Les Journées Européennes de la Culture Juive 2022 sont l’occasion en Lorraine de célébrer, comme le reflète le thème de Renouveau choisi cette année, le passé et le présent dans un esprit de partage et d’enthousiasme. Un programme très varié dans ses partenariats son contenu (exposition Benjamin Fondane, concert Tsuzamen, pièces de Hanokh Levin et J-C Grumberg, événements en soutien à l’Ukraine…) Rencontre avec Désirée Mayer, Présidente des JECJ-Lorraine.
Jguideeurope : Quel événement va ouvrir le Festival en Lorraine ?
Désirée Mayer : Nous n’avons jamais perçu les Journées Européennes de la Culture juive comme un festival. Et cela, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que l’histoire juive européenne n’a rien d’un « festival » et que la culture juive que nous souhaitons mettre en partage par nos programmations, doit refléter cette histoire : tragique, mais aussi constructive, généreuse et résiliente. Or Metz a connu un passé juif intense : de Rav Gershon Méor Hagolah, au Moyen-âge, à la première grande Yeshiva en France au 19e. L’idée fut donc de ne pas limiter ce moment à un festival ou à une journée, mais d’inscrire ce partage culturel dans l’existence de nos concitoyens par une programmation artistique et culturelle déployée dans la durée. Nous proposons donc une saison culturelle annuelle, sur une période de quatre mois, voire cinq mois pour l’édition 2022.
Le premier événement, en avant-première du lancement européen du 4 septembre, sera une double exposition consacrée au poète et philosophe Benjamin Fondane, qui se déroulera, aux Archives Municipales de Metz, dans le superbe Cloître des Récollets. Dans cette démarche, le Renouveau (thème 2022 des JECJ), tient un peu de la « réparation ». L’exposition Fondane du Mémorial de la Shoah et surtout les œuvres picturales de l’artiste Marina Haccoun-Levikoff, qui illustrent les poèmes de Fondane – redonnent la vie – sinon à l’homme exterminé à Auschwitz – du moins à son œuvre. Intitulée « A la lisière du temps », cette exposition liminaire, est organisée en étroite collaboration avec la Société d’études Benjamin Fondane.
Quels sont les autres événements prévus ?
Pour mettre en partage la culture juive, nous ne nous contentons pas d’une visite des Synagogues, d’un concert, d’une conférence ou d’un colloque. Notre programme, volontairement très varié, se présente dans des espaces différents (parfois 40 lieux divers rien qu’à Metz et ses environs) et il privilégie grandement les partenariats institutionnels et associatifs. Ainsi pour le 4 septembre, jour du lancement européen, avec le soutien de la Ville de Metz, nous proposons au public une manifestation festive inter-associative. Toujours dans le cadre des Récollets, afin d’animer nos expositions, une dizaine d’associations et institutions proposeront, du théâtre, de la musique, des ateliers, un studio d’enregistrement, des films, un peu de restauration juive et beaucoup de convivialité… Qu’il s’agisse de la radio RCF Jerico Moselle, de Cinéart, du Cercle lyrique, des bibliothèques municipales et d’autres qui seront présents, nous ciblons une diversification des publics et des activités. Le reste du programme annuel repose également sur des partenariats. Cela nous permet – entre autres – de proposer des événements très prestigieux. Parmi eux, le concert Tsuzamen du Sirba Octet (02/10) à l’Arsenal, avec la Maîtrise de la Cathédrale de Metz, le colloque annuel à l’Hôtel de Ville, en partenariat avec l’Académie Nationale de Metz (27/11), l’Orchestre Naoni, d’Ukraine, un beau festival de cinéma, une pièce de Hanokh Levin, ou « La plus précieuse des marchandises », de J.C. Grumberg, à l’Opéra-Théâtre de Metz… Bref, cinq mois de partages artistiques et culturels !
L’Ukraine sera également à l’honneur, semble-t-il.
En mars 2022, en pleine guerre, Czernowitz et Metz se sont jumelées. Lorsque notre Maire, M. Grosdidier est parti signer le jumelage, des journalistes ukrainiens ont rappelé que Czernowitz était appelée autrefois « la petite Jérusalem de l’Est ». A plusieurs milliers de kilomètres, en territoire de guerre, ils ont évoqué les JECJ-Lorraine et demandé si des partenariats pouvaient se dérouler à ce niveau-là également. Honorés par cette notoriété, nous sommes partenaires aujourd’hui. Nous allons faire venir un ensemble musical de Czernowitz, le concert Naoni, avec une quarantaine d’instruments folkloriques qui vont jouer de la musique juive et ukrainienne, en présence du maire de Czernowitz. Le 29 septembre, ce concert se déroulera dans la prestigieuse salle de l’Arsenal, à la cité musicale de Metz. De nombreux événements se dérouleront avec le soutien de la ville de Metz, de l’Eurométropole de Metz et de l’association Échanges Lorraine Ukraine (ELU). Le 24 novembre, le député européen, Raphaël Glucksmann, spécialiste de l’Ukraine, donnera une conférence dans ce cadre.
Le thème de cette année étant le renouveau, constatez-vous un regain d’intérêt concernant le patrimoine culturel juif en des lieux où il avait été oublié ou bien une réinstallation des juifs en certaines villes ?
Les deux. La ville de Metz, qui a le privilège d’avoir une école juive et un collège, a encouragé la venue de personnes ou familles désirant s’installer dans une ville où la vie est très douce, et les relations intercommunautaires ou interculturelles particulièrement apaisées. Le consistoire de la Moselle et la communauté juive de Metz ont effectué des efforts dans ce sens : avec un certain succès. Ceci pour l’installation ou la réinstallation.
Quant à l’intérêt de nos concitoyens pour le patrimoine juif, il y a deux ans, nous avons fêté les vingt ans des JECJ. Les animations dans les différents lieux de Metz, telles les synagogues, ne désemplissent pas. Avec les visites, conférences, concerts, nous accueillons annuellement plus de 1000 visiteurs le jour du patrimoine national.
Culturelle et non pas cultuelle, très ouverte sur la cité, notre association est reconnue et soutenue par la DRAC, la Région Grand Est, le Département de la Moselle, l’Eurométropole, la Ville de Metz… et aussi par des mécènes et des organismes qui apprécient notre travail d’harmonisation sociale. Nous avons été sollicités par des villes voisines, comme Forbach en Moselle, pour proposer des animations culturelles juives. Passant les frontières, nous avons été sollicités par la Région Sarre, en Allemagne, pour le prêt d’une très belle exposition « Salon Judaïca », conçue par les JECJ-Lorraine et réalisée par l’artiste Jean-Christophe Roelens. Le vernissage de cette exposition aura lieu le 21/09 dans l’hôtel de Région de la Sarre, en Allemagne, dans le cadre d’actions menées contre l’antisémitisme.
L’intérêt accordé au patrimoine culturel juif, se manifeste également dans les autres villes de la région. Verdun a pu refaire sa synagogue de style florentin, grâce à une aide de la Fondation du patrimoine. Sa communauté est réduite, mais dynamique. A Nancy, le centre communautaire organise de nombreux événements, notamment pendant les JECJ. A Sarreguemines, dans les Vosges et ailleurs, la culture juive vient apporter un peu de ses trésors plurimillénaires à nos concitoyens
On peut donc dire que ces Journées ont participé régionalement à un regain de la vitalité culturelle et de l’ouverture à l’autre, elles permettent de reconsidérer le patrimoine culturel juif sous un autre angle. Notre travail étant de le mettre en partage, d’expliquer à tout un chacun ce qu’a dit magnifiquement Madame Trautmann lorsqu’elle était ministre de la Culture, à savoir que « le patrimoine culturel juif n’appartient pas seulement aux juifs, mais à quiconque s’intéresse au patrimoine culturel et à la culture en général ».