Synagogue de Ràdàuti © Wikimedia Commons (Alesia17)

La Moldavie, avec ses centaines de synagogues depuis longtemps fermées ou disparues et ses shtetlkh désertés, peut être considérée comme un singulier musée des judaïsmes d’Europe orientale.

En Bucovine tout d’abord, où l’on trouve encore quelques splendides synagogues du XVIIIe et de la fin du XIXe siècle, au nombre desquelles celles de  Ràdàuti,  Vatra Dornei, ou   Câmpulung Modovenesc.

Plus au sud, celle de  Piatra Neamt, l’une des rares synagogues de bois datant du XVIe siècle.

À Bacàu, près de la  synagogue, se tient un petit  musée d’Histoire juive.

Synagogue construite en 1898 située au 54 strada Mihai Eminescu, faisant partie du patrimoine roumain où officia le rabbin Abraham Ehrenfeld
Synagogue de Vatra Dornei. Photo de Cezar Suceveanu – Wikipedia

Le plus émouvant témoignage de la présence juive en Moldavie demeure certainement la soixantaine de cimetières situés entre les collines boisées du Nord-Ouest et les plaines du Sud-Est. Parmi eux, le cimetière de Radauti, le cimetière de Vatra Dornei, le cimetière de Piatra Neamt et le cimetière de Bacau.

Ainsi, le cimetière de Siret (résidence princière au XIXe siècle), entre les villes de Cernàuti en Ukraine et Suceava en Roumanie, pourrait facilement rivaliser avec les plus beaux de Slovaquie, Moravie ou Bohême, voire avec celui de Prague.

Cimetière juif de Jelgava. Photo de Laima Gutmane – Wikipedia

Le nombre des communautés vivantes est très réduit. Toute information les concernant peut s’avérer vite obsolète, la pyramide des âges de ce communautés ne laissant guère de doute sur leur extinction prochaine, et l’aliyah vers Israël étant de surcroît importante. Adressez-vous au siège de la  communauté juive de Riga.

Dans ce contexte, un voyage en Lettonie comprendra surtout la visite des cimetières. le moyen le plus sûr de retrouver ce qui reste d’un cimetière juif est de se faire aider, sur place, par une personne âgée, la compensation financière étant de règle en cas de visite. La difficulté principale que tour voyageur rencontre pour retrouver la tombe d’un de ses ancêtres est que les pierres tombales ne portent généralement que le nom hébreu du disparu (c’est-à-dire son prénom et le nom de son père), sans indication du nom de famille. On trouvera ci-après une liste non exhaustive des cimetières en état de conservation.

Cimetière juif de Valdermarpils. Photo de Modris Putns – Wikipedia

Aizpute : il subiste une centaine de pierres tombales, datant pour la plupart du début du XIXe siècle.

Auce : une dizaine de stèles, sur un terrain adjacent au cimetière chrétien.

Dagda : il reste environ soixante-dix stèles.

Daugavpils : dans le vieux cimetière de l’Alte Vorstadt, il ne reste qu’une seule stèle brisée (des années 1830). Le nouveau cimetière rassemble à peu près 200 tombes. Les registres de la Hevra Kadisha locale sont consultables, sur environ soixante-dix ans, auprès de la communauté.

Gostini : le cimetière (160 tombes) est situé à 2 km de la ville, sur la route de Madona.

Jaunjelgava (Friedrichstadt) : grand cimetière possédant nombre de pierres tombales ornées de motifs tels que lions et oiseaux gravés.

Jekabpils (Jakobstadt) : situé près de la rivière Duiha, le cimetière demeure utilisé par les vingt familles juives restantes, sans être en très bon état.

Cimetière juif de Liepaja. Photo de Laime Gutmane – Wikipedia

Jelgava (Mitau) : ce cimetière créé au XVIe siècle a été presque entièrement détruit par les nazis, puis par les Soviétiques. Il ne contient que trente caveaux.

Kraslava : cimetière du XVIIe siècle dans un excellent état de conservation, avec plusieurs centaines de tombes, dont certaines de soldats juifs de l’armée Rouge.

Kuldiga (Goldingen) : à l’ouest de la ville, ce cimetière, transformé en parc municipal, comprend une section juive d’environ vingt-cinq tombes. Les tombes endommagées ont été transférées dans la ville voisine de Skrunda. Précision importante : sauf exception notable dans les capitales (et encore), ces exhumations ont été effectuées sans aucun respect des lois religieuses juives.

Liepaja (Libau) : le cimetière (qui est à la fois juif et chrétien) comprend environ 500 tombes en relativement bon état, et les registres funéraires sont consultables (jusqu’à l’année 1941) auprès du gardien.

Piltene : cimetière bien conservé, datant du XVIIe siècle.

Prejli : environ vingt tombes recouvertes par la végétation.Le cimetière comporte aussi un mémorial aux victimes de la Shoah.

Cimetière juif de Aizpute. Photo de Laima Gutmane – Wikipedia

Rezekne : situé au sommet d’une colline en banlieue de la ville, ce cimetière bien conservé comprend 300 tombes.

Sabile : petit cimetière de vingt tombes, entièrement recouvert par la végétation, situé au bout d’une route non goudronnée et sans indication.

Saldus (Frauenburg) : le cimetière est situé juste à la sortie de la ville, en forêt, dans un endroit non indiqué. Il reste soixante tombes dans un site totalement négligé, non gardé.

Skaistkalne : mitoyen au cimetière chrétien.Quarante tombes.

Subate : le curé de la ville s’intéresse à la préservation du site, vieux d’environ 200 ans.

Talsi : cimetière situé de l’autre côté de la route menant au cimetière chrétien, recouvert par la végétation. Il a été vandalisé.

Tukums : cimetière en bon état, environ 200 tombes dont un mausolée assez important (celui du dernier rabbin de la ville).

Valdemarpils (Sasmachen) : cimetière situé à l’est de la ville, en haut d’une colline boisée surplombant le lac Sasmaka. Il n’en reste presque rien, ce cimetière ayant été détruit par les Soviétiques dans les années 1960. Nombre de stèles furent utilisées pour paver des routes.

Varakljany : 250 tombes en bon état, la plus ancienne date de 1820.

D’autres cimetières ont une moindre importance : à Ventspils (Windau), Viljani, Viski (sur la petite île du lac)…

La Scandinavie n’a pas toujours été divisée selon les frontières étatiques actuelles. Lorsque le roi Christian IV ouvre le Danemark aux juifs (1588-1648), ce pays comprend le sud de la Suède, plusieurs villes d’Allemagne du Nord (Schlesvig-Holstein) où vivaient la majorité des juifs danois d’alors, mais aussi une partie des îles vierges, aux Antilles, où les juifs danois jouèrent un rôle primordial. En revanche, les juifs restèrent exclus des possessions danoises : la Norvège, l’Islande, les Îles Féroés et le Groenland.

La Norvège passa en 1814 sous domination suédoise et ne devint indépendante qu’en 1905. En 1851, après d’âpres débats, le Storting (« Parlement ») y autorisa l’émigration juive, qui resta marginale jusqu’au XXe siècle (200 personnes en 1890). La Suède avait autorisé l’émigration juive dès le XVIIe siècle sur un territoire qui comprenait la Finlande jusqu’en 1809, ainsi que dans des villes allemandes comme Altona et des cités de la Baltique à population juive comme Riga, Memel (Klaipeda) et Reval (Tallinn).

En Islande, l’Althing (« Parlement ») refusa en 1850 de voter la loi proposée par le roi du Danemark, autorisant l’entrée des juifs. Il revint sur sa position en 1855, mais malgré le rapide passage en 1874 du célèbre journaliste sioniste Max Nordau, aucun juif ne s’y installa avant le début des années 1900, lorsque l’expansion des pêcheries amena des juifs de Copenhague, actif dans l’armement maritime, à habiter Reyjavík. L’Islande adopta après 1933 une politique très restrictive d’accueil des demandeurs d’asile juifs et il n’y existe pas aujourd’hui de communauté organisée.

L’histoire du judaïsme scandinave est celle de communautés apprenant à vivre au sein de sociétés religieusement (le luthéranisme est religion d’État), linguistiquement et d’un point de vue ethnique très homogène. Ces terres traditionnelles d’émigration ne se sont ouvertes que vers la fin du XIXe siècle, et manifestent toujours aujourd’hui des mouvements xénophobes et populistes puissants.

Une ambiguïtés certaine caractérise les relations entre les pays scandinaves, Israël et les juifs. L’humanisme fait partie intégrante du message protestant : en conséquence, l’attitude des pays nordiques face à la Shoah fut plus active et digne que celle de nombreuses autres nations. Ainsi, le Danemark, envahi par les nazis, adopta une attitude courageuse puisqu’en 1943, les autorités réussissent à faire passer en Suède, juste avant une rafle allemande, 5191 juifs et près de 2000 individus « partiellement » juifs ou conjoints chrétiens de juifs. En Finlande, la demande de Himmler de déporter la communauté se heurta au refus catégorique du gouvernement. La Norvège, enfin, fut très largement résistante mais, envahie par les nazis, elle fut dotée d’un gouvernement fantoche, dirigé par le fasciste Vidkun Quisling qui mit en oeuvre une législation antisémite : 767 juifs furent déportés, la plupart à Auschwitz. La Suède, restée neutre, continua toutefois à entretenir des relations commerciales avec le Reich et fit montre d’une politique d’asile en deçà des besoin de l’heure.

L’humanisme conduit les Scandinaves à porter un intérêt soutenu au tiers-monde et au Moyen-Orient, où ils ont toujours assumé une position de médiation : c’est un suédois, le comte Bernadotte, qui fut le médiateur des Nations unies dans la guerre d’Indépendance et qui, à cause de son évidente partialité anti-israélienne, fut abattu le 20 novembre 1948 ; les premiers accords israélo-palestiniens ont été signés à Oslo, en 1993. La signification quasi-messianique que revêt la création de l’État d’Israël dans l’optique fondamentaliste protestante a conduit certains milieux à s’investir dans le soutien à la droite israélienne. Cependant, à côté de ces manifestations d’intérêt, la radicale étrangeté des juifs a provoqué, depuis le début du siècle, des réactions d’hostilité. Il existait avant 1939 un nazisme danois autochtone. En Suède, le philonazisme était répandu, et la Norvège ne s’est ouverte que trop tard à l’immigration des juifs persécutés par Hitler. Enfin, la tradition scandinave en matière de liberté d’expression, plus proche de la conception anglo-saxonne que du modèle français ou allemand contemporain, tolère la manifestation publique du néo-nazisme, avec parfois des conséquences dramatiques, comme en 1999 en Suède, où des groupuscules commirent une série d’attentats meurtriers.

Juifs de Vilna, fin du XIXe siècle
Juifs de Vilna, fin du XIXe siècle

Le terme Yiddishland est un néologisme qui désigne a posteriori un pays qui n’a jamais existé en tant que tel et que l’on pourrait définir comme étant un espace culturel et linguistique, l’espace dans lequel s’est déployée la langue yiddish.

Le visiteur qui se rend en Europe de l’Est en espérant trouver un patrimoine architectural juif doit savoir que, de ce qui fut -principalement en Lituanie, entre le XVIIIe siècle et la Shoah- l’épicentre de la vie religieuse et culturelle juive en Europe, il ne reste absolument rien, hormis des ruines et des cimetières. L’éradication de toute présence juive, objectif avéré des nazis, fut conduite avec la complicité d’une partie de la population locale. Puis la politique antireligieuse soviétique, avec son cortège de transfert de populations et de persécutions, acheva de réduire à néant une culture incomparable, avec sa langue, celle du Yiddishland. Tout voyage à thème juif dans les pays baltes relève donc prioritairement de l’archéologie et de la recherche généalogique. Pour autant, vous trouverez un grand intérêt à rencontrer de petites communautés qui tente, courageusement, de témoigner du passé et de faire découvrir leurs racines juives à de nombreux jeunes.

Le terme Yiddishland est un néologisme qui désigne a posteriori un pays qui n’a jamais existé en tant que tel et que l’on pourrait définir comme étant un espace culturel et linguistique, l’espace dans lequel s’est déployée la langue yiddish. Ce terme peut ainsi être entendu dans un sens large, recouvrant les acceptions historique et géographique : il couvrirait l’évolution de la langue yiddish depuis sa formation dans les communautés ashkénazes d’Allemagne (vallée du Rhin, Moselle) au Xe-XIe siècles, sa migration, à travers la Bohême vers la Pologne et l’Est de l’Europe, puis son déplacement, depuis la fin du XIXe siècle, vers New York, Anvers, Paris (autour de la rue des Rosiers), Buenos Aires, et d’autres villes encore.

Cependant, dans son usage le plus fréquent, il désigne l’extension du yiddish d’Europe orientale, tant dans l’espace que dans le temps, tel qu’il s’est vraiment constitué et a vraiment été parlé par la quasi totalité des membres des communautés juives. C’est le cas en Pologne, en Lituanie, en Biélorussie, en Ukraine, en Bessarabie, en Moldavie et dans une partie de la Hongrie et de la Roumanie, depuis le XVIIe ou le XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle.

Carte du Yiddishland avant la partition de la Pologne
Carte du Yiddishland avant la partition de la Pologne

Si l’on prend une carte de l’union polono-lituanienne d’avant 1772 (date du premier partage de la Pologne), qui s’étendait au nord jusqu’aux portes de Riga, à l’est jusqu’à Vitebsk, au sud-est jusqu’aux portes de Kiev, au sud jusqu’à Lvov et en Polodie, se dessinent les limites historiques du Yiddishland, puisque le yiddish s’y est consolidé. Constitué d’un fond germanique (issu du moyen haut allemand) assorti de nombreux mots hébreu (environ 10%), il a intégré au cours de son histoire un nombre important de slavisme (environ 10 à 15%) d’origine polonaise ou russe.

Après les partages de la Pologne et la disparition de ce pays, de 1795 à 1918, le Yiddishland fut intégré presque totalement à l’Empire russe (à l’exception de la Galicie, de la Bukovine, de l’Ukraine subcarpatique et de la Transylvanie qui faisaient partie de l’Autriche-Hongrie) et enfermé par un oukase de Catherine II dans la tcherta osiedlosti (« zone de résidence »), qui imposait de nombreuses restrictions de circulation, notamment l’interdiction de se rendre en Russie centrale, Saint-Pétersbourg ou Moscou. Cet état de fait durera jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Les centres du Yiddishland sont Vilnius, la « Jérusalem de Lituanie », Varsovie (le quartier Muranów), Cracovie (le faubourg de Kazimierz), Lódz (surtout les quartiers nord et le centre), Minsk, Lvov, Jassy, Kichinev, Czernowitz et Odessa.

Juifs de Slonim dans les années 1920 (National Digital Archive)
Juifs de Slonim dans les années 1920 (National Digital Archive)

Toutefois ce « pays » se caractérise plus encore par le shtetl, la bourgade juive, petite ville en milieu rural où les juifs sont majoritaires dans un quartier bien défini autour de la synagogue et de la place du marché, lieu d’échange où tout le monde se retrouve et commerce aussi avec le monde non juif environnant. Il existait d’innombrables shtetlekh, dont les noms font encore rêver : Lubartów, Chelm, Szczebrzeszyn, Wlodawa, Zamósc, Radiechow, Sambor, Drohobycz, Brody, Belz, Bursztyn, Brzezany, Kremenets, Sadagora, Kossov, Wyznitz, Czortkow, Jassy, Berchad, Berditchev, Pinsk, Bodroujsk, Baranovici, Slonim, Vitebsk, Dvinsk, Tykocin…Dans chacune de ces petites villes, il est possible d’en retrouver, tant bien que mal, quelques traces : synagogues, cimetières, places de marché, anciens mikvaot, maisons à l’architecture typique avec galeries et cour rectangulaire -quelque chose de l’esprit du lieu qui perdure après l’extinction de ses habitants. Architecturalement, l’un des exemples de shtetlekh les mieux conservés est celui de Tykocin, près de Bialystok, avec les deux quartiers (chrétien et juif) bien délimités, la synagogue et l’église au centre de chaque quartier , la place du marché entre les deux, les deux cimetières à chaque extrémité.

Marc Chagall, Retour de la Synagogue, 1925-1927
Marc Chagall, Retour de la Synagogue, 1925-1927

Le shtetl est le morceau d’une immense culture qui, au-delà du folklore, a acquis de véritables lettres de noblesse et appartient au patrimoine universel : la littérature yiddish avec Scholem Aleïkhem, Itzhak Leybush Perez, Mendel Moïkher Sforim (les trois fondateurs au XIXe siècle), poursuivie au XXe siècle par d’innombrables poètes (Glatstein, Gebirtig, Katzenelson…) et par l’oeuvre du prix Nobel Isaac Bashevis Singer ; la peinture mettant en scène le shtetl, qui culmine avec les chefs-d’oeuvre de Chagall ; la photographie avec Vishniak ou encore Alter Kacyne ; la musique avec les chants yiddish (Mayn Shtetele Belz, Di yiddishe mame, kinderyoren, Az der rebbe tanzt, Rabbi Elimelekh…), mais aussi les comédies musicales comme Le Violon sur le toit (ou Anatevka) de Leonard Bernstein et, plus généralement, la musique klezmer qui revient en force. Toutes ces expressions artistiques ont idéalisé, dans la conscience d’aujourd’hui, le shtetl comme un lieu de bien-être, une atmosphère chaleureuse avec ses joies et ses peines, idéalisation d’autant plus forte que ce monde est irrémédiablement perdu, englouti dans la Shoah.

Pourtant, la vie du shtetl n’était pas idyllique : les masses juives étaient tenues dans la misère, le chômage, l’insécurité, les pogroms et l’ignorance. la forte émigration, de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1930, en est d’ailleurs la conséquence.

Dans la partie nord du Yiddishland (Lituanie, Biélorussie, Nord-Est de la Pologne), c’est l’influence du Gaon de Vilan (Vilnius) qui est déterminante, une forme d’orthodoxie très respectueuse de la lettre et des commandements, tout en étant ouverte à un certain rationalisme (la Haskalah). Dans la partie sud (le Sud-Est de la Pologne, l’Ukraine, la Bessarabie), c’est le hassidisme qui s’est développé à partir du milieu du XVIIIe siècle, un mouvement mystique hostile aux Lumières, cherchant à faire revivre l’esprit de ferveur originelle du judaïsme, transportant ses adeptes dans une transe et dans un contact immédiat avec Dieu, se constituant autour de personnages charismatiques, les tsaddikim, qui formèrent autour d’eux de véritables cours et créèrent une nouvelles forme d’orthodoxie.

Aujourd’hui, le Yiddishland n’existe plus que dans les mémoires, dans ses créations intellectuelles, ses expressions culturelles et artistique, dans les coeurs, dans les chants de ceux qui tentent d’en faire revivre l’esprit et la lettre. C’est donc à un travail d’archéologue à la fois du terrain et de la mémoire qu’il faut se livrer pour visiter ce monde disparu.

Ben Zimet

Le yiddishland est une terre lointaine pour certains, des souvenirs mis rapidement dans les valises suite à des départs brutaux et partager par des plats, mots et plus souvent des silences. La culture juive y fait un grand retour, notamment grâce à la musique et au revival du klezmer depuis une trentaine d’années. Un des pionniers de la musique yiddish, né dans une famille de réfugiés à Anvers, devint enfant, à son tour, réfugié pendant la guerre.

Cela, avant de naître musicalement à Paris, de participer à l’éclairage des plus belles salles et nuits des cabarets de la ville. Ben Zimet, en solo, ou en compagnie de Talila et d’orchestres variés, a enregistré de nombreux albums et joué devant trois générations d’enthousiastes.

Rencontre avec cet étonnant artiste dans un lieu mythique, Chez Georges, une des dernières caves musicales de Saint-Germain-des-Près. Là où débutèrent tant d’artistes, se tutoient aujourd’hui musiques sud-américaines des années 1930, françaises des 60s, disco, orientales, russes, arméniennes et yiddish, que les à peine moins de 20 ans ne peuvent que connaître, puisqu’ils dansent dessus chaque soir…

Jguideeurope : Vous êtes né à Anvers. Avez-vous des souvenirs de votre enfance dans cette ville ?

Ben Zimet : J’ai vécu à Anvers les cinq premières années de ma vie. J’avais cependant la nationalité polonaise car mon père était un réfugié issu de ce pays. Au début de la Seconde Guerre mondiale, quand les Allemands ont débarqué, nous avons fui vers le sud de la France, après avoir manqué le dernier bateau en partance pour l’Amérique. Ce fut un voyage épique qui dura sept jours et sept nuits et dont je vous épargne les détails. Nous avons d’abord vécu à Nissan-lez-Ensérune, dans l’Hérault, pendant deux ans. Cela, sous la bienveillante protection des habitants. Puis à Maussac, en Corrèze, quand les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord et que les autorités françaises ont regroupé tous les « métèques » dont nous faisions partie vers le centre de la France. J’ai d’ailleurs raconté cette période dans le spectacle « Un Enfant de la Corrèze » présenté au Festival d’Avignon et aux Francophonies de Limoges.

A la Libération, nous sommes revenus à Anvers. J’ai encore en mémoire aujourd’hui cette extraordinaire gare d’Anvers. On y voyait devant l’entrée, au départ en 1940, une montagne de ballots. Au retour, en 1945, des dizaines d’êtres humains en pyjamas rayés rescapés des camps de concentration couraient dans tous les sens. Ils étaient enfin libres, délivrés de leur cauchemardesque existante précédente…

Mon père a d’abord fait du marché noir avec les troupes d’occupation américaines, françaises, anglaises et russes qui se trouvaient alors à Anvers. Ensuite, il a travaillé dans la restauration, dans un établissement du quartier juif, sur la Lange Kievit straat, à proximité de la gare. Les frères et sœurs survivants de ma mère, née Weber, y travaillaient dans le diamant. Anvers était alors un des centres mondiaux des pierres précieuses.

Qu’est-ce qui a motivé ce choix familial de venir à Anvers ?

La misère, bien sûr. Vue de Pologne, Anvers était une Terre Promise pour nous, une ville lointaine comptant une importante communauté juive. Emmanuel Zimet, le frère jumeau très débrouillard de mon père, est arrivé en premier. Puis, il a renvoyé son passeport pour que mon père puisse émigrer aussi. Le grand-père, qui tenait une auberge à côté de Jaslov, dans le sud de la Pologne, y est resté et a disparu dans la tourmente, ainsi qu’une sœur et un autre frère de mon père. Mon arrière-grand-père Benjamin y était rabbin et j’avais un cousin chantre à Londres. Ceci explique peut-être cela par rapport à ma propre vocation…

J’ai des souvenirs très agréables d’Anvers en famille après la guerre, même si nous étions plutôt pauvres. L’école, les copains, les organisations sionistes, enfin, la fin des années de cette guerre tellement sinistre. J’allais au lycée flamand d’Anvers ainsi qu’à l’école Tachkemoni où on apprenait l’hébreu. A la maison, on parlait librement le yiddish, ainsi qu’un mélange de français à la sauce polonaise avec les parents. Bien plus tard, une fois ma carrière parisienne lancée, j’ai donné quelques concerts dans ma ville natale, sans trop de succès cependant. Les Anversois ne partageaient sans doute pas ma vision d’un yiddish nouveau, moderne, innovateur.

Comment avez-vous débuté dans le métier ?

Un peu par hasard. J’ai commencé à chanter à la Contrescarpe, dans les bistrots populaires français de l’époque, mais je ne m’imaginais pas du tout faire carrière. Cela s’est fait tout seul, à partir des années 1970. Ma femme et moi passions le meilleur de notre temps à Montparnasse, au Sélect, au Dôme et à la Coupole. Nous aimions fréquenter les autres artistes qui y jouaient. Tandis que je réalisais des miniatures à l’encre de Chine, j’avais le rêve secret de devenir chanteur de blues. J’avais une belle voix. Et puis, un beau jour, Maurice Alezra, le patron de La Vieille Grille, le premier café-théâtre parisien, passa à la maison et me dit : « Tu ne veux pas venir chanter à La Vieille Grille, à la rentrée ? Pour moi qui connaissais bien ce lieu aujourd’hui historique dans le métier, où des gens comme Rufus, Higelin et Brigitte Fontaine ont fait leurs débuts, c’était comme si l’on me proposait de me me produire au Taj Mahal ! J’étais fou de joie.

J’ai créé un premier spectacle de chants et contes yiddish, accompagné par un violoniste breton, et puis les choses sont allées très vite. De nombreuses salles parisiennes m’ont ouvert leurs portes. J’ai fait de la radio, des télés et la presse parisienne parlait souvent de nous. Puis, s’enchaînèrent les Bouffes du Nord que je fréquentais aussi autour de Peter Brook et de ses comédiens, le Théâtre de la Ville et les tournées en France et ailleurs. Cela a duré une trentaine d’années. J’ai également tourné quelques films avec mon orchestre du Yiddishland. C’était la belle vie, avec ses moments émouvants et rencontres marquantes. A travers la musique, je crois avoir apporté du sens, de fortes émotions aux gens, hommes, femmes et enfants qui sont venus m’écouter. Quelle belle récompense…

En parlant de tournées, comment le public polonais, terre de vos ancêtres, a accueilli votre répertoire ?

La première fois, c’était pour le premier festival yiddish de Cracovie. En dehors de cette identification immédiate qui s’est instantanément faite pour moi avec une terre natale dès que nous avons touché terre en Pologne, à travers les paysages des campagnes et des villes, ces rues typiquement juives dont les juifs étaient irrémédiablement à tout jamais absents, on sentait la gêne des organisateurs polonais chrétiens. Car l’histoire était là qui pointait un doigt accusateur vers eux, malgré les nombreux cas individuels de solidarité qu’il y avait pu y avoir de leur part avec les nôtres. On était en quelque sorte dans la douleur du retour dans une famille qui nous avait soit abandonné, soit livrés aux sauvages, soit impuissante à faire mieux. Le public de Cracovie nous a beaucoup applaudi, saura-t-on jamais s’il s’agissait de remords, de politesse ou d’appréciation réelle de nos musiques ? Tout cela était ambigu, plus qu’ambigu, quand on entendait les chauffeurs de taxis devant le palace où nous demeurions lancer leur « Auschwitz, Auschwitz », à peine à vingt kilomètres de là. Je n’y suis jamais allé auparavant. Néanmoins, je me sentais polonaisement ému à travers le décor et le son d’une langue que j’avais souvent entendu enfant, sans la comprendre, qui jaillissait de la bouche de mon propre père. Nous sommes retournés à plusieurs reprises en Europe de l’Est, afin de donner des concerts en Pologne, mais aussi en Roumanie et en Hongrie. Et, à chaque fois, l’accueil fut merveilleux.

Vous préparez actuellement le spectacle « Fascinating Gershwin » sur le grand compositeur américain.

Disons que je me suis inventé une amitié personnelle avec lui, hors du temps et de l’espace, pour mettre en scène, à travers le génie de ses musiques, ma propre démarche. « Porgy and Bess », « Rhapsody in Blue », déjà familières dans mes années de jeunesse en Amérique, où j’avais douze ans après la guerre. Ces musiques, ainsi que le jazz, le blues et le gospel m’avaient beaucoup marqué, même plus que je le croyais à l’époque. Comme je l’ai dit plus tôt, j’avais toujours en moi ce rêve secret de devenir un chanteur de blues. Dans « Fascinating Gershwin », je parle avec lui, je partage sa vie, comme si nous étions de vieux amis. Et à travers cette amitié inventée, mais pas tant que cela, je dresse un portrait que je crois original. Celui du juif dans le siècle, le juif éternel émigré, juste avant, pendant et après la Shoah. En racontant la vie géniale de Gershwin, je me raconte aussi. Et peut-être un peu de ce Gershwin Fascinant rejaillira-t-il sur moi et sur vous, chers spectateurs et auditeurs…

Interview réalisée par Steve Krief

Les camps de concentration situés sur le territoire de l’ex-RDA (Sachsen-hausen, Buchenwald) ont été transformés en lieux de mémoire. Il s’agissait pour le régime communiste en place de donner sa propre version de la résistance au nazisme. Les victimes des camps sont rassemblées dans la catégorie des « antifascistes», et le rôle des déportés communistes dans l’organisation de la résistance souterraine et de l’Armée rouge dans la libération des camps davantage souligné. Depuis la réunification du pays, en 1990, l’éclairage de l’historiographie « occidentale » s’est imposé, non sans difficulté, comme en témoignent les nouvelles manifestations d’antisémitisme et de xénophobie dans cette partie du pays.

Sachsenhausen

Ce camp de concentration a été ouvert dès 1933 pour enfermer les opposants allemands à Hitler : communistes, sociaux-démocrates et syndicalistes. Erich Honecker, le futur maître de la RDA de 1971 à 1989, y fut détenu pendant dix ans. La moitié des 200000 détenus venus de toute l’Europe qui passèrent par ce camp moururent à la suite de privations, de maladie et de mauvais traitements.

Ravensbrück

Ravensbrück est le plus important des camps réservés aux femmes. Plus de 130000 détenues résistantes, juives, tziganes, y furent enfermées, souvent avec leurs enfants, dans des conditions épouvantables. La ministre Simone Veil y fut détenue avant d’être transférée à Auschwitz.
Transformé après 1945 en caserne pour les troupes d’occupation soviétiques, ce camp a été aménagé à partir de 1992 en musée, avec notamment des cellules commémoratives où chaque pays rend hommage à ses propres prisonnières.

Neuengamme

55000 des 106000 détenus moururent dans ce camp. Des expérimentations médicales criminelles furent pratiquées par les médecins SS sur des prisonniers, dont des enfants, juifs pour la plupart. Un monument en souvenir des victimes et un centre de documentation peuvent être visités.

Buchenwald

Ouvert en 1937, le camp de Buchenwald est destiné aux opposants politiques du régime hitlérien. Après le déclenchement de la guerre, il « accueille » les adversaires des nazis dans les pays occupés, parmi lesquels d’éminentes personnalités françaises, comme Léon Blum et Marcel Dassault, et de nombreux résistants (plus d’un tiers des 250000 détenus). Buchenwald est libéré à la suite d’une révolte organisée par la Résistance clandestine du camp. Sur son emplacement est érigé un monument pour toutes les victimes de la terreur nazie.

Bergen-Belsen

Dans ce camp, périrent plus de 50000 prisonniers de guerre soviétiques. À partir de 1944, Bergen-Belsen servit de camp de repli pour les détenus des autres camps situés plus à l’est, emmenés par leurs bourreaux SS fuyant l’avancée russe. 50000 d’entre eux, parmi lesquels la jeune Anne Frank, ne survécurent pas à ces marches forcées, ou décédèrent peu après leur arrivée au camp.

Dachau

Dachau fut le premier camp de concentration ouvert par les nazis dès leur arrivée au pouvoir , en 1933. Les registres font état de 200000 entrées et de 30000 décès, ce qui est loin de correspondre à la réalité du nombre de victimes, dont beaucoup furent amenés là et exécutées sans autre forme de procès.
Sur l’emplacement du camp, ont été édifié un musée, un centre de documentation, deux églises et une synagogue.