La Scandinavie n’a pas toujours été divisée selon les frontières étatiques actuelles. Lorsque le roi Christian IV ouvre le Danemark aux juifs (1588-1648), ce pays comprend le sud de la Suède, plusieurs villes d’Allemagne du Nord (Schlesvig-Holstein) où vivaient la majorité des juifs danois d’alors, mais aussi une partie des îles vierges, aux Antilles, où les juifs danois jouèrent un rôle primordial. En revanche, les juifs restèrent exclus des possessions danoises : la Norvège, l’Islande, les Îles Féroés et le Groenland.
La Norvège passa en 1814 sous domination suédoise et ne devint indépendante qu’en 1905. En 1851, après d’âpres débats, le Storting (« Parlement ») y autorisa l’émigration juive, qui resta marginale jusqu’au XXe siècle (200 personnes en 1890). La Suède avait autorisé l’émigration juive dès le XVIIe siècle sur un territoire qui comprenait la Finlande jusqu’en 1809, ainsi que dans des villes allemandes comme Altona et des cités de la Baltique à population juive comme Riga, Memel (Klaipeda) et Reval (Tallinn).
En Islande, l’Althing (« Parlement ») refusa en 1850 de voter la loi proposée par le roi du Danemark, autorisant l’entrée des juifs. Il revint sur sa position en 1855, mais malgré le rapide passage en 1874 du célèbre journaliste sioniste Max Nordau, aucun juif ne s’y installa avant le début des années 1900, lorsque l’expansion des pêcheries amena des juifs de Copenhague, actif dans l’armement maritime, à habiter Reyjavík. L’Islande adopta après 1933 une politique très restrictive d’accueil des demandeurs d’asile juifs et il n’y existe pas aujourd’hui de communauté organisée.
L’histoire du judaïsme scandinave est celle de communautés apprenant à vivre au sein de sociétés religieusement (le luthéranisme est religion d’État), linguistiquement et d’un point de vue ethnique très homogène. Ces terres traditionnelles d’émigration ne se sont ouvertes que vers la fin du XIXe siècle, et manifestent toujours aujourd’hui des mouvements xénophobes et populistes puissants.
Une ambiguïtés certaine caractérise les relations entre les pays scandinaves, Israël et les juifs. L’humanisme fait partie intégrante du message protestant : en conséquence, l’attitude des pays nordiques face à la Shoah fut plus active et digne que celle de nombreuses autres nations. Ainsi, le Danemark, envahi par les nazis, adopta une attitude courageuse puisqu’en 1943, les autorités réussissent à faire passer en Suède, juste avant une rafle allemande, 5191 juifs et près de 2000 individus « partiellement » juifs ou conjoints chrétiens de juifs. En Finlande, la demande de Himmler de déporter la communauté se heurta au refus catégorique du gouvernement. La Norvège, enfin, fut très largement résistante mais, envahie par les nazis, elle fut dotée d’un gouvernement fantoche, dirigé par le fasciste Vidkun Quisling qui mit en oeuvre une législation antisémite : 767 juifs furent déportés, la plupart à Auschwitz. La Suède, restée neutre, continua toutefois à entretenir des relations commerciales avec le Reich et fit montre d’une politique d’asile en deçà des besoin de l’heure.
L’humanisme conduit les Scandinaves à porter un intérêt soutenu au tiers-monde et au Moyen-Orient, où ils ont toujours assumé une position de médiation : c’est un suédois, le comte Bernadotte, qui fut le médiateur des Nations unies dans la guerre d’Indépendance et qui, à cause de son évidente partialité anti-israélienne, fut abattu le 20 novembre 1948 ; les premiers accords israélo-palestiniens ont été signés à Oslo, en 1993. La signification quasi-messianique que revêt la création de l’État d’Israël dans l’optique fondamentaliste protestante a conduit certains milieux à s’investir dans le soutien à la droite israélienne. Cependant, à côté de ces manifestations d’intérêt, la radicale étrangeté des juifs a provoqué, depuis le début du siècle, des réactions d’hostilité. Il existait avant 1939 un nazisme danois autochtone. En Suède, le philonazisme était répandu, et la Norvège ne s’est ouverte que trop tard à l’immigration des juifs persécutés par Hitler. Enfin, la tradition scandinave en matière de liberté d’expression, plus proche de la conception anglo-saxonne que du modèle français ou allemand contemporain, tolère la manifestation publique du néo-nazisme, avec parfois des conséquences dramatiques, comme en 1999 en Suède, où des groupuscules commirent une série d’attentats meurtriers.