Ukraine / Galicie orientale, Podolie et Bucovine

Tchernivtsy (Czernowitz)

Synagogue de Czernowitz

La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.

L’ancienne capitale de la Bucovine, grande ville de culture allemande à l’est de l’Empire autrichien, devenue roumaine entre les deux guerres, annexée par l’Union soviétique en 1940, occupée par les Allemands et les Roumains  de 1941 à 1944, est devenue ukrainienne après la guerre et porte aujourd’hui le nom de Tchernivtsy.

Dans cette ancienne grande ville juive (environ 40% de la population avant la guerre), s’est tenue, en 1908, la Conférence mondiale sur la langue yiddish. C’est là que sont nés le poète yiddish Itzik Manger (1901-1969), le fabuliste Eliezer Steinbarg, qui adapta en yiddish les fables de La Fontaine, d’Ésope et de Krylov, la chanteuse Sidi Tal, et surtout deux grands poètes de langue allemande, Paul Celan et Rose Ausländer.

La ville est magnifique et mérite d’être visitée. Elle a gardé son cachet autrichien des XIXe-XXe siècles, notamment la place centrale (ancienne Ringplatz) avec l’hôtel de ville, la rue Olga-Kobylianska (ancienne Herrengasse), la rue Ivan Franko (ancienne Rathausgasse), la place Sorbona (ancienne Austria Platz), etc.

Tchernivtsy Synagogue

Itinéraire pour une visite de la vie juive

Vous partiez à la découverte de la ville juive en commençant par  l’ancienne Grande Synagogue appelée « Tempel », dans la Tempelgasse, aujourd’hui rue Universitetska : dynamitée par les Allemands qui ne sont pas parvenus à la détruire complètement, elle a été transformée en cinéma : Kinoteatr Tchernivtsy, que les juifs de Czernowitz appellent ironiquement « Kinagoga ».

Sur la place Teatralna, à droite du théâtre, s’élève l’ancienne Maison de la culture juive, devenu le  Musée d’Histoire et de la Culture des Juifs de Bucovine. Remarquez l’escalier monumental avec les étoiles de David, aux branches sciées depuis l’époque soviétique.

Dans la rue voisine, qui porte depuis peu le nom d’Eliezer Steinbarg, se trouvait la maison où à vécu l’écrivain, une plaque le signale aujourd’hui. Juste en face, se dresse une belle porte avec une étoile de David.

La maison natale de Paul Celan est au numéro 5 de la rue Saxaganski, ancienne Wassilkogasse. Une plaque a été apposée en ukrainien et en allemand.

Paul Celan

Paul Celan est né à Czernowitz en 1920, mort à Paris en 1970. Ses parents ont péri en déportation, en Transnistrie. Après la guerre, il s’est installé à Paris tout en continuant à écrire dans la « langue des bourreaux » : l’allemand. Son œuvre, de plus en plus hermétique, a profondément renouvelé la poésie contemporaine. Son poème le plus connu est « Fugue de mort » :

« Lait noir de l’aube

nous le buvons le soir

le buvons à midi et le matin

nous le buvons la nuit…

nous buvons et buvons

nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré… »

Paul Celan, Choix de Poèmes, Trad. J.P. Lefebvre, Paris, Gallimard, 1998.

Paul Celan (1945)

L’actuelle  synagogue se trouve rue Lukian-Kobylitsa. Elle est toute petite mais l’intérieur est très beau, avec des murs peints de fresques représentant des thèmes bibliques.

Les traces du ghetto

Le quartier juif proprement dit, transformé de 1941 à 1944 en ghetto, d’où toute la communauté juive a été déportée en Transnistrie, se trouvait un peu plus bas, au-delà de la rue Ruska. Prenez la  rue Turecska (« Turque », du nom de l’ancienne Fontaine-aux-Turcs), est descendez en traversant le pont qui mène à la rue principale du ghetto, Morariugasse, aujourd’hui  rue Sagaïdatchny, restée typique de l’architecture juive -c’est là que vivait Rose Ausländer. Assez large, elle est bordée par une place triangulaire, ancienne Springbrunnenplatz, où se tenaient les marchés.

Tournez à droite après la place, et vous parviendrez dans la  rue Henri Barbusse, ancienne Synagogengasse, l’une des rues les plus pauvres et les plus peuplées du ghetto. On y reconnaît au centre, au numéro 31, l’ancienne Grose Schul (« Grande Synagogue »), très imposante avec son fronton à la grecque, transformée aujourd’hui en « Combinat de réparation et de production ». Plus bas, au numéro 18, vous verrez une ancienne maison de prière, avec deux étoiles de David frappées de la lettre schin sur la porte.

Traces de la plus vieille synagogue de la ville

Cimetière juif. Photo de Julia myasyshcheva – Wikipedia

Jusqu’en 1998, on pouvait lire sur le fronton, en roumain et en hébreu : makhiske sabatul (« les respectueux du shabbat »), mais l’inscription a été recouverte de peinture. Un peu plus haut, se trouve la plus vieille synagogue de Czernowitz, datant du XVIIIe siècle, sur laquelle on pouvait lire jusqu’en 1998 une inscription en hébreu : Hevra Tehilim (« Confrérie des Psaumes »). Elle a été donnée  à une secte « protestante » qui l’a rénovée, divisant la salle en deux étages et repeignant la façade où se trouvait l’inscription.

Plus loin encore, à l’endroit où la rue Henri Barbusse converge sur la rue Sagaïdatchny, se trouvait l’hôpital israélite. À travers une grille fermée, on peut voir le bâtiment désaffecté. Sur l’une des maisons de cette place, à droite, une plaque commémorative avec un plan signale, en ukrainien et en yiddish, que le ghetto se trouvait dans ces rues, d’où 40000 personnes ont été déportées.

Le cimetière juif est très impressionnant, relativement bien entretenu. Les inscriptions des tombes sont presque toutes en allemand, parfois en hébreu ou en russe.