Les premiers réfugiés de la péninsule ibérique arrivent à Raguse (aujourd’hui Dubrovnik) dès la fin du XVe siècle, alors que la République, sous la tutelle nominale de la Hongrie pour quelques décennies encore, est à son apogée.
Les premières décennies sont agitées : une expulsion en 1515 est suivie d’un rappel quelques années plus tard. Avec le renfort de coreligionnaires arrivés via la Grèce et l’Albanie, la petite communauté juive de la ville sera reconnue en 1538 en tant qu’Universitas Haebrorum, ou Università degli Ebrei, puisque les recteurs dirigeants Raguse utilisent aussi bien le latin que l’italien comme langue officielle. C’est l’époque où le médecin Amatus Lusitanus, d’origine portugaise (comme son nom l’indique), rédige sept livres décrivant les 700 maladies qu’il a à soigner.
Le ghetto est créé quelques années plus tard, en 1546, dans la Zudioska ulica, une rue fermée par des grilles à ses deux extrémités. Mais un recensement de 1756 nous apprend que si soixante-dix huit personnes vivent dans les dix-neuf maisons du ghetto, 103 autres sont autorisées à habiter à l’extérieur. D’ailleurs, à cette époque, les juifs acquièrent un statut assez proche de celui du reste de leurs concitoyens, comme l’attestent des passeports, rédigés en italien pour des voyages sur la Méditerranée, et en serbe pour les voyages vers les terres ottomanes. L’effectif de la communauté ne bouge guère jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’affluent en zone italienne plus d’un millier de juifs, yougoslaves ou originaires d’autres pays dominés par le Reich. Ils sont ensuite transférés dans des camps d’internement sur des îles de la côte, d’où plusieurs centaines parviennent à s’échapper avant la débâcle italienne de septembre 1943 et la prise de contrôle de la région par les troupes allemandes. Seules quelques dizaines de personnes d’origine juive habitent encore à Dubrovnik, où la présence de touristes est souvent nécessaire pour former un minyan à la synagogue.
Suite à la Seconde Guerre mondiale, une trentaine de juifs partirent habiter en Israël. C’est d’ailleurs le nombre de juifs qui habitèrent Dubrovnik en 1969. Le peu de juifs présents dans la ville et la région dalmate obligea le rabbin de la ville à également officier dans les alentours. Actuellement la petite communauté restante fait partie de la fédération des communautés juives de Croatie basée à Zagreb.
Le bâtiment de trois étages, dont les origines remontent au XIVe siècle, a servi de lieu de culte depuis 1408, ce qui en fait un des plus vieux sites séfarades du monde. Il ne se distingue des autres maisons de la Zudioska ulica que par les fenêtres un peu plus large au premier étage, aux encadrements typiquement arabes. Au XVIIe siècle, il a bénéficié de passages avec les autres maisons de la rue, permettant aux habitants du ghetto d’aller ou de revenir de la synagogue sans enfreindre le couvre-feu.
Parmi les objets de culte, qui ont pu être cachés en ville pendant la guerre, trois rouleaux de Torah remontant aux premiers temps de l’immigration séfarade. Leurs enveloppes sont en lin, roulées dans le sens de la longueur, et de 60 cm de largeur, nouées selon une méthode particulière, appelée le « point de Raguse » ; ils portent les noms de leurs donateurs probables : les familles Terni, Maestro et Russi. On peut également y voir un couvre-lit de soie capitonné de coton, dont l’origine ibérique ne fait pas de doute. Sérieusement endommagé par un bombardement serbe, lors de la guerre de 1992-1995, la synagogue a, depuis, fait l’objet d’une restauration.
Le cimetière
Le cimetière actuel date du XIXe siècle. mais en 1911, toutes les tombes du vieux cimetière juif, les plus anciennes remontant au début du XVIe siècle, y ont été transférées. Malheureusement, au cours de la Première Guerre mondiale, beaucoup ont été utilisées notamment pour renforcer les murs de la citadelle de la ville, et il n’en reste qu’une trentaine. Certaines sont du modèle séfarade classique, horizontal et rectangulaire, avec des inscriptions en hébreu et des décorations pseudo-héraldiques (armes, couronnes, lys) où l’influence italienne est manifeste. D’autres sont marquées par une influence orientale, avec des représentations du soleil, de la lune ou des étoiles, tandis que les dernières, à l’obélisque, témoignent de l’époque austro-hongroise, les inscriptions en hébreu étant l’unique empreinte juive. Le cimetière est situé au lieu-dit Boninovo, juste à l’extérieur des remparts.