Italie / Piémont

Turin

Synagogue de Turin © Wikimedia Commons (Olevy)

La capitale piémontaise représente un très bon point de départ pour visiter les autres lieux de mémoire juifs de la région.

Turin fut d’abord la capitale du Duché de Savoie, puis du Royaume de Sardaigne. La présence juive a été enregistrée par l’Evêque Maximus de Turin au IVe siècle. La seule trace de présence juive suivante date d’un millénaire. En 1424, les juifs français Elias Alamanni et Amedeo Foa s’y installèrent avec leurs familles.

La Grande Synagogue mérite une brève visite. Inauguré en grandes pompes le 16 février 1884, ce bâtiment majestueux de style néo-mauresque, avec ses quatre tours surmontées de coupoles en oignon, témoigne de la frénésie de reconnaissance des juifs italiens de l’émancipation. Il avait d’ailleurs été conçu dans cet esprit, célébrant l’intégration des juifs de Turin, un appel d’offres étant réalisé afin de choisir le projet le plus enthousiasmant. L’architecte, Enrico Petiti, n’avait pas lésiné sur les décorations, à l’extérieur comme à l’intérieur de la synagogue, mêlant les influences.

Néanmoins, la plupart ont disparu quand le Grand Temple fut incendié en 1942 par une bombe alliée. La majeure partie des archives des communautés juives piémontaises fut alors détruite. La synagogue fut restaurée entre 1945 et 1949. Plus tard, une synagogue annexe a été construite à l’intérieur afin d’accueillir les prières et événements du quotidien. Elle est surnommée Tempio Piccolo (le petit temple).

Vieux dessin montrant un des angles du ghetto de Turin où vivaient les juifs pendant des siècles
Ghetto de Turin

À une petite dizaine de minutes à pied d’où se situent la Grande synagogue et le centre communautaire, on peut encore voir derrière la très animée via Roma, quelques traces de  l’ancien ghetto où vécurent les juifs.

En 1430, le Duc Amedeo VIII mit en place un statut concernant les juifs en leur imposant de nombreuses restrictions et des impôts élevés. Le ghetto fut créé en 1679, à la demande de la Régente, la Duchesse Marie Jeanne Baptiste de Savoie. Les juifs y furent confinés dans l’année, en ce lieu qui accueillait également des œuvres de charité. Il abritait deux synagogues. Après 1724, à cause de la surpopulation, le ghetto fut agrandi.

L’émancipation fut une des conséquences de la Révolution française. Suite à l’annexion du territoire à la France en 1798, les juifs jouirent d’une plus grande liberté et ne furent plus obligés de vivre dans le ghetto. La victoire de l’alliance austro-russe en 1799 sur la France provoqua le rétablissement de l’ancien statut des juifs. Suite à la reconquête du territoire par la France en 1800, les juifs récupérèrent leur liberté.

Bimah de la synagogue de Turin restaurée après la guerre
Synagogue de Turin. Photo de Daniel Ventura – Wikipedia

Suite à la défaite de Napoléon en 1814, Victor Emmanuel réinstaura les régulations concernant les juifs. Mais petit à petit, ces lois disparurent et l’émancipation fut complétée en 1848, les juifs quittant graduellement le ghetto. A cette époque, 3200 juifs habitèrent à Turin.

Encouragés par le poète David Levi et le rabbin de Turin Lelio Cantoni, les juifs participèrent à la première guerre d’Indépendance de l’Italie. Sous Victor Emmanuel II, les juifs obtinrent une émancipation complète, intégrant l’administration, l’armée et le corps diplomatique. De nombreux écrivains et artistes juifs participèrent au développement culturel de la ville

Dans cet élan d’émancipation, il fut décidé de construire une synagogue, avant donc celle que l’on connait aujourd’hui. Un lopin de terre fut donc acheté dans ce but. L’architecte Alessandro Antonelli débuta la construction de la synagogue en 1863.

Immeuble initialement construit pour être la synagogue de Turin mais qui fut vendu à la mairie et transformé en musée
Mole Antonelliana de Turin. Photo de Livioandronico2013 – Wikipedia

L’immeuble devait accueillir non seulement une synagogue avec 1500 places mais également un espace administratif, une école et d’autres fonctions. L’ampleur du projet dépassa les moyens de la communauté qui revendit le bâtiment en 1878 à la ville de Turin et devint le  Mole Antonelliana. Celle-ci le transforma en musée commémorant le Roi Victor Emmanuel II. Le bâtiment fut achevé en 1889 et mesure finalement 167 mètres. Il est un des immeubles les plus connus de la ville.

En 1931, 4040 juifs vécurent à Turin. Les Lois raciales imposées en 1938 bouleversèrent la vie des juifs qui étaient pourtant très assimilés. En 1942, une bombe détruit l’intérieur de la synagogue de Turin. L’année suivante, les Allemands commencèrent à déporter les juifs. Sur les 246 qui furent déportés à Auschwitz, seuls 21 retournèrent à Turin. Parmi eux, Primo Levi. Les juifs prirent une grande part aux mouvements locaux de Résistance et trouvèrent de nombreux soutiens dans la population pour se cacher.

Le cimetière juif varia de lieu pendant plusieurs siècles à partir des années 1400. En 1867, la communauté obtint une section du  Cimetière Monumental, où une partie des anciennes tombes furent réinstallées.

Entretien avec Baruch Lampronti, représentant de la Cultural Heritage Commission of the Jewish Community of Torino et programmateur du site visitjewishitaly.it

La partie ancienne du ghetto de Turin où vivèrent les juifs pendant des siècles
Ghetto vecchio. Photo de Baruch Lampronti

Jguideeurope : Comment est-ce que la communauté juive de Turin maintien ses activités pendant la crise ?

Baruch Lampronti : Toute activité sociale – qu’il s’agisse des offices, des colloques, ou du riche programme d’activités culturelles – a été tristement suspendue. Néanmoins, en tant que membre de la communauté, j’apprécie les efforts effectués par le Conseil de la Communité et le rabbinat. Lors de la fête de Pourim, la lecture de la meguilah a été diffusée en direct sur Facebook. Les employés administratifs de la communauté travaillent de chez eux. Les enseignants de l’école juive ont mis en place un programme d’étude quotidien pour les élèves via l’application Zoom. Les cours hebdomadaires des rabbins et les cours d’Oulpan se déroulent dorénavant sur skype (avec parfois plus d’étudiants que d’habitude). La maison de retraite est sous confinement strict. Seuls les employés sont autorisés à y pénétrer. Ces derniers ont mis en place un compte skype spécifique afin de maintenir les liens entre les pensionnaires et leur famille. La communauté a également mis en place une petite unité opérationnelle de volontaires qui aident les gens qui en auraient besoin au travers d’appels quotidiens, de livraisons de nourriture (en particulier à l’approche de Pessah) et probablement plus encore.

L’UCEI – L’Union des Communautés Juives d’Italie – fournit également de grands efforts afin que les gens ressentent leur présence par différents moyens. L’UCEI a ainsi mis en place des services pratiques, un centre d’appel téléphonique constitué de psychologues et de travailleurs sociaux, et un riche programme de cours, d’échanges et autres émissions qui sont diffusés en direct tous les jours sur sa chaine Facebook.

Alors, comment est-ce que la communauté maintient ses activités ? En ces temps difficiles, je pense que conserver le sens de la famille et d’empathie malgré la distance constitue un des éléments les plus importants de la vie communautaire. Naturellement, le travail le plus extraordinaire est celui qu’effectuent les docteurs et le personnel médical avec dévouement et abnégation.

Synagogue de Turin au style architectural oriental de la ville de Turin
Synagogue de Turin. Photo de Baruch Lampronti

D’où vient l’inspiration qui influença le style si particulier de la synagogue de Turin ?

Le style mauresque fut exigé dans l’appel d’offre de ce projet architectural. Cette requête était en adéquation avec la tendance de l’architecture contemporaine des synagogues européennes. Cette tendance était elle-même influencée par un certain goût pour l’exotisme qui se développa lors de la seconde partie du XIXe siècle et que l’on peut reconnaitre dans de nombreux immeubles non juifs appartenant au courant éclectique. En ce qui concerne la conception des synagogues, le choix d’inclure des références orientales s’imposa également grâce à d’autres arguments significatifs. J’avais d’ailleurs consacré un article à cette démarche dans un journal italien dont voici un extrait :

« Tandis que l’ampleur des volumes des synagogues de l’Emancipation et l’autonomie face aux immeubles environnants sont le fruit d’un désir d’égalité et d’assimilation au modèle des églises, le langage stylistique exprime, au contraire, une quête d’individualité face aux lieux de cultes des autres dénominations. Ainsi, un débat se développa concernant la manière la plus appropriée d’exprimer l’identité juive d’un lieu. « A ma connaissance, un style typiquement juif n’existe pas », déclara dans un rapport l’architecte juif Marco Treves de Vercelli. Lequel était engagé dans la rénovation de la synagogue de Pise (1865) et la conception des nouveaux temples de Vercelli (1878) et de Florence (1882). Il fit observer que même le Temple de Jérusalem, selon des preuves archéologiques, n’exprimait probablement pas un style purement représentatif du peuple juif mais qu’il s’inspira des principales influences artistiques de la région.

Bimah de la synagogue de Turin à l'architecture très orginale et appréciée des touristes
Bimah de la synagogue de Turin. Photo de FLLL – Wikipedia

Subséquemment, la variété des conditions de vie, souvent oppressantes, vécues par les juifs de Diaspora a empêché la définition de traits stylistiques nationaux ou d’une architecture synagogale spécifique. Dans la conception des temples israélites, en Italie comme en Europe, les architectes s’orientent souvent vers des répertoires de style oriental, qu’ils considèrent comme représentatifs de l’origine géographique du peuple juif. Des références aux styles Assyrien-Babylonien, Egyptien et Byzantin émergent ; parmi les références les plus répandues, qui furent théorisées par Treves également, nous trouvons également les références au style mauresque, qui rappellent particulièrement l’architecture de l’Espagne médiévale. En ces temps, les juifs y jouirent d’une grande liberté et d’une ferveur culturelle et érigèrent leurs synagogues conformément aux goûts de cette époque (parmi les exemples les plus connus on peut citer Santa Maria la Blanca à Tolède, construite en 1180 et transformée en église à la fin du XIVe siècle). Dans de nombreux temples du XIXe siècle, on retrouve des arches en forme de fer à cheval, des dômes en forme d’oignon ainsi que des remparts et des tourelles d’inspiration islamique et, parmi les ornements intérieurs, des stucs très garnis avec des peintures géométriques et des motifs arabesques. La synagogue de Turin fait également partie de cette tendance. Conçue par Enrico Petiti après l’expérience infructueuse qui a conduit à la réalisation de la Mole Antonelliana, la synagogue a été touchée par les bombardements de novembre 1942 et perdit toute trace de sa décoration intérieure originelle. »  Vous pouvez retrouver l’article original sur ce lien

Partie nouvelle du ghetto de Turin qui s'ajouta au ghetto ancien
Ghetto nuovo. Photo de Baruch Lampronti

Peut-on trouver encore aujourd’hui des traces de l’ancien ghetto ?

Le ghetto de Turin n’était composé que d’un pâté et demi de maisons, lesquels existent encore aujourd’hui. Le pâté entier, qui est le plus ancien (utilisé à partir de 1679-1680) a conservé sa structure d’origine, mais l’intérieur et les façades ont été profondément transformées quelques années après l’émancipation (1848). L’autre moitié de pâté de maisons, ajouté quelques temps après 1724, a eu son intérieur rénové, mais les façades révèlent très clairement l’identité antérieure de l’immeuble. Ce pâté dépasse d’un étage les immeubles environnants. Afin d’élargir la capacité résidentielle pour y accueillir un plus grand nombre de familles juives, l’étage disposant de la plus grande hauteur sous plafond a été divisé en deux, par conséquent ses fenêtres sont plus nombreuses et plus rapprochées les unes des autres. L’immeuble a été rafraîchit et repeint mais il n’y a pas eu de changements structurels majeurs ni d’ajouts ornementaux depuis l’époque.

Quels autres lieux de Turin liés à la culture juive suscitent l’intérêt des visiteurs ?

En dehors des synagogues et de l’ancien ghetto, les lieux les plus représentatifs de l’histoire juive de Turin sont la Mole Antonelliana et les carrés juifs du Cimetière Monumental.

Entrée du cimetière Monumentale de Turin où on trouve une section juive
Cimitero monumentale di Torino. Photo de GJO – Wikipedia

Le Piémont a également été parsemé d’un ensemble de petites communautés juives qui partagèrent sous bien des aspects une histoire commune. Ces communautés ont aujourd’hui presque toutes disparues mais une multitude de synagogues, d’anciens ghettos et de cimetières demeurent encore. La plupart appartiennent à la communauté juive de Turin, qui les a pris en charge et qui est le point de contact pour leur visite. Pour être plus précis, notre juridiction inclut les synagogues et les cimetières d’Alessandria, d’Asti, de Carmagnola, de Cherasco, de Cuneo, de Mondovi, de Saluzzo, d’Ivrea (partiellement) et les cimetières de Acqui Terme, de Chieri, de Fossano et de Nizza Monferrato (dans ces villes, les synagogues ont été démantelées par le passé).

Parmi les autres monuments du patrimoine culturel juif intéressants à visiter dans la région, on peut citer :

– les synagogues et cimetières de Vercelli et Biella, ainsi que le cimetière de Trino Vercellese, qui sont gérés par la communauté juive de Vercelli & Biella

– la synagogue et les cimetières de Casale Monferrato, ainsi que le cimetière de Moncalvo, gérés par la communauté juive de Casale Monferrato

Vous pouvez trouver des renseignements et des contacts pour les visites sur les deux sites suivants. Tout d’abord celui de la communauté juive de Turin https://torinoebraica.it/turismo/?lang=en

L’autre site est http://www.visitjewishitaly.it/en/ a été développé par la Fondation pour le Patrimoine Culturel Juif d’Italie. Il fournit des descriptions et des photos de nombreux monuments du patrimoine juif d’Italie, parmi lesquels ceux mentionnés ci-dessus. Nous opérons actuellement des mises à jour, il se peut donc qu’il y ait quelques dysfonctionnements ou des informations manquantes.