Pologne

Portes de bois sculpté de l'hekhal d'une synagogue polonaise (XVIIe siècle, Wolson Museum, Jérusalem)
Portes de bois sculpté de l’hekhal d’une synagogue polonaise, XVIIe siècle,  © Wolfson Museum, Jérusalem

La Pologne représente le chapitre le plus illustre et le plus tragique de l’histoire juive européenne. Pendant des siècles, ce pays fut le plus accueillant pour les juifs fuyant l’Allemagne, l’Espagne, l’Europe du Sud ; il y naît la communauté la plus importante, jouissant de privilèges et d’une autonomie accordés par le différents rois ; il s’y élabore l’une des cultures le plus riches…Mais ce pays finit par devenir le plus cimetière juif d’Europe, le lieu où se concrétisa presque parfaitement le rêve nazi de « l’extinction de la race juive ». Deux chiffres suffisent à rendre compte de l’ampleur du désastre : il y avait 3500000 juifs en Pologne en 1939, soit 10% de la population, il y en a au maximum 2000 ou 3000 aujourd’hui. Une visite de la Pologne juive s’apparente donc à une fouille archéologique menée après un cataclysme du style de Pompéi, à la recherche des traces d’une communauté disparue, qui ne vit quand dans la littérature et dans les souvenirs de ceux qui ont put émigrer à temps ou survivre par miracle.

Les plus anciennes traces de présence juive en Pologne remontent au Xe siècle : un voyageur venu de Tolède, Ibrahim ibn Jacob, rédige en 965 le premier rapport d’importance sur la Pologne. À l’époque des croisades, en 1098, des juifs chassés de Prague s’installent en Pologne. Des communautés juives sont mentionnées en 1237 à Plock, en 1287 à Kalisz, en 1304 à Cracovie. En 1264, le roi de Pologne, Boleslas le Pieux, accorde aux juifs un privilège dit « statut de Kalisz », qui leur garantit la sécurité des personnes et des biens, et la liberté religieuse. Au XIVe siècle, sous Casimir le Grand, ces privilèges accordés aux juifs sont confirmés (en 1364 et 1367), puis encore en 1453 par Casimir Jagellon : ils régissent la position des juifs jusqu’au partage de la Pologne (fin du XVIIIe siècle). Les communautés juives ont une véritable autonomie, le droit de construire des synagogues, des écoles juives, de rendre la justice, ce qui fait de la Pologne le pays le plus tolérant d’Europe.

À partir du milieu du XIVe siècle, des émigrants juifs chassés d’Allemagne trouvent refuge en Pologne. De véritables quartiers juifs se forment à Llov (1356), à Sandomierz (1367), à Kamimierz près de Cracovie (1386), des communautés sont signalées dans quatre-vingt-cinq villes. À partir du milieu du XVIe siècle et durant toute la première moitié du XVIIe siècle, de nombreux émigrants continuent à affluer, non seulement des pays allemands, mais aussi d’Espagne, d’Italie et de Turquie. Les centres de la vie juive se déplacent vers l’est du pays.

Juifs polonais de Varsovie (1846, Musée d'Israël, Jérusalem)
Juifs polonais de Varsovie, 1846  © Musée d’Israël, Jérusalem

En 1581, est constituée à Lublin la « Diète des quatre pays » (Sejm Czeterech Ziem, ou en hébreu Vaad arba aratsot), désormais convoquée chaque année pour statuer et régir la communauté juive de Pologne et de Lituanie, et ce jusqu’en 1764. Le Sejm ou Vaad se charge de collecter l’impôt, mais aussi de protéger la communauté. C’est le Vaad qui prend la décision de construire les synagogues fortifiées de Brody, Buczacz, Lesko, Lublin, Schargorod, Stryj, Szczebrzeszyn, Zamosc, Zolkiew, et d’autres encore. E, 1646, on estime la population juive à 500000 habitants, soit déjà 5% de la population totale.

Un cinquième d’entre eux sont massacrés par les cosaques de Khmelnitsky. Le fait que ce soit précisément en Pologne et en Ukraine que naît et s’épanouit le mouvement hassidique de revitalisation religieuse est une conséquence lointaine de ces massacres et de la paupérisation qui s’ensuit. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que les communautés se reforment et s’accroissent. En 1790, après le premier partage de la Pologne, leur nombre atteignait 900000, soit 10% de la population.

De 1785 à 1918, la Pologne est rayée de la carte, partagée entre ses trois puisants voisins (Russie, Autriche, Prusse), à l’exception des années 1807-1815, pendant lesquelles Napoléon crée le grand duché de Varsovie. La grande majorité de la communauté juive de Pologne se retrouve dans l’Empire russe et perd tous les privilèges dont elle jouissait à l’époque polonaise. L’auto-administration de la communauté est supprimée et le tsar relègue la population juive dans la « zone de résidence », lui imposant d’importantes restrictions. Dans la partie de la Pologne annexée par l’Autriche ( la Galicie), vit également une forte proportion de juifs, qui voient tout d’abord certains de leurs privilèges abolis, mais qui bénéficient dans certaines villes d’un régime favorable. En 1867-1868, est décrétée l’égalité entre tous les sujets de la monarchie autrichienne, donc aussi pour les juifs. C’est en Galicie que l’assimilation des juifs est la plus forte, une grande partie des intellectuels juifs se tournant vers la culture allemande, comme Karl-Emil Franzos (né à Czortków) ou Joseph Roth (né à Brody), d’autres vers la culture polonaise comme Bruno Schulz (né à Drohobycz).

Après la Première Guerre mondiale, une Pologne indépendante est recréée, aux frontières très étendues vers l’est, comprenant des « confins » (kresy) en Galicie, Volhynie, Biélorussie, Lituanie, où se concentrent de nombreuses populations allogènes et où les villes sont à majorité juive.

Juifs polonais (vers 1865, bibliothèque des Arts décoratifs, Paris)
Juifs polonais, vers 1865  © Bibliothèque des Arts décoratifs, Paris

La « question juive » se pose de manière accrue : ce n’est pas seulement une question nationale et religieuse, mais aussi sociale, eu égard aux énormes masses populaires misérables vivant dans les ghettos. Le gouvernement polonais de l’entre-deux-guerres, dominé par la « démocratie nationale », antisémite, les accable d’impôts et empêche leur ascension sociale. Les tensions montent, et lorsque viennent la « montée des périls » puis l’occupation allemande, les juifs sont peu à peu lâchés par les Polonais, eux-mêmes soumis à un régime très sévère et occupés à leur propre survie.

La suite est trop connue pour être relatée en détail. Le 1e septembre 1939, les Allemands envahissent la Pologne et créent des ghettos dans lesquels ils rassemblent la population juive, la séparant strictement des quartiers « aryens » et lui imposant  de très grosses restrictions , visant l’épuisement par le travail et le manque de nourriture.

À partir de 1941 et surtout de 1942, les ghettos sont liquidés un à un, et leur population transférée dans des « camps de la mort », à Chelmno, Belzec, Sobibór, Treblinka, spécialement destinés à l’extermination, ou dans des camps déjà existants comme Auschwitz ou Maïdanek, à la fois camps de travail et d’extermination. Toute la population juive de Pologne, presque sans exception, a disparu dans ces camps de la mort. Le camp le plus connu de tous est Auschwitz, devenu le symbole de la Shoah. C’est celui où l’industrie de la mort a été poussé le plus loin. Néanmoins, nous ne présenterons qu’à peine dans ce guide, précisément parce qu’il est trop connu, trop visité et trop déprimant. Nous préférons nous arrêter sur des lieux très beaux, à découvrir et à visiter avec plaisir et émotion, comme Cracovie, Lesko, Zamosc, Lublin, ou encore présenter des camps moins connus mais tout aussi émouvants : Sobibór, Treblinka, Chelmno, où l’on peut se recueillir plus facilement qu’au milieu des foules de touristes.

L’histoire du judaïsme polonais de l’après-guerre a accentué encore le malentendu entre juifs et Polonais. Outres les quelques survivants des ghettos, les rares juifs restés en vie sont les soldats de la zone soviétique, engagés dans l’armée Rouge et qui ont participé à la libération de leur pays. Quand ils reviennent, il trouvent les ghettos déserts, leurs maisons détruites, tous leurs parents exterminés. Une première vague d’émigration vers Israël se forme donc, et s’amplifie à partie de 1947 après le pogrom de Kielce. Puis chaque soubresaut du nationalisme ou du national-communisme polonais provoque une nouvelle vague d’émigration des juifs, notamment en 1956 avec l’arrivée au pouvoir de Gomulka et en 1967-1968, après la guerre des Six jours. Ces vagues d’émigration vident presque totalement le pays de ses juifs : sur les 300000 ou 400000 qui demeuraient encore en Pologne en 1945, il n’en reste que quelques centaines aujourd’hui, à Varsovie, Cracovie, Wroclaw, Lodz, dont les synagogues ne parviennent pas toujours à réunir le minyan.

Depuis les années 2000, on peut cependant constater un regain d’intérêt pour la culture juive du pays et les travaux de recherche universitaire autour de la période de la Shoah. Un certain nombre de synagogues et de quartier juifs ont été réhabilités, comme à Cracovie. Le symbole le plus évident de ce changement d’attitude de la Pologne face à son passé est le Musée juif de Varsovie, qui a ouvert ses portes en 2013/