La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.
Belgorod-Dniestrosvki, littéralement la « ville blanche sur le Dniestr », est une ville paisible à l’humeur méridionale, située à une petite centaine de kilomètres au sud d’Odessa.
Ville forteresse
Fondée au sixième siècle avant Jésus Christ par des colons grecs venus de Milet, Belgorod est l’une des plus vieilles villes habitées au monde. Son emplacement stratégique sur le delta du fleuve Dniestr en a longtemps fait une place forte pour les différents royaumes et empires qui l’ont contrôlé, en témoigne son impressionnante forteresse, dont la construction fut entamée par les Génois au 12ième siècle, poursuivie par les Ottomans puis achevée par les Moldaves au 15ième siècle.
Plus récemment, durant la période soviétique, Belgorod abritait une importante garnison, ce qui explique la forte diversité ethnique qui y existe encore aujourd’hui. Ukrainiens, Russes et Moldaves bien sûr, mais aussi Arméniens, Grecs, Géorgiens, Coréens, c’est presque tous les peuples de l’ancienne Union soviétique qui sont rassemblés dans cette paisible ville du sud de l’Ukraine. Presque tous ? Et quid de la présence juive alors ? Si actuellement, la communauté juive de Belgorod ne compte plus que quelques dizaines de personnes, la ville est marquée par un important passé juif dont vous pourrez découvrir les traces, au hasard des rues pavées bordées d’acacias et de lilas.
Accueil des communautés karaïtes
Parfois nommée dans les sources juives Weissenburg ou Ir Lavan (ville blanche) -Akkerman, ancien nom de Belgorod, a accueilli des communautés karaïtes dès le 16ième siècle. C’est toutefois surtout à partir du 19ième siècle que la présence juive s’y développe, comme dans le reste de la Bessarabie : selon le recensement de 1897, la ville comptait alors quelques 5600 Juifs, soit environ 20% de la population. Comme l’ensemble de la Bessarabie, Akkerman intègre la Grande Roumanie en 1918, et est alors renommée Cetatea Alba.
Durant l’entre-deux guerres, la communauté juive de la ville continue de se développer, pour atteindre 8000 personnes à la fin des années 1930. Elle dispose d’une douzaine de bâtiments, dont 5 synagogues. Avec le déclenchement de l’opération Barbarossa, la majorité des Juifs de Belgorod fuit la ville, avant l’arrivée des troupes roumaines. Ceux qui restent, essentiellement des personnes âgées et des invalides, seront assassinés par balles et par noyades. Après la fin de la guerre, une partie de la communauté juive retourne dans la ville, qui reçoit son nom actuel de Belgorod-Dniestrovski. Avec la chute de l’URSS, l’essentiel des Juifs de Belgorod émigrent en Israël, aux Etats-Unis et en Allemagne.
Développement de la vie juive
Depuis Odessa, l’elektrichka, sorte de train de banlieue, est le moyen le plus simple de se rendre dans la ville blanche, comptez environ deux heures et demi. Les plus aventureux d’entre vous pourront également s’y rendre en marshroutka, sorte de minibus partant également de la gare d’Odessa. Enfin, il est toujours possible d’y aller en taxi, moyennant une trentaine d’euros. Notez bien que si vous souhaitez disposer d’un guide pour une visite des lieux juifs de Belgorod, vous pouvez vous adresser au centre culturel juif Migdal d’Odessa, situé au 46 rue Mala Arnautskaya, non loin de la gare, et qui pourra vous organiser une visite avec un guide parlant anglais, russe ou ukrainien.
Pour commencer votre promenade dans Belgorod la juive, rendez-vous depuis la gare au cimetière juif, située à une quinzaine de minutes à pied, au 35 rue Portova (ancienne rue Lazo). S’étendant sur plusieurs hectares à l’orée de la ville, le cimetière juif de Belgorod, l’un des plus vieux d’Ukraine, abrite des milliers de tombes, dont certaines datent de plusieurs siècles. Quelques tombes sont ornées de branches d’arbres stylisées : elles ont été érigées en l’honneur des victimes du pogrom de 1905. Un monument à la mémoire des 600 Juifs de Belgorod massacrés à l’été 1941 est également présent.
Vous pourrez ensuite vous dirigez vers le centre-ville à pied. Revenez sur vos pas puis traversez le parc de la Paix. En descendant la rue Nikolaevskaya, vous arriverez au marché central de Belgorod.
La belle synagogue en briques rouges
Sortez du marché par la rue Ismailskaya. Au numéro 32 se trouve l’une des deux synagogues encore en état de Belgorod. Rétrocédée à la communauté en 2001 après avoir servi de dépôts de munitions puis de salle de sport durant la période soviétique, cette synagogue faisait depuis essentiellement office de centre culturel juif mais est désormais fermée la plupart du temps.
Longez ensuite la rue Ismailskaya jusqu’au croisement avec la rue Evreiskaya, la rue juive, dans laquelle, au numéro 29, se trouve l’autre synagogue de la ville. Ce bel édifice de brique rouge, sur la façade de laquelle on distingue encore l’étoile de David et des rouleaux de Torah stylisés, a été construit à la fin du dix-neuvième siècle.
Chef d’œuvre architectural
On raconte que le roi Carol II de Roumanie, en visite à Cetatea Alba en 1938, n’avait eu qu’une seule exigence vis-à-vis de la communauté juive de la ville : qu’une couronne, rappelant que la Roumanie est un royaume et que les Juifs y font aussi allégeance, soit installée à proximité de l’étoile de David ornant la façade de la synagogue. Faisant office de salle de sport durant la période soviétique, elle a également été rétrocédée à la communauté en 2001. Encore en activité il y a quelques années, la synagogue de la rue Evreskaya est en général fermée, sauf à certaines occasions.
Poursuivez la rue Evreiskaya jusqu’au croisement avec la rue Pushkinskaya. Au numéro 13, dans une maison bourgeoise datant de la période tsariste et ayant appartenu à la famille d’armateurs grecs Femilidi se trouve le musée historique de la ville. De grande qualité, le musée de Belgorod dispose de plusieurs vitrines consacrés à l’histoire juive de la ville. En particulier, le musée possède les anciens rouleaux de la Torah auparavant disposés dans la synagogue de la rue Evreiskaya. A proximité immédiate du musée, au 26 de la rue Pushkinskaya, vous pourrez également contempler un chef d’œuvre architectural construit à la fin du 19ième siècle, la maison d’Andrei Yarashevich, ancien notable de Belgorod.
Non loin du musée, au numéro 35 de la rue Nezalejnosti, est située la maternité de Belgorod, localisée dans les murs de l’ancien hôpital juif . En 1938, lors de son déplacement à Cetatea Alba, le roi Carol II aurait assisté en personne à l’inauguration de cet hôpital, en partie financé par le célèbre ténor et collectionneur d’art Maxim Karolik.
Né en 1893 à Akkerman dans une famille hassidique, Maxim Karolik, après avoir été chanteur au théâtre Marinskii de Petrograd, émigra aux Etats-Unis en 1922, ou parallèlement à sa carrière de ténor devint, avec sa femme Martha Codman, un grand collectionneur d’art. Au hasard de votre promenade, vous pourrez découvrir d’autres bâtiments ayant appartenus à la communauté juive. L’immeuble situé au 13 de la rue Moskovskaya abritait auparavant une banque juive Au numéro 11 de la rue Souvorov se trouvait l’ancien asile pour personnes âgées.
Enfin, il serait dommage d’être allé jusqu’à Belgorod sans en visiter sa plus la grande fierté, la forteresse.