Etrange sensation en arrivant à Drancy. L’ancien camp d’internement et le Mémorial de la Shoah qui lui fait face sont situés à proximité du croisement entre les avenues Jean Jaurès et Henri Barbusse. Où il y a de nombreux commerces, cafés, marchés… Une grande population qui habite la ville de Drancy, située dans la Seine-Saint-Denis.
Serait-ce un défi de pousser cette porte, d’entrer dans le Mémorial afin de découvrir cette histoire si douloureuse qui s’y est déroulée ? Surtout avec les traces aussi présentes de ces bâtiments en forme de U qui constituaient le camp, juste en face du Mémorial.
Le le Mémorial de la Shoah de Drancy n’attend pas que ses portes soient ouvertes par les visiteurs. Il dresse des ponts entre le passé et le futur, en organisant de nombreux ateliers thématiques et pédagogiques, rencontres scolaires, événements culturels, et expositions temporaires, en plus de son exposition permanente. Cela, afin de sauvegarder la mémoire et faciliter la transmission, en particulier vis-à-vis de la jeunesse.
Drancy est une ville située au nord-est de Paris. On la rejoint, soit en voiture ou en prenant le RER ou métro, puis un bus. A 200 mètres du croisement entre les avenues Jaurès et Barbusse, après le gymnase, on arrive sur le site de la cité de la Muette , qui devint le camp d’internement de Drancy pendant la guerre.
Lequel entoure l’esplanade rebaptisée Charles de Gaulle après la guerre en hommage au général qui se souleva contre le régime collaborationniste de Vichy, avec son appel de Londres effectué le 18 juin 1940, refusant la capitulation de la France. La plaque a été posée en 1990.
A côté de celle-ci, une plaque rend hommage aux Justes parmi les nations de Drancy : Alphonsine Bâtisse, Pierre Bâtisse, Hélène Drouhin, René Drouhin, Benjamin Gibrat, Camille Mathieu et Denise Mathieu. Sous ces noms, une citation de Simone Veil, la survivante des camps, symbole de courage et de résilience par son parcours personnel et politique. La plaque fut inaugurée par Aude Lagarde, maire de Drancy et le député Jean-Christophe Lagarde.
La construction de la cité de la Muette se déroula entre 1930 et 1937, avec pour ambition une forme d’habitation collective « moderne », à l’initiative de l’Office départemental de l’habitat. En juillet 1940, le bâtiment est réquisitionné par les Allemands pour y interner les prisonniers de guerre français et britanniques.
Le camp de Drancy est vidé des prisonniers de guerre en juillet 1941, en vue de la seconde rafle des juifs parisiens. Plus de 4200 Juifs, tous des hommes, sont arrêtés et internés au camp de Drancy. Comme le rappellent des plaques posées sur un mur extérieur de l’immeuble de droite. 63 000 juifs parmi les 76 000 déportés de France, entre 1942 et 1944, seront envoyés dans les camps d’extermination nazis à partir de Drancy.
Suite à la Libération, à partir de septembre 1944, le camp sert de prison pour les personnes suspectées de collaboration. La cité de la Muette est ensuite réadaptée afin de pouvoir accueillir des habitations, lesquelles sont proposées à la location à partir de 1948.
Le monument commémoratif est érigé bien plus tard, en 1976, sous l’impulsion d’un comité dirigé par Maurice Nilès, maire de Drancy et ancien Résistant. Il a été réalisé par le sculpteur Shlomo Selinger. Né en Pologne en 1928, il fut déporté avec sa famille en 1942. Il survécu à de nombreux camps de concentration, ce qui ne sera pas le cas de ses parents et d’autres membres de sa famille.
Migrant en Israël, il y apprend le dessin et la sculpture. Formation qu’il poursuit à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1956. Il crée des centaines d’œuvres. En 1973, il reçoit le premier prix du concours international lancé pour la réalisation du monument commémoratif de Drancy. Suite à cela, il participe à de nombreuses rencontres avec des élèves partageant son récit et ce gout pour la vie qui aida sa résilience.
Le wagon du souvenir, situé à proximité du monument commémoratif, a été installé en 1988.
Le Mémorial de la Shoah de Drancy a été réalisé à l’initiative de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Situé en face de la cité de la Muette, il a été conçu par l’architecte Roger Diener et inauguré en 2012 par le président de la République François Hollande.
Le sous-sol de l’immeuble du Mémorial de la Shoah à Drancy accueille les expositions temporaires. Au premier étage, on peut s’informer dans le centre de documentation, le deuxième étage accueillant des salles pédagogiques. L’exposition permanente est située, elle, au troisième étage.
A l’entrée de celle-ci, on aperçoit une série de vidéos à gauche et une chronologie du lieu depuis sa construction en 1931 à droite. Chacune des vidéos dure plusieurs minutes, racontant en images et témoignages différents moments et aspects de l’histoire du camp d’internement de Drancy. Les films de l’ellipse et de l’ensemble de l’exposition ont été réalisés par Patrick Rotman.
La première vidéo est consacrée à la rafle du 20 août 1941 et l’arrivée des juifs internés au camp de Drancy. On montre comment les gendarmes ont bouclé le 11e arrondissement de Paris où vivaient alors de nombreux juifs des classes populaires. Des témoignages, notamment celui d’un monsieur qui explique comment ce jour-là un gendarme lui demande de mettre son vélo sur le côté, de monter dans un car avec d’autres, sans savoir que sa destination serait Drancy.
Dans la 2e vidéo, ce sont les débuts dramatiques du camp de Drancy. La 3e vidéo est intitulée « camp de transit des juifs de France, dernière étape avant la déportation ». On y découvre comment ils sont amenés à Drancy, ce lieu dont la construction n’était pas achevée et donc pas « fonctionnel ». Dans un premier temps, ils sont parqués en grand nombre dans des chambrées, empêchés de toute activité sauf certaines corvées humiliantes, administrés par les nazis et gardés par les gendarmes.
D’ailleurs, la 4e vidéo est consacrée à l’administration du camp de Drancy, avec les trois dirigeants de ce camp, Theodor Dannecker, Heinz Röthke et le tristement célèbre Aloïs Brunner. Lequel, pour élever encore le niveau de brutalité du lieu, plaça les gendarmes à l’extérieur du camp et fit régner l’ordre d’une main de fer par des SS viennois. La 5e vidéo est consacrée aux camps de travail annexes d’Austerlitz, Lévitan et Bassano où étaient placés des juifs chargés de trier les biens pillés de leurs coreligionnaires.
La 6e vidéo est consacrée à l’hôpital Rothschild, transformé en hôpital prison et accueillant des juifs internés souffrant de maladies graves. Ce qui n’empêchera pas des rafles, notamment une où les autorités allemandes viendront manu militari emmener de nombreux malades, même des gens ayant subi la veille une intervention chirurgicale conséquente.
La 7e vidéo est intitulée « Des amis des juifs et des Justes du camp de Drancy ». On y voit des jeunes gens, en majorité d’une vingtaine d’années, hommes et femmes, emprisonnés à Drancy et devant arborer sur leur veste la mention « ami des juifs ». Ils sont accusés par les autorités d’avoir porté secours à leurs compatriotes juifs ou s’être simplement opposés au port de l’étoile jaune. Certains ayant marqué sur des étoiles « auvergnat » ou « breton » et même en mode jazzy « swing » afin de se moquer de cette mesure discriminante. Dans le camp, ces Justes ont poursuivi leur rébellion, tentant discrètement d’aider les juifs, comme le firent également une poignée de gendarmes gardiens du camp.
Quant à la dernière vidéo, elle est consacrée au sort des enfants dans le camp de Drancy. Au début, les prisonniers sont des hommes. A partir d’août 1942, les femmes et les enfants y sont également déportés. La vidéo donne la parole à des hommes et femmes, enfants à l’époque, qui racontent les conditions de survie au camp de Drancy. La manière dont les adultes leur organisèrent une scolarité, grâce à des cahiers reçus dans les colis, y effectuant devoirs et dictées. Et cette lutte contre le désespoir, notamment lorsqu’une dame se met à chanter dans une chambrée, les enfants écoutant avec émotion et profitant de ce moment arraché au camp. La majorité des enfants internés à Drancy entre 1942 et 1944 ont été déportés.
En face des vidéos est présentée la chronologie du camp de Drancy. On y décrit la construction de la cité de la Muette, l’emprisonnement des prisonniers de guerre puis celle des juifs raflés.
La première rafle parisienne, dite du « Billet vert », se déroule en mai 1941. 3700 hommes juifs ont conduit au camp de Pithiviers et de Beaune-La-Rolande, dans le Loiret. Le camp de Drancy est vidé des prisonniers de guerre en juillet 1941 et les plus de 4200 Juifs arrêtés lors de la deuxième rafle, tous des hommes, sont internés au camp de Drancy. Ils y sont placés sous la responsabilité de la préfecture de police et surveillés par la gendarmerie.
Les terribles conditions de vie des internés et surtout la famine menaçante provoquent une colère des premiers internés. Lesquels sont ensuite autorisés à recevoir des colis de nourriture et de vêtements, mais ceux-ci seront fouillés et souvent confisqués par les gendarmes qui surveillent. Un marché noir va se créer. Une personne témoigne dans une vidéo comment, enfant, il se souvient qu’un gendarme avait vendu un paquet de cigarettes à un prix exorbitant à un détenu et que dans la même journée un autre gendarme lui vola le paquet lors d’une fouille afin de le revendre le lendemain.
Suite à une trentaine de décès, un millier de malades sont libérés par une commission militaire médicale allemande, entre le 4 et le 7 novembre 1941. Décision à 180° dans l’autre sens lorsque le 22 juin 1942, le premier convoi de déportation quitte le camp de Drancy pour le camp de concentration d’Auschwitz. Les 16 et 17 juillet 1942, suite à la rafle du Vel d’Hiv, près de 2000 hommes et 3000 femmes sont dirigés vers le camp de Drancy. Lequel est sous la responsabilité de Heinz Röthke, qui succède à Theodor Dannecker. A partir du 14 août 1942, les enfants sont également déportés.
En juin 1943, Aloïs Brunner, capitaine SS, devient commandant du camp. Le dernier grand convoi de déportés part pour Auschwitz le 31 juillet 1944. Les camps de travail annexes de Drancy ouvrent leurs portes pendant cette période. Le Lévitan, situé sur le faubourg Saint-Martin à Paris, le 10 juillet 1943, celui d’Austerlitz le 20 octobre 1943 et celui de la rue Bassano le 15 mars 1944. Le 17 août 1944, Aloïs Brunner fuit devant l’avancée des forces alliées et poursuit les déportations de juifs en territoires encore contrôlés par les nazis.
Au fond à gauche de l’exposition permanente, des peintures décrivent ce quotidien-là. Celles de Jane Levy, une dame issue d’une famille juive alsacienne qui est née en 1894 à Paris, élève à l’école des Arts décoratifs. Arrêtée en novembre 1942, puis internée et au camp de Drancy, elle est déportée avec son frère Albert à Auschwitz le 31 juillet 1943. Sur ses tableaux, on découvre les chambrées avec les habits suspendus sur les lits et les casseroles rangées à côté. Les œuvres aussi de Georges Horan, né en 1894 à Saint-Pétersbourg. Dessinateur industriel, il est interné dans différents camps, dont Pithiviers et Drancy, libéré le 13 mars 1943. 56 estampes ont été recueillis où l’artiste présente le quotidien des prisonniers.
Face à ces tableaux et dessins, une maquette du camp a été reconstituée, avec chaque entrée et les postes de garde, toilettes et autres lieux, dont les escaliers de départ vers la déportation. On y découvre que le camp de Drancy était constitué de 5 blocs avec 22 escaliers. Les blocs 1,2, 4 et 5 comprennent quatre-vingts chambres. Quant à l’aménagement interne du bloc 3, il est modifié selon les périodes.
Au fond à droite de la pièce, des panneaux présentent l’itinéraire des principaux convois de déportation : le processus bureaucratique, et les départs à partir de Drancy. Comment cela a été mis en œuvre par les autorités nazies en complicité avec les collaborateurs. La préparation méthodique des convois, avec les noms des gens sur les fichiers qui sont envoyés, l’établissement de la liste des déportés. Également le calendrier de tous les convois. La partie de l’exposition consacrée à la déportation se termine par les visages du convoi 71, parti de Drancy le 13 avril 1944. Des photos des enfants et des lettres qui ont été écrites et jetées du train racontant ce qui leur arrive et tentant d’alerter la population.
Une petite pièce blanche, juste à côté de la partie consacrée à la déportation, accueille deux bancs qui permettent aux visiteurs de s’assoir et d’écouter la lecture d’une série de lettres de prisonniers.
Sont exposés, en face de l’entrée de cette pièce, des objets appartenant à des prisonniers. Notamment un sac sur lequel est brodé « Grunman Lieba, escalier 20, chambre 11, bloc 5, matricule 38 32, Drancy ». Aussi un brassard avec un matricule de déporté, le numéro 239 de Léa Darcis et d’autres objets du quotidien.
L’exposition se termine à l’entrée à gauche, par des panneaux qui décrivent les derniers jours du camp, avec de nombreux témoignages et documents, ainsi que le bilan des pertes de la Shoah. Puis, le travail de construction de la mémoire. On y montre comment, au lendemain de la Libération, les lieux ont été réhabilités. D’abord pour les gens suspectés de collaboration, puis pour les locataires lorsque les travaux d’aménagement furent terminés en 1948.
Les premiers témoignages des survivants de la déportation aussi, qui seront publiés et partagés. Mais, malheureusement, comme le raconte Simone Veil dans son autobiographie, au début, il s’agissait de paroles quasi inaudibles, l’heure étant aux récits de Résistance pour redorer le blason de la Nation. De nombreux survivants de la Shoah choisirent aussi le silence afin de se reconstruire, pour ne pas confronter cette immense vague trop proche qui menaçait de submerger leur survie. Cette résilience juive ayant pour but principal l’ambition de la plus belle vie possible pour la génération suivante, revanche sur le « destin » et la participation à la création d’une société plus juste.