France / Aube

Troyes

Mémorial Rachi créé en 1990 par le sculpteur Raymond Moretti et installé devant le Théâtre de Champagne
Mémorial Rachi. Photo de Steve Krief

L’Aube du Moyen Age accueille de nombreuses communautés juives parmi lesquelles Villenauxe-la-Grande, Saint-Mards-en-Othe, Plancy-l’Abbaye, Ervy-le-Chätel, Lhuître, Mussy-sur-Seine, Ramerupt, Dampierre, Brienne-le-Chäteau, Bar-sur-Aube et surtout Troyes.

La présence juive troyenne date probablement du XIe siècle, c’est du moins ce que permettent de vérifier des archives documentées. Probablement une petite centaines de personnes. Mais parmi lesquelles le grand érudit Rachi.

En ouvrant les cinq livres de la Torah, le Talmud ou de nombreux autres ouvrages religieux, un mot, plutôt un nom accompagne l’approche de ces textes : Rachi. Si des commentaires de textes partagés depuis des millénaires permettent d’éclairer tel point, telle situation, tel personnage, Rachi fait l’unanimité comme commentateur de référence. De par sa capacité à faire le lien entre les textes bibliques et tous les commentaires qu’il a sélectionnés, confrontant les approches les plus pertinentes aux questions les plus compliquées. Il facilite la lecture, en trouvant le sens littéral de la lecture, le Pshat.

Ancien quartier juif de Troyes
Rue Saint-Frobert. Photo de Olybrius – Wikipedia

Fierté nationale, Rabbi Shlomo Itshaqi, plus connu sous le nom de Rachi, est né dans la ville française de Troyes en 1040. Ayant bénéficié d’une excellente formation rabbinique avec les rabbins Jacob b. Yakar, Isaac b. Judah à Mayence et Isaac b. Eleazar Ha-Levi à Worms, il se réinstalle à Troyes et ouvre son centre d’études. Entre l’Est de la France et l’Ouest de l’Allemagne se trouvait en effet une région prospère économiquement et intellectuellement, encourageant les échanges sur les deux plans.

Rachi représente également la jonction de l’excellence traditionnelle et moderne. Référence première dans les commentaires de texte mais aussi dans son investissement dans la Cité, il met également à l’honneur la langue française dans ses commentaires. Le Rabbin Claude Sultan, qui dirigea l’Institut Rachi, affirma que les linguistes français étudiaient ses commentaires bibliques pour retrouver des mots français du Moyen-Age, Rachi n’hésitant pas en effet à utiliser la langue de Molière et la langue régionale de Champagne pour préciser un commentaire lorsqu’il n’y avait pas d’équivalent dans la langue hébraïque. Les textes religieux chrétiens, comme ceux de Nicolas de Lyre, s’y réfèrent aussi.

Fonds patrimoniaux de la Médiathèque. Photo de la Médiathèque Jacques Chirac

Les échanges entre penseurs juifs et chrétiens sont d’ailleurs réguliers et chaleureux. A l’époque de Rachi mais aussi de ses descendants.

Des descendants qui perpétuèrent son enseignement en créant l’école des Tossafistes. Parmi eux, on compte les rabbins Rashbam, Ribam et Rabenou Tam. Cette école rayonne dans la région à Ramerupt, Dampierre et Sens.

La suite de la vie juive à Troyes connut une prospérité économique mais aussi des persécutions, d’ordre matériel et physique, particulièrement au XIIIe siècle sous le règne de Louis IX. Le siècle suivant vit des expulsions sous Philippe le Bel et Charles VI et retours timides de juifs dans la ville.

L’ancien quartier juif se situait près de l’église Saint-Frobert et le cimetière juif à l’entrée du faubourg de Preize. Le cimetière ayant été détruit pour agrandir la ville, la tombe de Rachi a disparu. Près de la rue de Preize, une esplanade présente devant la  Médiathèque Jacques Chirac a été nommée à la mémoire de Rachi. Cette médiathèque possède d’importants fonds patrimoniaux, surtout du XVIe et XVIIe siècles, dont ceux de la bibliothèque de l’Abbaye de Clairvaux.

Mémorial Rachi. Photo de Steve Krief

Au Moyen Age, on surnommait le  quartier Saint-Frobert, autour de la rue Hennequin, « la Juiverie » ou « Brosse aux juifs ». A l’époque de Rachi, de nombreux juifs y vivaient.

Ce n’est qu’au XIXe siècle que la communauté juive s’installa de manière pérenne à Troyes. A la veille de la Shoah, quelques 200 juifs vivaient à Troyes. Aujourd’hui, quelques centaines de juifs habitent dans l’Aube.

A l’occasion des 950 ans de la naissance de Rachi, en 1990, le  Mémorial Rachi, réalisé par le sculpteur Raymond Moretti a été inauguré devant un public ému. Parmi eux, Robert Galley, l’ancien maire de Troyes et Elie Wiesel. Ce dernier rappela l’importance de Rachi : « Son commentaire est devenu mon compagnon. Rachi était là, me guidait, me disait que tout est simple malgré les apparences. Je me suis mis à l’aimer au point de ne plus pouvoir m’en passer car, dès lors, je trouvais qu’il était différent, rayonnant d’amitié. »

Maison Rachi de Troyes. Un immeuble qui accueille une synagogue, une bibliothèque et une salle de réception
Maison Rachi. Photo de Steve Krief

Le mémorial est situé devant le théâtre de Champagne. Constitué d’une sphère en métal de près de 3 mètres, l’artiste s’est inspiré de la Cabbale et on y voit l’acronyme de Rachi en hébreu.

Deux lieux centralisent aujourd’hui l’activité culturelle et religieuse du judaïsme troyen. La Synagogue Rachi et l’Institut Universitaire Européen Rachi, l’un en face de l’autre, se trouvent dans la vieille ville de Troyes.

La  Synagogue Rachi a été installée en 1960 dans la vieille ville. Le bois est très présent dans l’architecture de l’immeuble, en harmonie avec l’ancienneté du quartier.

Institut Européen Universitaire Rachi à Troyes
Institut Rachi. Photo de Steve Krief

Des rénovations ont été réalisées ces dernières années à l’intérieur avec l’installation d’une très belle verrière, alliant les époques. On observe aussi un beau vitrail inspiré par l’arbre généalogique de Rachi. La Maison Rachi que l’on trouve à l’intérieur, créée en 2017, présente une exposition permanente sur Rachi. Le lieu possède également une bibliothèque et plusieurs films et outils numériques présentant de précieux manuscrits.

Construit en 1990, dans le même esprit de célébration des 950 ans de la naissance de Rachi que le Mémorial, l’Institut Rachi occupe aujourd’hui une place importante dans l’étude juive mais aussi dans le partage interculturel. Par l’étude de la langue hébraïque, des autres langues sémitiques et des civilisations et pensées comparées. En se posant la question de l’approche culturelle et scientifique de la religion. La Mairie de Troyes, ainsi que la Médiathèque et l’Université de Reims participent activement au partage de l’œuvre et de l’influence de Rachi, à la fois justement sur les études bibliques, linguistiques et culturelles.

Rencontre avec Géraldine Roux, Directrice de l’Institut Rachi

Géraldine Roux, directrice de l'Institut Rachi
Géraldine Roux

Jguideeurope : Quelle est l’identité de l’Institut Universitaire Européen Rachi ?

Géraldine Roux : L’Institut Rachi a été fondé en 1990 par le Grand Rabbin Sirat et Robert Galley depuis un constat assez sombre. Rachi, le plus grand commentateur de la Torah et de la Bible, connu dans le monde entier, est un parfait inconnu dans la ville où il a vécu. Créer un institut permettait de le faire découvrir. Non pas depuis une mémoire matérielle mais depuis son esprit : l’ouverture du judaïsme sur le monde, dans sa diversité. La vocation de l’Institut est alors devenue double : diffuser l’esprit Rachi, dans l’espace de la judaïcité, c’est-à-dire du judaïsme dans la cité, celle de la République française, à travers une éducation à la culture pour tous ; adosser ses cours au Centre universitaire de Troyes, qui lui-même venait de naître, afin de former des étudiants et des chercheurs à la singularité de la pensée juive où il n’existe pas de vérité unique ou gravée dans le marbre mais une multiplicité d’étincelles de sens.

Alors l’institut Rachi, non-confessionnel et pas seulement universitaire, peut apparaître comme un lieu non-lieu. Un lieu du seuil. Ni dedans, ni dehors, mais à la confluence des cultures. Cette situation n’est pas toujours confortable puisque si on y vient en recherchant un espace de prière ou de pratique de rites, on ne peut qu’être déçu et si on le considère depuis une stricte laïcité, les thèmes proposés peuvent dérouter. Et c’est le paradoxe de ce lieu singulier dans le paysage culturel français que je trouve si riche et porteur.

 

Conférences à l'Institut Rachi
Conférence à l’Institut Rachi

Quelles missions l’Institut Rachi se donne-t-il ?

L’Institut Rachi propose, dans la journée, des cours qui s’adressent aux étudiants, aux lycéens et à toute personne intéressée par la pensée et la culture juive avec des cours de philosophie et de littérature médiévales, de commentaires Rachi, de langues (arabe littéraire, hébreu biblique, hébreu moderne), de pensées juive et musulmane en terres d’Islam, de philosophie juive et des séminaires dont, nouveautés cette année, un cycle de réflexions « regards sur l’Affaire Dreyfus ». Ces cours et séminaires sont construits en partenariat avec des universités du Grand Est, de Paris et l’Institut Européen Emmanuel Levinas de l’Alliance Israélite Universelle. Et nous proposons également des conférences grand public et des journées d’études, sur des thèmes d’actualité. Nos missions ? Articuler enseignements et recherches spécialisés avec des découvertes et des réflexions grand public. Et à moyen terme, nous élaborons le projet de devenir un observatoire des monothéismes, s’adossant sur le savoir scientifique et universitaire, afin de donner, à tous, des clés de compréhension de ce qu’on nomme, de manière souvent vague, le « phénomène religieux » et de donner des clés de lectures de ce patrimoine culturel afin de sortir et du communautarisme qui conduit à l’intolérance et du rejet qui mène à la violence.

 

Concert du groupe Les Clés de Scène

Observez-vous des changements organisationnels par rapport à la période pré Covid ?

Pendant les deux années Covid, l’institut Rachi a pu participer aux Journées Européennes du Patrimoine, sans interruption. Néanmoins, l’organisation, en effet, a été assez lourde avec les jauges à respecter, les mesures sanitaires puis le pass sanitaire. Des bénévoles se sont spontanément proposés de nous aider pour pouvoir être présents à ce moment important de la rentrée de l’institut Rachi. Donc, d’une certaine façon, cette organisation a pu montrer un véritable élan de solidarité mais avec une structuration beaucoup plus lourde et une responsabilité aussi bien légale qu’éthique bien plus importante que les années précédentes.

 

Delphine Yagüe
Delphine Yagüe. Photo issue du site CulturistiQ

La ville de Troyes participe-t-elle activement au partage de cet héritage ?

La Ville de Troyes participe tout-à-fait au partage de cet héritage millénaire. La création de l’Institut Universitaire Européen Rachi, à l’initiative du ministre-maire de l’époque, Robert Galley, il y a trente ans, et poursuivi par la municipalité actuelle, en est un des témoignages criants. De même, Troyes Champagne Métropole aide activement au développement de l’Institut Rachi par des subventions conséquentes pour faire perdurer et prospérer la recherche et l’étude dans le domaine de la pensée juive et hébraïque à Troyes. Se développe également un projet ambitieux, porté par l’Agence Départementale du Tourisme de l’Aube, d’inscrire une route Rachi dans le cadre des routes du Patrimoine Juif Européen (AEPJ). Un projet très intéressant porté par Delphine Yagüe, créatrice du laboratoire culturel CulturistiQ. Des perspectives vivantes…