Malgré l’interdiction faite aux juifs de résider en Russie, hors de la zone qui leur était attribuée, il y eut, dès le XVIIIe siècle, des exceptions remarquables, notamment dans la capitale, Saint-Pétersbourg, om se concentrait l’intelligentsia juive russe.
En 1900, on comptait déjà 20385 juifs à Saint-Pétersbourg, soit 1,4% de la population. Ce chiffre sera de 50000 en 1917, soit 2%, de 95000 en 1929, soit 5,3% et 201000 en 1939, soit 6,3%. Aujourd’hui, la communauté juive de Saint-Pétersbourg est estimée à 80000 membres.
La communauté juive de Saint-Pétersbourg (puis de Léningrad) s’est caractérisée par une composition sociale de niveau plus élevé que les communauté des shtetlekh d’Ukraine et de Biélorussie, dans la mesure où ce sont les plus cultivés qui parvenaient à quitter les ghettos pour la grande ville. Il y avait bien-sûr beaucoup d’artisans mais aussi un grand nombre d’employés, de petits fonctionnaires, de membres de professions libérales (médecins, juriste) et d’artistes, dans leur majorité férus d’assimilation : si en 1869, 98% des juifs de Saint-Pétersbourg déclarent le yiddish comme langue maternelle, ils n’étaient plus que 55% en 1910, 30% en 1926, 20% en 1939, et un nombre infime aujourd’hui. Cette perte progressive d’intérêt pour la langue maternelle, assez logique dans une capitale prestigieuse où chacun vise l’ascension sociale, a contribué à la faiblesse relative du succès du Studio de théâtre juif de Granovski, sondé en 1919 à Petrograd, dans l’île Vassilievski, qui dut déménager en 1920 à Moscou, où le public est plus populaire.
De grands Pétersbourgeois
Dans cette ville, de nombreuses personnalités juives eurent une influence dans la vie sociale et politique de la Russie. En voici quelques-unes.
Piotr Chafirov (1669-1739) ; fils d’un marchand de Smolensk, éminent homme d’État, diplomate et homme d’affaires, il fut le conseiller de Pierre Ier. Anobli, maître de la politique étrangère de la Russie, il est également l’ancêtre de poète Viazemski et de l’écrivain Alexis Tolstoï.
Simon Dubnov (1860-1941) : le grand historien du monde juif, auteur de nombreux livres, notamment de l’Histoire générale du peuple juif en dix volumes, mourut dans le ghetto de Riga.
Abram Peretz (1771-1833) : fils d’un rabbin de Lubartów (Pologne), il vient à Saint-Pétersbourg sous la protection de Potemkine, et devint conseiller commercial du gouvernement.
David Feinberg (1840-1916) : venu d’Allemagne, installé à Saint-Pétersbourg depuis la fin des années 1860, il fut le mécène de la synagogue chorale.
Jacob Halperin (1840-1914) : fonctionnaire du ministère de la justice.
Samuel Palakors (1837-1888) : financier, fondateur de banques et constructeur de chemins de fer, il a participé à hauteur de 16% à la construction de la synagogue chorale.
Anton Rubinstein (1829-1894) : né en Podolie (Ukraine), célèbre pianiste, compositeur et chef d’orchestre, il fonda la Société musicale de Russie en 1859, et le conservatoire de Saint-Pétersbourg en 1862, qui devrait porter son nom.
Maxime Vinaver (1863-1926) : juriste et homme politique, membre du parti cadet, député, il fut élu membre de l’Assemblée constituante en 1917 et devint ministre du gouvernement du général Wrangel.
Il n’y a pas à proprement parler de quartier juif à Saint-Pétersbourg, les juifs s’étant disséminés dans chaque arrondissement de la ville. Pourtant, on peut quand même distinguer des secteurs où ils étaient plus nombreux, plus concentrés qu’ailleurs et où ils se fixaient par prédilection.
La rue des décembristes
Dans cette ancienne rue Offizierskaïa, près de la synagogue et de la place Teatralnaïa, se trouve encore, au numéro 18, derrière le théâtre Marinski, le bâtiment du grand lycée juif Eisenbeth (aujourd’hui caisse du théâtre Marinski).
Tout au bout de la rue des Décembristes, au numéro 57, se trouve la maison d’Alexander Blok , où il vécut de 1912 à 1921 et mourut.
Ce secteur se prolonge dans les alentours du canal Griboïedov, où se trouvait, au numéro 140, la société d’aide aux juifs pauvres avec sa soupe populaire et un mikveh.
L’île Vassilievski
Ce quartier, si populaire avec son marché dans la rue Bougskaïa, semble directement sorti d’une ville de Podolie, Tchortkow ou Jmerinka. Dans les rues adjacentes dites de 10e ligne ou de 5e ligne, se trouvait une école juive (la 14e école nationale juive au numéro 37 de la rue de la 10e ligne) et le musée de la Société historico-ethnographique juive (au numéro 50 de la 5e ligne), où travaillait Simon Dubnov, ouvert en 1916 par An-Ski, pseudonyme de Salomon Zainwil Rapoport, et qui fut fermé en 1929, en même temps que la plupart des institutions juives de Saint-Pétersbourg.
La synagogue chorale est le centre névralgique de la vie juive à Saint-Pétersbourg. Ce bâtiment imposant, avec une haute coupole, a été édifié en 1899 grâce à l’argent donné par de nombreux mécènes. La grande salle, restaurée a été rouverte en 2001. Contrairement à Moscou, c’est l’unique synagogue de la ville et elle regroupe toute la communauté juive. Ce lieu est aujourd’hui le centre de la communauté juive et regroupe toute les institutions qui en dépendent, yeshiva, cuisine casher, magasin, bibliothèque.
La mémoire de la communauté juive de Saint-Pétersbourg et, plus généralement des juifs de Russie est conservée à la bibliothèque du Centre communautaire juif , très bien fournie. On y trouve notamment une collection unique de samizdats juifs de l’époque soviétique et des périodiques juifs depuis le début de la perestroïka.
À la différence de Moscou, il existe à Saint-Pétersbourg un cimetière juif, Preobrajenskoié, assez excentré, au sud-est de la ville. Il est immense. Une synagogue construite en 1908-1912 par l’architecte Gewirtz s’élève à l’entrée, avec une sorte d’atrium, des colonnes. Bien entretenu, le cimetière témoigne de la vitalité de la communauté juive de Saint-Pétersbourg.