France / Normandie

Le Havre

Le tournage de Quai des Brumes au Havre

La ville normande est principalement connue pour son port, le deuxième plus important de France après Marseille. Un port immortalisé dans le grand film Le Quai des Brumes réalisé par Marcel Carné et Jacques Prévert. Les yeux de Michèle Morgan dans ceux de Jean Gabin et la présence d’autres immenses acteurs comme Pierre Brasseur et Michel Simon.

La communauté havraise existait depuis au moins les années 1920, avec la venue de juifs tunisiens après la Première Guerre mondiale.

Il y avait auparavant une présence de juifs ashkénazes qui travaillaient au Havre, principalement dans le commerce du café et du coton et qui résidaient en grande partie à Paris.

Synagogue du Havre avant les rénovations. Photo de Rudy Sevi

Le Havre étant surnommé à l’époque le premier port avant les Amériques, des migrants passaient donc par la ville pour s’y rendre. Certains sont restés sur place, trouvant le cadre de vie agréable. Pour ces mêmes raisons stratégiques, Le Havre constituait une prise stratégique pour les envahisseurs allemands qui transforment la ville en base navale.

Léon Meyer, qui fut maire de 1919 à 1940, adopta une politique de construction de logements à prix modérés et augmenta les services municipaux en matière d’aide sociale, ce qui lui valut un fort soutien populaire et ouvrier. Il milita également pour l’égalité homme-femme. Démis de ses fonctions par le pouvoir pétainiste, il fut déporté et survécut aux camps.

Il y avait 300 juifs au Havre à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. La majorité habitaient le quartier populaire de Notre-Dame. Les juifs durent fuir et une quinzaine furent déportés.

Synagogue du Havre en 2020. Photo de Rudy Sevi

En tout, 900 personnes sont arrêtées en Normandie en raison de leur judaïsme. 740 sont déportées. Pendant ce temps, les réseaux de Résistance du Havre aident les Renseignements britanniques.

La synagogue de la rue Victor Hugo a été attribuée en tant que dommage de guerre par la mairie. L’ancienne synagogue se trouvait dans le quartier de Saint-François, près de la plage et des autres quartiers bombardés par les alliés avant le Débarquement.

La ville du Havre était en grande partie détruite par ces bombardements effectués entre 1942 et 1944, ce qui était également le cas pour la synagogue et les lieux de culte chrétiens, ainsi que les représentations institutionnelles et culturelles. Des milliers de Havrais décèdent, pris entre les deux feux.

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Photo de Gabriel Elalouf

En 2017, une vingtaine de lycéens volontaires participent avec leurs enseignants d’histoire-géographie à un grand projet de cartographie de la Shoah au Havre. Retracer les persécutions mais aussi évoquer la vie juive de l’époque et transmettre cette partie peu connue de l’histoire de leur ville.

Dans les années 50, on attribua à la communauté un terrain sur lequel il y avait une caravane provisoire en attendant l’obtention de droits pour la reconstruction d’une synagogue. Un peu plus tard, un local fut attribué qui ressemblait à une sorte de hangar, transformé en  synagogue , rue Victor Hugo.

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Photo de Gabriel Elalouf

Les séfarades d’Afrique du Nord dans les années 60 permit aux nombre de juifs d’atteindre entre près de 220 familles. Dans ces années d’après-guerre, la communauté était présidée par Mr Bauer, propriétaire d’un grand magasin de prêt à porter dans le centre-ville. Le Rabbin Salomon Abikzer fit un travail important afin d’unifier la communauté, Ashkénazes et Sépharades, notamment dans le rituel. A titre d’exemple, le rabbin fit imprimer un sidour où se trouvaient les deux rituels, utilisé pour les fêtes de Tichri.

De 1965 à 1978, Armand Renassia est élu président de la communauté. Il poursuivit son développement, notamment à travers la création d’un espace culturel, la présence de la Wizo et de la Coopération féminine dirigée par Jacqueline Elalouf. Et celle de mouvements jeunesse comme le Dejj et le Bétar.

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Photo de Gabriel Elalouf

Le tout accueilli dans un bâtiment loué dans la ville. Son fils Denys fut ensuite élu pour prendre la relève jusqu’en 1983. Arnold Juris lui succéda, puis Jacques Elalouf en 1986.

La structure de la synagogue est assez originale. Avec un plafond en double vitrage sur le toit qui permet à la lumière de prendre une grande place dans le lieu, ainsi que des vitraux sur les côtés.

Victor Elgressy, le président actuel depuis 1998, a effectué en 2020 des travaux de rénovation à l’intérieur de la synagogue mais les structures restent semblables. Avec à ses côtés le Rabbi Dov Lewin. Une centaine de familles juives habitent aujourd’hui au Havre.

Page écrite avec l’aide de Denys Renassia.

Sarah Hakon Attal, qui a passé toute sa jeunesse au Havre, nous raconte la vie de cette petite communauté très dynamique. Experte en optique, elle est actuellement coach et formatrice en neurosciences à Paris.

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Photo de Gabriel Elalouf

Jguideeurope : Que représente pour vous la synagogue du Havre ?

Sarah Hakon Attal : La synagogue du Havre représente pour moi un lieu de culte et bien plus. Nous y allions avec mon père, Guy-Pierre Hakon, le vendredi soir, le samedi matin et lors des fêtes afin de prier et retrouver les autres membres de la communauté.

Le Rabbin Salomon Abikzer et le Président Armand Renassia, puis Denys Renassia et Jacques Elalouf, faisaient en sorte que règne une atmosphère chaleureuse à la synagogue du Havre.

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Photo de Gabriel Elalouf

Après les prières, il nous arrivait d’organiser des repas de shabbat et des séders tous ensemble autour de grandes tables garnies de nourriture préparée par les familles. Le Rabbin Abikzer créa une unité au sein des fidèles et transmit les valeurs de la vie juive. Sa femme Flory, toujours présente, nous recevait dans leur maison.

Le vendredi soir, mon père amenait régulièrement des invités surprises à la maison. Ma mère, Nadine Hakon, se chargea alors de préparer assez de couscous pour accompagner ces moments de joie et de chaleur. La synagogue du Havre se situe toujours au même endroit, rue Victor Hugo, en face de mon école primaire, La Mailleraie.

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Photo de Gabriel Elalouf

Quels sont les autres lieux emblématiques de la vie juive ?

Les lieux étaient ceux des rendez-vous gastronomiques, dans les établissements de la ville et surtout les uns chez les autres. Parmi les restaurants, le Sélect, dirigé par Jacques et Jacqueline Elalouf et leur Brasserie du Théâtre.

De nombreuses fêtes associées à la vie juive du Havre, comme les bar-mitsvoth, s’organisaient au Sélect. Le samedi et le mercredi après-midi, nous pratiquions le karaté shotokan chez Maître Emile Elalouf et après, tous ensemble, nous allions goûter à la Brasserie du Théâtre pour savourer les pâtisseries.

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Photo de Gabriel Elalouf

Les déjeuners ou dîners chez Sol Elalouf, surnommée MamaSol par son entourage, étaient exceptionnels. MamaSol me demandait de m’assoir près d’elle sur son canapé, j’étais flattée et heureuse avec nos sourires qui en disaient longs.

Autres lieux emblématiques, les apéros interminables et passionnants chez les familles Renassia, Taieb, Princ, Guedj, Loutaty, Sasportas, Elalouf, Elgressy, Blum, Sevi, Cutas, Tayar, Sembel, Goldfarb, Revah, Zysman, Donnard, Benchetrit, Safar, Chetboun, et Juris… et chez nous.

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Photo de Gabriel Elalouf

Traditions sépharades et ashkénazes se partageaient avec enthousiasme. J’ai appris à apprécier les spécialités ashkénazes comme les kneidlers de Dora Juris. Depuis, je les prépare chaque Pessah.

La Mimouna, célébrée après Pessah, était incroyable. Je commençais par manger le couscous au beurre préparé par ma mère. Puis, je rejoignais mes amis pour effectuer le tour des maisons et goûter les moufletas de Salomon Elalouf, puis celles de Odette Cohen et de Madame Asséraf. Le tout arrosé de la boisson traditionnelle de nos tables, la Phénix de Moïse Taïeb.

Photo de Gabriel Elalouf

Il y avait une vie juive très agréable au Havre et dans toute la région. On organisait aussi des bals avec les communautés de Rouen et Caen. Ainsi, le temps d’une soirée s’opéra une fusion des trois villes avec musique, repas, danse et rires. Pendant les fêtes, Monique Cohen Berda et Martine Asséraf effectuaient des démonstrations de danse orientale.

Beaucoup de mes amis ont fait leur alya en Israël. Mon père n’a pas voulu me laisser seule et je suis partie du Havre à mes 15 ans au lycée Maimonide à Boulogne. Mais il reste encore de nombreuses familles perpétuant le même enthousiasme qu’il y a 30 ans. Cette communauté perdure. Lorsqu’en vacances je revois certains Havrais, c’est comme si je les avais quittés la veille.


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