Peu de juifs vivaient à Malines avant-guerre, mais la ville est tristement célèbre dans l’histoire juive pour la Caserne Dossin. Ce bâtiment date d’avant l’indépendance de la Belgique, de l’époque autrichienne. Au début du 20e siècle, il a servi de caserne militaire à l’armée belge. En 1942, lorsque les nazis cherchent un lieu où rassembler les juifs, ils optent pour la Caserne Dossin.
Elle leur semble pratique grâce à sa configuration militaire avec une plaine au milieu et des murs permettant d’éviter les regards indiscrets. En plus, des chemins de fer se trouvent juste à côté. Enfin, parce qu’elle est située dans la ville de Malines, à mi-chemin entre les deux villes où résident la majorité des juifs belges, Anvers et Bruxelles. Une fois les prisonniers rassemblés, ils étaient conduits en camion d’Anvers et de Bruxelles à la Caserne Dossin , puis déportés en train vers Auschwitz. La première déportation se déroule en août 1942. Lorsque la Belgique a été libérée en septembre 1944, près de 150 prisonniers ont été retrouvés qui devaient faire partie du convoi suivant. En tout, 28 convois sont partis.
Les soldats allemands ont fui en Hollande, qui n’a été libérée que plus tard. Ils ont laissé ces prisonniers derrière eux, ainsi que les documents administratifs. Peu de temps avant leur fuite, les soldats avaient demandé à des prisonniers de bruler ces documents, ce qui ne fut pas fait.
On a donc rassemblé de nombreux documents attestant de ces crimes. Après la guerre, tous ces documents ont transféré au musée militaire. Dans les années 1970, des discussions gouvernementales se sont déroulées pour savoir ce qui adviendrait de ce lieu. Certains responsables politiques voulaient le détruire. Puis, dans les années 1980 un promoteur immobilier a proposé de le transformer en résidence de luxe.
Les communautés juives d’Anvers et de Bruxelles se sont réunies derrière Nathan Ramet (1915-2012), survivant de la Shoah, qui effectua un grand travail pédagogique auprès des jeunes. Ensemble, ils achètent une partie du bâtiment et le transforment en musée mémoriel. Ce petit musée a été ouvert en 1996. Dans les années 1990, les manuels scolaires ont commencé à parler de ces événements et les écoles à effectuer des visites.
Des journées très chargées émotionnellement car ces journées organisées par l’éducation nationale comportaient dans la même journée une visite au camp de Breendonk où étaient emprisonnés et exécutés les opposants politiques et les résistants. Le musée étant assez petit, les visites sont devenues compliquées avec des groupes scolaires constitués parfois de 60 élèves.
Le gouvernement flamand a donc soutenu le projet de construction, à côté de la Caserne Dossin, d’un musée plus grand qui expliquerait l’histoire de la Shoah en Belgique. Qui mettrait aussi en avant les actes de résistance et effectuerait un travail pédagogique plus large sur les questions de génocide et de déplacement forcé des populations.
Grâce à tous les documents retrouvés, la fille de Nathan Ramet, Patsi Ramet, a eu l’idée avec l’ancien directeur du Musée, de mettre un visage sur ces noms. Qu’ils ne soient pas de simples statistiques. Elle a donc consacré des années à étudier les dossiers des ministères sur les juifs étrangers vivant en Belgique, 90 % des juifs n’étaient alors pas de nationalité belge. A l’époque, tout les migrants au-dessus de 15 ans devaient ajouter une photo d’identité dans leur dossier d’entrée en Belgique. Avec les noms qui figuraient sur les documents laissés à la caserne, Patsi Ramet a pu y associer de nombreux visages. Elle a numérisé toutes ces photos qui ont été publiées dans quatre livres, incluant 17000 des 25490 Juifs et 353 Roms déportés.
Pour les mineurs, la tâche s’avéra bien plus compliquée, puisqu’il n’y avait pas de photos dans ces dossiers. Des annonces ont été publiées dans des journaux juifs à travers le monde et des institutions contactées pour retrouver ces photos qui manquaient.
Sur le mur intérieur du musée a été affiché les photos en noir et blanc des plus de 25000 déportés, avec des cases où se incluant juste un profil d’enfant ou d’adulte dont la photo n’a pas encore été identifiée.
Les photos des 1200 déportés qui sont revenus étant colorées en sépia. Régulièrement, des photos sont encore transmises du monde entier et ajoutées lors d’une cérémonie annuelle.
En 1942, lorsque les prisonniers arrivaient, tous leurs documents et biens furent confisqués et jetés. Lorsque l’année suivante le camp d’internement a été dirigé par un autre fonctionnaire nazi, les documents furent conservés dans des enveloppes. Sur ces 4500 enveloppes retrouvées, tous les documents ont été numérisés par des historiens, stagiaires et volontaires. Chaque enveloppe ouverte représentant une vie, un passeport, une carte de ration… et des documents du quotidien comme s’il pouvait encore y en avoir un, telle une ordonnance médicale ou le diplôme d’un jeune garçon de Liège.
Aujourd’hui, l’ancienne Caserne Dossin a donc été en majorité transformée en appartements de luxe. Le Mémorial est situé à l’entrée à droite du complexe. La porte d’entrée franchie, on entre dans une pièce avec des photos d’où on aperçoit uniquement les yeux comme s’ils nous accueillaient. Dans la première pièce, on voit comment la communauté juive vivait simplement, s’assimilant à la vie belge. Photos dans la rue, au travail, à la plage, d’une banalité évoquant l’insouciance des années 30 et la manière dont on pouvait affirmer comme la célèbre formule en France, « heureux comme un juif en Belgique ».
On découvre les copies des documents derrière des vitres : cartes d’identité et autres papiers. Au milieu, une machine à écrire où se tapaient les noms des arrivants par des prisonnières utilisées comme secrétaires. Lesquelles ont réussi parfois à brouiller les documents en n’inscrivant pas certains détenus, afin de les protéger. Un projecteur met en lumière ces noms sur des pages. Tous ces documents ont été sortis des enveloppes et digitalisés ces dernières années.
Dans la pièce à droite est installée une émouvante œuvre d’art de Philippe Aguirre Y Otegui, un artiste espagnol basque dont la famille s’est enfuie pendant la guerre civile. Une œuvre intitulée « 15 août 1942 », la date de la première grande rafle effectuée à Anvers, où l’on voit une famille se cacher sous une table.
Puis, ces images des brimades que subirent les juifs en étant rasé et l’insigne nazie dessinée sur eux pour amuser le photographe nazi. Et cette photo terrifiante, la seule retrouvée de l’intérieur de Dossin avec l’arrivées des juifs dans le camp. A proximité, des dessins (notamment d’Irène Spicker) et peintures, à leur manière, ont également pu immortaliser le ressenti des prisonniers et préserver les témoignages, ainsi qu’une œuvre très étonnante d’enfants.
La salle des enfants, dans l’esprit de celle du musée de Yad Vashem à Jérusalem, est une petite pièce couverte de photos retrouvées d’enfants juifs et tsiganes déportés. Un peu plus loin, une petite salle diffuse sur un écran les témoignages des anciens déportés qui ont été enregistrés, racontant comment les rafles ont été effectuée.
En sortant du mémorial qui fut l’ancien musée, vous entrez dans le nouveau musée situé en face. A l’intérieur on est tout de suite marqué par le mur des photos qui se prolonge sur tous les étages et ces cases encore vides sans photos retrouvées. Face aux photos, un écran qui permet de connaitre l’emplacement des photos en fonction des noms.
Au premier étage est présentée l’histoire de l’Allemagne, de la fin de la Première Guerre mondiale à la montée du nazisme. Avec les tracts de propagande antisémite et une déshumanisation des juifs les représentants en insectes. Et aussi une affiche raciste présentant un dessin d’un soldat français noir gardant les frontières avec l’Allemagne. En guise d’image d’accueil à cet étage, une immense photo contemporaine d’une foule réunie pour un événement festif, contrastant avec les manipulations des masses dans les stades par les nazis, symbolisant les différentes manifestations collectives.
Puis, on découvre l’histoire juive belge. Comment les juifs se sont très bien intégrés à la vie belge, eux qui sont d’abord issus de terres sépharades mais dont la majorité qui arrivèrent au tournant du 20e siècle ont fui les pogroms d’Europe de l’Est. Des photos montrant les mouvements de jeunesse, les étudiants, les travailleurs et joyeux promeneurs du samedi. Avec des histoires de juifs symboles de cette belle intégration dont un général et un grand défenseur de la langue flamande. On y voit aussi les peintures de Felix Nussbaum, déporté en 1944, dont l’atelier fut brulé et de nombreuses œuvres détruites. Un musée lui est aujourd’hui consacré en Allemagne.
Les témoignages de cinq personnes sont également diffusés : Malvine Löwenwirth, Michel Goldberg et Nathan Ramet d’Anvers ainsi que Simon Gronowski et Marie Pinhas de Bruxelles . Ils évoquent tour à tour la vie juive en Belgique avant la guerre, la déportation, les camps et leur survie et retour après la guerre, en parallèle de la présentation du musée.
On y retrace aussi la vie générale des Belges à cette époque. Lors de l’invasion, de nombreux belges craignirent que la Belgique deviendrait définitivement une province allemande. Les occupants tentant de calmer la population en la « rassurant » puis en 1942 en appliquant des mesures de plus en plus brutales, déportant aussi les opposants politiques.
Les autorités wallonnes ont d’ailleurs fiat preuve de plus d’opposition et de résistance aux nazis que les autorités flamandes. A titre d’exemple, lorsque les avocats juifs sont interdits de plaider, la ville d’Anvers applique cette décision, contrairement à Bruxelles.
L’histoire des déportations des tsiganes est présentée sur les murs de cet étage. Avec parmi les photos, une famille dont un fils est présent dans la salle dédiée aux enfants dans le Mémorial de la Caserne Dossin.
Au 2e étage, on comprend comment les occupants allemands ont manœuvré pour constituer les listes de juifs. En 1941, ils décident que les enfants juives ne peuvent plus aller dans les écoles publiques et doivent poursuivre leurs études dans les écoles juives, ce qui facilitera aussi le recensement. Comment aussi des entreprises de déménagement participèrent aux convois des populations.
On présente à cet étage les petites histoires du quotidien des juifs qui ont disparu et l’importance de les désocialiser et les déshumaniser. Comme ce dessin en deux temps où d’abord des juifs « monopolisent » les terrasses d’un café pendant que les non juifs les observent de l’extérieur et où enfin « grâce » aux Allemands, les juifs sont dehors et les non juifs profitent du bon temps. Et des caricatures de Camille Huysmans, l’ancien bourgmestre d’Anvers qui s’opposa au régime nazi.
Des photos témoignent de l’attentat du 14 avril 1941 contre deux synagogues à Anvers et les vitres brisées dans le quartier juif, ce qui constitua une « nuit de cristal » belge.
Lorsqu’une foule détruisit les synagogues en guise de spectacle, bien avant l’arrivée des « autorités ». On voit cette foule sur les photos mais aussi l’impassibilité de ceux qui les entourent.
Suite à ces attaques publiques, à la diffusion des preuves de ces atrocités par la Résistance mais aussi par la simple apparition des étoiles jaunes, de nombreux Belges commencèrent à aider avec plus d’ardeur les juifs à se cacher et à combattre le régime nazi. Lequel avait tenté auparavant de feutrer son action, de la dissimuler des regards, comme le permit par exemple les épais murs de la Caserne Dossin.
Les actes de Résistance se multiplièrent donc à partir de 1942. Le camp de Breendonck et les conditions très difficiles des prisonniers à l’intérieur sont illustrés par les photos. Ils y étaient enfermés, torturés et tués. Un tableau des résistants juifs est également présenté.
On peut voir sur des cartes d’Anvers et de Bruxelles les quartiers où habitaient de nombreux juifs et où furent effectuées les rafles. Des témoignages de policiers sont affichés, certains critiquant ces mesures, d’autres les soutenant et un d’entre eux s’y opposant catégoriquement.
Au 3e étage, on aperçoit les phénomènes de foules inquiétant autour des lynchages de Noirs aux Etats-Unis et le processus de déshumanisation qui facilite et accélère les meurtres de masse.
Sont présentés ensuite les 28 convois de déportés, avec des photos et histoires des victimes. De nombreux convois partent dès août 1942, les six premiers transports étant effectués en trois semaines. Parmi les personnes déportés une femme tsigane qui venait d’accoucher et fut transporté avec son bébé de 39 jours.
Lors des premiers convois, effectués dans des trains de 3e classe, des déportés réussirent à s’échapper. Certains outils étant placés dans les trains et fuyant parfois grâce à l’aide de machinistes qui ralentissaient feignant des problèmes techniques. Ainsi, 236 réussirent à s’échapper, certains étant par la suite retrouvés et tués. Suite ces évasions répétées, à partir du 19 avril 1943, le XXe convoi, les nazis transportèrent les déportés dans des wagons à bestiaux. Ce convoi a d’ailleurs été attaqué par trois jeunes résistants.
La visite du musée se termine par de nombreux témoignages vidéo et présentations tels les uniformes de déportés, mais aussi une grande carte avec tous les lieux en Belgique où furent cachés des enfants juifs.
Et l’histoire de la manière dont ces enfants furent cachés, par les falsifications de papiers, les changements de noms, l’impossibilité à rentrer en contact avec leur famille. Puis, des photos perturbantes de moments de loisirs partagés par les soldats allemands et leurs sbires, photos prises par eux-mêmes.
Mais aussi par une note d’espoir, de revanche, sur la mort programmée par autrui, par la vie choisie. Celle du retour à la vie de Malvine Löwenwirth, une survivante qui se marie en 1946 et cette photo qui conclut l’expo où l’on voit cette femme avec son bébé dans les bras.
Malines est aussi une ville mondialement connue pour sa formation dans la musique des carillons. Des gens viennent de partout étudier cela à Malines. Au Japon, le carillon est très populaire.
Lorsque Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, est venu en Belgique en 2018, il était accompagné de sa femme Akie. Elle a fait le choix de ce qu’elle voulait visiter : l’école des carillons, où étudiait une élève japonaise à l’époque et la Caserne Dossin, particulièrement la partie dévouée aux enfants.
Lors de sa visite, Akie Abe posa des questions précises, l’effectuant avec intérêt et non dans un cadre formel, démontrant l’importance du partage des mémoires et ses étonnantes manifestations.
Article écrit par Steve Krief, grâce à l’aide précieuse de Patsi Ambach, guide au Musée de la Caserne Dossin