Ukraine / De Kiev à la Mer noire

Nikolaev

Rabbi Menachem Mendel Schneerson. Photo by Mordecai Baron – Wikipedia

La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.

Située sur les confluents de l’Ingul et du Boug, la ville de Nikolaïev occupe une place dans l’imaginaire juif européen bien moins importante que celle de la mythique Odessa, voisine d’à peine 200 kilomètres. Nikolaïev peut toutefois s’enorgueillir d’une riche histoire juive : c’est notamment dans ses faubourgs qu’au début du vingtième siècle, le célèbre rabbin loubavitch Menachem Mendel Schneerson y naquit et que le non moins célèbre écrivain Isaac Babel y passa quelques années. 

Pour vous rendre à Nikolaïev, le plus simple et le moins onéreux est de privilégier la marshroutka depuis la gare routière de Privoz à Odessa : en journée, un départ toutes les 15 minutes environ. Une fois arrivé à Nikolaïev, demandez à descendre à l’arrêt de la rue Tsentralnaya (anciennement rue Sovietskaya), qui se trouve être la seule rue piétonne de la ville, non loin d’ailleurs des synagogues. Depuis Odessa, vous pouvez également gagner Nikolaïev en taxi, pour une soixantaine d’euros.

Une communauté composée de juifs galiciens

Les premières traces de présence juive à Nikolaïev remontent à la fondation de la ville en 1789 : la communauté est alors essentiellement composée de Juifs de Galicie venus pour participer à la construction de ce nouveau port de l’Empire russe. Ils forment rapidement une population suffisamment nombreuse pour qu’en 1819 soit débutée la construction de la première synagogue de la ville, désormais nommée la vieille synagogue, dont vous pourrez admirer l’édifice.

En 1829, arguant de la présence de bases militaires, les autorités impériales russes émettent un décret interdisant aux Juifs de résider à Nikolaïev. Conscientes du rôle majeur que jouent les Juifs dans l’expansion économique de Nikolaïev, notamment pour ce qui concerne le développement du commerce de grains, les autorités de la ville s’opposent à cet oukase, qui fut néanmoins appliqué à partir de 1834. C’est finalement sous le règne d’Alexandre II (1855-1881) que Nikolaïev est intégré à la Zone de résidence et que les Juifs y acquièrent pleinement droit de cité.

Lieu de naissance du rabbi Schneerson

Selon le recensement de 1897, la communauté juive de Nikolaïev représente environ 22000 personnes, soit 20% du total de la population, et la ville comptait deux synagogues, 15 lieux de prières et 15 écoles. C’est à cette époque (1902) qu’y naquit le septième et dernier rabbin de la dynastie loubavitch, Menachem Mendel Schneerson, figure majeure du mouvement Habad qui s’éteindra en 1994 dans les faubourgs de Brooklyn. C’est également à cette époque que grandit dans les rues de Nikolaïev le jeune Isaac Babel avant de revenir à Odessa.

Synagogue de Nikolaev. Photo by Messir – Wikipedia

Vous pourrez commencer votre promenade en partant de la rue Tsentralnaya, autour de laquelle se trouvent l’essentiel des sites juifs de la ville. Remontez Tsentralnaya jusqu’à la rue Mala Morskaya, que vous emprunterez jusqu’à la rue Velika Morskaya. En tournant à droite, au numéro 71 se trouve l’immeuble, encore de très belle apparence ayant accueilli à partir des années 1870 la  pharmacie Landau, l’une des plus grandes de la ville.

En remontant la rue dans l’autre sens, vous croiserez la rue Schneerson (anciennement rue Karl Liebknecht) : au numéro 15, se trouve la seule  synagogue de la ville encore en activité, animée par le courant Habad, ainsi qu’un imposant mikveh.

Quartier juif de la ville

C’est là que se retrouve la communauté juive de la ville, forte d’environ 2000 personnes. A proximité immédiate, au numéro 13, vous pourrez admirer l’édifice de la  première synagogue de Nikolaïev, dont la construction fut achevée en 1822, et qui était alors parfois nommée synagogue des cordonniers, les artisans juifs étant les principaux fournisseurs de chaussures pour les marins de la ville. En dépit de son aspect délaissé, ce bâtiment reste en relativement bon état, alors qu’il ne remplit plus de fonction religieuse depuis … 1935.

A cette époque, les autorités soviétiques ordonnèrent effectivement la fermeture de la synagogue, dont les locaux furent transmis à diverses organisation syndicales ou culturelles. Ce changement imposé de fonction explique le curieux syncrétisme que vous pourrez constater en regardant la façade de la synagogue, partiellement ornée de fresques soviétiques.

Les études d’Isaac Babel

Continuez la rue Velika Morskaya jusqu’au croisement avec la rue Artilleriskaya, où vous tomberez au numéro 19 sur le bâtiment de  l’ancienne école de commerce de Nikolaev. C’est dans cette école, majoritairement financée par des commerçants juifs de la ville et de ce fait non soumise aux quotas d’entrées concernant les Juifs dans les établissements d’enseignement secondaire de la Russie tsariste qu’Isaac Babel passa quelques années, comme en témoigne la plaque en son honneur apposée sur la façade de ce bâtiment.

La rue Spasskaya, parallèle à la rue Velika Morska, compte plusieurs opulentes demeures ayant appartenues à des membres de la haute bourgeoisie juive de Nikolaev et encore en parfait état. Parmi celles-ci, vous pourrez notamment admirer, au numéro 18, la  demeure de la famille Meshyres ayant fait fortune dans le commerce de grains, et juste à côté, au numéro 20, la maison d’une autre grande famille de la bourgeoisie juive de Nikolaev, la famille Erlikh. Une statue de Mercure, dieux des commerçants, surplombe cette belle demeure aux teints ocres et pastels. Allez jusqu’au numéro 33 de cette même rue, où se trouve l’imposante demeure à la façade bleue et blanche et décorées de colonnes de la  famille Forshteter.

Située sur les confluents de l’Ingul et du Boug, la ville de Nikolaïev occupe une place dans l’imaginaire juif européen bien moins importante que celle de la mythique Odessa, voisine d’à peine 200 kilomètres. Nikolaïev peut toutefois s’enorgueillir d’une riche histoire juive : c’est notamment dans ses faubourgs qu’au début du vingtième siècle, le célèbre rabbin loubavitch Menachem Mendel Schneerson y naquit et que le non moins célèbre écrivain Isaac Babel y passa quelques années.
Nikolaev. Photo de SNCH – Wikipedia

Monument en l’honneur du rabbi loubavitch

Revenez ensuite sur vos pas vers la rue Tsentralnaya et engagez-vous dans la rue Moskovskaya. Au croisement avec la rue Potemkinskaya, au numéro 67 de cette dernière, se trouve l’édifice qui accueillait avant la révolution de 1917 l’un des  heder de Nikolaev.

Construit dans les années 1820 dans un style mauresque, le bâtiment servait initialement de pharmacie avant d’être transformé en institution religieuse. Il a conservé toute sa façade. En retournant dans la rue Moskovskaya, vous pourrez, au numéro 69 voir le monument en l’honneur du rabbi Schneerson, érigé en 2011 là où se trouvait la maison dans laquelle le rabbin Loubavitch naquit en 1902.

Nombreuses victimes de la Shoah

Vous pourrez terminer votre journée dans Nikolaïev la juive en vous rendant en bordure de la ville, au bout de la rue Tsentralnaia. A proximité du rond-point formé par la rue Tsentralnaia et la route de Kherson se  trouve le  monument à la mémoire des victimes de la Shoah : environ 10 000 Juifs de Nikolaev furent assassinés pendant la guerre, dont la moitié en août 1941, lors de la prise de la ville par les troupes nazies, qui ne l’évacueront qu’en 1944.

La région de Nikolaev occupe une place centrale dans l’histoire de la Shoah par balles, puisque c’est essentiellement au nord de cette ville que les principaux ghettos de ce que les forces d’occupations roumaines avaient alors nommée Transnistrie se trouvaient. Ces lieux de massacres se trouvant en pleine campagne ukrainienne sont souvent signalisés par un mémorial, et des membres de la communauté juive de Nikolaev pourront éventuellement vous aider à les localiser. En remontant depuis ce mémorial la route de Kherson sur environ deux cents mètres, vous trouverez sur votre gauche une porte grillagée marquant l’entrée du  cimetière juif de la ville, encore en activité mais peu entretenu.