Ville importante de la région de Champagne, sa vieille ville est d’ailleurs en forme de bouchon de Champagne. Avec sa gastronomie réputée accompagnant ses breuvages, ses nombreux bâtiments protégés au titre de monuments historiques, sa cathédrale gothique et ses églises et musées tutoyant la Seine. Troyes est également célébrée à l’époque moderne grâce à son industrie textile, en plein essor au 19e siècle, surtout dans le secteur de la bonneterie. Parmi les grandes marques créées à Troyes, on peut citer Lacoste, Petit Bateau et Dim.
La présence juive troyenne date probablement du XIe siècle, c’est du moins ce que permettent de vérifier des archives documentées. Une petite centaine de personnes. Mais la ville demeure depuis un millénaire un des centres d’études juives les plus importants de tous les temps, grâce en particulier à l’immense Rachi de Troyes, dont la mémoire est honorée par la ville et partagée par les deux lieux qui se font face sur les deux rives de la rue Bunneval, l’Institut universitaire et culturel européen Rachi et la Maison Rachi, faisant le lien entre le passé et le futur.
Rachi de Troyes
En ouvrant les cinq livres de la Torah, le Talmud ou de nombreux autres ouvrages religieux, un mot, plutôt un nom accompagne l’approche de ces textes : Rachi. Si des commentaires de textes partagés depuis des millénaires permettent d’éclairer tel point, telle situation, tel personnage, Rachi fait l’unanimité en tant que référence suprême. De par sa capacité à faire le lien entre les textes bibliques et tous les commentaires qu’il a sélectionnés, confrontant les approches les plus pertinentes aux questions les plus complexes. Il facilite la lecture, en repérant le sens littéral, le pshat.
Fierté nationale, Rabbi Shlomo Itshaqi, plus connu sous le nom de Rachi, est né dans la ville française de Troyes en 1040. Ayant bénéficié d’une excellente formation rabbinique avec les rabbins Jacob b. Yakar, Isaac b. Judah à Mayence et Isaac b. Eleazar Ha-Levi à Worms, il se réinstalle à Troyes et ouvre son centre d’études. Entre l’Est de la France et l’Ouest de l’Allemagne se trouvait en effet une région prospère économiquement et intellectuellement, encourageant les échanges sur les deux plans.
Ses élèves ne payant pas leurs cours à l’époque, les maîtres se voyaient obligés de subvenir à leurs besoins. Ainsi, les textes de Rachi incluant de nombreuses références au travail de la vigne, des suppositions ont commencé à être présentés au sujet de son activité de vigneron. Certains spécialistes ont noté la présence foisonnante de termes de médecine, estimant donc que Rachi pratiquait aussi ce métier.
Rachi représente la jonction de l’excellence traditionnelle et du modernisme. Référence intellectuelle première mais aussi dans son investissement dans la Cité, il met à l’honneur la langue française dans ses interprétations. Le Rabbin Claude Sultan, qui dirigea l’Institut Rachi, affirma que les linguistes français étudiaient ses commentaires bibliques pour découvrir des mots français du Moyen-Age, Rachi n’hésitant pas en effet à utiliser la langue de Molière, mais aussi la langue régionale de Champagne pour préciser un commentaire lorsque les équivalents dans la langue hébraïque faisaient défaut.
Les commentaires de Rachi ne s’adressaient pas au public international qui les lit depuis le développement de l’impression quelques siècles plus tard. A l’époque, il s’agissait surtout d’éclaircissements destinés aux communautés de Champagne, où l’on parlait la langue d’oïl. Lorsque les gens ne comprenaient pas un mot, Rachi l’écrivait dans la langue champenoise, l’ajoutant dans son texte à côté des termes hébreux. Ce qu’on a appelé les laazim. D’où le grand intérêt manifesté par les linguistes et philologues concernant ces textes.
Les textes religieux chrétiens, comme ceux de Nicolas de Lyre, s’y réfèrent aussi. Les échanges entre penseurs juifs et chrétiens sont d’ailleurs réguliers et chaleureux. A l’époque de Rachi, mais aussi de ses descendants. Des descendants, en commençant par ses trois filles, Miriam, Yokhebed et Rachel qui perpétuèrent son enseignement. Puis, avec la création l’école des Tossafistes. Parmi eux, on compte les rabbins Rashbam, Ribam et Rabenou Tam. Cette école rayonne dans la région à Ramerupt, Dampierre et Sens.
Tous les écrits de Rachi ont été préservés et recopiés par la suite. Au début du 16e siècle, la communauté juive de Venise demanda une impression du Talmud. L’éditeur Daniel Bromberg d’Anvers obtint l’autorisation au pape. Une édition révolutionnaire, plaçant le texte sous forme de colonnes. Au milieu se situe le texte de base. A côté, dans la partie tournée vers la reliure, le texte de Rachi. Et vers l’extérieur, les commentaires des tossaphistes. Elément important, les caractères particuliers de Rachi ont été inventés lors de l’édition de ses textes, lui-même ne les utilisait pas.
Vie juive troyenne
Au Moyen Age, on surnommait le quartier Saint-Frobert , autour de la rue Hennequin, « la Juiverie » ou la « Broce-aux-Juifs ». Broce, qui signifie broussaille, symbolisant les quartiers qui n’étaient pas bâtis. Il se situait entre le Quai des Comtes de Champagne et la rue Boucherat. Il ne s’agissait pas d’un ghetto, les populations juives et chrétiennes habitaient ce quartier en bonne harmonie. L’ancien cimetière juif se trouvait lui entre l’actuelle Médiathèque Jacques Chirac et le Théâtre de Champagne.
Les foires de Champagne vont contribuer à l’agrandissement de la ville de Troyes. Etant donné que ces foires attirent des marchands de contrées très différentes, les régents vont profiter de la présence des juifs pour leur demander d’effectuer le métier de changeur, étant donné que ce métier demeura à l’époque interdit aux chrétiens.
La suite de la vie juive troyenne connut une prospérité économique mais aussi des persécutions, d’ordre matériel et physique, particulièrement au XIIIe siècle sous le règne de Louis IX. Le siècle suivant vit des expulsions sous Philippe le Bel et Charles VI et des retours timides de juifs dans la ville. Le cimetière juif ayant été détruit pour agrandir la ville, la tombe de Rachi a disparu. Par contre, on peut trouver une jolie statue de Moïse sur le coin du bien nommé Hôtel du Moïse, construit en 1553, après l’incendie de Troyes en 1524.
La Médiathèque Jacques Chirac possède d’importants fonds patrimoniaux, surtout du XVIe et XVIIe siècles, dont ceux de la bibliothèque de l’Abbaye de Clairvaux. Ce n’est qu’au XIXe siècle que la communauté juive s’installa de manière pérenne à Troyes. A la veille de la Shoah, quelques 200 juifs vivaient à Troyes.
Renaissance d’une communauté
Isidore Frankforter, est un homme d’affaires d’origine roumaine installé à Troyes. A New York, il rencontre Walter Artzt, un juif ukrainien. Lequel a conçu un tissu spécial qui a la particularité d’être extensible. Frankforter crée l’entreprise FRA-FOR et reçoit de Haas le monopole d’utilisation de son textile en France. C’est ainsi que naît la marque Babygro. Un succès qui permet à Frankforter de devenir le pilier de la reconstruction de la vie juive troyenne.
Au lendemain de la Shoah, il n’y avait plus de lieu de culte juif à Troyes, celui-ci ayant été endommagé pendant la guerre. Dans les années 1960, Isidore Frankforter et le rabbin Abba Samoun achètent la petite maison dans laquelle se situe l’actuelle Maison Rachi au 5 rue Brunneval, afin d’y installer une synagogue. Puis l’étendirent au 7 et 9, bâtiments acquis en 1966.
Souhaitant repeupler cette communauté fortement impactée par la Shoah, Frankforter et Samoun rencontrent des réfugiés d’Afrique du Nord débarquant à Marseille. Ils leur affirment que, « certes, à Troyes il n’y a ni le soleil, ni la montagne, ni la mer… mais il y a du travail, parce que l’industrie textile est florissante à cette époque ». C’est ainsi que 350 familles composent la communauté juive dans les années 1960.
Mémorial
Lorsque la mairie de Troyes a souhaité rendre hommage à Rachi, elle ne pouvait pas le faire dans l’ancien quartier, à cause de toutes les constructions réalisées depuis que les juifs en avaient été expulsés au Moyen âge. Le choix se porta donc sur le lieu envisageable le plus proche : l’esplanade sur lequel est posé le fameux mémorial en face du théâtre de Champagne.
A l’occasion des 950 ans de la naissance de Rachi, en 1990, le Mémorial Rachi , réalisé par le sculpteur Raymond Moretti, a été inauguré devant un public ému. Parmi eux, Robert Galley, l’ancien maire de Troyes et Elie Wiesel. Ce dernier rappela l’importance de Rachi : « Son commentaire est devenu mon compagnon. Rachi était là, me guidait, me disait que tout est simple malgré les apparences. Je me suis mis à l’aimer au point de ne plus pouvoir m’en passer car, dès lors, je trouvais qu’il était différent, rayonnant d’amitié. »
Constitué d’une sphère en métal de près de 3 mètres, l’artiste s’est inspiré de la Cabbale et on y voit l’acronyme de Rachi en hébreu. Il mesure 2m20 de diamètre. Il est posé sur une vasque hexagonale qui reprend le bouclier de David et l’Hexagone représentant la France.
Deux lieux centralisent aujourd’hui l’activité culturelle et religieuse du judaïsme troyen. La Maison Rachi et l’Institut universitaire et culturel européen Rachi, apportant une approche complémentaire à l’appréciation de l’œuvre du grand maître.
L’Institut universitaire et culturel européen Rachi
Construit en 1990, dans le même esprit de célébration des 950 ans de la naissance de Rachi que le Mémorial, l’Institut universitaire et culturel européen Rachi occupe aujourd’hui une place importante dans l’étude juive mais aussi dans le partage interculturel. Par l’étude de la langue hébraïque, des autres langues sémitiques et des civilisations et pensées comparées. En se posant la question de l’approche culturelle et scientifique de la religion. La mairie de Troyes, ainsi que la médiathèque et l’Université de Reims participent activement au partage de l’œuvre et de l’influence de Rachi, à la fois sur les études bibliques, linguistiques et culturelles. De nombreux événements artistiques y sont également organisés.
Rencontre avec Gérard Rabinovitch, vice-président de l’Institut universitaire et culturel Rachi (IUCR).
Jguideeurope : Quand et comment est née l’idée de créer l’Institut ?
Gérard Rabinovitch : Il est indispensable de retenir que l’Institut universitaire et culturel européen Rachi a été fondé il y a plus de trente ans à l’initiative de René Samuel Sirat et de Robert Galley. Chacun, et ensemble, ils imprimèrent, du sceau des engagements de leurs personnalités, l’esprit qui anime l’Institut. Ce sont deux personnalités d’exception.
René Samuel Sirat, était professeur des Universités, chargé de mission de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, pour l’enseignement de l’hébreu. Il fut aussi professeur à l’INALCO durant trente ans, où il dirigea la section d’études hébraïques et juives. À côté de ces activités universitaires, il fut grand rabbin de France de 1981 à 1988. Et à l’intersection de ses deux titres, il a fondé la chaire à l’UNESCO « Connaissance réciproque des religions du Livre, et enseignement pour la Paix ». La Nation française l’éleva au titre prestigieux de Grand Officier de l’Ordre national du mérite.
Quant à Robert Galley, ce fut ce qu’on nomme, avec considération et admiration en France, un Résistant de la « première heure », promu au titre de « compagnon de la Libération ». Il était un ingénieur diplômé de l’École centrale de Paris, mais surtout un homme politique, plusieurs fois ministre de 1968 à 1981, député de l’Aube et maire de Troyes. De tradition chrétienne, il a été très engagé dans le mouvement des Amitiés judéo-chrétiennes, dont il reçut le Prix en 1995. Lui aussi fut salué comme une grande figure au service du pays, en étant élevé au titre de Grand officier de la Légion d’honneur.
L’esprit de la Résistance, l’exigence de niveau universitaire, un humanisme biblique, une herméneutique des textes fondamentaux, et le dialogues des cultures, reçu d’eux en héritage, inspirent l’activité de l’Institut Rachi.
C’est donc, depuis l’élan inspiré et initial de ses deux fondateurs et de leurs successeurs – dont nous citerons Nelly Hanson qui en assura la perpétuation d’esprit -, que l’Institut universitaire et culturel européen Rachi se définit comme un établissement dévolu aux Humanités (humanités bibliques et juives, et humanités européennes dans leurs intersections, ensemencements, ou tensions) au sens académique de l’enseignement supérieur et laïc. Il délivre des cours, des séminaires, des groupes de recherches, des conférences, et des colloques. Mais encore des expositions, des soirées et évènements artistiques autour de la musique, de la littérature, de la poésie et du cinéma.
Précisément, avec l’ensemble de ces instruments didactiques, l’Institut Rachi se propose de donner des outils et des repères de pensée et de réflexion sur ce qu’on peut appeler les cultures monothéistes. La transmission de la pensée et des cultures juives dans toutes leurs diversités est un de ses axes, ainsi que la mise en rapport et la mise en dialogue avec les autres cultures monothéistes, sur les grands questionnements éthiques et épistémologiques de nos sociétés contemporaines. Cela me parait, par évidence, imprégnant dans l’indication magistère du nom de Rachi.
Que vous inspire justement le nom de Rachi et la richesse de ses enseignements ?
Le nom de Rachi – acronyme de Rabbi Shlomo Ben Izhak dit encore « HaTzarfati » (Le Français ») -, sa personne, telle qu’on l’a rapportée « simple » et « modeste » ; son existence, celle du fondateur d’une École qui eut des élèves venant de tout le continent de son temps ; son œuvre, si importante qu’elle est venue – sous le nom de Commentaire Rachi – s’adjoindre au corpus talmudique pourtant considéré comme clôt depuis des siècles ; tout ensemble, estampille et jalonne bien des chemins de l’Europe érudite juive, et celle non juive qui s’en inspira.
Pour l’anecdote mais pas anodine, le Commentaire Rachi fut le premier livre imprimé en hébreu en 1475 à Reggio en Italie. À la fois, donc, rabbin, exégète, talmudiste, poète, légiste, et décisionnaire, nous pouvons dire qu’il figure – par sa personne, par sa vie, par son œuvre – une sorte d’idéal-type incarné des trois champs de l’intellectualité récurrente de l’érudition juive : l’étude exégétique, le juridique et la poésie. Ajoutons à ce portrait qu’il emblématise l’intrication des positions d’élève auprès de ses maîtres (ceux de Mayence, puis de Worms) et de maître à son tour auprès d’élèves (à Troyes) telle que la socialité juive la vénère, dans un enchainement continu.
Mais, davantage peut-être encore, pour un établissement d’enseignement tel que l’Institut, il personnifie – à mon sens – ce que peut-être le trait d’une subjectivité d’éducateur, en son noyau d’existence et dans tous les horizons d’une vie justifiée par ses actes. On pourrait, au plus simple, déjà le souligner dans le fait – si rare dans son époque – d’avoir eu le souci d’enseigner ses trois filles (Miriam, Rachel, Yokhebed). Elles se marièrent plus tard avec trois de ses meilleurs élèves de l’École talmudique qu’il avait fondée.
Son trait éducatif est encore activement présent, dans le motif initiateur de son Commentaire. L’élan fécond de ce travail gigantesque se trouvant dans la volonté de rassembler toutes les réponses qu’on peut faire sur le sens des textes à un enfant de cinq ans, en restant le plus concis possible. En chemin de celui-ci, il établit un système cognitif de déduction et de conclusion, fondé sur la mise en relation des dissemblances entre un exemple et un autre.
Ce trait n’est pas moins patent dans ses Responsa qui permettaient à des populations juives confrontées à des situations de vie inédites d’y faire face, en inventant pour elles des recettes, remèdes, réponses qui puissent accueillir l’inédit, sans déroger à la Loi éthico-pratique.
Enfin, nous l’observons même jusque dans l’usage qu’il fait du vocabulaire français de son temps. Emprunt justement, pour expliquer « dans le texte » un terme difficile du Pentateuque et du Talmud. Les mots qu’il a empruntés – au motif didactique – au français vernaculaire de son vivant (dit laazim en hébreu) sont si nombreux et riches (1500 pour accompagner le texte biblique, 3500 pour accompagner le texte talmudique) que le Commentaire Rachi constitue – suivant Claude Hagège et Arsène Darmasteter – le plus précieux document que l’on possède sur l’état du français tel qu’il était parlé dans la seconde moitié du Xième siècle.
Voici quelques exemples de laazim : chêne, portail, bordel (cabane, maison), sommeiller, châtaigner, cannelle, bandeau, chat-huant, pape, fourgon, coudrier, vire, aigrin, contrefait, vautour, assiégeur, aise, huisserie, houblon, fusil, orme… Et aussi le fameux tcholent, de Chaud lent !
Nous avons avec Rachi non seulement une figure magistère de l’érudition juive, mais un personnage sublime de l’idéal européen de culture par l’Éducation.
Et si je peux me permettre, j’ajouterais, concernant Rachi, que lui vont à merveille, certaines des formules d’Heinrich Heine et d’Abraham Heschel qu’ils posèrent sur la présence, l’existence, la condition juive, dans le monde et sa contribution. En les fusionnant et les appliquant à son propos, je les résumerais ainsi : Rachi ne fut pas un constructeur de Pyramides, mais un Bâtisseur du temps. Vous comprenez qu’éducateur dans son essentialité d’être, Rachi est le nom le plus honorant comme indicateur de route pour l’Institut, sa direction, et ses équipes à Troyes.
Quels sont les projets contemporains auxquels participe l’Institut universitaire et culturel européen Rachi ?
Parmi tous ses travaux, et en lien avec ses missions éducatives et culturelles, l’Institut est partenaire du projet GIP Rachi, un groupement d’intérêt public « Rachi-Troyes et Grand Est créé en 2023. L’objectif visé par ce GIP Rachi, est de porter l’héritage européen de Rachi de Troyes à la labellisation d’un « Patrimoine européen ». Ce qui devrait être d’évidence pour qui prend la mesure de tout ce qu’il symbolise.
Sinon, sous le chapiteau du poème d’Hésiode (« Les travaux et les jours »), l’Institut Rachi participe de projets d’enseignements avec des partenaires éducatifs tels que l’Université de Reims Champagne Ardennes, l’Université de Technologie de Troyes, l’École supérieure de Design, Y Schools, le lycée Marie de Champagne ; et à Paris, avec l’Institut européen Emmanuel Levinas de l’AIU.
Il participe à des activités culturelles avec la Médiathèque Jacques Chirac, les Amis de la Médiathèque de Troyes Champagne Ardennes, la Maison du Boulanger, l’Espace culturel Didier Bienaimé, Aube Musique ancienne, les Passeurs de texte, et la Protection judiciaire de la jeunesse.
Il entretient aussi des liens dans l’Europe académique sous forme d’enseignements et de colloques, et avec plusieurs Centre culturels de représentations étrangères en France, notamment de l’Europe de l’Est. Par exemple, le Centre culturel de Pologne, celui de Lituanie. Et espère bien les développer.
Maison Rachi
En 2017, la Maison Rachi a été créée à intérieur de l’espace synagogal datant des années 1960. Des rénovations ont été réalisées ces dernières années à l’intérieur avec l’installation d’une très belle verrière, alliant les époques. Le lieu propose une exposition permanente riche et variée. Il offre également la possibilité de consulter tous les ouvrages contenant des textes de Rachi dans sa bibliothèque, mais aussi grâce à des recherches numériques.
Ce lieu se nomme la maison Rachi, la synagogue Rachi et non la maison de Rachi ou la synagogue de Rachi, parce que le grand maître résidait probablement dans l’ancien quartier juif. Ce qui surprend les visiteurs arrivant à Troyes, c’est l’absence de trace matérielle. Les muséographies n’étant pas à la mode à l’époque de Rachi, le manque de moyens financiers et la situation difficile des juifs de France à la fin du Moyen Age firent que beaucoup de choses se sont perdues avec le temps. Ce fut donc la volonté principale de la maison Rachi de faire découvrir à un large public l’œuvre et la vie du plus grand exégète et de l’auteur français le plus publié au monde.
A la fin du 20e siècle, des travaux d’entretien du bâtiment conséquents s’imposaient. La Fondation Edmond J. Safra-Genève finança le début de ces travaux. D’autres institutions, ainsi que des particuliers vont participer à ce financement par la suite.
A l’entrée, on est accueilli par les magnifiques vitraux de Flavie Serrière Vincent Petit qui représentent l’arbre généalogique de Rachi. Ils ont été réalisés en 2016, avec l’aide de l’historien du judaïsme Gérard Nahon et de la commissaire d’exposition Delphine Yagüe. Arbre dont les racines sont les noms de ses trois filles, Miriam, Yokhebed et Rachel. Suivent les nombreuses branches et oiseaux posés dessus, permettant à sa pensée de partir au loin vers les cieux et de revenir peupler les commentaires de textes religieux aux quatre coins du monde pour tant de générations…
La paracha de Balak a été choisie pour accompagner la muséographie du bâtiment. Celle qui raconte l’histoire du roi Balak envoyant Bilam pour maudire le peuple d’Israël. Un ange apparaît et l’encourage à faire le contraire. Lorsqu’il arrive devant le campement des temps de Jacob, il va réciter la bénédiction : « Que tes tentes sont belles, Jacob, et tes demeures, Israël ! » Ce texte, sélectionné par la Maison Rachi, est envoyé à l’architecte afin qu’il s’en inspire pour ses travaux.
La particularité de la synagogue de la Maison Rachi est d’être située dans une cour intérieure, sous une verrière. La résille métallique qui jouxte la verrière symbolise les tentes de Jacob. Anecdote amusante, les travaux prenant plus de temps que prévu, la date de l’inauguration fut repoussée et le hasard fit que celle-ci se déroula la semaine de la paracha de Balak.
Tous les textes de Rachi retrouvés sont présentés dans la très belle bibliothèque. 1800 tomes en des langues très différentes, aussi bien en français, allemand, anglais, espagnol et italien.
Le chemin parcouru nous permet d’apprécier une muséographie très particulière pour chaque pièce, avec des objets et textes anciens, ainsi que des écrans de diffusion vidéo et de recherches. Afin de raconter à la fois la vie de Rachi, son époque, mais aussi les fondements du judaïsme. Permettre à un grand public de comprendre et de contextualiser cette histoire. On a été étonné par un film animé où les spectateurs suivent des personnages d’époque, dont Rachi, en train de donner un cours. Avec les voix de Marc-Alain Ouaknine, Rébecca Eppe et Zacharie Yagüe.
Au 2e étage, une pièce est consacrée aux activités de la communauté juive de Troyes après-guerre, notamment les événements organisés par les Eclaireurs Israélites. De nombreuses photos sont exposées sur ces murs, dont celles d’un des Troyens contemporains les plus célèbres, l’humoriste Raphaël Mezrahi. Lequel fait d’ailleurs souvent référence à sa ville natale dans son œuvre.
Dans la salle suivante, on découvre un texte biblique numérisé, facilitant l’accès rapide à chaque paracha. Et cela en français, anglais et hébreu. On découvre dans cette pièce des textes de penseurs chrétiens de la fin du Moyen-Âge qui étudiaient Rachi, dont Nicolas de Lyre. Lequel pointe les apports de Rachi à sa compréhension de la Bible. Luther va se servir de Rachi afin de parfaire sa traduction de la Bible en langue vernaculaire. Dans la salle suivante, on aperçoit des exemples de laazim.
Jean-No, un artiste lorrain, a créé une œuvre avec des lettres en métal avec les caractères de Rachi. Avec le nom en inox et la même base en forme hexagonale, comme celle qui se trouve au mémorial de Rachi, en face du théâtre Champagne. Dans la petite cour intérieure, on contemple la fameuse œuvre du « Buisson ardent ».
Lors des travaux a été envisagée la possibilité d’installer un ascenseur, notamment à l’attention des personnes à mobilité réduite, comme il est coutume dans tous les musées contemporains. Néanmoins, la maison Rachi se situant dans un immeuble classé, une autorisation spéciale fut requise. L’accord prévoyait d’installer un ascenseur à l’extérieur, installé dans la cour et qui permette l’accès aux différents étages. Afin de cacher un petit peu l’ascenseur dans cette cour, une œuvre d’art a été créée par-dessus mesurant neuf mètres de haut sur un mètre cinquante de large. Un travail effectué par Flavie Serrière Vincent-Petit, dont l’œuvre nous accueillit à l’entrée de la Maison avec son arbre généalogique et que l’on suivra tout au long de créations présentées le long du parcours.
Rencontre avec Jean-David Bensaïd, Pôle développement de la maison Rachi.
Jguideeurope : Quels types de visites proposez-vous ?
Jean-David Bensaïd : Aujourd’hui nous proposons deux types de visites guidées, d’une heure ou de deux heures. Actuellement, nous travaillons à la mise en place de visites libres. Ce parcours intégrerait la synagogue, la bibliothèque et l’oratoire dans une scénographie renouvelée et innovante qui devrait être opérationnelle au printemps prochain.
Quelles autres activités sont organisées à la Maison Rachi ?
Les évènements sont nombreux. Nous venons par exemple d’accueillir Arlette Testyler, rescapée du Vel d’Hiv, qui a permis de réunir par son témoignage 2 000 élèves au théâtre de Champagne. En décembre 2024, nous recevions François Guillaume Lorrain pour son livre dédié aux Justes, qui figurait sur la liste des trois derniers essais retenus pour le prix Renaudot 2024. La Maison Rachi peut même être parfois privatisée à l’occasion de certains évènements comme la réception du séminaire annuel de la Bibliothèque Nationale d’Israël en février prochain.
Et puis la Maison Rachi, c’est également une maison d’édition. Nous éditons régulièrement des livrets, qui permettent de découvrir par un travail de vulgarisation assez fin, de nombreuses thématiques telles que les droits des femmes ou l’antisémitisme. Notez d’ailleurs que nous avons retravaillé toute notre gamme pour davantage de cohérence avec le grand éditeur new-yorkais Prosper Assouline.
Et enfin, et j’allais dire surtout, Maison Rachi c’est avant tout une synagogue très dynamique. Nous avons la chance d’avoir un rabbin, Mickael Amar, qui est très actif et qui, en étroite collaboration avec nos deux co-présidentes et notre vice-présidente de l’association cultuelle, organisent régulièrement des activités communautaires pour les fêtes et pas uniquement. Les chabbath pleins se multiplient, ce qui nous permet d’accueillir dans d’excellentes conditions les visiteurs qui souhaitent passer un moment privilégié dans la ville de Rachi.
Pouvez-vous nous raconter une visite qui a particulièrement ému les gens travaillant à la maison Rachi ?
Philippe Bokobza, l’un des deux cofondateurs avec le Président de la Maison Rachi, René Pitoun, m’a raconté la visite très touchante d’un de nos visiteurs qui, face aux tables numériques devant lesquelles on peut découvrir chaque paracha de l’année, a trouvé celle de sa bar mitzvah. Il s’est retrouvé plongé des décennies en arrière et s’est alors mis à chanter, les larmes aux yeux.
Ces tables, uniques au monde, permettent d’accéder directement au texte sacré et sont très appréciées par nos visiteurs. Adultes comme enfants se retrouvent plongés dans les commentaires de Rachi en français, anglais et en hébreu et provoquent réellement une émotion.
Et pour finir cette présentation et vous souhaiter une agréable visite, quelques aphorismes de Rachi :
Tout plan formulé dans la précipitation est insensé.
Soit certain avant d’interroger ton Maître sur ses raisons et ses sources.
Les Maîtres apprennent des discussions des élèves.
Celui qui étudie les Lois et ne comprend pas leur sens ou ne peut pas expliquer leurs contradictions, n’est qu’un panier plein de livres.
Ne blâme pas ton prochain de manière à lui faire honte en public.
Obéir par amour est mieux qu’obéir sous l’effet de la peur.