Espagne / Castille-La Manche

Tolède

 La « Jérusalem » des juifs séfarades est connue dans le monde entier pour la beauté de ses synagogues et de son quartier juif. Par ailleurs, le souvenir de cette communauté est toujours resté présent dans la ville, ce qui a permis aux historiens , depuis les XIIIe et XIVe siècles, de nous donner des informations assez précises sur la localisation et l’histoire des juifs dans cette ville-musée, aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’humanité.

Au moment de sa plus grande splendeur, à la veille de 1391, Tolède possédait dix synagogues et cinq à sept yeshivot. En 1492, il existait cinq grandes synagogues . Deux subsistent : la synagogue du Tránsito, aujourd’hui musée  Sefardí, et celle de Santa María la Blanca.

Des archéologues ont retrouvé un bougeoir décoré d’une menorah datant du IVe siècle, attestant ainsi la présence des juifs dans la ville depuis cette période au moins.

À la conquête de la ville par les musulmans, les juifs de Tolède occupent un quartier au sud-est de la ville, appelé madinat al-Yahud, la ville des Juifs. Un chroniqueur arabe rapporte que ce quartier était cerné d’un mur en 820. Ce quartier se divisait en deux partie, le centre-ville, et une section résidentielle, nommée Alacava.

Le quartier juif

L’architecture de cette partie de la ville ne diffère en rien du reste de Tolède. Le quartier orbite entre les deux anciennes synagogue : Santa María la Blanca et Tránsito. Il est difficile de retrouver avec certitude la topographie de l’ancien quartier juif. Tout d’abord, seuls de très rares écrits ou témoignages ont été retrouvés à ce jour. De plus, la communauté juive quitta la ville après le violent pogrom de 1391, et encore en 1492. Le quartier juif tomba totalement en ruines jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, où d’important travaux de reconstruction eurent lieu. La redécouverte et la réhabilitation de ce quartier date du XXe siècle. Les chercheurs ont cependant retracé avec certitude l’existence de plusieurs sous-quartiers : Arriasa, Sofer, Hamanzeit, Mármol (le marbre), et Degolladero (l’abattoir).

Synagogue du Tránsito, Tolède ©Antonio Velez

La synagogue du Tránsito

La synagogue du Tránsito a été construite en 1357 sur ordre du trésorier du roi Pierre Ier, Samuel Levi. Des fouilles archéologiques laissent penser que cette construction imposante est probablement sise sur le terrain d’une synagogue plus ancienne. En 1492, les Rois catholiques en font don à l’ordre militaire de Calatrava qui la transforme en prieuré. Pendant les guerres napoléoniennes, elle fait office de caserne mais, dès 1877, elle est déclarée monument national. Avec le renouveau de la communauté juive en Espagne, elle s’est vue adjoindre le musée Sefardí, dans les dépendances voisine. Comme bien souvent, la façade de brique est austère et sans décoration, mais l’intérieur est d’une grande beauté. C’est probablement l’un des meilleurs exemples du style mudéjar en Espagne. De dimensions harmonieuses (23 m sur 9,50 et 17 m de haut), elle possède un plafond à caisson en mélèze, richement orné. Dotée d’une entrée particulière, la garderie des dames est bien éclairée par cinq grande fenêtres. C’est la décoration intérieure qui a rendu célèbre cet édifice : le mur qui accueille la niche réservée aux sifrei torah, est recouvert de panneaux et d’une frise de plâtre sculptée dans la tradition orientale. De nombreuses inscriptions courent le long des murs : elles commémorent le nom de Samuel Levi et de Pierre Ier. Des extraits des psaumes complètent le décor éclairé par des fenêtres finement décorées de petites colonnes et de moucharabiehs de dentelle de pierre. Dans les dépendances, le musée expose des dons et des pièces recueillies dans toute l’Espagne, ce qui vous permettra de parcourir toute l’histoire du judaïsme espagnol. Vous admirerez, en particulier, des pierres tombales du León ; la plus vieille, trouvée à Tarragone, est un sarcophage d’enfant qui porte une inscription trilingue, en hébreu, grec et latin ; elle est, en outre, ornée de paons royaux, d’un arbre de vie, d’un chofar et d’une menorah. De séminaires, des cours et des conférences, sont organisés pendant l’année, sur des thèmes touchant au judaïsme espagnol. La synagogue n’est pas utilisée pour le culte.

Santa María la Blanca, Tolède ©E. Marber

Santa María la Blanca

La seconde synagogue porte actuellement le nom de  Santa María la Blanca . Bâtie à l’aube du XIIIe siècle, elle est consacrée au christianisme en 1411, par le prédicateur San Vicente Ferrer, déjà responsable de la vague de conversions de 1391.

De 1600 à 1791, elle devient un simple oratoire, puis sert de caserne. Elle est restaurée en 1851 et déclarée monument national. Elle appartient à une institution religieuse, et n’est plus ouverte au culte, ni juif ni catholique. De style mudéjar, elles est moins riche que la synagogue du Tránsito. Ses vingt-cinq arcs en fer à cheval et ses trente-deux colonnes donnent l’impression d’un espace imposant.

Vous noterez la variété et la qualité des chapiteaux et la ressemblance de l’édifice avec les mosquées andalouses. N’oubliez pas, en outre, de vous promener dans le lacis des rues de l’ancienne judería, autour de la rue Santo Tome qui, malgré de nombreux remaniements, a néanmoins conservé un cachet certain.

Le « Saint Enfant Innocent »

Les juifs de deux petits villages, Tembleque et La Guardia, près de Tolède, sont accusés du meurtre rituel d’un enfant qui devient immédiatement une figure de légende populaire, sous le nom de « Saint Enfant Innocent ». Les accusés ont traînés devant l’Inquisition, à Avila, en 1490 et 1491. Ils sont condamnés. Cette histoire a un tel retentissement que Lope de Vega, le grand dramaturge espagnol du siècle d’or, en fait une tragédie, L’enfant Innocent, et Bayeu, le beau-père de Goya, peint un tableau sur ce thème, toujours exposé dans la cathédrale de Tolède. La ferveur populaire édifie une chapelle, sur la route de Madrid, qui existe toujours. Bien entendu, les historiens ont démontré depuis qu’il s’agissait d’une accusation dans fondement, quoique souvent reprise.

Itinéraires conseillé dans le quartier juif médiéval

Dans son ouvrage Le quartier juif médiéval de Tolède, dont nous recommandons vivement la lecture à quiconque s’intéresse au patrimoine juif de la ville, Jean Passini propose trois itinéraires de visites de la ville. Chacun d’entre eux vous prendra environ une heure. Si la majorité des bâtiments sont détruits, vous y retrouverez cependant certains vestiges, et prendrez compte de l’atmosphère ce qui qui fut autrefois l’un des quartiers juifs les plus florissants d’Europe du sud.

Itinéraire I : Les frontières du quartier juif médiéval

La visite commence Plaza del Salvador, où se situait le « magasin et cave à vin du Juif Fernando Garbal » en 1491. Le bâtiment se trouve au pied de l’Église San Salvador. Marchez ensuite vers la Plaza de Marrón, où siégeait la synagogue Caleros au XVe siècle. Prenez ensuite les rues Alfonse XII, San Pedro Mártir, Traversia de San Clemente. Vous arriverez ainsi Plaza de la Cruz, où se trouvait la porte nord du quartier juif. La maison au Numéro 1 de la place appartenait Maître Alfonso, pharmacien. En dépassant la rue Doncellas, on trouve une cave avec une coupole octogonale, typique des bâtisses juives médiévales. On peut la visiter sur rendez-vous. Au numéro 11 de la rue Doncellas se trouvait un four de cuisson. Empruntez les rues Cuesta de Santa Leocadia, et Calle de San Martin pour arriver Callejón (place) San Martin. Sur votre gauche, vous verrez des maisons bâties contre ce qui était la muraille du quartier juif en 1637. Au numéro 11 de la Calle Alamillos de San Martin, vous trouverez l’unique mur rescapé de ce qui fut une taverne médiévale. À la fin de la rue Molino del Degolladero, vous trouverez également des restes de la muraille. Sur votre droite, prenez Bajada de Santa Anna où se trouvait un château médiéval juif. Vous passez ensuite devant la vieille synagogue avant de vous retrouver à votre point de départ, Plaza del Salvador.

Itinéraire II : le quartier juif principal

De la Plaza del Salvador, dirigez-vous vers Calle Taler del Moro, pour atteindre Paseo de San Cristóbal. Revenez sur vos pas vers Plaza del Conde, puis vers le Musée grec. Ce musée est abrité dans ce qui fut la maison de Samuel Levi. Deux caves sont conservées en sous-sol. On y a également retrouvé une cour et deux salles. Vous arriverez ensuite à la synagogue du Tránsito, puis à l’ancienne boucherie rituelle. Empruntez ensuite Bajada de Santa Anna, Bajada de San Juan de los Reyes, Calle de los Reyes Católicos où se trouvait la synagogue Sofer du XIIe au XIVe siècle. En tournant à gauche Calle del Ángel, vous passerez sous de petites arches qui marquaient l’entrée de l’Alacava. En descendant les escaliers de Calle de Santa Maria la Blanca, vous passerez devant la synagogue du même nom. Continuez jusqu’à Traversía de la Judería. Au numéro 4, vous trouverez la Casa del Judío, la maison du Juif, dont vous pouvez visiter la cour. Prenez la Calle de San Juan de Dios, originellement la rue principale du quartier juif. Vous arriverez Calle, puis Plaza de Santo Tomé, où se trouvaient le marché, des magasins et des échoppes.

Itinéraire III : El Alacava

Commencez Plaza del Salvador, puis Calle Alfonso XII, plaza de Valdecaleros, Calle de las Bulas, Callejón de los Golondrinos. Aux numéros 29, 31 et 33 de cette rue, se trouvaient une synagogue et les bâtiments communautaires attenants. De laPlaza Virgen de Gracia, puis Calle del Ángel, rendez-vous Arquillo de la Judería, puis Callejón de los Jacintos, Calle Reyes Católicos, Plaza de Barrio Nuevo, Calle de Samuel Levi, Calle de San Juan de Dios, Plaza, puis Calle de Santo Tomé.

Source (itinéraires) : Jean Passini, The Medieval Jewish Quarter of Toledo, Editions of Sofer.

Rencontre avec Carmen Alvarez, Directrice du Museo Sefardi

 

Carmen Alvarez. Photo du Museo Sefardi

Jguideeurope : Pouvez-vous nous présenter quelques-uns des objets exposés au musée?

Carmen Alvarez : Le chef-d’œuvre principal de notre collection est la synagogue Samuel Levi : son programme artistique, qui est composé d’un ensemble très riche d’œuvres en plâtre et de plafond en bois de style mauresque andalou, est unique par son style, tant en Europe que dans la région méditerranéenne. C’était l’une des synagogues du quartier juif de Tolède et l’un des bâtiments les plus fiers de la communauté juive de la Castille médiévale.

La synagogue a été construite dans un style mudéjar, qui mêle décoration chrétienne et arabe dans cet espace juif. En ce sens, les travaux de plâtre et les inscriptions hébraïques et arabes du bâtiment, ainsi que l’influence andalouse, sont devenus l’un des meilleurs exemples matériels de la coexistence entre les religions juive, chrétienne et musulmane à Tolède à l’époque médiévale.

Museo Sefardi

Ce message épigraphique, diffusé le long du bâtiment, est non seulement utile pour récupérer le contexte culturel d’origine mais aussi extrêmement symbolique à la fois. De plus, cela nous donne un message important de l’histoire juive en Espagne. Le fondateur, Samuel Levi Abulafia, était le principal trésorier du roi Pedro I de Castille, ainsi que l’ambassadeur de la Cour. Mais sa vie a tragiquement évolué, comme elle s’est produite avec l’ensemble de la communauté juive pendant le Royaume de la période catholique jusqu’à l’expulsion officielle en 1492 et le processus inquisitorial qui en a résulté, donnant lieu au phénomène complexe de la pureté du sang. Tolède a été l’un des exemples les plus visibles en termes de groupes de convertis et de leur évolution culturelle: dans les archives tolédanes, l’histoire de nombreuses familles juives qui ont subi cette conséquence est préservée.

La synagogue Samuel Levi a été construite entre 1350 et 1360 comme nous pouvons l’apprécier dans les inscriptions fondamentales. La synagogue et le complexe midrash ont été activement utilisés non seulement par la famille mais aussi comme espace communautaire à Tolède au 14ème siècle. Pour toutes ces raisons, le bâtiment est principalement considéré comme notre chef-d’œuvre principal donnant naissance au musée séfarade de Tolède.

Museo Sefardi

Le Musée national séfarade de Tolède a été créé en conséquence à l’intérieur de l’ancienne synagogue et il est considéré comme l’une des parties les plus importantes de l’héritage juif en Espagne.

L’évolution historique de la synagogue est la principale raison de sa préservation. La Grande Salle de Prière et l’ancienne Galerie des Femmes sont à elles seules des trésors architecturaux dont la protection doit être garantie.

Attachés à ces espaces, nous exposons la majeure partie de notre collection, basée sur plus de 2 400 pièces. L’exposition principale est située autour du bâtiment historique et dans les anciennes salles d’archives du XVIe siècle.

Ancienne Bible. Photo du Museo Sefardi

La collection permanente du Musée séfarade est principalement composée de pièces archéologiques et ethnographiques. D’une part, nous avons des antiquités qui illustrent l’histoire de la communauté juive en Espagne, comme l’exceptionnel bassin trilingue de Tarragone du Ve siècle qui est d’ailleurs l’inspiration de notre identité d’entreprise. D’autre part, nous montrons un groupe d’objets liés à la religion, aux traditions, au cycle de vie et aux festivals, par exemple des pièces de robes judaica ou berberisca (magnifique robe utilisée par les mariées séfarades du nord du Maroc), qui visent à montrer toute la richesse de la culture séfarade.

De plus, il est très remarquable pour nous notre ancienne collection bibliographique, qui comprend des livres, des manuscrits et des documents en hébreu, espagnol et séfarade, chronologiquement du XIVe siècle à 1950. Vous trouverez des photos et des informations supplémentaires sur ce lien.

 

Baignoire du 5e siècle. Photo du Museo Sefardi

Comment percevez-vous l’évolution de l’intérêt pour le patrimoine séfarade en Espagne ?

Il est généralement connu que l’héritage séfarade en Espagne tente de redéfinir sa visibilité à travers les institutions et les publics. Il s’agit de son réseau officiel: il s’agit de la communauté juive espagnole, de l’université, de la CSIC (institution scientifique en partie dédiée à l’étude de la culture juive et de la présence historique) et aussi des institutions culturelles et touristiques. Si nous parvenons tous à nous coordonner et à coopérer ensemble, le principal objectif sera atteint. Les programmes scientifiques, de communication et culturels pourraient alors être mieux associés.

De nos jours, nous pouvons également trouver quelques initiatives importantes en Espagne et en Europe qui contribuent beaucoup à cette tâche. Et je ne veux pas dire que les efforts de l’ancienne institution étaient inutiles, simplement que ces bases importantes s’améliorent. De mon point de vue, nous devons travailler plus régulièrement ensemble. Par conséquent, nous établirons et planifierons plus d’expositions et de programmes culturels qui pourraient améliorer beaucoup plus en termes de visibilité de la culture juive en Espagne. Depuis 1964, le Musée séfarade de Tolède a pour objectif de coopérer autant que possible, et nous travaillons également sur cet objectif de nos jours.

 

Barbra Streisand et James Brolin. Photo de lifescript – Wikipedia

Pouvez-vous nous parler d’une rencontre émouvante au musée avec des visiteurs ou des participants à l’exposition ?

Il y a beaucoup de bonnes histoires et d’anecdotes amusantes au Musée séfarade, et beaucoup d’entre elles sont contenues dans le livre du visiteur du Musée.

L’une d’elles est la visite de Barbra Streisand, au début de ma carrière ici. J’ai de bons souvenirs de cette journée et j’ai été agréablement surpris qu’un artiste de renommée internationale soit une personne proche et ait montré un intérêt pour notre collection. Elle m’a dit que les pièces de la collection permanente sont liées à sa propre vie. Par exemple, elle a dit que l’une des ketubah de l’exposition était similaire à celle de sa ketubah avec James Brolin.

Ketubah de 1904. Photo du Museo Sefardi

De l’autre, je me souviens encore de la visite du président israélien, Ruben Rivlin, au musée. Il était excité quand il a signé sur le livre d’or parce que sa signature était à côté de la signature Yitzhak Rabin. En disant cela, je tiens à souligner que les émotions puissantes étaient ressenties par toutes sortes de personnes ici dans ce musée. C’est le sens du musée séfarade.

Mais certainement, je veux vous raconter une anecdote magique liée à l’ancien directeur du musée, Santiago Palomero. Il y a plusieurs années, Palomero a trouvé un signe spécial dans le livre d’or. C’était une esquisse de Corto Maltés, l’un des personnages non-conformistes et aventuriers les plus célèbres du monde de la bande dessinée par Hugo Pratt.

Palomero se souvint qu’un homme mystérieux et privé avait visité le musée il y a quelques jours et il ressemblait à Hugo Pratt. Aujourd’hui, nous considérons cette esquisse comme une pièce artistique de la collection.

Cet exemple montre bien que la culture juive est toujours vivante au Musée séfarade.


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