Quelques centaines de juifs espagnols, arrivés sur les rivages de l’Adriatique, jouent pendant des siècles un rôle clé dans le développement de ces principautés du littoral, et contribuent largement à leur prospérité. Exploitant leurs relations avec leurs coreligionnaires installés à Venise et Constantinople, les juifs de Dalmatie apportent une contribution précieuse à ces cités adossées à la montagne, qui ne survivent que grâce à un habile jeu de balance entre l’Empire ottoman et la Cité des Doges.
Habitant les mêmes quartiers mais rarement soumis à l’institution du ghetto, il saluent néanmoins les premiers effets de la Révolution française, ou plutôt de son prolongement napoléonien. Le décret adopté le 22 juin 1808 par le maréchal Marmont, duc de Raguse (Dubrovnik), assure aux juifs l’égalité des droits avec les autres citoyens. Lorsque les Autrichiens prennent possession des territoires, en 1814, ils commencent par restaurer l’ancienne législation.
Pourtant, peu après, c’est l’émancipation complète. La région connaît un déclin certain au cours du XIXe siècle, du fait de son enclavement et de la décomposition progressive de l’Empire ottoman qui la borde. Les communautés juives locales, déjà peu nombreuses, ne maintiennent leurs maigres effectifs qu’avec l’arrivée de coreligionnaires en provenance de la Bosnie turque, où la situation économique est moins enviable encore.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Dalmatie sert, à titre provisoire, de refuge pour les juifs pourchassés ailleurs en Yougoslavie. Mussolini a, en effet, obtenu de Hitler la concession du littoral, dont deux villes, Rijeka (Fiume) et Zadar, sont déjà sous contrôle italien depuis la fin de la Grande Guerre. Lorsque le gouvernement italien capitule, en septembre 1943, l’armée allemande se précipite sur la côte et traque les juifs. Une partie de la communauté réussit cependant à se réfugier dans les zones libérées par les partisans yougoslaves. Un bataillon juif parvient même à se constituer dans l’île de Rab, où les italiens ont interné une partie de la communauté. D’une manière générale, les juifs yougoslaves ayant réussi à échapper aux oustachis et aux nazis prennent une part très active à la Résistance, fournissant aux troupes de Tito l’essentiel de leurs services de santé.
Moshe Maralio a fait contre mauvaise fortune bon coeur quand l’archevêque de Dubrovnik lui refuse le poste de médecin en chef de la République. Pour ce juif italien, arrivé de Barletta en 1494, l’essentiel est de pouvoir continuer à exercer à titre privé, jouissant de l’estime de tous dans la ville et même au-delà, puisque les dignitaires turcs de la Bosnie environnante font régulièrement appel à ses services. Maralio a pourtant le triste privilège d’être victime de l’une des rares accusations de « crime rituel » proférées contre les juifs de la côte dalmate. Son procès et celui de neuf de ses coreligionnaires, tel qu’on peut le reconstituer à partir des archives historiques de Dubrovnik, s’est tenu du 5 au 11 août 1502. Accusés, apparemment sans la moindre preuve, d’avoir arraché le coeur d’une vieille femme, la moitié des prévenus furent torturés à mort, les autres brûlés vifs.