ni vent, ni soleil qui puisse assainir le ghetto.»

Porte ancienne du ghetto où vivaient les juifs de Rome
Ghetto ebraico. Photo de Camelia Boban – Wikipedia

Le Portico d’Ottavia, construit par Cecilius Metella en 146 avant Jésus-Christ, avec ses restes de colonnes cannelées du grand temple de Junon surgissant au milieu des gros pavés de la via del Portico d’Ottavia, demeure le lieu symbolique de l’ancien ghetto romain.

Des restaurants étalent leurs tables sur le trottoir et les habitants du lieu prennent le frais sur des chaises. Ce portique marquait l’une des cinq issues de ce quartier de résidence forcée. Elle était barrée la nuit d’une grosse chaîne de fer.

La piazza delle Cinque Scole entoure une fontaine de Giacomo della Porta (1591, reconstruite en 1930), dédiée au souvenir des cinq synagogues de l’ancien ghetto (Catalana, Castigliana, Tempio, Siciliana, Nova), toutes regroupées en un seul bâtiment aujourd’hui disparu, qui s’élevait au niveau du no 37 de la place actuelle.

Celle-ci a été construite sur le site de l’ancienne platea judea : la grande place, divisée en deux parties par le mur du ghetto, qui était le point d’arrivée des deux anciennes rues principales du quartier juif, la via Pescaria et la via Rua.

C’était sur la platea judea, à la fois dans et hors du ghetto, que se déroulaient les activités économiques consenties aux juifs de Rome, comme le commerce de vieilles hardes, un marché d’objets usagés et quelques activités artisanales.

Dans les moments de tolérance, ces étals pouvaient être ouverts le dimanche, et les paysans montés en ville qui ne voulaient pas perdre un jour y venaient faire leurs achats.

La platea Judea

« C’est un indescriptible chaos de chiffons et de débris qui est accumulé là. Aux pieds de ces juifs gît comme un monde entier en lambeaux. Il y en a de toutes les formes et de toutes les couleurs; des fragments de brocarts de soie ou de velours, des franges dorées, des bouts d’étoffe rouge, azur, turquoise, noir, blanc, vieux, tachés. Ils pourraient vêtir d’Arlequin l’ensemble de la création. Les juifs s’activent au milieu de cette mer de chiffon comme s’ils cherchaient des trésors.»

Ferdinando Gregorovius, dans sa visite au ghetto de Rome, 1853

Fontaine célébrant les 5 anciennes synagogues de Rome
Fontana di piazza delle Cinque Scole. Photo de Galzu – Wikipedia

La piazza delle Cinque Scole reste aujourd’hui le cœur du quartier avec ses magasins, notamment la pâtisserie dite de Boccione, qui vend les gâteaux typiques de la tradition juive romaine, comme cette extraordinaire tarte à la ricotta (fromage blanc).

Près de là, est aussi installée  la librairie Menorah, très bien fournie en ouvrages modernes ou anciens sur le judaïsme, en italien, en français et en anglais.

En remontant cette rue étroite et sombre vers la place de Mattei, ornée d’une magnifique fontaine « des tortues» construite en 1581- 1584, il est possible d’avoir une idée de ce qu’était le ghetto.

Fontaine de la piazza mattei dans l'ancien quartier juif de Rome
Fontana delle tartarughe – piazza Mattei. Photo de Sivio Pietrosanti – Wikipedia

Les blocs d’immeubles situés entre la via Reginella et la via Sant’Ambrogio avaient été inclus dans le quartier juif, que le pape Léon XIII daigna un peu élargir en 1823.

À l’autre extrémité de l’ancien quartier juif, en allant vers le Tibre et le Grand Temple, se dresse la petite église de San Gregorio alla Divina Pietà, construite au XVIIIe siècle face à l’une des portes du ghetto.

Sa façade est ornée d’une inscription en latin et en hébreu citant le prophète Isaïe s’adressant « à ce peuple rebelle qui agit selon ses idées dans une voie qui n’est pas bonne, à ce peuple qui continuellement provoque ma colère ». C’était l’un des lieux où, chaque dimanche, des représentants de la communauté juive étaient obligés d’écouter la messe chrétienne.

Interview de Pierre Savy, maître de conférences à l’université Gustave Eiffel et directeur des études pour le Moyen Age à l’Ecole française de Rome. Auteur de plusieurs livres, il a récemment dirigé, avec Katell Berthelot et Audrey Kichelewski, l’ouvrage collectif Histoire des Juifs : Un voyage en 80 dates de l’Antiquité à nos jours (PUF, 2020).

Jguideeurope : Quelle partie du Ghetto juif de Rome mérite une attention plus particulière ?

Pierre Savy : La piazza (« place »), dans le Ghetto : ainsi appelée par les Juifs de Rome, cette place qui n’en est pas vraiment une – c’est plutôt un croisement de rues semblant un peu vaste et aéré au cœur d’un quartier composé majoritairement de ruelles serrées – est le cœur du ghetto, son lieu central et symbolique.

Toujours animée, souvent en partie occupée par la queue devant la boulangerie célèbre qui donne sur elle, marquée par l’empreinte au sol de la fontaine qui s’y trouvait et qui, dans les années 1930, a été déplacée à une trentaine de mètres, dans le ghetto toujours, sur la piazza delle Cinque scole, la piazza est en partie l’héritière de ce qui est désigné sur les cartes anciennes de la ville comme « Piazza Giudea ». Les nombreux réaménagements du ghetto ont rendu méconnaissable la topographie originelle, mais ce carrefour incarne aujourd’hui la présence juive plurimillénaire à Rome.

Comment ce lieu hautement symbolique du patrimoine juif romain est mis en valeur aujourd’hui ?

Un phénomène intéressant de « retour au ghetto » a été amorcé dans les année 2000, avec l’installation de l’école juive au cœur du quartier. Y ont fleuri les restaurants kasher ou du moins d’inspiration juive (avec le fameux « artichaut à la juive »…), les magasins de souvenirs et les épiceries, tous lieux bénéficiant d’un tourisme toujours plus nombreux (jusqu’à l’épisode épidémique de 2020) en provenance des autres pays d’Europe, d’Amérique du Nord et même d’Israël, dont Rome est sensiblement plus proche que la France. C’est une mise en valeur économique et touristique très forte, dont tout visiteur à Rome peut profiter.

L’ancien Ghetto juif de Rome

Mais le lieu n’est pas choisi seulement pour sa dimension centrale et pittoresque. Le ghetto est un lieu ambivalent. Lieu de fierté d’une vie juive qui, en Italie, semble dans l’ensemble vécue assez paisiblement et publiquement, il est aussi le lieu du souvenir de l’infamie (en 1555, le pape contraignit tous les Juifs de son État à y demeurer et ils y sont demeurés trois siècles), et de la persécution (avec la terrible rafle du 16 octobre 1943, que l’on rappelle chaque année avec une impressionnante cérémonie de lecture des noms, sans compter la présence d’un musée ou celle, au sol, des stolpersteine, ces pierres qui rappellent le souvenir des disparus), voire lieu de menace (le 9 octobre 1982, un attentat contre la synagogue commis par des terroristes palestiniens a cruellement frappé la communauté et depuis le quartier est très protégé et surveillé).

Ghetto juif de Rome. Photo de Camelia Boban – Wikipedia

Vous écrivez qu’il n’y a pas de culture juive mais des cultures juives. Est-ce également le cas pour la vie juive européenne? Constate-t-on plus de différences que de points communs selon les pays ?

Il est difficile de procéder à la « pesée » des différences et des points communs. Les Juifs, via leurs communautés et les discours qu’elles leur tiennent, via leurs pratiques socio-culturelles ou matrimoniales, via leurs mobilités voire leurs migrations, construisent bel et bien du commun. Cela est vrai depuis des siècles mais sans doute plus encore aujourd’hui. La perception de soi comme appartenant à un groupe minoritaire, l’identification à une histoire commune, le lien et la solidarité avec Israël, une certaine inquiétude sont sans doute au cœur de ce puissant sentiment commun.

Grand Temple. Photo de Camelia Boban – Wikipedia

Mais que de différences persistent ! Dans les liturgies et les usages religieux (minhagim), sur le plan des habitudes alimentaires ou festives, mais aussi sur des plans profonds comme celui du rapport au pays où demeurent les Juifs. Ainsi, en Italie, la présence juive est attestée sans discontinuité depuis 2000 ans (avec bien sûr des apports au cours du Moyen Âge, puis après l’expulsion de la péninsule ibérique à la fin du XVe siècle, ou encore après que les Juifs furent chassés de Libye en 1967) : cela change tout dans le rapport au pays, aucunement perçu comme un pays autre ou au sein duquel on se sentirait étranger. Malgré les discriminations fascistes (1938) et la persistance d’un antisémitisme traditionnel faible mais réel, les Juifs italiens ne conçoivent pas un instant qu’ils puissent être « moins italiens » et moins légitimement italiens que les Italiens non juifs.

Votre livre Histoire des Juifs accorde une place importante à de nombreuses femmes. Ont-elles été auparavant moins évoquées dans leur apport à l’histoire juive européenne ?

On dit parfois que l’histoire est fille de son temps. Mon livre n’échappe pas à la règle ! Cela ne signifie pas que nous projetons sur le passé une importance des femmes qui serait une fiction : la poétesse Debora Ascarelli a bien existé et écrit, justement dans le ghetto de Rome, au début du XVIIe siècle ; Regina Jonas est bien devenue rabbin (rabbin libéral, donc), en 1935, dans l’Allemagne nazie et Golda Meïr a bien été à la tête d’Israël. Sans parler de la transmission matrilinéaire, dominante depuis sans doute environ deux millénaires.

En somme, oui, l’apport des femmes à l’histoire juive a assurément été moins évoqué qu’il n’aurait dû l’être dans la littérature historique : c’est une des ambitions de ce volume de contribuer à corriger cet aspect.

Le Grand Temple

Grand Temple, Rome
Grand Temple, Rome

Sa coupole de zinc s’élève à 46 m au-dessus de la rue et se voit de tout Rome, dressée au milieu des autres coupoles baroques des nombreuses églises de la Ville éternelle. Elle est aisément reconnaissable par sa section carrée. Construit entre 1901 et 1904, le Grand Temple de la capitale, de style oriental, que d’aucuns appellent ironiquement néo-babylonien, célébrait, à peine plus de trente ans après la fin du ghetto, la liberté des juifs italiens et leur extraordinaire intégration. « Entre le Capitole et le Janicule, entre le monument à Victor Emmanuel et celui à Garibaldi, les deux grands maîtres d’œuvre de notre Italie, se dresse ce temple majestueux entouré du libre et pur soleil, indice de liberté, d’égalité et d’amour », affirmait lors de l’inauguration le président des communautés, Angelo Sereni, dans une rhétorique un peu pompeuse, traduisant bien l’état d’esprit de ses coreligionnaires à l’époque.

Menorah et Tables de la Loi sur la synagogue. Photo de Livioandronico13 – Wikipedia

Entouré d’un beau jardin orné de palmiers, le bâtiment avait été construit sur un grand terrain de 3000 m2 provenant de la démolition de l’ancien ghetto complètement rasé peu avant et remplacé par des grands immeubles liberty. Ses deux architectes Vincenzo Costa et Osvaldo Armani étaient des « gentils», car il n’y avait pas encore de professionnels juifs confirmés. La façade décorée de palmes, avec ses trois amples fenêtres, est couronnée par un tympan orné des Tables de la Loi, surmontées du chandelier à sept branches. L’intérieur de la grande salle est somptueux. Orné de colonnes de marbre en style orientalisant, l’aron, en haut des marches d’une tribune au bout de la nef, évoque quelque peu un autel d’église, comme dans la plupart des synagogues construites au moment de l’émancipation.

Objet retraçant l'histoire juive de ROme au sein du Musée juif
Museo Ebraico di Roma. Photo by Daniel Ventura – Wikipedia

Une abondante lumière provient des grandes fenêtres aux décorations liberty. L’intérieur de la grande coupole est orné de peintures orientalisantes (palmes et ciel étoilé) d’Annibale Brugnoli et de Domenico Bruschi.

Dans les salles du Grand Temple, a été regroupée une grande partie du patrimoine provenant des cinque scole, les cinq synagogues de l’ancien ghetto, avec notamment les aronot aux magnifiques colonnes de marbre de la scola Siciliana datant de 1586 et celui de la scola Castigliana commencé en 1642.

Le Temple espagnol, installé depuis 1932 dans une partie du Grand Temple, perpétue la tradition des juifs venus de la péninsule Ibérique, alors que la majorité de la communauté est désormais de rite italien.

La salle avec l’aron et la tévah se faisant face évoque l’atmosphère de ce qu’étaient les scole romaines, aujourd’hui disparues.

Le Musée juif occupe l’une des ailes du Grand Temple. Dans deux vastes salles, sont exposés de nombreux objets rituels en argent, des sièges de circoncision, des chandeliers, des tissus, des manuscrits, dont les trois volumes de poèmes en judéo-romain de Crescenzo del Monte (1868-1935).

Île du Tibre © Wikimedia Commons (Roughneck)

L’île du Tibre et le Trastevere

Consacrée dans la Rome antique à Esculape, le dieu de la médecine, et toujours site d’hospices ou d’hôpitaux depuis le Moyen Âge, l’Isola tiberina – seule île sur le cours du fleuve dans la ville – reliait les quartiers juifs de part et d’autre du Tibre, d’où le nom de pons judeorum donné encore au XIe siècle au ponte Fabricio ou des Quattro Capi. Là, s’installèrent en 1870 les confraternités de l’ex-ghetto pour créer les structures d’assistance aux juifs désormais émancipés.

D’un côté de la rue centrale de l’île, vers l’amont, se dressent l’hôpital israélite et  l’oratoire Panzieri-Fatucci, dit tempio dei giovanni, avec un aron en bois du XIXe siècle provenant des cinquescole, et des vitraux vivement colorés représentant les fêtes juives, réalisés en 1988.

Place centrale du quartier de Trastevere où vécurent de nombreux juifs à Rome
Trastevere. Photo by Lalupa – Wikipedia

Sur l’autre rive du fleuve, commence le Trastevere (littéralement « au-delà du Tibre »), où, sous la Rome impériale comme à l’époque médiévale, vivaient de nombreux juifs, comme le raconte Benjamin de Tudela, juif de Navarre, dans son voyage en Italie au XIIe siècle. Les traces de ce passé effacé avec l’enfermement des juifs dans le ghetto en 1555 sont rares, mais, dans le vicolo de l’Atleta, au no 14, se dresse un petit édifice de brique avec deux arches, qui était probablement une synagogue médiévale, comme en témoigne une inscription hébraïque sur la colonne de la loggia et un puits dans la cour.

Peinture du ghetto réalisée par le peintre Roesler Franz
Ghetto painting by Roesler Franz

L’ancien cimetière se trouvait dans la zone de Porta Portese, où se tient chaque dimanche le marché aux puces. Après 1870, une grande partie de la vie juive romaine s’est à nouveau déplacée vers ce quartier du Trastevere, où se concentre aujourd’hui la plus grande partie des institutions communautaires dont  Il Pittigliani, l’ancien orphelinat juif transformé en centre culturel avec une cantine casher et une bibliothèque possédant de nombreux documents sur la vie juive dans la capitale.

De l’autre côté du viale Trastevere, la grande avenue qui divise le quartier, se trouvent  le siège de l’Union des communautés israélites italiennes, un centre bibliographique sur le patrimoine juif, et, un peu plus loin, respectivement aux nos 14 et 12, la crèche et l’école primaire israélites.  Le musée du Folklore et des Poètes romains mérite une brève visite pour trois tableaux d’Ettore Roesler Franz (1845-1907) montrant des scènes de la vie du ghetto.

Le Forum

Arc de Titus © Anthony M. – Wikimedia Commons

Centre du pouvoir sous la République puis sous l’Empire, les fori imperiali, entre la place de Venise et le Colisée, méritent aussi une visite pour deux monuments directement liés à l’histoire juive.

L’Arco di Tito – l’arc de triomphe de Titus – construit après la mort de l’empereur en 81, célèbre sa victoire et celle de son père Vespasien sur la révolte juive de 70. À l’intérieur de l’arche, deux grands bas-reliefs illustrent le cortège triomphal chargé du butin pris dans le Temple de Salomon, dont notamment un chandelier à sept branches et des trompes d’argent. Ce lieu, symbole de la défaite et de la dispersion, était naturellement honni des juifs romains. Mais lors de la proclamation de l’État d’Israël en 1948, « ils défilèrent sous l’arc dans le sens contraire à celui de la marche triomphale de Titus », racontent Bice Migliau et Michaela Procaccia, dans leur ouvrage sur les itinéraires juifs à Rome et au Latium.

La fameuse statue de Moisie par Michel Ange au sein de l'église de San Pietro in Vincoli
Le célèbre Moïse de Michelangelo à San Pietro in Vincoli. Photo de Diana Ringo – Wikipedia

À l’autre bout du forum, en allant vers le Capitole, se dresse l’ancienne prison Mamertina avec ses lugubres cellules souterraines, où étaient emprisonnés puis exécutés les ennemis de Rome, après l’humiliant défilé derrière le char du vainqueur. Une plaque rappelle que tel fut notamment le sort de Simon bar Ghiora, le défenseur de Jérusalem en 70.

En sortant du forum par l’entrée principale et en remontant la via Cavour, se trouve sur la droite, en haut d’un grand escalier,  la basilique San Pietro in Vincoli, construite à l’origine pour conserver les chaînes de saint Pierre (Ve siècle), puis refaite au début du XVIe siècle par le cardinal Della Rovere, le futur pape Jules II. Là, dans le monument funéraire de ce pape, se dresse la célèbre statue de Moïse par Michel-Ange. Il est assis, puissant et courroucé, représenté au moment où, descendu du Sinaï, il voit son peuple s’adonner à l’idolâtrie. Il porte les Tables de la Loi.

Les catacombes juives

Catacombes juives © Wikimedia Commons (Sethschoen)

Les catacombes ont été construites aux premières années de l’ère chrétienne par les juifs qui s’inspiraient, pour ces lieux de sépulture, des usages romains d’enterrer les morts dans de profondes galeries. Six sites ont été découverts autour de Rome.

Le premier fut celui de Monteverde, près du Janicule, mis au jour dès le XVIIe siècle. Seules deux catacombes juives, celle de Villa Torlonia sur la via Nomentana et celle de Vigna Randanini, près de la via Appia Antica, sont aujourd’hui ouvertes. Leur structure de galeries larges d’à peine 1 mètre et hautes de 2 ou 3 mètres ne diffère guère de celle des catacombes chrétiennes.

Vestige des catacombes juives à Rome
Via Appia. Photo de Sethschoen – Wikipedia

« Considérées comme des lieux religieusement impurs, les catacombes n’étaient pas utilisées par les juifs pour des célébrations liturgiques autres que les inhumations », souligne Attilio Milano dans son Histoire des juifs italiens. Les murs sont ornés d’inscriptions, le plus souvent en grec, et de symboles: la menorah, mais aussi des rouleaux de la Loi, des chofarim ou des rameaux de palmier.

Deux salles des galeries de Vigna Randanini sont ornées de motifs profanes (aigles, paons, griffons), et sur les plafonds, figurent une représentation de la Victoire et une autre de la Fortune. Certains les interprètent comme la conséquence des influences de la société environnante, d’autres soulignent qu’il s’agit vraisemblablement de tombes païennes antérieures intégrées, par la suite, à la catacombe juive.

Le mémorial des fosses adréatines

Près de la via Appia Antica, sur la via Adreatina, peu après le croisement avec la via delle Sette Chiese, s’élève le mémorial des Fosses adréatines. À cet endroit, furent massacrés le 24 mars 1944, par les SS d’Herbert Kappler, 335 otages dont 75 juifs – une exécution de masse en représailles de la mort de 32 soldats allemands victimes d’un attentat de la Résistance. Le monument funéraire, Les Martyrs, a été sculpté en 1950 par Francesco Coccia. Une croix et une étoile de David se dressent en haut de la paroi de la carrière.

Anciennes portes sur la via Adreatina à Rome
Porta Adreatina. Photo de Karelj – Wikipedia

Ostie

Les fouilles d’Ostie (Ostia Antica), le grand port de la Rome impériale, sont un témoignage passionnant sur l’urbanisme romain et méritent aussi une visite pour la synagogue découverte en 1962, lors du creusement d’une route pour l’aéroport de Fiumicino. Elle se dresse en lisière nord-est de la zone archéologique, juste au-delà de la Porta Marina. Le début de la construction remonte à la moitié du Ier siècle, et elle aurait été remaniée plusieurs fois jusqu’au IVe siècle. On peut encore voir l’aron entouré de deux colonnes dont les chapiteaux portent les restes d’une frise ornée de menorot, de rameaux de palmier et de chofarim. À l’autre extrémité de la salle, se trouve un petit podium qui était la bimah. Les restes du mikveh sont encore visibles. L’ensemble des bâtiments de la synagogue, avec ses trois entrées (pour les hommes, pour les femmes et pour le mikveh), comportait la salle de prière, une salle d’étude, un four pour le pain azyme.

Le musée de la Zone archéologique expose quelques belles lampes ornées du chandelier à sept branches.