Metz étonne pour de nombreuses raisons. Tout d’abord la richesse de son architecture médiévale et celle des siècles suivants, influencées par les nombreuses conquêtes et reconquêtes. Avec ses palais symboles d’autorité, fortifications protectrices et ponts vers les autres rives et cultures qui se fondent harmonieusement. Metz est donc tout sauf une ville avec un quartier central muséifié. C’est une ville préservée et stimulée dans sa continuité culturelle pour le bonheur des touristes et la fierté des locaux.
Une ville célèbre pour sa splendide cathédrale, ses entrainantes places de la Comédie et Saint-Jacques, les maisons de François Rabelais, Paul Verlaine et André Schwarz-Bart et ses nombreuses maisons construites avec la pierre de Jaumont. Et bien sûr ses prestigieux musées, parmi lesquels le Musée de la Cour d’Or retraçant l’histoire de la ville et le Centre Pompidou-Metz, traçant le lien artistique entre passé, présent et futur, comme il le fit en 2019-2020 lors de sa splendide exposition dédiée à Sergueï Eisentein.
La présence juive en Lorraine semble remonter à l’Antiquité. Néanmoins elle n’est attestée à Metz qu’en 599 dans les courriers échangés entre le pape et les rois d’Austrasie. Les principaux lieux consacrés au patrimoine culturel juif messin se situent dans un périmètre relativement petit, entre la synagogue et la En Jurue , rue du ghetto où se trouvait probablement une très ancienne synagogue, où l’on peut voir encore la porte du ghetto et où vivait d’ailleurs André Schwarz-Bart. A proximité, au Cloître des Récollets, sont préservées les archives municipales de Metz, très utiles pour les chercheurs. L’ancien cimetière juif est plus éloigné.
Autre lieu incontournable pour connaitre l’histoire de Metz, le Musée de la Cour d’Or , à l’intersection du triangle formé par la cathédrale, le cloître et la synagogue. Ses nombreuses salles permettent aux visiteurs de découvrir les 2000 ans d’histoire messine, grâce notamment aux statues et mosaïques gallo-romaines, parures et armes médiévales et peintures modernes de l’Ecole de Metz.
Une salle est également dédiée au patrimoine culturel juive messin. Le projet « Mémoire pérenne » a été lancé au musée en 2023, afin de renouveler la muséographie de l’histoire de cette communauté. Cela, en partenariat avec les Journées Européennes de la Culture, sous l’impulsion de sa présidente, Désirée Mayer et avec la participation de l’artiste Jean-Christophe Roelens. Une présentation très harmonieuse mêlant œuvres d’art, objets anciens, contenus technologiques interactifs, photos et textes explicatifs, permettant aux visiteurs d’apprécier la diversité et l’ancienneté du patrimoine culturel juif messin.
Histoire des juifs de Metz
Le premier document officiel attestant de cette présence est un concile provincial du moyen âge qui interdit aux chrétiens de s’attabler avec des juifs. Néanmoins, de nombreux chrétiens ne le suivront pas et les échanges amicaux et intellectuels se poursuivront autour de ces tables. Notamment lorsque Sigebert de Gembloux (1030-1112) consulte des érudits juifs pour traduire des passages de la Bible. Cette époque où la région qui s’étend de la Champagne aux communautés rhénanes de Spire, Worms et Mayence, en passant par l’Alsace et la Moselle, accueillera un extraordinaire développement de la pensée juive.
Le représentant messin le plus influent de cet âge d’or intellectuel est Rabbénou Gershom. Né à Metz en 960, il devient la principale figure du judaïsme lorrain médiéval. Surnommé la « Lumière de l’exil » par Rachi, qui fut l’élève de ses élèves, il dirigea une école talmudique à Mayence. Il fut connu pour ses ordonnances organisant la vie familiale, notamment celle interdisant la polygamie et celle concernant la répudiation de l’épouse sans son accord, remplacée grâce à lui par le divorce en bonne et due forme. Ces ordonnances seront adoptées progressivement par toutes les communautés juives.
Cet âge d’or prend fin à Metz en 1096 avec le massacre de 22 juifs messins lors de la première croisade, parmi lesquels Samuel Cohen, le chef de la communauté constituée alors d’une centaine de familles. De nombreuses conversions forcées eurent lieu à cette époque.
Les yeshivot reprennent leurs activités au 12e siècle, sous l’influence des écoles de tossafistes. Parmi ses glorieux élèves, Rabbi Eliezer, tossafiste ayant suivi l’enseignement de Rabbénou Tam et auteur d’ une des premières tentatives de codification de la loi juive. Autres érudits de l’époque, le tossafiste David de Metz, Juda de Metz et Samuel ben Salomon de Falaise. Les « savants de Lorraine » entretenaient de nombreux échanges intellectuels à la fois avec les penseurs français et allemands.
En 1237, les juifs étrangers entrant à Metz se voient obligés de payer un droit de trente deniers. Jusqu’à l’expulsion des juifs du duché en 1477, les juifs messins, à l’image de nombreuses autres communautés en France et en Europe, seront tantôt accueillis chaleureusement ou encouragés à partir selon l’appréciation socio-économique fluctuante des dirigeants politiques et religieux. La communauté juive messine disparait progressivement à la fin du 13e siècle. Seul témoin de cette époque les maisons de la En Jurue.
De la fin du 15e siècle au 17e siècle, de rares retours individuels sont constatés à Metz et de toutes petites communautés se maintiennent dans la région. En 1567, les juifs obtiennent du maréchal de Vieilleville le droit de résidence à Metz, afin que les juifs participent au ravitaillement de l’armée en chevaux et en blé. Certains s’établissent dans une ruelle (aujourd’hui nommée rue d’Enfer), entre la En Jurue et le cloître des Récollets.
En 1604, près de 120 juifs messins habitent dans la ville. Quinze ans plus tard, une synagogue est inaugurée. La communauté s’organise à partir de cette époque et est reconnue par l’ordonnance du duc de La Valette en 1624. Les nouveaux arrivants s’installent notamment dans le quartier Saint-Ferroy. La population juive augmente le long du siècle, passant de 398 en 1621, à 665 en 1674 et 1080 en 1698.
De lourds impôts sont régulièrement imposés aux juifs de la ville, ainsi que des limitations à l’accès à l’emploi. En 1670, Raphaël Lévy fut jugé et exécuté à Glatigny, accusé de meurtre rituel. Des mesures anti-juives sont prises dans cet élan. En 1717, la communauté juive messine comprenant plus de 2000 personnes est alors la plus grande de France, notamment grâce à la venue de juifs allemands.
Le souffle de l’Emancipation de 1789 atteint la région lorraine également. C’est d’ailleurs dans la région, inspirée également par l’œuvre de Mendelssohn et la Haskalah, que le périodique Ha-Meassef compte le plus d’abonnés après Berlin.
Le ministre Malesherbes anime une commission dans ce sens à laquelle participent le Nancéen Berr Isaac Berr et les Messins Pierre-Louis de Lacretelle et Pierre-Louis Roederer. Ce dernier fut l’instigateur du concours organisé par la Société des sciences et arts de Metz qui soumit à la réflexion des candidats la question « Est-il des moyens de rendre les juifs plus utiles et plus heureux en France ? ». Trois mémoires furent couronnés : ceux de Claude-Antoine Thiéry, Zalkind Hourwitz et surtout celui de l’Abbé Grégoire (1750-1831). Lequel défendit à l’Assemblée nationale l’accès aux droits et devoirs de la citoyenneté pour les juifs. Son « Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs » parait en 1789 après avoir remporté le prix de l’Académie. Autres engagements importants, l’Abbé Grégoire combat l’esclavage des noirs et contribue à la création du CNAM.
L’Emancipation des juifs décrétée le 27 septembre 1791 leur permet donc d’accéder aux écoles, métiers et obligations de tout citoyen. Suite à la Révolution, les juifs de Metz obtinrent la nationalité française en 1791 et la liberté de culte leur fut reconnue en 1792. Symbole de cette évolution, Isaïe Berr Bing entre alors au conseil municipal. L’école talmudique, créée en 1821, devient l’école rabbinique de France en 1829, symbole de la grande place toujours attribuée à l’érudition dans la région. Elle sera transférée à Paris trente ans plus tard.
Tout le long du 19e siècle, le judaïsme lorrain baisse en nombre de membres, au profit des régions parisiennes et lyonnaises. Ainsi, en 1853, ils ne sont plus que 1300 juifs messins, trois ans après la reconstruction de la synagogue consistoriale. Parmi les figures importantes de cette époque et preuve du dynamisme du judaïsme lorrain, on peut citer le grand rabbin Lazare Isidor (1813-1888), né à Lixheim et qui fit ses études rabbiniques à Metz. Ainsi que le mathématicien et réformateur Orly Terquem (1782-1862) et surtout Samuel Cahen (1796-1862), le premier traducteur juif de la Bible hébraïque en français et fondateur en 1840 de la revue Les Archives israélites de France.
Lorsqu’éclate la guerre de 1870, les juifs messins s’engagent pour défendre la France, à l’image du grand rabbin Benjamin Lipman (1819-1886) qui visite avec l’évêque l’hospice israélite où sont soignés les combattants de toutes les confessions. Suite à l’annexion allemande, Lipman et de nombreux autres juifs optent pour l’exode. La victoire de 1918 permettra un retour apaisé. Le conflit de 1870, ainsi que la Première Guerre mondiale encouragèrent l’arrivée de réfugiés juifs en Lorraine, notamment à Metz. Ainsi, la population juive passe de 2000 en 1866 à 4150 en 1931. Parmi les figures importantes de l’Entre-deux-guerres, le grand rabbin Nathan Netter (1866-1959), apprécié pour ses textes très patriotiques et son l’implication pour les pauvres.
Suite à l’attaque allemande le 10 mai 1940, Metz fut bombardée. Le 10 juin, Victor Demange (1888-1971) saborde son journal Le Républicain Lorrain, qui ne paraitra qu’après la Libération de la ville. Le 14 juin 1940, le préfet de la Moselle ordonne au maire de quitter Metz, déclarée ville ouverte, créant un vent de panique chez la population qui fuit. Les Allemands entrent dans la ville le 17 juin et opèrent une germanisation systématique, l’Alsace et la Lorraine mosellane étant annexées de fait. La langue allemande devenant la langue officielle, les rues rebaptisées et les statues de héros français déboulonnées.
Les expulsions et spoliations débutèrent rapidement, ainsi que l’embrigadement de la jeunesse et le contrôle total de la Gestapo. Pendant ce temps, des mouvements de Résistance se créent à Metz et dans la région, notamment autour de l’instituteur Jean Burger (1907-1945). Le fort de Queuleu est transformé en camp d’internement et de transit. La gare de Metz sert d’ailleurs de lieu transitoire pour de nombreux déportés des camps français vers les camps allemands.
Autre guerre, autre héros rabbin : Elie Bloch. Né le 9 juillet 1909 à Dambach-la-Ville, ce fils de rabbin devient ingénieur textile avant d’opter lui aussi pour la voie ecclésiastique. Il est nommé rabbin adjoint de Metz en 1935, en charge de la jeunesse. Avec l’aide du père Jean Fleury, l’aumônier des Tsiganes du camp de Poitiers, il organise la fuite de nombreuses familles dans les campagnes, ainsi que des réseaux de solidarité. Le 17 décembre 1943, Elie Bloch, sa femme Georgette et Myriam, leur fille âgée de 5 ans, sont déportés et assassinés à Auschwitz, comme le seront des milliers d’autres juifs messins. La rue sur laquelle se trouve la synagogue porte aujourd’hui son nom.
Le 20 novembre 1944, les premières troupes américaines pénètrent dans le nord et le sud de Metz, accompagnées de soldats français. La ville est libérée le lendemain. Le 22 novembre, le général américain Walker remet la ville aux autorités françaises et le maire Gabriel Hocquard reprit ses fonctions.
La communauté juive se reconstruit difficilement après la guerre, ayant perdu un grand nombre de ses membres. Dans les années 1960 des juifs d’Afrique du Nord participèrent à ce deuxième souffle.
A 700 m de la synagogue, en face de la mairie, se trouve la Cathédrale de Metz, probablement une des plus belles de France, impressionnant édifice de 123 m de longueur et 88 m hauteur. Ses fenêtres hautes atteignant 14 m permettent à la lumière de pénétrer abondamment et de mettre en valeur les vitraux de nombreux artistes qui les ont créés du 13e siècle à notre époque contemporaine.
Parmi ces vitraux, ceux d’un certain Marc Chagall.
Sur les deux fenêtres de l’abside nord, Chagall revisite des épisodes de la Bible, du sacrifice d’Isaac aux inquiétudes du prophète Jérémie en passant par la lutte de Jacob avec l’ange, les Tables de la Loi reçues par Moïse et le chant de David. Une œuvre datant de 1959.
L’année où le Prix Goncourt est attribué pour Le Dernier des Justes à la plus grande figure juive messine contemporaine : André Schwarz-Bart (1928-2006). L’auteur est né à Metz le 23 mai 1928 et grandit une partie de son enfance dans une maison située au 23 En Jurue. Ses parents et un de ses frères sont arrêtés avec d’autres membres de la famille et déportés et assassinés à Auschwitz. André Schwarz-Bart rejoint la Résistance en 1943. Combattant FTP, il participe à la Libération de Limoges.
Après la guerre, il reprend ses études et travaille dans des ateliers de tailleurs et à l’usine. Il met huit ans à écrire son livre, douloureux regard sur son passé et la perte de sa famille. Suite à la publication du Dernier des Justes, il se consacre à la dénonciation de l’esclavage et aux civilisations des peuples noirs. Il cosigne La Mulâtresse Solitude avec Simone Brumant qu’il épouse en 1961 et avec qui il s’installe en Guadeloupe en 1974. Simone Schwarz-Bart est d’ailleurs revenue dans un livre publié en 2019 sur leur belle histoire conjuguée d’amour et de littérature.
Rencontre avec Désirée Mayer, présidente des JECJ-Lorraine, figure incontournable de la vie culturelle régionale, à l’origine avec le bureau des JECJ-Lorraine de la refonte de la salle dédiée au patrimoine culturel juif messin du Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole.
Jguideeurope : Comment est né le projet de la salle du Musée consacrée à l’histoire juive messine ?
Désirée Mayer : Comme tout projet bon et vivant, celui-ci a plusieurs sources. Il y avait au musée une salle juive, presque vide et nullement attirante. Il y avait en amont une histoire juive locale, qui ne demandait qu’à être contée, des objets rituels, qui ne demandaient qu’à l’incarner et des traces mémorielles de toutes sortes qui cherchaient à s’exprimer. Il y avait enfin la détermination de l’équipe des Journées européennes de la Culture juive- Lorraine, affermie par la bienveillance et l’extrême compétence de la direction et du personnel du Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole. Mais nous n’oublions pas le modèle inspirant de la Maison Rachi de Troyes, ni tous ceux, assez nombreux, institutions, fondations et associations mécènes, qui ont compris l’intérêt du projet et qui l’ont soutenu.
Quels ont été les changements apportés en 2023 ?
A l’initiative de la direction du Musée, les JECJ-Lorraine ont fait exécuter des photographies de l’intérieur de la Synagogue consistoriale de Metz et de l’Arche sainte, de sorte que, dès son arrivée, le visiteur est accueilli dans une perspective d’intériorité. Avec une aide européenne et le soutien de mécènes, notamment de la Fondation Demathieu Bard et l’association Bnaï-Brith Elie Bloch, nous avons pu offrir au musée une table numérique tactile, avec un logiciel qui permet une véritable plongée dans la Bible. Les visiteurs et surtout les jeunes l’adorent. Les surveillants de salle s’en sont fait les médiateurs investis. L’association a enfin exposé un magnifique « Salon Judaïca », réalisé pour les JECJ-Lorraine, par Jean-Christophe Roelens, un artiste messin. Ce salon artistique et pédagogique, inspiré du « Club ouvrier » de Rodtchenko a été augmenté, pour la circonstance, d’un élément significatif, qui symbolise Metz et le Judaïsme.
La transmission a toujours été un élément central de votre engagement dans l’enseignement et l’action culturelle. Est-ce cela qui a motivé votre implication dans ce projet et aux JECJ ?
Plus que dans n’importe quel autre projet, cette entreprise de réfection de la salle juive du Musée de Metz réalise notre désir de transmission et de partage de la culture juive. Le caractère pérenne de cette institution prestigieuse, au sein d’un musée in situ, riche d’une histoire bimillénaire, ne peut que faire résonner les valeurs universelles de la culture et de la spiritualité juives. Les visiteurs, très nombreux, et plus particulièrement les jeunes, nous permettent d’espérer qu’ici, par cette action, la transcendance et la descendance peuvent entamer un dialogue infini. C’est là, exactement, l’éternel rêve des « passeurs » et de ceux qui souhaitent transmettre.
Quel lieu ou personnage peu connu lié à ce patrimoine mériterait selon vous d’être mis en lumière ?
Votre question me met à la torture. Car si l’Eternel est Un, toutes les autres références ne peuvent qu’être plurielles. Sans nulle revendication chrétienne, accordez-moi, je vous prie d’évoquer une trinité, voire un quatuor. D’abord, bien entendu : la synagogue consistoriale de Metz, riche d’histoire et de symboles, et qui – grâce à la Fondation du patrimoine, de l’Etat et de la Ville de Metz – est actuellement, en rénovation. Ce bâtiment du milieu du 19e siècle, redeviendra un joyau. En second lieu, je mettrai les vitraux de Chagall, dans la Cathédrale Saint Etienne de Metz, et tout particulièrement le triforium, si atypique, du transept gauche. Enfin, je choisirais les mémoires de la chroniqueuse Glickel von Hammeln et surtout à deux siècles d’intervalle, le formidable « Dernier des justes », de l’auteur juif messin, André Schwarz-Bart.