Des documents administratifs d’archives datent la présence juive toulousaine des années 800. La ville de Toulouse fait partie de cette vie juive florissante du Moyen Age proche de l’Espagne et du Languedoc. Comme le confirme la présence au 11e siècle de Moïse Hadarshan (originaire de Narbonne) et de son fils Juda, dont l’élève, Menahem Bar Helbo, initiera Rashi à la science juive méditerranéenne.
Il existait alors à Toulouse un quartier juif dont la synagogue était le centre. Il se trouvait entre le sud de la place des Carmes et la place Rouaix et entre la rue des Filatiers et la rue Saint-Rémésy. Le cimetière juif se situait près du Château Narbonnais, puis lorsque le roi prit possession du lieu, à la fin du 13e siècle, il fut relocalisé dans un champ acheté par les juifs près de la Porte de Montoulieu.
Alors qu’ils jouissaient d’une entente relativement bonne avec les autorités locales, le pape adresse une lettre au comte Raymond Vi, sommant de ne plus faire participer les juifs à la vie publique. D’Alfonse de Poitiers, le frère de Saint-Louis, s’emparant de Toulouse en 1249 jusqu’à l’expulsion des juifs de France ordonnée par Philippe le Bel en 1306, leur situation se dégrade graduellement. Pendant le 14e siècle, une partie des juifs expulsés seront autorisés à revenir puis à nouveau chassés. Cela à plusieurs reprises. Une croisade d’adolescents issus de Paris sévira dans le pays en 1320, avec des effets dévastateurs dans le sud-ouest.
Francisco Sanchez, né au dans une famille juive au Portugal, étudie à Bordeaux et Montpellier. Il s’installe à Toulouse en 1581, où il pratique la médecine. Il deviendra doyen de la Faculté de médecine en 1621 mais sera surtout connu pour son œuvre philosophique sceptique : Quod nihil scitur (1580). Une œuvre parue à la même époque que les Essais de Montaigne, philosophe également lié à Toulouse.
Au 17e siècle, lorsqu’un groupe de Marranes tenta de s’installer à Toulouse, ils furent jugés par un tribunal d’Inquisition en 1685. Dans l’esprit de l’émancipation accordée par la Révolution française et Napoléon, la situation des juifs s’améliore en France au 19e siècle. Lors du recensement de 1807, on compte 87 juifs à Toulouse. Principalement des commerçants issus d’Avignon ou pratiquant le métier de colporteur.
Le rabbin Léon Oury, originaire d’Alsace, est le premier, en 1852, à exercer officiellement à Toulouse depuis plusieurs siècles. Parmi les autres personnalités juives de Toulouse, on compte Jassuda-David Musca qui crée en 1867 un comité de l’Alliance israélite universelle à Toulouse. Mais aussi Léon Cohn, le préfet de la ville (de 1886 à 1894) et un des fondateurs de la bourse du travail, le philosophe Frédéric Rauh et le poète Ephraïm Mikhaël, proche de Bernard Lazare avec qui il écrira une pièce La Fiancée de Corinthe.
En 1887, il n’y a que 350 juifs toulousains. Des vagues de migration d’Alsace-Lorraine suite la guerre de 1870 et dans l’entre-deux-guerres d’Europe de l’Est et de la Turquie viendront agrandir ce nombre. Parmi eux, des étudiants de Pologne et des Balkans attirés par les bonnes conditions d’étude de l’Université de Toulouse.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Toulouse accueillit des réfugiés tel Léon Blum. De nombreux juifs fuyant l’armée allemande se retrouvent dans le sud et sont internés dans des camps de la région comme Gurs, Noé et Récébédou. Monseigneur Saliège envoya une lettre de protestation concernant le sort des juifs qui fut lue dans toutes les églises du diocèse. En août 1942 débutent les premières déportations vers les camps de l’Est. La zone libre est occupée à partir de novembre et les déportations s’accélèrent.
La Résistance est très active à Toulouse et les juifs rejoignent ses rangs en grand nombre. Parmi les groupes en place, la 35e brigade FTP-MOI qui, sous Marcel Langer, perpétra de nombreuses attaques. Mais aussi l’Armée juive, dirigée par Abraham Polonski et Aaron-Lucien Lublin, les Eclaireurs israélites de France et l’Organisation juive de combat. Ce dernier organisa de nombreuses attaques de convois et des passages de combattants dans les zones de lutte.
Le 17 juillet 1944, plusieurs hauts responsables de l’OJC, parmi lesquels le rabbin René Kapel, André Amar, César Chamay, Jacques Lazarus, Henri Pohoryles, Ernest Appenzeller et Maurice Loebenberg sont piégés par la Gestapo. Il y eut également des femmes parmi les grandes figures de la Résistance. Notamment Sarah-Ariane Fixman-Knout. Tandis que son mari se réfugia en Suisse avec leurs enfants, elle prit les armes et fut assassinée le 22 juillet 1944.
Parmi les autres figures de la Résistance toulousaine, le rabbin Moïse Cassorla et son successeur à la synagogue de la rue Palaprat , le rabbin Nathan Hosanski. Cette forte présence des juifs toulousains dans la Résistance se traduisit après-guerre dans la volonté de ces combattants et des survivants des camps de reconstruire la vie juive sur place.
En 1960, Toulouse compte plus de 3000 juifs. Lors de cette décennie, l’arrivée de nombreux juifs d’Afrique du nord permet à la communauté de s’agrandir, atteignant 20000 juifs en 1969. Un nombre relativement stable puisqu’il y a en 2020 entre 15000 et 20000 juifs à Toulouse.
La ville de Toulouse compte aujourd’hui une dizaine de synagogues, outre celle de Palaprat mentionnée plus haut. Parmi elles, la synagogue Beth Habad , Chaaré Emeth et l’Association des Juifs Libéraux de Toulouse . L’association culturelle Hebraica est très active dans la ville, notamment dans l’organisation des Journées de la Culture juive et du Printemps du cinéma israélien.
Toulouse rassemble aujourd’hui l’une des communautés les plus dynamiques de France. Elle s’est dotée, il y a plus de 20 ans, de l’Espace du judaisme (EDJ) qui réunit les principales associations (CRIF, ACIT et FSJU) et qui est l’un des plus grands centres communautaire européen.
Mais Toulouse a été aussi marqué, comme de nombreux lieux en France, par une vague antisémite depuis le début du siècle. Les assassinats à l’école Otzar Hatorah de Toulouse et ceux commis par le même terroriste contre des militaires à Montauban ont profondément ému la Nation en 2012.
Interview de Gilles Nacache (membre du Comité directeur du CRIF Midi-Pyrénées), Yves Bounan (président de l’ACIT) et Pierre Lasry (secrétaire général de l’association culturelle Hebraica).
Jguideeurope : De la grande participation à la Résistance à la reconstruction de la communauté d’après-guerre, comment expliquez-vous le fort attachement des juifs toulousains à leur ville ?
Gilles Nacache, Yves Bounan et Pierre Lasry : Les Juifs toulousains sont arrivés par vagues d’immigration successives : Russie tsariste, Turquie, Egypte, Allemagne, Pologne, Afrique du Nord : de quelques familles au début du XIXe siècle, nous sommes devenus une des premières communautés de France et cette mosaïque d’itinéraires est sans doute le secret de notre cohésion légendaire et de l’attachement que les Juifs toulousains vouent à cette ville aux allures un peu espagnoles, dynamique et plutôt jeune, avec plus de 100 000 étudiants.
Toulouse a été un bastion de la Résistance française et juive et l’assassinat de Marcel Langer décapité à la prison Saint-Michel parce que Juif, étranger et communiste en est un des épisodes marquants. Georges Cohen, l’un des fondateurs de l’Armée Juive, le père de Monique Lise Cohen, figure importante qui vient de disparaitre, était aussi un exemple de la résistance juive toulousaine.
Quel lieu lié au patrimoine culturel juif toulousain vous a particulièrement marqué ?
La synagogue Palaprat est un lieu emblématique du patrimoine juif toulousain. Elle a été construite en 1857 et elle reste encore aujourd’hui la plus ancienne synagogue, celle qui est réservée aux grandes cérémonies patriotiques et aux réceptions officielles. Elle a été historiquement le centre de la résistance juive dans le Midi toulousain. Elle représente avec ses nombreuses plaques murales, un centre de mémoire depuis plus d’un siècle pour la communauté juive régionale. Une plaque à la mémoire du Cardinal Saliège y est aussi remarquable. Le rabbinat de Toulouse étend sa zone d’influence sur 9 départements autour de Toulouse.
Quelles démarches pédagogiques et culturelles ont été mises en place suite aux attentats de 2012 ?
Une cérémonie mémorielle a lieu tous les 19 mars à l’école Ohr Torah, elle est l’occasion de rappeler les faits qui s’y sont déroulés en présence souvent d’un ministre et parfois d’un chef d’état. Les démarches pédagogiques sont moins connues du public mais elles existent probablement dans plusieurs établissements et avec certitude à l’école Ohr Torah. L’année dernière, une allée d’un jardin public a été baptisée du nom des victimes en présence de Nicolas Sarkozy et de plusieurs ministres. Une délégation d’imams conduite par Marek Halter a également été reçue à Ohr Torah, ainsi que de nombreux visiteurs de marques comme la conférence des présidents d’association américains ou le premier ministre d’Ukraine et le PDG de la Compagnie El Al.