Une magnifique exposition itinérante propose de (re)découvrir l’histoire juive portugaise. Elle a la particularité d’inscrire cette histoire dans celle de l’Europe moderne et couvre ainsi six siècles et d’où seront issues les familles de Baruch Spinoza et Pierre Mendès France. Rencontre avec Livia Parnes, qui a conçu cette exposition proposée par les éditions Chandeigne.
Jguideeurope : Comment est né ce projet d’exposition ?
Livia Parnes : Les éditions Chandeigne, spécialisées dans le monde lusophone, proposent cette exposition dans le prolongement de l’une de leur collection Péninsules, fondée et dirigée par Anne Lima. Publiant des documents et des essais sur la question de l’identité et de l’acculturation, notamment sous le prisme des relations entre religions, elle cherche notamment à faire mieux connaître la spécificité de l’histoire juive portugaise, qui reste encore peu connue, voire ignorée, ou trop associée à celle du judaïsme espagnol. Pourtant, l’histoire du judaïsme portugais présente des caractéristiques différentes qui auront des conséquences majeures sur son évolution. Il s’agit d’une histoire religieuse, socio-économique, intellectuelle et mondiale que nous avons voulu partager et faire connaître. L’exposition inscrit l’histoire de la diaspora judéo-portugaise dans celle de l’Europe moderne et couvre six siècles.
Dans cette perspective, l’idée de faire une exposition s’inscrit dans le prolongement de l’une des ambitions des éditions Chandeigne : faire vivre les livres au-delà des livres, et les lier à d’autres formes artistiques. Depuis des années, les éditions organisent lectures musicales, concerts, ateliers, adaptations théâtrales. L’objectif est de rendre accessible la richesse de cette histoire foisonnante à un public très vaste, averti ou non. Synthétique, didactique et richement illustrée (photos, reproductions de tableaux, de manuscrits et de frontispices, cartes…), l’exposition se déploie sur 20 panneaux, facilement adaptables aux divers espaces et pouvant être présentés dans divers lieux : bibliothèques, centres culturels ou de recherches, musées, mairies, écoles…
Un des éléments fascinants est le nombre de pays où la diaspora juive portugaise a migré, comment expliquez-vous cela ?
Tout d’abord, il s’agit d’une persécution et de personnes traquées par l’Inquisition, instaurée en 1536 au Portugal. Une des grandes différences avec l’Espagne est que ces migrants avaient été convertis de force auparavant (1497) ; ils partent en tant que « nouveaux chrétiens ». Parmi eux, de nombreux commerçants, parfois même assez aisés. Ils émigrent pour chercher des lieux où pratiquer plus ou moins librement leur judaïsme, notamment dans l’Empire ottoman, mais aussi à la recherche de meilleures conditions de vie. Le moment est propice : c’est l’aube du mercantilisme, et, pour les Portugais, c’est le début de l’expansion maritime et du colonialisme. Ainsi, à la fois victimes et agents des grands empires coloniaux, ils s’engagent rapidement dans tous les secteurs du commerce atlantique naissant et de la première « économie-monde » : épices, sucre, tabac, textile, vin, pierres précieuses, argent. Certains participent aussi à la contrebande et à la traite négrière. Leurs réseaux familiaux, commerciaux et financiers vont en effet se déployer à l’échelle planétaire : de Lisbonne à Goa, via l’Europe du Nord ou le Moyen-Orient, mais aussi de Lisbonne aux Caraïbes et aux Amériques. Enfin, comme on le voit dans l’exposition, dans plusieurs endroits, guidés par un certain « philosémitisme mercantile », les autorités locales (princes, ducs, municipalités) les accueillent, leur accordant privilèges et protection religieuse. Cela, en raison des bénéfices qu’elles espèrent tirer de leur activité marchande et de leurs réseaux commerciaux. C’est notamment le cas dans des villes italiennes (Ancône, Livourne, Venise, Ferrare), en France, à Amsterdam, à Londres, à Hambourg…
Quelle découverte, lors des recherches pour l’exposition, vous étonna particulièrement ?
Sans que cela soit véritablement une découverte, l’exposition nous a permis de véritablement saisir comment, malgré la grande dispersion géographique mais aussi religieuse de cette diaspora, les judéo-portugais vont créer au fil des générations un espace intercommunautaire dynamique, dont les facteurs d’unité s’expriment à travers la langue, la littérature, la liturgie, l’architecture, les patronymes ou encore l’art funéraire. Bien que de nature composite, cette diaspora a su partager une communauté de destin et nourrir un lien mémoriel fort avec le Portugal tout en marquant de son empreinte les communautés d’accueil. De cette dispersion est même née une nouvelle forme d’appartenance collective inédite, désignée par le mot « A Nação » (la Nation) ou « la Nation juive portugaise », qui perpétue la mémoire et leurs attaches juives et portugaises.
De même, l’exposition rend perceptible le fait que les premières présences juives en Amérique du Nord dès le XVIIe siècle – d’abord à la Nouvelle Amsterdam, future New York, puis dans cinq autres villes – sont des communautés de juifs portugais et espagnols, avant la grande vague des juifs ashkénazes. Il était également intéressant de constater que le courant juif reformé a pris naissance au sein des communautés juives portugaises (Charleston, Savannah…)
Enfin, au terme des quelques mois que nous exposons, cette expérience confirme notre point de départ et ce qui nous a motivé pour concevoir ce projet à savoir que cette riche et longue histoire du judaïsme portugais reste encore très peu connue. Les personnes ayant visité l’exposition semblent découvrir tout un nouveau pan de l’histoire juive et de l’histoire européenne, ce qui, pour nous, est l’un des plus grands mérites de cette exposition.
Quelles sont les prochaines villes qui accueilleront l’exposition et est-elle disponible en ligne ?
A Paris, après plusieurs lieux qui ont accueilli l’exposition avant l’été (la bibliothèque Marguerite Audoux, la mairie de Paris Centre), l’exposition sera présentée dans le cadre de la Saison Croisée France-Portugal à la Maison du Portugal – Cité internationale universitaire. Bd Jourdan, 75014 Paris. Du 10 septembre au 4 octobre 2022.
Le 27 septembre à 20h, nous organisons un concert de piano solo et à 4 mains Chemins musicaux avec un programme inédit des œuvres de compositeurs d’origine juive et portugaise du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui où des motifs de la musique juive se mêlent aux airs traditionnels portugais. Galerie Hus – 4 rue Aristide Bruant – Paris 18.
A Blois, l’exposition sera présentée dans le cadre du festival Les Rendez-vous de l’histoire Hall INSA – 3 rue de la Chocolaterie, Blois, 41000. Du lundi 3 octobre au 9 octobre 2022.
A Lisbonne, une version portugaise de l’exposition sera présentée en partenariat avec l’association Hagada et le futur musée juif de Lisbonne à la Biblioteca Palácio Galveias. Du 12 au 29 octobre 2022
A Bourges, l’exposition sera présentée à l’Hotel de Ville, Hall d’exposition, au 11 rue Jacques Rimbault, 18000 Bourges. Du 20 octobre au 3 novembre 2022. Une conférence est prévue à l’Hotel de Ville le premier jour de l’exposition.
A Bordeaux, l’exposition sera présentéedans le cadre de l’anniversaire des 140 ans de la synagogue de Bordeaux (ville extrêmement importante dans l’histoire des juifs portugais, où est installée entre autres la famille de Pierre Mendès France !). Elle est présentée dans la synagogue, du 9 novembre au 15 décembre.
L’exposition comprend une quinzaine des QR codes qui renvoient vers un site compagnon Exposition itinérante La diaspora juive portugaise qui propose des prolongements de la visite pour ceux qui souhaitent un approfondissement sur certains aspects. On peut trouver sur le site des articles, des images supplémentaires et quelques vidéos.