La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.
Fondée en 1546, l’illustrissime ville de Berditchev, polonaise jusqu’en 1793, apparaît tout d’abord comme dominée par une grande église baroque à l’imposante coupole, l’ancien cloître des carmes déchaussés édifiés en 1627.
Les juifs s’installèrent à Berditchev à partir du XVIIe siècle, stimulés par l’établissement régulier de foires. À la fin du XVIIIe siècle, Berditchev était devenu un grand centre du hassidisme autour de la personnalité du tsaddik Yitshak Levi de Berditchev (mort en 1808), disciple du Grand Maggid de Mezeritch. Un siècle plus tard, Berditchev était devenue une ville presque entièrement juive, avec une communauté de 41600 membres pour 53300 habitants, soit 80% de la population. Dans les histoires populaires russes, les « anecdotes », Berditchev est devenue la ville juive par excellence.
Balzac, qui s’est marié le 3 mars 1850 avec Mme Hanska à Berditchev dans l’église Sainte-Barbe, décrit la ville comme « un campement de juifs, tous dehors ».
Un vrai trou !
Une étrangère arrive à Berditchev, bien habillée. Un tailleur juif lui demande :
-Où avez-vous fait faire ces vêtements ?
-À Paris.
-C’est loin de Berditchev ?
-À plus de 2000 km.
-Quel trou, mais ils savent bien coudre.
En raison de son nom presque symbolique, les Allemands se sont particulièrement acharnés sur Berditchev, lorsqu’ils ont occupé la ville dès le 6 juillet 1941. Ils ont « liquidé » le ghetto en trois mois. Vassili Grossman, natif de Berditchev, décrit les détails de cette « liquidation » dans Vie et Destin (Lausanne, L’Âge d’homme, 1995) et dans Le Livre noir (Arles, Solin, 1999).
Les traces du ghetto
Le ghetto proprement dit, où tous les juifs durent se rassembler dès juillet 1941, s’appelait Yatki et s’étendait à l’ouest de la chaussée Zitomirskoie (aujourd’hui rue Lénine), autour des rues Staragorodskaïa, Bielopolskaïa (aujourd’hui rue du 9 mai), Glinka, Bolchaïa-Zitomirskaïa et Malaïa-Zitomirskaïa (aujourd’hui rue Scholem Aleïkhem).
Ces rues n’ont guère changé aujourd’hui et sont telles que les décrit Grossman : non pavées, en terre battue, pleines de boue et de flaques d’eau. Au centre, de Yatki, il y avait le marché et la plus vieille synagogue de Berditchev. En septembre 1941, des jeunes gens furent réquisitionnés dans le ghetto pour « l’arrachage des pommes de terre ». Le 15 septembre, 18600 personnes , la presque totalité du ghetto, furent assassinés près du village de Khajino. Une stèle commémorative signale le lieu, tout en indiquant que les victimes étaient des « citoyens soviétiques paisibles ».
L’arrachage des pommes de terre
« Et nous avons appris aujourd’hui, d’un paysan ami qui passait près des barbelés, que les juifs qu’on avait emmenés arracher des pommes de terre sont en train de creuser de profondes tranchées à quatre kilomètres de la ville, près de l’aérodrome sur la route de Romanovka. Retiens ce nom, Vitia, c’est là que tu trouveras la fosse commune où sera enterrée ta mère. »
Vassili Grossman, Vie et Destin, Lausanne, L’Âge d’homme, 1995.
Il y avait à Berditchev un grand nombre de synagogues et de maison de prière, ainsi qu’une imprimerie hébraïque. Il ne reste aujourd’hui qu’une seule synagogue , au début de la rue Sverdlov, où tentent de réapprendre leurs traditions les 700 derniers juifs de la ville, des vieillards en majorité.
Le grand cimetière juif de Berditchev est très impressionnant, les tombes sont très belles, anciennes, souvent recouvertes de végétation foisonnante.
Un chemin tracé entre les tombes mène au mausolée élevé au-dessus de la sépulture de rabbi Levi Yitshak, « ce grand maître qui savait déchiffrer les interstices blancs de la Torah ».