France / Paris

L’Ouest Parisien

Pièce du Musée Nissim de Camondo avec une grande bibliothèqe. Un musée au nom du fils d'un grand industriel et mécène juif
Bibliothèque au sein du Musée Nissim de Camondo. Photo de Chatsam – Wikipedia

Suite à la résurgence en France des attaques anti-juives en 2000 et à leur continuité, de nombreux juifs déménagent, quittant les quartiers populaires où les attaques se banalisent, préférant perdre en surface mais en retrouvant un sentiment de sécurité. Deux zones géographiques en ont ainsi accueilli un nombre considérable depuis vingt ans : à l’Est autour du 11e, 12e, Saint-Mandé et Vincennes et à l’Ouest entre le 16e, 17e, Neuilly, Levallois et Boulogne.

Mais le lien à ces deux derniers arrondissement est plus ancien. Entre le Second Empire et la fin du XIXe siècle, une petite partie des juifs parisiens migre vers les quartiers prisés de l’ouest parisien. Vers le quartier Monceau dans le 17e arrondissement et le quartier Victor Hugo du 16e arrondissement.

Aujourd’hui, le 17e arrondissement compte 40000 juifs sur les 300000 de Paris et de sa région. Synagogues, restaurants, boucheries, épiceries fines, écoles… La vie cultuelle et culturelle juive est foisonnante dans cet arrondissement.

Photo ancienne de la Place Pereire, nommée en hommage aux célèbres frères Pereire, industriels et mécènes juifs
La Place Pereire et l’Avenue de Villiers

Néanmoins, l’arrondissement fut d’abord marqué par une histoire un peu plus ancienne, notamment autour de grandes familles. Parmi elles, les frères Pereire. Nés à Bordeaux, Emile en 1800 et Isaac en 1806, ils s’installent à Paris. En bons saint-simoniens, ils souhaitent que l’économie ne se limite pas à son seul développement. Que son essor permette surtout d’améliorer la condition sociale de tous les habitants de Paris. D’où le lancement de grands travaux. Avec l’aide de l’Etat, les Pereire participent au financement de l’Exposition universelle de 1855 et plus important encore au renouvellement du quartier Haussmann. Ils lancent le Crédit immobilier et la Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz. Ils développent le transport ferroviaire et maritime.

Dans le 17e et le proche 8e arrondissement, ils font lotir une partie du Parc Monceau. Emile Pereire se fait d’ailleurs construire un hôtel au 10 rue Alfred de Vigny. Ils investissent dans des projets avenue de Villiers, boulevard Malesherbes et avenue de Wagram et non loin de l’arrondissement la construction de la gare Saint-Lazare. Elus députés dans les années 1860, les frères Pereire soutiennent ardemment au Parlement la gratuité de l’éducation. Aujourd’hui,  une place et un boulevard portent leur nom dans le 17e arrondissement.

Vue extérieure de l'immeuble accueillant le Musée Nissim de Camondo du nom du fils d'un grand personnage parisien, amateur d'art et mécène
Musée Nissim de Camondo. Photo de Daderot – Wikipedia

Autre lieu marquant de l’histoire juive parisienne,   le Musée Nissim de Camondo, situé rue Monceau. Les frères Abraham et Nissim Camondo, banquiers anoblis en Italie, achètent le terrain sur une partie duquel se trouve actuellement le musée. Isaac Camondo, le fils d’Abraham, fin collectionneur d’art, fait un des plus grands dons de l’histoire au Louvre, permettant aussi à des artistes vivants, parmi lesquels des impressionnistes, d’y trouver une place.

En 1911, Moïse Camondo, fils de Nissim, fait reconstruire l’hôtel de la rue Monceau par l’architecte René Sergent. Un bâtiment inspiré par l’architecture du Petit Trianon. Grand collectionneur comme son frère, il lègue l’hôtel et les nombreuses œuvres qui s’y trouvent à l’Union centrale des arts décoratifs. A la seule condition que le musée porte le nom de son fils, tombé au combat en 1917. Considéré comme un des plus beaux musées de Paris, la poignée de livres et objets juifs qui appartenaient à la famille se trouve toujours dans les décors des pièces.

Vue extérieure de l'immeuble accueillant la synagogue Montevideo and le 16e arrondissement de Paris
Synagogue Montevideo. Photo de Hadonos – Wikipedia

Le 16e arrondissement voit les différentes tendances du judaïsme s’y épanouir depuis plus d’un siècle. Qu’il s’agisse du judaïsme consistorial ou libéral. Il accueille aussi la plus grande bibliothèque juive d’Europe.

Un immeuble mêlant la pratique orthodoxe à l’architecture moderne si situe rue Montevideo. Suite à des déménagements du lieu de culte ouvert en 1892 par l’association de la Société du culte traditionnel israélite, de l’avenue Malakoff, puis à la rue Lalo, cette communauté installa finalement sa  Synagogue rue Montevideo en 1934.

Construit par les architectes Julien Hirsch et Roger Kohn, l’immeuble exigu de cinq étages accueille la synagogue dans un cadre de centre communautaire. Le motif du maguen david n’est pas qu’un élément secondaire de décoration, comme il l’est souvent dans les synagogues plus anciennes.

Ici, il apparaît de différentes manières et couleurs, comme on peut le voir sur sa voûte en béton à caissons. Sa façade et son intérieur sont également sobres. Qu’il s’agisse de la bimah située au centre ou les décorations métalliques.

Vue intérieure de la synagogue de Copernic, première synagogue libérale créée à Paris
Synagogue Copernic. Photo de GFreihalter – Wikipedia

Rue Copernic, près de la place Victor Hugo, la synagogue Copernic du Judaïsme En Mouvement (JEM). Le mouvement libéral inaugura cette  synagogue en 1907 sous la direction du rabbin Louis-Germain Lévy. Au début des années 20, la synagogue évolue architecturalement, suite à l’agrandissement du lieu et des constructions dans la cour. Des mutations eurent également lieu à la fin des années 60. Tous ces changements expliquant les différentes influences architecturales qui se mêlent à l’intérieur de la synagogue, entre inspiration biblique et mouvements artistiques du XXe siècle.

La synagogue JEM Copernic a été touchée par deux attentats. Une explosion pendant l’Occupation et en 1980, l’attentat palestinien qui fit quatre morts et un grand nombre de blessés. Certes, les attentats du début des années 1980 et surtout ceux des années 2000 ont provoqué une sécurisation des lieux plus élevée, mais cela n’a pas démotivé la pratique, notamment au mouvement libéral qui attire un nombre croissant de juifs parisiens.

Bibliothèque de abritant la plus grande collection d'oeuvres liées au patrimoine culturel juif européen
Salle de lecture de la Bibliothèque de l’AIU

Haut lieu des recherches historiques et culturelles sur le patrimoine culturel juif, la  Bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle, dispose de la plus grande collection privée de livres et d’archives d’intérêt juif en Europe. Anciennement située rue La Bruyère (dans le 9e arrondissement), elle se trouve aujourd’hui rue Michel-Ange. L’AIU, connue pour ses écoles en Europe, en Israël, au Maroc et en Amérique du Nord, a été fondée en 1860 dans le but de se consacrer à la défense des juifs et à la promotion des droits de l’homme.

Depuis, elle poursuit le partage des valeurs culturelles et éducatives en France et dans le monde francophone. L’AIU propose également un enseignement universitaire d’ « Humanités bibliques et juives » à travers l’Institut Européen Emmanuel Levinas et le Beth Hamidrach, ainsi qu’un programme pour les jeunes, le SNEJ.

Jean-Claude Kuperminc, Directeur de la Bibliothèque de l'AIU

Rencontre avec Jean-Claude Kuperminc, Directeur de la Bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle

Jguideeurope : Quand et comment a été créée la Bibliothèque de l’AIU ? 

Jean-Claude Kuperminc : Quand l’Alliance est créée en 1860, elle a tout de suite besoin de documentation pour comprendre le sort des Juifs qu’elle souhaite défendre dans le monde entier. Elle instaure donc un centre de documentation, qui va très vite devenir une bibliothèque patrimoniale et savante, sous l’influence des premiers dirigeants de l’Alliance : Salomon Munk, Isidore Loeb, les grands rabbins Israël Levi et Zadoc Kahn, notamment, qui sont également des références incontournables en matière d’études juives en France. La bibliothèque reçoit des livres, thèses, brochures, de rabbins et d’universitaires. Elle acquiert aussi d’importantes collections qui sont le socle de sa richesse, grâce au remarquable don d’un mécène, Benjamin Louis Mayer Rothschild (sans lien avec la famille célèbre) : Fonds Salomon Munk, manuscrits exceptionnels de Samuele David Luzzatto, Fonds Zadoc Kahn et Fonds Bernard Lazare. En 1939, alors qu’elle vient de s’installer dans des locaux fonctionnels au 45 rue La Bruyère, elle conserve déjà plus de 50 000 documents.

Ancien bâtiment de l'école juive de l'AIU ENIO
L’ancien bâtiment de l’ENIO en 1935

Pendant la guerre, elle est occupée et pillée par les Nazis travaillant pour Alfred Rosenberg. Il constitue ainsi une gigantesque bibliothèque juive à Francfort. Heureusement, elle sera récupérée par les troupes américaines à la fin de la guerre et entre 1945 et 1955, une grande partie des livres seront restitués à la bibliothèque de l’Alliance. Une partie des archives, qui avaient été volées par les Nazis puis repris par les Soviétiques en 1945, n’a émergé qu’à la fin du XXe siècle, et a réintégré nos rayonnages en 2000. C’est ce que nous appelons le Fonds Moscou des archives de l’AIU.

Entre 1937 et 1989, la bibliothèque est installée au rez-de-chaussée sur la cour de la rue La Bruyère. Un nouveau bâtiment y est créé en 1989. Malheureusement, l’AIU doit quitter son hôtel particulier en 2016.

Ancienne photo de jeunes filles élèves de l'école de l'AIU dans la ville iranienne de Yezd
Élèves de l’école de l’AIU à Yezd en Iran en 1930

Depuis, la bibliothèque reçoit ses lecteurs dans un autre de ses lieux historiques, l’ancienne Ecole normale israélite orientale (ENIO) au 6 bis de la rue Michel-Ange (16ème), adresse qu’elle avait quittée en 1937. La boucle est ainsi bouclée. Un film présente l’histoire de la bibliothèque, dans ses anciens locaux

Combien de documents se trouvent à la bibliothèque aujourd’hui et comment y a-t-on accès ?

Il est toujours difficile d’avoir un décompte exact des documents. La bibliothèque revendique environ 150 000 livres, 3000 collections de journaux, 1000 manuscrits anciens, une quinzaine d’incunables. Elle est aussi riche de près de 2 millions de pièces d’archives de l’institution AIU, indispensables à l’étude du judaïsme aux XIXe et XXe siècles, en particulier dans les zones balkaniques, méditerranéennes et moyen-orientales. Ajoutez 30 000 photographies, des films et enregistrements sonores, et vous aurez une idée de la variété et de l’importance de ce fonds.

Ancienne bible de Ferrare, un des nombreux documents qui se trouvent la bibliothèque de l'AIU à Paris, laquelle recueille le plus de documents et archives liés au judaïsme en Europe
Bible de Ferrare (1553), la première en ladino

Depuis 15 ans, la bibliothèque participe au réseau RACHEL, qui offre un catalogue de tous les documents de plusieurs bibliothèques juives parisiennes. Depuis 2 ans, l’AIU propose sa propre bibliothèque numérique qui donne un accès libre et gratuit sur internet à plus de 20 000 documents (livres, journaux, photos, films, expositions virtuelles…)

Recevez-vous de nombreuses demandes de recherches internationales ? Concernant surtout des villes, monuments ou d’ordre généalogique ? 

Une bonne partie de notre public vient de l’étranger, notamment des universitaires et des thésards. Ils exploitent les archives de l’AIU, mais aussi nos collections de documents anciens. Nous sommes partenaires du Cercle de Généalogie juive qui travaille activement à repérer des noms de personnes dans nos archives. L’AIU est particulièrement efficace pour rechercher des éléments sur la vie des personnels de ses écoles entre 1860 et 1940, dans le monde entier. Dans notre bibliothèque numérique, nous avons privilégié les documents sur les synagogues, avec près de 200 photographies et 80 livres.

Vous pouvez retrouver le témoignage d’une lectrice de la bibliothèque sur ce lien.

 

Vue intérieure de la synagogue Buffault dans le 9e arrondissement de Paris
Synagogue Buffault

Parmi les documents reçus récemment concernant le patrimoine culturel, lequel vous a particulièrement intéressé ? 

Deux initiatives ont retenu mon attention. Il s’agit de très beaux livres de mémoire sur deux des plus importantes synagogues parisiennes : la synagogue Buffault, dédiée au culte séfarade de rite portugais, et la synagogue de la Victoire. Dans les deux cas, les fidèles de ces lieux de culte ont fait un remarquable travail de recherche historique et de présentation pour mettre en valeur l’histoire de ces bâtiments prestigieux qui illuminent le paysage juif parisien depuis 150 ans.

Fondations Fleischman située dans le pletz, l'ancien quartier juif du Marais
Fondation Fleischman

Quel lieu parisien du patrimoine culturel juif européen mérite selon vous d’être plus mis en lumière ?

Professionnellement, je dirai le site de la rue Michel-Ange, qui abrite aujourd’hui la bibliothèque, l’Ecole Gustave Leven, et la synagogue de l’ENIO. Le bâtiment est moderne (élevé en 1965, réhabilité en 2011), mais les lieux sont chargés d’histoire, avec la statue de Moïse, imitée de Michel Ange, qui était déjà présente quand l’ENIO préparait les jeunes instituteurs de l’AIU à leur futur métier dans les écoles. C’est là que le philosophe Emmanuel Levinas a vécu en tant que directeur de l’ENIO.

Sentimentalement, j’opterai pour la Fondation Fleischman, en plein Pletzl, 18 rue des Ecouffes. C’est dans ce shtibel que mon père a passé sa bar-mitzwah, en 1935. C’est un des rares endroits encore représentatifs de ce que pouvaient être les lieux de cultes des immigrants juifs arrivés de Pologne dans les années 1920.