L’édification du Mémorial de la Shoah débute en 1953, par souscription internationale sur un terrain mis à disposition par la Ville de Paris. A l’origine du projet, il faut mentionner la réunion en 1943 à l’initiative d’Isaac Schneersohn, dans une France encore occupée, de 40 acteurs de la vie juive afin de créer un fonds d’archives dans la clandestinité. Cela afin de mettre en place une structure permettant de rassembler les preuves matérielles de la persécution des juifs et transmettre cette histoire. Mais aussi de constituer des éléments pouvant être présentés lors des procès des collaborateurs après la guerre. Ce fut la naissance du Centre de Documentation Juive Contemporaine. Un travail, réalisé notamment par les historiens Léon Poliakov et Joseph Billig qui s’avéra essentiel lors des procès, dont celui de Nuremberg.
En 1950, Isaac Schneersohn décide de créer un tombeau-Mémorial destiné aux victimes de la Shoah : Le Mémorial du Martyr Juif Inconnu (MMJI) dont l’inauguration se déroule en 1956. Des cendres provenant des camps d’extermination et du ghetto de Varsovie sont solennellement déposées le 24 février 1957 dans la crypte du Mémorial par le Grand rabbin Jacob Kaplan.
Grâce au soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la ville de Paris, de la région d’Ile-de-France et de l’Etat, la Mémorial a pu s’agrandir en 2005 et ainsi accueillir une exposition permanente et des expositions temporaires, des salles de lectures, une bibliothèque, un espace multimédia et un auditorium. Dans lequel furent d’ailleurs organisés en 2024 de nombreux événements en hommage aux victimes du génocide au Rwanda. A l’entrée du Mémorial se trouve également le Mur des noms, avec les noms des juifs déportés de France.
La façade présente un texte en français, en hébreu et en yiddish en mémoire des victimes de la Shoah, ainsi qu’un Mur des Justes, en hommage aux gens courageux qui risquèrent leur vie pour sauver des juifs.
Exposition permanente
L’exposition permanente est située au 2e sous-sol. La salle est divisée en deux. À gauche, elle retrace l’histoire des juifs de France. A droite, il s’agit d’une perspective au niveau européen.
À gauche, elle débute donc par une description de la vie juive en France avant la guerre. Les panneaux racontent la très ancienne présence juive en France, datant probablement de l’époque romaine. Avec les grandes dates de l’histoire, à la fois d’accueils et d’expulsions, de tolérance et d’intolérance, selon les époques, les régents et les conflits entre les pouvoirs politiques et religieux.
On y découvre un tas de petits portraits montrant la diversité des communautés juives selon les époques et régions, ainsi que celle des personnalités. Que ce soit l’industriel André Citroën, l’écrivain Tristan Bernard, le boxeur Victor Young Perez, les artistes de l’école de Paris réunis à la Ruche, sans oublier le philosophe Henri Bergson et le député qui deviendra chef de Gouvernement, Léon Blum.
Ce judaïsme français a bien sûr bénéficié de l’esprit de 1789. L’émancipation, puis la confirmation des Juifs en tant que citoyen français à droits égaux. Puis, la réunion du grand sanhédrin part Napoléon. Cet esprit d’attachement à la France et à ses valeurs sera prolongé et accentué avec la 3e République. Laquelle renforcera la place des Juifs au sein de la nation française. Tous ces différents panneaux décrivent à la fois les aspects politiques, culturels et religieux du judaïsme français, sans oublier les périodes de doute et de crainte. Notamment à l’époque du procès Dreyfus.
Face à ces panneaux qui décrivent l’histoire des Juifs en France. On découvre les panneaux qui retracent l’histoire de l’antisémitisme en Europe. Au milieu de la première partie de cette salle est diffusée sur un écran un film sur l’antisémitisme.
La 2e partie de la salle est consacrée plus spécifiquement à la période de la Shoah. En évoquant d’abord le comportement des juifs de France face à la montée du nazisme, dès les années 1930. Puis, l’accueil des réfugiés en France fuyant le nazisme, incluant les épisodes marquants de cette époque. Notamment l’assassinat d’Ernst vom Rath par Herschel Grynszpan, mais aussi une photo d’une grande réunion de la Lica, l’ancêtre de la Licra avec ce message placardé « Debouts contre la haine ». On voit ensuite des journaux et autres écrits qui diffusent la pensée antisémite, s’inspirant de théories du complot diverses selon les semeurs de haine : la domination mondiale, la volonté de vendre le pays tantôt aux communistes, tantôt aux capitalistes, le manque de patriotisme selon certains et à l’inverse une prétendue attitude patriotique belliqueuse…
Les prochains panneaux présentent la mobilisation générale avec le fameux appel à s’engager pour la France. Puis, la défaite face aux troupes nazies, les appels au recensement des juifs, les rafles et la construction des camps d’internement, notamment Drancy. On voit également la tristement célèbre affiche de l’exposition « Le Juif et la France ». Cette exposition présentée au palais Berlitz du 5 septembre 1941 au 11 janvier 1942. Laquelle propage de nombreuses accusations contre les Juifs, notamment leurs supposée « omniprésence » dans toutes les sphères de la société, principalement culturelle. Et la finalité qu’aurait cette omniprésence : « la conquête du monde » symbolisée par l’affiche.
À ce sujet, Marcel Dalio, l’immense acteur de « La Grande illusion » et de « La Règle du jeu », qui avait déjà subi les foudres de la presse antisémite en incarnant ces deux rôles, est mis en avant dans cette expo. Obligé de fuir la France pour l’Amérique, lorsqu’il apprendra outre-Atlantique qu’il est au casting de cette exposition, il répondra avec humour, que « même s’il ne tourne plus en France, il est toujours à l’affiche ». Cette obsession d’une omniprésence sera également moquée dans les années 1980 par le grand humoriste Pierre Desproges. Dans un sketch, il raconte que « tous les médecins sont juifs, sinon t’as pas le diplôme, sauf peut-être le docteur Petiot. Tous les avocats sont juifs, tous les archevêques de Paris sont juifs… » Petite blague au sujet de Monseigneur Lustiger, qui était d’origine juive.
Les prochains panneaux décrivent la terrible année 1942, lorsque débutent les déportations des juifs de France. Avec de nombreux portraits, des visages, des noms, des histoires, des insignes, des carnets, des notes, des lettres… Face à la volonté de déshumaniser les Juifs en France pendant la Shoah, le Mémorial redonne à ces Juifs un nom, un visage, une histoire, une mémoire. Et les partage.
Au fond à droite de cette première grande salle, on décrit la montée du nazisme en Allemagne. La manière dont Hitler réussit à s’emparer de nombreux territoires européens et à y appliquer sa politique de terreur. Les premières discriminations vis-à-vis des Juifs. Leur exclusion de la vie civile, puis leur ghettoïsation forcée, la guerre et les massacres dans les camps de concentration et d’extermination, mais aussi dans les forêts.
La salle suivante est dédiée à la déportation à Auschwitz. Avec une grande carte retraçant le parcours des trains de déportation jusqu’au camp situé en Pologne, près de Cracovie. Et aussi de nombreuses photos de gens arrivant des convois, les tenues portées.
Plongée dans l’obscurité dans la salle suivante dédiée aux témoignages de déportés présentés sur plusieurs écrans. Parmi eux, celui de Simone Veil qui fut arrêtée à Nice à 17 ans et déportée à Auschwitz. Simone Veil décrit l’arrivée dans le camp avec sa mère et sa sœur. Comment elles ont échappé de justesse au tri et la terrible expérience du camp et la mort de sa mère. Un soldat britannique qui libéra le camp, lui demanda si elle était mariée, croyant qu’elle avait plus de 40 ans alors qu’elle en avait la moitié. Simone Veil raconte qu’elle retrouvera rapidement des forces physiquement, mais qu’émotionnellement quelque chose restera à jamais brisé. Et à jamais là-bas.
La salle suivante évoque le pillage des juifs en France et en Europe, ainsi que le comportement des sociétés civiles en Allemagne et en France. Les collaborations de différentes corporations, souvent zélées, qu’il s’agisse de juges, médecins, gendarmes, journalistes… Mais aussi le courage des Résistants en Allemagne et dans toute l’Europe, certains faisant d’ailleurs partie de ces corporations. Avec, bien sûr, l’appel du 18 juin du général De Gaulle. Appelant les Français à le rejoindre pour poursuivre le combat contre l’Allemagne. Dans cette même salle sont projetés des extraits du film « Shoah » de Claude Lanzmann. Lequel permit, en 1985, permit au grand public, mais aussi aux historiens, chercheurs et étudiants de mieux connaître, de mieux approcher cette histoire douloureuse.
Car s’il y a eu un grand silence des individus et les corporations, ce silence fut tristement partagé par de nombreuses nations et autorités religieuses, ce qui est rappelé dans la salle suivante. Et face à tous ces obstacles et à cette répression, on perçoit aussi le courage d’individus, d’anonymes, d’associations… L’OSE, par exemple, qui organisa la fuite des juifs de France, principalement des enfants, en les cachant dans des fermes. Mais aussi les démarches similaires des mouvements de jeunesse comme les Eclaireurs Israélites et l’Hashomer Hatzaïr.
Lorsque le danger fut trop présent, trop menaçant, trop proche, la fuite se poursuivit non plus dans les villages retirés, mais au-delà des frontières, qu’il s’agisse du réseau suisse qui fit passer la frontière entre Annemasse et Genève ou le réseau de Varian Fry par les mers au départ de Marseille. Mais aussi par les terres en Espagne et au Portugal, deux dictatures à l’époque, jouant parfois un jeu trouble de « neutralité ». Franco et Salazar, laissèrent passer certains juifs sous certaines conditions, afin qu’ils puissent prendre un bateau de Lisbonne pour les États-Unis, Cuba, le Venezuela, la Jamaïque. Haïti et d’autres destinations. Un journal d’époque montre la vie de ses Juifs à Lisbonne, attendant le bateau, notamment le Serpa Pinto qui fit de nombreux allers-retours pour permettre la survie de ces Juifs traqués.
De nombreux adultes et mêmes adolescents resteront en Europe occupée et prendront les armes. Ils rejoignent le maquis et les nombreuses formes de résistance, comme cela est décrit dans la prochaine salle de l’exposition permanente : la résistance armée et la résistance sous forme écrite afin de garder les archives. Cela afin de garder le nom des victimes et montrer ensuite au monde la véracité de ces atrocités. Comme l’activité de l’historien Emanuel Ringelblum, fondateur des archives clandestines du ghetto de Varsovie. Et le courage du médecin Janusz Korczak, directeur d’un orphelinat qui restera auprès des enfants lorsqu’ils seront arrêtés et déportés par les troupes nazies.
On y évoque également les activités très variées American Jewish Joint Distribution Committee (JDC). Lequel fut très actif dans la Résistance, mais aussi lors de la reconstruction de la vie juive en Europe. Des panneaux décrivent la courageuse révolte du ghetto de Varsovie. Comment des gens emmurés, affamés, malades et épuisés ont pris les armes et ont lutté des semaines entières contre l’armée allemande. Parfois donc bien plus longtemps que certaines nations.
Des écrans diffusent des paroles de Justes parmi les Nations. Une vingtaine de portraits d’hommes et de femmes issus de nombreuses régions de la France.
La salle suivante est dédiée à la Libération, la mémoire et son partage. Mais aussi les jugements de certains des auteurs de ces crimes en France et en Europe. En particulier le procès de Nuremberg. Puis, les premières commémorations et les hommages aux combattants. Les difficultés de partager cette mémoire entre ceux qui ont besoin de ne pas se tourner, de ne pas regarder derrière eux, afin de survivre, de vivre. Cette résilience, forme de vengeance sur la volonté de destruction, par la belle vie personnelle et surtout générationnelle, les générations suivantes d’enfants naissant dans des pays (à nouveau) libres. Des enfants protégés, voire surprotégés, en réponse à ce que les parents ont vécu lorsqu’eux étaient enfants.
D’ailleurs, la dernière salle de l’exposition permanente est dédiée aux enfants juifs. Ces 11 000 enfants qui ont été déportés de France. Un mémorial constitué de plus de 4 700 photos issues des albums de famille, archives publiques et privées rassemblées par Serge Klarsfeld et le mémorial de la Shoah.
Exposition temporaire
L’exposition temporaire du mémorial de la Shoah débute par l’Affiche rouge. Une exposition organisée autour de la Panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian, laquelle s’est déroulée le 21 février 2024. On est accueilli par la fameuse affiche où il y a marqué « Des libérateurs » ? cherchant à accuser les Résistants. Ceux qui faisaient partie des FTP-MOI, en insistant sur leur origine étrangère ou leur appartenance ethnique ou religieuse, surnommée « l’armée du crime ». Nom repris par Robert Guédiguian pour le titre de son très beau film qui leur rend hommage, réalisé en 2009. On retrouve parmi tous ces engagés, hommes et femmes, des juifs, communistes, Italiens, Arméniens… réunis derrière leur chef, Missak Manouchian.
L’exposition débute par les activités des FTP-MOI à Paris, ainsi qu’en région parisienne, en expliquant le contexte historique. Comment, suite à la rupture du pacte germano-soviétique, le PCF va officiellement débuter la lutte armée. Même si, individuellement, des communistes ont rejoint la Résistance bien avant. Trois structures parisiennes sont organisées à Paris : les Bataillons de la jeunesse. L’Organisation spéciale et l’OS-MOI, composée d’étrangers. On y découvre comment s’est structurée cette dernière.
Une carte décrit leurs actions en 1943. On y découvre également comment se déroulait les filatures, les traques, les résistants et la manière dont les FTP-MOI ont tenté de déjouer les plans des autorités pour les attraper. On voit de nombreux portraits de ces engagés. Notamment un jeune homme de 19 ans qui deviendra un célèbre syndicaliste, Henri Krasucki, mais aussi Joseph Epstein. Cristina Boïco. Olga Bancic. Marcel Rajman, Roger Rouxel, Rino Della Negra… Entre ces panneaux et descriptifs, une table en verre présente des articles d’époque, notamment des coupures de presse de l’Humanité évoquant l’action de ces résistants, mais aussi des brochures accusatrices éditées par les services de propagande allemand.
L’exposition continue avec la description de l’action des étrangers engagés depuis 1939 contre l’Allemagne nazie. Une carte présente les lieux où se trouvaient les camps d’internement en France. La plupart étant situés dans le Sud et autour de Paris.
Dans la salle suivante, on trouve la salle des fichiers qui répertoriaient les Juifs pendant la guerre. Et face à cette salle, la crypte, en forme d’étoile de David en marbre noir, symbolisant les 6 000 000 de juifs assassinés pendant la Shoah. On voit aussi dans cette salle une maquette du ghetto de Varsovie, avec les points de résistance juive indiqués.
L’exposition consacrée aux étrangers dans la résistance se poursuit dans une petite salle au-dessus de la crypte. On y présente les campagnes de propagande autour de l’Affiche rouge. Les procès et les exécutions des Résistants. Le procès principal s’est déroulé du 15 au 18 février 1944, à l’hôtel Continental à Paris. 23 des accusés furent condamnés à mort, dont 22 fusillés le 21 février au Mont Valérien. Olga Bancic étant transféré à Stuttgart pour y être guillotinée.
Sont évoqués dans cette exposition temporaire également des initiatives personnelles de gens courageux, des initiatives organisées comme celles de Varian Fry, diplomate américain basé à Marseille, qui permit de sauver 2000 personnes, artistes et écrivains opposants ouverts au nazisme ou juifs. Il les aida à quitter la France pour les États-Unis. Grâce aussi à l’aide du vice-Consul américain à Marseille, Hiram Bingham. D’autres associations américaines, notamment le YMCA avec son délégué Tracy Strong tenta d’éviter le transport des internés du Sud de la France vers le camp de Drancy. Sans oublier l’histoire de Friedel Bohny-Reiter, membre du Secours Suisse qui soigna et sauva des familles juives internés au camp de Rivesaltes, comme nous le mentionnons avec l’histoire d’Éric Schwam dans la page de JGuideEurope consacrée au Chambon-sur-Lignon.