La ville de Jassy, capitale de la Moldavie depuis le XVIe siècle, est entourée de bourgades aux maisons basses aux teintes pastel et de chaumières passées à la chaux. Voilà longtemps que Bivolari, Hârlàu, Podul Iloaiei et Târgul Frumos ont été abandonnées par leurs habitants juifs. Dans les années 1920, Jassy abritait la plus grande communauté juive de cette région orientale. Peuplée d’artisans, de kabbalistes, de marchands et de talmudistes, la ville comptait alors 43000 juifs, soit la moitié de sa population, et pas moins de 112 synagogues.
C’est ici qu’en 1876, Abraham Goldfaden présenta ses premières mises en scène, à l’origine du théâtre juif en Europe. Le poète de langue française, Benjamin Fondane, y naquit en 1898.
C’est aussi dans cette ville que se développèrent les plus virulents mouvements antisémites. Ainsi, le 8 novembre 1940, Jassy fut proclamée capitale de la Garde de Fer, organisation fasciste et farouchement antisémite déclarée hors-la-loi après son soulèvement de janvier 1941 contre le général Ion Antonescu. Ce même dictateur, après avoir mis fin au pogrom de Bucarest, cautionna, en juin de la même année, le massacre de quelque 12500 juifs à Jassy et Dorohoi (tragédie décrite par Curzio Malaparte dans son livre remarquable Kaputt).
Que reste-t-il aujourd’hui de cette communauté rivalisant autrefois avec celles de Pologne, d’Ukraine, de Russie ? À la fin des années 1960, un peu moins de 2000 familles vivaient à Jassy et onze synagogues s’y trouvaient encore. Aujourd’hui, seules quelques dizaines de personnes appartiennent à la communauté de Jassy qui gère le restaurant casher et le musée d’Histoire et d’Art.
La grande synagogue est la plus ancienne de la région. Bâtie en 1671 à l’initiative du rabbin Nathan Hanover, elle fut restaurée une première fois un siècle plus tard et modernisée en 1864. Mélangeant avec bonheur des éléments architecturaux ashkénazes, byzantins et séfarades, elle témoigne ainsi de sa parenté avec celles de Bohème, de Pologne, d’Ukraine et de Russie, mais aussi de Grèce et de Bulgarie.
Signalons que les pierres tombales de l’ancien cimetière juif de Clurchi ont été transférées dans le cimetière de Pàcurari , où un monument commémore les victimes du pogrom de juin 1941.
Trois identités : un destin
Benjamin Weschler, Fundoianu ou Fondane ?
Trois identités -juive, roumaine et française- se disputent la priorité dans l’oeuvre de ce poète prophétique. C’est la première qui décidera de sa mort, à Birkenau, fin mai 1944.
Né en 1898, poète, essayiste, philosophe et cinéaste, Benjamin Fondane quitta sa ville natale, Jassy, pour gagner Paris en 1923.
« Enfermé dans le souvenir comme en une obscure strophe
dans le vide où percent des drapeaux et des rêves
j’attends ta venue trompette de la Peur Catastrophe », écrivait-il en 1922. Interné en 1944 à Drancy, il refusa d’avoir la vie sauve, obtenue après l’intervention de son épouse et d’amis (Emil Cioran, Stéphane Lepanscu et Jean Paulhan), pour accompagner sa soeur dans son dernier voyage.