Journées européennes de la culture juive / Journées Européennes de la Culture Juive 2024

Béziers

L’Association Mémoire Juive de Béziers présente cette année un étonnant parcours à travers la longue et passionnante histoire juive biterroise. Rencontre avec sa directrice, Chantal Viotte-Rabinovitch, qui nous raconte ce projet, ainsi que la nouvelle salle de présentation de ce patrimoine culturel.

Journées du Patrimoine

Jguideeurope : Quels événements seront organisés par vous lors des Journées du Patrimoine ?

Chantal Viotte-Rabinovitch : Comme chaque année depuis 2019, nous allons participer aux Journées du Patrimoine, qui se dérouleront, en 2024, les 21 et 22 septembre. Un choix motivé par la volonté d’être présents et de s’inscrire dans l’évènementiel de la ville de Béziers.

Le principe est celui de visites semi-guidées, en costume d’époque. Nous sommes répartis en 3 groupes, pour recevoir nos visiteurs au cœur des vestiges des anciens quartiers juifs. Ils sont d’abord accueillis à l’hôtel de Cassagne, siège de la synagogue et de l’association Mémoire Juive de Béziers, où un plan leur est remis. Cela leur permet de circuler librement de 10h à 18h non-stop, sans inscription préalable, d’un point à l’autre. Nous leur contons l’histoire de la communauté juive de Béziers, depuis son âge d’or sous la dynastie des Trencavel, jusqu’à l’expulsion de 1306, en passant par la redoutable croisade albigeoise, dans les lieux mêmes qui ont vu se dérouler cette histoire.

En marge des Journées du Patrimoine, le vendredi 20 septembre, nous proposons des visites guidées, à l’intention des scolaires et de leurs enseignants, sur le thème Patrimoine et Tolérance. L’objectif pédagogique est de permettre aux enfants de comprendre, à travers l’histoire des juifs de Béziers inscrite dans ses pierres, les méfaits de l’intolérance et les vertus de la Tolérance, les vestiges servant de supports pédagogiques à la narration historique. Les enseignants doivent inscrire leurs classes pour y participer.

Visites théâtralisées

Vous organisez depuis peu à Béziers des visites théâtralisée. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Depuis 2019 nous organisons des visites guidées des vestiges des anciens quartiers juifs de Béziers. Au cœur de la ville historique, se cache un patrimoine méconnu. Un simple regard sur la plaque du nom de la rue de la Petite Jérusalem (anciennement rue de la Juiverie) interpelle. Quelle a été la place occupée par les juifs dans le Béziers médiéval ? Quelles traces nous ont-ils laissées ? Comment vivaient les juifs dans la ville? Nous contons cette histoire passionnante qui a laissé des traces mystérieuses jusque dans la cathédrale Saint Nazaire.

Cette année nous avons voulu innover avec des visites théâtralisées. Je ne peux pas vous dévoiler toutes les « surprises » du parcours, qui sinon n’en seraient plus, mais je peux vous dire qu’au cours de ces visites vous pourrez côtoyer les « fantômes » des juifs biterrois du passé qui apparaîtront, en costume d’époque, au détour des ruelles. Le ton est humoristique et facétieux, même si le « fond » est toujours aussi enrichissant et pédagogique.

Espace yiddishland

L’association a récupéré des locaux qui vont être transformés en musée. Comment est née cette démarche ? Pouvez-vous nous parler d’objets qui y seront présentés ?

L’Hôtel de Cassagne abrite à la fois la partie cultuelle avec la synagogue, la partie communautaire avec la salle de réception et la cuisine casher, et la partie culturelle avec l’espace muséal. L’une des salles de l’espace pédagogique ouvrait sur l’appartement de notre rabbin. Comme il a décidé de s’installer en ville avec sa petite famille, qui s’est agrandie, nous avons pu « récupérer » une surface de 90m2 environ pour réaliser une extension du musée. Mais au lieu de faire table rase de tout, nous avons voulu conserver l’esprit « maison du rabbin ».

Il en va ainsi, notamment, de l’ancienne salle à manger que nous avons juste réaménagée et redécorée un peu. Le cœur de la salle à manger, dans laquelle sont exposés par ailleurs divers objets de culte, est une table dressée qui permet une immersion permanente dans l’univers du Judaïsme et des fêtes juives. En effet, le décor change en fonction du cycle des fêtes. Ainsi se sont succédées jusqu’à maintenant la table du seder de Pessah, et celle de Shavouot ; Entre deux fêtes, c’est la table du shabbat qui est dressée, avec les chandeliers et le verre de kiddouch en céramique arménienne bleue, la nappe brodée, provenant d’Israël, et même le plateau avec les hallots. Le plus beau compliment que nous ayons reçu était de nous dire : « Ça donne envie de s’asseoir et de se mettre à table ! » C’est exactement l’effet recherché, même si les mets appétissants présentés sont, bien sûr, factices.

La table de Shavouot dans la maison du rabbin

Les autres salles sont également une invitation au voyage, dans le temps et l’espace avec par exemple la salle consacrée aux juifs du Maghreb. Une autre salle est dédiée aux juifs d’Europe de l’Est, à leur vie, à leur culture… et à leur destruction. Conçue comme une véritable immersion dans le monde du Yiddishland, elle présente à la fois le côté lumineux avec des tableaux d’Alex Levin qui évoquent le monde du shtetl d’avant : la paix, la famille, la vie paisible à la lumière de la Torah…

Et la brusque irruption du côté obscur avec des lithographies d’Alain Kleinmann évoquant la Shoah. En miroir, des photos de famille des années heureuses, et des photos de visages et de regards dans le ghetto de Varsovie. Le cœur de cet espace, est la reconstitution d’une pièce à vivre avec sa cheminée, ses bibelots, des tableaux d’artistes polonais du XXe siècle, un fauteuil et un berceau, vides… car toute vie s’est arrêtée. Une table de shabbat est dressée : nappe et serviettes brodées main en Europe de l’Est, chandeliers anciens et service en céramique polonaise Boleslawiec. Il ne manque que la famille qui allait s’attabler pour réciter les bénédictions, et qui a disparu, emportée par la vague brune alors que la maison sombrait dans le silence et l’oubli succédant au tumulte du martèlement des bottes, des pleurs et des cris. Nostalgique, émouvant, poignant… oui, mais avec le choix de ne jamais montrer l’indicible qui reste suggéré afin que la parole prenne le relais pour raconter.

Ainsi ce musée n’est pas un musée « froid » et impersonnel dans lequel on vient regarder des objets de culte exposés dans des vitrines, mais une véritable immersion dans le monde juif avec des guides qui pendant 1h30 racontent ce monde avec passion.