Allemagne / Le Rhin et le Sud

Francfort-sur-le-Main

Carte de la ville datant de 1840, localisant le cimetière juif

Ville libre de l’Empire, Francfort accueille les juifs dès 1150. Mais, de 1460 jusqu’à leur émancipation, à la fin du XVIIIe siècle, ces derniers sont confinés dans la Judengasse (« ruelle des Juifs»), un ghetto bientôt surpeuplé.

L’une de ces maisons est habitée à partir de 1720 par le prêteur Meyer Amschel Rothschild, son épouse Gütele et leurs dix-huit enfants, dont la dispersion à travers l’Europe est à l’origine de l’édification de la puissance financière de la célèbre famille.

Les bombardements de la fin de la Seconde Guerre mondiale et les travaux de reconstruction du centre-ville après la guerre ont fait disparaître toute trace de l’ancien quartier juif. Des 11000 juifs de Francfort, très peu survécurent à la Shoah.

Au début des années 1960, la municipalité de Francfort décide de consacrer un musée à l’histoire de la communauté juive de la ville. Il est installé dans le Palais Rothschild, au bord du Main, un édifice de style classique édifié en 1821 par l’architecte Johann Friedrich Christian Hess, formé à Paris.

Ce palais est acquis en 1846 par le baron Meyer Carl von Rothschild, chef de la branche allemande, qui le fait transformer afin d’y installer ses prestigieuses collections de meubles, de peintures et d’objets en or.

En 2021, l’Université Goethe de Frankfort a inauguré un département d’études juives, nommé en hommage à Martin Buber et Franz Rosenzweig. Une inauguration qui s’est déroulée le jour du 143e anniversaire de Buber, lequel avait enseigné jadis dans cette université avant d’en être chassé par le régime nazi.

Musées

Vue extérieure du Musée juif de la ville de Francfort
Museum Judengasse. Photo de dontworry – Wikipedia

Lorsque la ville de Francfort commença des travaux en 1987, on découvrit des ruines de maisons de l’ancienne Judengasse (« ruelle juive ») dans ce qui est considéré comme étant probablement un des plus vieux ghettos d’Europe, fondé en 1460. Des milliers de juifs y habitaient. On y créa donc la deuxième partie du musée juif, appelée en hommage le  Museum Judengasse. Le Judengasse présente une exposition permanente « Mazel et Broche » couvrant cette époque.

Le Musée juif est divisé en deux parties. Tout d’abord le  Judisches Museum, qui a ouvert ses portes en 1988. Il a été ouvert sur le lieu du Palais Rothschild. Il a été rénové et agrandi, afin d’y accueillir plus de public et d’expositions. Le bâtiment historique Palais-Rothschild a été rénové et complété par un nouveau bâtiment érigé par les architectes Staab. Des spectacles de théâtre et de musique juifs y sont donnés fréquemment. On y trouve également un centre de documentation, une bibliothèque et un café.

Juedisches Museum Frankfurt. Photo publiée avec l’autorisation du Musée

Depuis 2021, le Musée dispose d’une nouvelle exposition permanente présentée sur trois étages: « Nous sommes maintenant ». Elle a pour but de mettre en valeur la vie et la culture juive de ce centre historique que représente Francfort. On peut y voir l’évolution au fil du temps, l’impact des événements historiques sur le quotidien et la pratique juive.

En suivant des parcours individuels, comme celui de la famille d’Anne Frank et celui des Rothschild dont les racines historiques se trouvent à Francfort. Deux familles ayant marqué l’histoire de manière très différente. Mais aussi le destin d’artistes et érudits comme Moritz Daniel Oppenheim, Martin Buber, Samson Raphael Hirsch, ainsi que les grandes figures de l’Ecole de Francfort Max Horkheimer et Theodor W. Adorno. Un impact dans les deux sens, puisque ces artistes, intellectuels mais aussi les acteurs juifs de la vie économique et scientifique de la ville influèrent la vie francfortoise et cela même au lendemain de la Shoah.

Westend Synagogue. Photo de Milius – Wikipedia

Synagogues

La plus grande synagogue de Francfort est la  Westend, affiliée au mouvement libéral. Son dôme majestueux est un chef-d’œuvre architectural. Il fallut deux ans pour construire la structure originale qui fut inaugurée en 1910. Très rare pour l’époque, les femmes n’étaient pas assises à l’étage supérieur, mais au même niveau que les hommes, chaque groupe étant d’un côté de la salle. La synagogue a survécu non seulement au pogrom de Novembre 1938 (ce qui ne fut pas le cas des trois autres synagogues principales de l’époque) mais également aux bombardements alliés.

La veille de Rosh Hashanah 1945, le Rabbin Leopold Neuhaus y organisa les prières face à quelques survivants et des soldats juifs américains stationnés dans la ville. En 1948, la ville, ainsi que la région, s’engagèrent à subventionner les réparations. Depuis 1950, les cérémonies s’y déroulent à nouveau.

Monument installé au cimetière juif de la ville de Francfort
Cimetière juif. Photo de dontworry – wikipedia

Cette synagogue accueille le Stibl, ainsi que le Beit Hamidrash du Westend. Lequel suit le rite du mouvement hassidique. Le lieu abrite également le mynian égalitaire du Rabbin Elisa Klapheck. La synagogue Westend représente aujourd’hui un lieu exemplaire de la cohabitation entre différents courants du judaïsme.

La deuxième plus grande synagogue de la ville est la  Baumweg. Plusieurs autres synagogues accueillent ponctuellement les fidèles.

Cimetières

Autre curiosité de la ville, elle possède 12 cimetières juifs. Trois d’entre eux étant directement connectés à la communauté juive locale. Le plus ancien  cimetière se situe à la Battonnstrasse.

Il permet de confirmer la présence de juifs dans Francfort dès 1150. On peut y accéder en obtenant une clé du Musée Judengasse, en y laissant sa carte d’identité.

 

Rencontre avec le Dr. Mirjam Wenzel, Directrice du Musée Juif de Francfort, au sujet de deux étonnantes expositions : la nouvelle exposition permanente qui célèbre la présence juive à Francfort du passé au futur, ainsi que l’étonnante exposition sur le thème de la revanche, explorant sa perception dans la Bible, l’oeuvre de Tarantino (Inglourious Basterds), celle des Marvel (dont le personnage de Magneto) et d’autres surprenantes références.

Tableaux de l’exposition montrant les personnages Judith et Samson. Photo de Norbert Miguletz (@) Jüdisches Museum

JGuideEurope: Vous présenter actuellement l’exposition « Revenge. History and Fantasy. » Qu’a-t-elle de si particuilier ?

Dr. Mirjam Wenzel : En fait, tout. Il s’agit de la première exposition au monde qui traite explicitement des différents aspects de la vengeance dans l’histoire culturelle juive. Notre exposition couvre un arc allant des actes de vengeance dans la Thorah aux pensées de rétribution après la Shoah et s’appuie sur des images et des récits de la culture populaire. Parmi les originaux exposés figurent le tableau « Judith et Holopherne » (prêté par la Galerie des Offices), la batte de baseball du film Inglourious Basterds et des bandes dessinées. L’exposition tire sa force émotionnelle des appels à la vengeance lancés par les personnes assassinées pendant la Shoah. Vous pouvez vous faire une première impression dans ma courte visite guidée de l’exposition : Revenge : History and Fantasy – Jüdisches Museum Frankfurt (juedischesmuseum.de). Le catalogue (Hanser Verlag) est également disponible en anglais. À la demande générale, nous avons prolongé l’exposition jusqu’au 3 octobre. Nous serions bien sûr ravis de vous accueillir au musée, vous et vos lecteurs !

Quelles ont été les réactions à l’exposition ?

Dans la dernière salle de l’exposition, nos archives du présent comprennent un mur de commentaires. Ce mur est une continuation du dialogue entre moi et le commissaire d’exposition sur le sujet de l’exposition qui est exposé dans tout l’espace. Dans la dernière salle, nous interrogeons les visiteurs sur leurs pensées et leurs sentiments. Beaucoup nous remercient pour cette exposition intéressante et instructive qui prouve que les minorités marginalisées ne développent pas nécessairement une mentalité de victime. D’autres sont préoccupés par la question de savoir comment ils réagiraient eux-mêmes, si leur famille était menacée, ou pire. La plupart ont fait remarquer qu’ils n’avaient jamais entendu parler d’actes de vengeance juifs jusqu’à présent. D’une manière générale, nous avons reçu un accueil extrêmement positif à l’exposition, tant sur ce mur que sur les médias sociaux et dans la presse.

Bateau Pop up à Francfort accueillant des événements
Pop Up Boat. Photo courtesy of the Jewish Museum Frankfurt

Pouvez-vous partager une anecdote personnelle sur un Festival précédent ?

En 2016, le Musée juif de Francfort a ouvert son Bateau Pop Up sur la rivière Main à l’occasion de la journée européenne de la culture juive. Le Bateau Pop Up était un espace de rencontres qui comprenait une exposition Pop Up, des expositions participatives, un bar de plage à Tel Aviv, des déjeuners causeries et des ateliers présentant les enjeux et les thèmes abordés par le nouveau Musée juif, tels que : Qu’est-ce que l’art juif ? Que sont les liens familiaux et combien de temps durent-ils ?

Dans la soirée, c’était une plate-forme pour découvrir la culture juive contemporaine avec des concerts, des lectures, des tables rondes, des performances et des projections de films – effrontés et sérieux, conscients de la tradition et provocateurs, non sentimentaux et conflictuels. Juste avant l’ouverture du Bateau Pop Up, il pleuvait beaucoup. Il semblait n’y avoir presque aucun endroit sur le bateau où l’on pouvait se tenir sans se mouiller. Mais tout d’un coup, juste avant que le Lord Major n’apparaisse pour la cérémonie d’ouverture, le soleil s’est levé et nous avons été récompensés par un bel arc-en-ciel juste au-dessus du bateau – une expérience presque biblique.

Cartes présentant les personnes de la famille Frank
Portraits de la famille Frank. Photo issue du Musée juif de Francfort

Pouvez-vous nous présenter l’exposition du Musée « Nous sommes maintenant » ?

« Nous sommes maintenant » est le titre de la nouvelle exposition permanente au Palais Rothschild consacrée à l’expérience juive de la vie moderne à Francfort de l’émancipation à nos jours. Présenté sur trois étages du Palais Rothschild, il propose différentes approches de l’histoire et de la culture juives dans l’un des principaux centres de la vie juive moderne en Europe : Partant de la présence, le parcours de l’exposition permanente décrit les principaux événements et conflits historiques, réfléchit sur la modernité changements de traditions et de rituels, et raconte des histoires individuelles dans un cadre de médias mixtes, d’un point de vue juif. Un accent particulier est mis sur des artistes de renom comme, par exemple, Moritz Daniel Oppenheim, et des universitaires, comme Samson Raphael Hirsch, Martin Buber, Max Horkheimer et Theodor W. Adorno.

Ancienne carte postale de Francfort
Carte postale envoyée par Robert Frank à 13 ans à ses parents Michael et Alice Frank en 1899. © Anne Frank Fonds Basel

Les Juifs ont façonné de manière décisive le développement culturel, économique, scientifique et social de Francfort, même après l’Holocauste. Sur la base de leur propre expérience de la migration, ils ont distingué le cosmopolitisme municipal ainsi que la signification européenne de Francfort en tant que ville d’édition, d’érudition, de commerce et de finances. Afin de proposer une approche personnelle de cette histoire hors du commun, un focus particulier de l’exposition est consacré aux familles juives, comme la famille d’Anne Frank dont l’histoire est présentée exclusivement avec des objets originaux et des documents d’héritage familial ou la célèbre famille Rothschild dont le succès est présenté dans le cadre historique des pièces représentatives dans lesquelles ils ont vécu.

Carte postale de l'ancienne synagogue de Franfort
Börneplatzsynagoge. Carte postale de 1890

Selon vous, quel endroit particulier lié à l’héritage juif de Francfort devrait être mieux connu ?

La synagogue Börneplatz. Inauguré en 1885, l’édifice en grès offrait une salle de 800 prières observant la liturgie massorti. Il était situé tout au bout de l’ancienne Judengasse à côté d’une place de marché animée. Pendant la République de Weimar, la synagogue est devenue l’épicentre de ce qu’on appelle la Renaissance juive et a attiré beaucoup d’intellectuels juifs plutôt laïcs comme, par exemple, Martin Buber, Franz Rosenzweig, Siegfried Kracauer et Samuel Agnon. Détruite lors du pogrom de novembre 1938, la synagogue n’a guère laissé de traces dans la mémoire de la ville aujourd’hui.