La communauté juive estonienne est la plus petite des pays baltes est, historiquement, celle qui a joué le rôle le moins important dans le Yiddishland d’avant la Shoah. Il est vrai qu’elle ne compta jamais plus de 4500 membres.
Bien que présents dans le pays dès le XIVe siècle, les juifs ne s’y sont fixés qu’après 1865, date à laquelle le tsar aboli l’interdiction qui leur était faite d’y résider. Les « cantonistes », soldats juifs servant l’armée impériale, établirent la communauté de Tallinn en 1830 ; celle de Tartu fut fondée en 1866. Dans les deux villes, des synagogues furent bâties, respectivement en 1883 et 1900 : elles ont brûlé pendant la Shoah. Il ne reste rien des petites communautés de Narva, Valga, Pärnu et Viljandi, détruites pendant la guerre, et les juifs d’Estonie actuels sont, dans leur immense majorité, des russophones arrivés après 1945.
L’Estonie indépendante, pendant l’entre-deux-guerres, a correctement traité sa minorité juive, qui disposait de tous les droits civiques et, à partir de 1925, de l’autonomie culturelle. Une minorité choisit de s’établir en Palestine, où elle contribua à fonder deux kibboutzim célèbres : Kfar Blum et Ein Gev.
En 1940, l’occupation soviétique de l’Estonie mit fin à toute vie communautaire ; 400 juifs furent envoyés en camp de travail. l’invasion nazie, en juillet 1941, acheva de liquider la communauté, exterminée par les Einsatzgruppen avec la complicité active des collaborateurs locaux, notamment les militants du parti fasciste Omakaitse.
Après 1945, l’État soviétique brima toute forme d’activité culturelle juive : il ne reste qu’une petite communauté cultuelle qui entretenait le cimetière de Tallinn (toujours visitable). En revanche, l’un des effets de la politique antijuive soviétique en matière d’accès à l’éducation supérieure fut que nombre d’étudiants juifs de Moscou, Leningrad (Saint-Petersbourg) ou Kiev, vinrent à l’université de Tartu où à l’Institut polytechnique de Tallinn, beaucoup plus ouverts.
L’Estonie fut, en outre, pendant toute l’occupation soviétique, une porte de sortie assez facile pour les refuzniks, vers d’autres destinations, qu’ils s’agisse d’Israël ou des États-Unis d’Amérique. La communauté juive de Finlande, très proche géographiquement, aida depuis lors et aide toujours beaucoup les juifs estoniens.
La vie juive a redémarré en 1988 avec la création de la Société culturelle juive, puis d’une école dans les locaux de l’ancien gymnasium juif, encouragée par la graduelle perestoika.
Depuis l’indépendance retrouvée, en 1991, la communauté fonctionne librement : elle ne compte guère plus de 1000 personnes (pour la majorité des retraités) selon les sources officielles estoniennes -3000 selon les sources juives. En octobre 1993, une loi sur l’autonomie culturelle a de nouveau été votée.
On notera que, contrairement à ce qui se produit aujourd’hui en Lettonie et, à un moindre degré en Lituanie, les associations d’anciens Waffen SS estoniens n’ont aucun appui au sein des pouvoirs publics et l’extrême-droite est peu présente.
Rencontre avec Shmuel Kot, Grand rabbin d’Estonie
Jguideeurope : Comment percevez-vous l’évolution de la communauté juive depuis que vous y avez emménagé il y a 23 ans ?
Shmuel Kot : La communauté se développe à différents égards. Sur le plan religieux, culturel et organisationnel également. La synagogue est installée dans un bâtiment contemporain depuis 15 ans. Nous organisons de belles activités chaque shabbat, avec de nombreux invités. Pendant les vacances, nous proposons des cours de Talmud Torah pour les enfants ainsi que pour les adultes.
Avez-vous le sentiment que la communauté a acquis un rôle plus professionnel et officiel avec son développement ?
Oui, sans aucun doute. La vie juive d’aujourd’hui offre une grande diversité de possibilités dont on peut profiter. La plupart de nos membres sont russophones, mais nous avons également un groupe important de membres français. Juste avant le COVID, en raison du nombre croissant de membres français, quelqu’un a fait don de vingt livres de prières en français-hébreu. La vie juive est très différente en hiver et en été. Pendant l’hiver, il n’y a presque pas de lumière du jour. Les gens sont plus actifs à l’intérieur. En été, le shabbat peut commencer parfois à 23 heures ! La nuit de Shavuoth, où les Juifs étudient toute la nuit, doit également être réadaptée. La vie est très agréable ici. Les gens peuvent être juifs très ouvertement, il n’y a pas d’antisémitisme et les relations avec la minorité musulmane sont également bonnes.
Existe-t-il de nouvelles façons de partager le patrimoine juif ?
Le pays fait de nombreux efforts pour le partager. Et les lieux liés aux pages lumineuses et sombres de ce patrimoine sont partagés aujourd’hui. Le plus ancien cimetière a été détruit par les Russes il y a longtemps. Un nouveau cimetière a été ouvert et est toujours utilisé aujourd’hui. Le musée juif offre une bonne description de cette évolution, présentant les débuts de la vie juive en Estonie au 19ème siècle avec l’installation de jeunes soldats juifs, l’ère de prospérité de la vie culturelle juive entre les deux guerres mondiales avec par exemple les événements Maccabi et la tragédie de l’Holocauste.
L’Estonie a été à la fois le premier pays à accorder aux Juifs une autonomie culturelle dans les années 1920, et le premier à se déclarer Judenfrei pendant l’Holocauste ! Le musée présente également la vie juive pendant l’ère soviétique.
Êtes-vous souvent contacté par des personnes extérieures à l’Estonie qui souhaitent en savoir plus sur les faits historiques et leur généalogie ?
Tous les jours ! Les gens nous contactent pour diverses recherches. Certaines archives que nous avons mises à la disposition du public et d’autres qui sont conservées par les autorités locales, que nous essayons d’obtenir pour eux. Le gouvernement estonien fait de nombreux efforts pour permettre la mise en ligne progressive de ces documents. Nous venons de découvrir qu’un membre de notre synagogue a été adopté et a découvert ses racines juives grâce à ces documents.