Journées européennes de la culture juive / 2024

Aube

Rencontre avec Delphine Yagüe, cheffe de projet de la Route médiévale de Rachi en Champagne (portée par Aube en Champagne Attractivité et intégrée à l’Itinéraire européen du Patrimoine Juif du Conseil de l’Europe) et directrice du Groupement d’Intérêt Public « Rachi-Troyes et l’Aube en Grand Est » au sujet des nombreux projets de valorisation du patrimoine juif dans l’Aube sur les pas de Rachi…

Visite guidée à Troyes. Photo de CulturistiQ

Jguideeurope : Comment est né le projet de la Route médiévale de Rachi en Champagne ?

Delphine Yagüe : En 2017 la Maison Rachi était inaugurée dans les locaux de la synagogue de Troyes. La qualité et l’originalité de ce site culturel privé, ainsi que les médiations proposées pour la découvrir, ont rapidement conquis un public nombreux, local et étranger.

En 2018, le Conseil de l’Europe a refondu les critères de candidature pour adhérer aux Itinéraires Culturels. Celui relatif au Patrimoine juif, piloté par l’AEPJ, a proposé un incubateur de 3 ans pour accueillir de nouveaux candidats. Aube en Champagne Attractivité a répondu présent et a lancé le projet de la Route médiévale de Rachi en Champagne en s’entourant d’un conseil scientifique de renom et en fédérant les divers partenaires déjà présents sur le territoire sur la thématique de Rachi : la Maison Rachi, l’Institut Rachi, Troyes la Champagne Tourisme (Office de Tourisme de Troyes et son agglomération) ou encore CulturistiQ. Ainsi que ceux qui souhaitaient les rejoindre, telles que les communes de Dampierre, Ramerupt et Lhuître, la Direction des Archives et du Patrimoine de l’Aube,…

Les réalisations des partenaires ainsi que les projets de la Route médiévale de Rachi en matière de communication, de développement touristique durable, de valorisation des patrimoines et de la mémoire, de création artistique et d’engagement de recherches scientifiques, ont permis à la Route Rachi d’être immédiatement agréée. Elle a donc intégré l’incubateur pendant 3 ans et développé ses projets tout en étant officiellement membre de l’Itinéraire européen du Patrimoine juif.

Fresque posée sur une maison de Ramerupt
Fresque de Ramerupt. Photo de Jean-Pierre Thomas

Quelles sont vos missions actuelles ?

La Route médiévale de Rachi en Champagne est d’abord force de proposition auprès des acteurs et partenaires, dans la création de projets (recherche, contenu, organisation, …) sur les 5 critères du Conseil de l’Europe. Un exemple concret est celui du « Parcours Rachi ».

Elle soutient le développement des projets des acteurs, en matière d’ingénierie sur des actions transverses de mise en relation, marketing, promotion, conseil, signalétique… Elle fédère tous les acteurs dans l’objectif de créer une dynamique de territoire et d’offrir un véritable itinéraire touristique aux publics intéressés par Rachi dans l’Aube.

Actuellement 6 sites d’intérêts touristiques sont à découvrir dans l’Aube : l’Institut Rachi, la Maison Rachi, l’ancien quartier juif de Troyes (incluant notamment le Quartier St Frobert et le Mémorial Moretti) et les 3 fresques du « Parcours Rachi » à Dampierre, Ramerupt et Lhuître

Parallèlement, plusieurs offres ponctuelles existent (visites guidées, actions pédagogiques auprès des publics scolaires…).

Travaux effectués sur les fresques dans la région de l'Aube
Création des fresques. Photo de CulturistiQ

Pouvez-vous nous dire où en est le projet de Route médiévale de Rachi en Champagne (RMRC) ?

Depuis 2019, la Route médiévale de Rachi en Champagne fait partie de l’Itinéraire européen du Patrimoine juif au sein des Itinéraires Culturels du Conseil de l’Europe.

La RMRC avance à grands pas grâce au portage de Aube en Champagne Attractivité. Il s’agit de valoriser cette mémoire que constitue la vingtaine de communes du territoire où vivaient de prestigieuses communautés juives à l’époque médiévale qui regroupaient près de 70 sages au XIIIe siècle, tous issus de l’école de Rachi. Une mémoire que la Route Rachi s’attache à raviver auprès de ses habitants et visiteurs au travers notamment d’un projet touristique et artistique original et innovant, fédérateur et citoyen : le « Parcours Rachi ». Il consiste en la réalisation de fresques de 4m sur 3m sur les murs de bâtiments publics dans les villages de l’Aube détenteurs de cette mémoire. Les maquettes des fresques sont réalisées par des artistes, le chantier est effectué par l’Association des Passeurs de Fresques et tous les habitants des villages sont invités à participer à de nombreux ateliers pour une meilleure connaissance de l’art de la fresque et du patrimoine juif qui leur appartient. A ce jour, trois fresques ont été réalisées dans le cadre de la Route médiévale de Rachi en Champagne :  Dampierre en juin 2022, Ramerupt en juin 2023 et Lhuître en septembre 2023, trois villages du nord de l’Aube. Chaque fresque est installée de manière pérenne et est accessible au public en permanence.

Ce projet est soutenu par le ministère de la Culture, la DILCRAH, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, la Fondation du Judaïsme Français ainsi que par le département et les collectivités locales. Parallèlement, au printemps 2024, la RMRC a accompli un gros effort de sensibilisation des publics. Ainsi, ont été créés une brochure touristique gratuite bilingue, une vidéo à visée touristique bilingue, ainsi qu’une formation à destination des professionnels…

Dès avril 2026, elle prévoit, en collaboration avec les Archives départementales de l‘Aube, une exposition intitulée « Être juif en Champagne au Moyen-Âge : une terre des hommes ». Cette exposition sera inaugurée aux Archives Nationales. Un partenariat inter-musées à Paris permettra de faire connaître ce patrimoine au plus grand nombre. Parallèlement, l’exposition circulera dans les villages de l’Aube et de villes comme Provins, Sens ou Châlons en Champagne, qui appartenaient au comté de Champagne. Elle sera aussi exposée en Allemagne.

Un gros effort de sensibilisation des publics a été réalisé jusqu’à présent grâce à la création d’une brochure touristique gratuite bilingue, ainsi que d’une formation à destination des professionnels du tourisme et de la culture locaux pour les aider à s’emparer de cette thématique pour inventer de nouvelles offres sur le territoire. Ainsi déjà, depuis 2020, plusieurs thématiques de visite pour « rencontrer Rachi » au travers de ses écrits sont proposées aux groupes de touristes autour de l’architecture, du vin, du miel, de la nature, de l’étude et des échanges intellectuels au Moyen-Âge par CulturistiQ.

Fresque de Dampierre « Isaac de Dampierre » (arrière-petit-fils de Rachi, célèbre Tossafiste). Photo de CulturistiQ

Comment les habitants de ces villes ou villages réagissent-ils au partage de ce patrimoine culturel ?

Valoriser le patrimoine juif pour et avec les habitants de villages qui n’ont parfois même pas une boulangerie était un pari. Au moment de la réflexion sur les fresques, nous avons impliqué des collectifs d’habitants et les groupes scolaires dans l’aventure. D’abord par le biais de visites guidées ou de conférences grand public sur l’histoire du patrimoine juif de leur village. Pour les enfants, des ateliers en classe pour comprendre l’histoire de Rachi et les sensibiliser à l’hébreu par des jeux, des chansons, des projets artistiques. Enfin, tous ont été invités à assister au chantier de la fresque de leur village qui dure environ une semaine. Les enfants y participent avec leurs enseignants puis emmènent leur parents ou grands-parents sur site. Les adultes sont invités à des ateliers sur la fresque lors des Journées européennes du Patrimoine.

Ainsi, mieux informés sur le patrimoine mis en valeur et éclairés sur l’hébreu qui figure sur chaque fresque, ils sont plus enclins à adopter l’œuvre, à la décrypter pour leurs familles et amis et à la protéger.

Visite du chantier de Ramerupt par les scolaires ©CulturistiQ

Y a-t-il une dimension européenne à ces projets ?

Bien sûr. De fait, la Route médiévale de Rachi est intégrée à un réseau de 20 pays européens qui promeuvent tous leur patrimoine juif ancien ou moderne et font partie également de cet Itinéraire européen du Patrimoine juif. Les liens sont forts et réguliers au travers de l’AEPJ.

Une rencontre annuelle permet aux responsables de chaque Route de travailler ensemble sur des questions diverses de valorisation et sur des partages de bonnes pratiques. En 2024, la Route Rachi a participé à la rencontre d’Oxford.

L’AEPJ propose également de nombreux outils de communication et des partenariats qui offrent une visibilité aux différentes Routes : son site internet, la compilation des données annuelles des Journées de la Culture Juive, des informations touristiques sur World Jewish Travel, les visites guidées digitales sur J-Story, …

Enfin, du fait du rayonnement de la pensée, de l’œuvre, des disciples de Rachi dans toute l’Europe à compter du 12e siècle, Rachi est fondamentalement un personnage européen. Il a d’abord étudié à Mayence et Worms en Allemagne. De retour à Troyes pour y ouvrir son école, il a reçu des élèves d’Espagne, de Lotharingie. Plus tard les Tossafistes implantés à Ramerupt ou Dampierre, ont enseigné à des disciples en provenance de Prague, d’Angleterre, du Comté de Barcelone, d’Italie, de Kiev, … Tous se sont installés dans de nombreuses villes et villages en France mais dans aussi toute l’Europe où ils ont exporté sa méthode d’enseignement et ses commentaires. Plus tard, avec l’invention de l’imprimerie, son commentaire de la Bible et du Talmud seront imprimés dans des villes qui deviendront des références dans l’étude juive, comme Vilnius en Lituanie avec le Talmud de Vilna imprimé à la fin du 19e siècle.

Visite de groupe du « Parcours Rachi » à Dampierre. Photo CulturistiQ

Du fait de ce rayonnement européen, en 2023, trois collectivités, la Région Grand Est, le Département de l’Aube et la Ville de Troyes, en collaboration avec le Consistoire Central et le soutien de l’Etat, ont constitué un Groupement d’Intérêt Public « Rachi – Troyes et l’Aube en Grand Est » (GIP Rachi), dont la vocation est de porter la candidature de la mémoire de Rachi au Label « Patrimoine Européen » en 2025. Outre ces membres fondateurs, ce GIP Rachi fédère également des membres actifs que sont l’Institut Rachi, la Maison Rachi, Aube en Champagne Attractivité, Troyes la Champagne Tourisme, la Communauté de Communes Arcis Mailly Ramerupt, la ville de Vitry le François et JECPJ-France. Le dossier sera déposé fin février au ministère de la Culture français et représentera la France à l’UE pour candidater au Label. Cette démarche démontre la force et les valeurs qu’incarnent Rachi et son école pour le territoire local, la France et l’Europe.

Le GIP Rachi a pour mission de porter la candidature et de fédérer les acteurs sur les critères du Label : multilinguisme, tourisme durable, nouvelles technologies, création artistique, jeunesse… Récemment le GIP a proposé de nouveaux supports de médiation pour les visiteurs européens : un parcours de découverte numérique « sur les pas de Rachi » repensé et enrichi pour visiter Troyes, et un jeu de piste « Qui es-tu Rachi ? » pour le public jeunesse.

Mikvé de Châlons en Champagne. Photo Delphine Yagüe

Avez-vous découvert des lieux récemment liés à ces démarches ?

A Châlons en Champagne, un site a récemment été expertisé par un membre du conseil scientifique du GIP Rachi, archéologue de l’INRAP, pour attester de l’existence d’un mikvé de la fin du 14e siècle. Ce mikvé pourra rejoindre à terme une Route européenne des mikvaot à construire et faire l’objet d’ouvertures et médiations adaptées aux publics, un nouveau point d’intérêt touristique sur la Route médiévale de Rachi en Champagne.