La communauté juive de Lettonie, qui compte environ 15000 personnes, est présente dans le pays depuis au moins le XIVe siècle. Elle s’est développée dans les principautés de Courlande et de Livonie, lesquelles ont souvent changé de mains.
La présence des barons baltes a contribué à germaniser le pays et les juifs eux-mêmes se placèrent sous l’influence culturelle allemande.
L’annexion progressive du pays par l’Empire russe affaiblit la présence juive : seuls les juifs qui pouvaient justifier avoir résidé en Lettonie avant l’incorporation à l’Empire furent autorisés à y résider.
Cependant, « germanisés » ou « russifié » (même si, pour 85% d’entre eux, la langue véhiculaire était le yiddish), les juifs se trouvèrent toujours en porte-à-faux par rapport au mouvement national letton, qui voyait en eux des agents de l’étranger.
Aussi, parmi les 85000 juifs d’avant 1940 (4% de la population), concentrés à Riga et Libau, le mouvement sioniste révisionniste était très puissant : Riga est le berceau du Betar, le mouvement de jeunesse de la droite sioniste. Avant la Shoah, celui-ci avait même organisé un club nautique dont les membres donnèrent ses premiers cadres à la future marine israélienne.
Hors des grandes villes, les juifs étaient fidèles à la stricte observance religieuse. La Lettonie a offert à l’orthodoxie deux figures marquantes : le rav Joseph Rosen (1858-1936), connu sous le nom de Gaon de Rogatchov, sa ville natale, ou encore celui de Rogatchover, qui officia à Daugavpils (Dvinsk) ; et le rav Meir Simha ha-Kohen de Dvinsk, connu sous le nom de Or Sameah (1843-1926), qui vécu lui aussi à Daugavpils.
La Shoah a détruit 90% de la communauté. L’immense majorité des juifs établis aujourd’hui en Lettonie est venue de l’ex-URSS ; elle est donc russophone.
Comme dans les autres pays baltes, cela signifie concrètement qu’ils ne sont pas citoyens des nouvelles républiques, lesquelles ont une conception ethnique de la citoyenneté, tout en n’étant plus citoyens russes. Dans les années 1970, Riga fut un centre important d’activité pour les refuzniks.
Le travail de mémoire concernant la Shoah n’a pas été accompli comme il se doit en Lettonie. Les Waffen SS lettons sont perçu par l’opinion publique comme des « patriotes » qui ont lutté contre l’URSS ; ils peuvent défiler dans les rues, en présence des autorités.
En conséquence, il n’existe qu’un seul mémorial du génocide : celui de la forêt de Birkerniecki, où furent tués 46000 juifs.
De nombreux biens juifs ont également été nationalisés par l’Union soviétique.
En février 2022, le parlement letton, suite à de longues discussions, a adopté une loi sur les restitutions de biens liés à la Shoah, approuvant un budget de 40 millions d’euros sur 10 ans. Cette restitution sera effectuée aux héritiers de biens juifs perdus et permettra la revitalisation de la communauté juive lettone.
En novembre 2022, le président israélien Isaac Herzog, a accueilli le président letton Egils Levits, afin de marquer les 30 ans de relations diplomatiques entre Riga et Jérusalem et développer les partenariats en cours.
Il y a un environ 9500 juifs lettons en 2023.
La Finlande faisait partie du Royaume de Suède jusqu’en 1809. Ainsi, lors de la domination suédoise, les juifs ne furent autorisés à vivre que dans trois villes, aucune ne se situant sur le territoire de Finlande. Suite à la guerre entre la Suède et la Russie, la Finlande passa sous contrôle russe, mais le système juridique en vigueur demeure celui mis en place par la Suède. Les juifs ne furent donc pas autorisés à s’y installer.
Les premiers juifs finlandais s’installèrent par deux voies différentes. Les premiers migrants furent originaires de Suède, des chanteurs autorisés à y jouer en 1782 pour partager leur art. La Finlande faisait alors partie du Royaume de Suède, les juifs n’avaient auparavant le droit de s’installer qu’à Stockholm, Gothenburg et Norrkoping. Jakob Weikam est le premier juif à s’installer officiellement en Finlande, dans la ville de Hamina, en 1799. D’autres s’y installèrent graduellement, en fonction de l’évolution des lois sur la migration.
Néanmoins, la majorité des juifs finlandais sont des descendants de soldats russes installés dans la région. Les règlements limitant ou interdisant l’installation des juifs en Finlande ne s’appliquaient pas aux soldats russes. La longue durée du service militaire encouragea également cette installation, une fois le retour à la vie civile déterminé.
La loi évolua lentement. En 1889, le gouvernement en place autorisa par décret la présence de juifs en Finlande. Ce décret ne garantissait pas une présence sur la durée et cantonna les juifs à certaines régions et professions. Les activités professionnelles étant aussi limitées géographiquement, interdit des marchés et obligés de se trouver à proximité du lieu de résidence.
Bien que les débats sur l’émancipation des juifs et leur accès au statut de citoyens égaux fut public depuis les années 1870, l’accès à ces dits droits ne se matérialisé qu’en 1917. Lorsque la Finlande accéda enfin à l’indépendance. Le Parlement promulgua une loi en 1918 autorisant les juifs à accéder à la citoyenneté finlandaise.
La population juive du pays passa d’un millier à la fin du 19e siècle à deux milles dans la période d’entre-deux-guerres. Principalement suite à l’émigration de juifs russes au début de la Révolution bolchévique, mais aussi de juifs polonais et lituaniens. La plupart des juifs travaillent alors dans l’industrie du textile, suivant la tradition d’un attachement à une des rares professions autorisées au 19e siècle.
Le sort des juifs finlandais durant la Seconde Guerre mondiale fut un peu paradoxal. De nombreux juifs s’engagèrent dans l’Armée de leur pays contre les Russes, se retrouvant parfois à proximité de l’Armée allemande qui était alliée à la Finlande. Avec une fameuse anecdote du Front russe, digne des grands moments de l’humour juif proche de l’esprit d’un Romain Gary dans La Danse de Gengis Cohn, où les soldats juifs avaient installé une tente de prière à quelques pas de l’armée du Reich.
Bien qu’allié à l’Allemagne pendant la guerre, le gouvernement finlandais refusa d’exercer des pressions contre les juifs, s’opposant fermement à ces demandes des Allemands. Ainsi, 22 juifs finlandais moururent pendant la Seconde Guerre mondiale, tous au combat sous l’uniforme de leur pays.
Par contre, une enquête menée en 2018-2019 précisa l’implication de volontaires finlandais dans les Waffen SS, et leur part dans la perpétration de violences contre les civils ukrainiens, dont une grande partie de juifs. A leur retour, ces engagés volontaires se firent discrets, tentant de faire oublier leur implication, ce qui compliqua les recherches.
Suite à un arrangement entre les autorités russes et israéliennes dans les années 80, 20000 juifs purent faire leur alya en passant par la Finlande, la plupart étant accueillis et aidés par des volontaires du mouvement Chrétien sioniste de Finlande.
En 2020, la communauté juive de Finlande représente environ 1500 personnes. La plupart vivent à Helsinki. Néanmoins, 200 habitent à Turku et une cinquantaine à Tampere.
La communauté juive estonienne est la plus petite des pays baltes est, historiquement, celle qui a joué le rôle le moins important dans le Yiddishland d’avant la Shoah. Il est vrai qu’elle ne compta jamais plus de 4500 membres.
Bien que présents dans le pays dès le XIVe siècle, les juifs ne s’y sont fixés qu’après 1865, date à laquelle le tsar aboli l’interdiction qui leur était faite d’y résider. Les « cantonistes », soldats juifs servant l’armée impériale, établirent la communauté de Tallinn en 1830 ; celle de Tartu fut fondée en 1866. Dans les deux villes, des synagogues furent bâties, respectivement en 1883 et 1900 : elles ont brûlé pendant la Shoah. Il ne reste rien des petites communautés de Narva, Valga, Pärnu et Viljandi, détruites pendant la guerre, et les juifs d’Estonie actuels sont, dans leur immense majorité, des russophones arrivés après 1945.
L’Estonie indépendante, pendant l’entre-deux-guerres, a correctement traité sa minorité juive, qui disposait de tous les droits civiques et, à partir de 1925, de l’autonomie culturelle. Une minorité choisit de s’établir en Palestine, où elle contribua à fonder deux kibboutzim célèbres : Kfar Blum et Ein Gev.
En 1940, l’occupation soviétique de l’Estonie mit fin à toute vie communautaire ; 400 juifs furent envoyés en camp de travail. l’invasion nazie, en juillet 1941, acheva de liquider la communauté, exterminée par les Einsatzgruppen avec la complicité active des collaborateurs locaux, notamment les militants du parti fasciste Omakaitse.
Après 1945, l’État soviétique brima toute forme d’activité culturelle juive : il ne reste qu’une petite communauté cultuelle qui entretenait le cimetière de Tallinn (toujours visitable). En revanche, l’un des effets de la politique antijuive soviétique en matière d’accès à l’éducation supérieure fut que nombre d’étudiants juifs de Moscou, Leningrad (Saint-Petersbourg) ou Kiev, vinrent à l’université de Tartu où à l’Institut polytechnique de Tallinn, beaucoup plus ouverts.
L’Estonie fut, en outre, pendant toute l’occupation soviétique, une porte de sortie assez facile pour les refuzniks, vers d’autres destinations, qu’ils s’agisse d’Israël ou des États-Unis d’Amérique. La communauté juive de Finlande, très proche géographiquement, aida depuis lors et aide toujours beaucoup les juifs estoniens.
La vie juive a redémarré en 1988 avec la création de la Société culturelle juive, puis d’une école dans les locaux de l’ancien gymnasium juif, encouragée par la graduelle perestoika.
Depuis l’indépendance retrouvée, en 1991, la communauté fonctionne librement : elle ne compte guère plus de 1000 personnes (pour la majorité des retraités) selon les sources officielles estoniennes -3000 selon les sources juives. En octobre 1993, une loi sur l’autonomie culturelle a de nouveau été votée.
On notera que, contrairement à ce qui se produit aujourd’hui en Lettonie et, à un moindre degré en Lituanie, les associations d’anciens Waffen SS estoniens n’ont aucun appui au sein des pouvoirs publics et l’extrême-droite est peu présente.
Rencontre avec Shmuel Kot, Grand rabbin d’Estonie
Jguideeurope : Comment percevez-vous l’évolution de la communauté juive depuis que vous y avez emménagé il y a 23 ans ?
Shmuel Kot : La communauté se développe à différents égards. Sur le plan religieux, culturel et organisationnel également. La synagogue est installée dans un bâtiment contemporain depuis 15 ans. Nous organisons de belles activités chaque shabbat, avec de nombreux invités. Pendant les vacances, nous proposons des cours de Talmud Torah pour les enfants ainsi que pour les adultes.
Avez-vous le sentiment que la communauté a acquis un rôle plus professionnel et officiel avec son développement ?
Oui, sans aucun doute. La vie juive d’aujourd’hui offre une grande diversité de possibilités dont on peut profiter. La plupart de nos membres sont russophones, mais nous avons également un groupe important de membres français. Juste avant le COVID, en raison du nombre croissant de membres français, quelqu’un a fait don de vingt livres de prières en français-hébreu. La vie juive est très différente en hiver et en été. Pendant l’hiver, il n’y a presque pas de lumière du jour. Les gens sont plus actifs à l’intérieur. En été, le shabbat peut commencer parfois à 23 heures ! La nuit de Shavuoth, où les Juifs étudient toute la nuit, doit également être réadaptée. La vie est très agréable ici. Les gens peuvent être juifs très ouvertement, il n’y a pas d’antisémitisme et les relations avec la minorité musulmane sont également bonnes.
Existe-t-il de nouvelles façons de partager le patrimoine juif ?
Le pays fait de nombreux efforts pour le partager. Et les lieux liés aux pages lumineuses et sombres de ce patrimoine sont partagés aujourd’hui. Le plus ancien cimetière a été détruit par les Russes il y a longtemps. Un nouveau cimetière a été ouvert et est toujours utilisé aujourd’hui. Le musée juif offre une bonne description de cette évolution, présentant les débuts de la vie juive en Estonie au 19ème siècle avec l’installation de jeunes soldats juifs, l’ère de prospérité de la vie culturelle juive entre les deux guerres mondiales avec par exemple les événements Maccabi et la tragédie de l’Holocauste.
L’Estonie a été à la fois le premier pays à accorder aux Juifs une autonomie culturelle dans les années 1920, et le premier à se déclarer Judenfrei pendant l’Holocauste ! Le musée présente également la vie juive pendant l’ère soviétique.
Êtes-vous souvent contacté par des personnes extérieures à l’Estonie qui souhaitent en savoir plus sur les faits historiques et leur généalogie ?
Tous les jours ! Les gens nous contactent pour diverses recherches. Certaines archives que nous avons mises à la disposition du public et d’autres qui sont conservées par les autorités locales, que nous essayons d’obtenir pour eux. Le gouvernement estonien fait de nombreux efforts pour permettre la mise en ligne progressive de ces documents. Nous venons de découvrir qu’un membre de notre synagogue a été adopté et a découvert ses racines juives grâce à ces documents.
Le pays compte environ 8000 juifs, qui habitent pour la plupart Copenhague et sont, en grande majorité ashkénazes – en 1968, 2500 juifs polonais fuyant la purge antisémite menée par les communistes se sont installés dans la capitale et à Arhus.
Les juifs des Antilles danoises
Les actuelles îles Vierges américaines ont été danoises de 1672 à 1916. Il en reste une architecture, notamment à Saint-Thomas, des noms de lieux (Christiansted) ou de personnes…Et une communauté juive : la synagogue de Saint-Thomas, toujours en activité, a été bâtie en 1796 (reconstruite après un incendie en 1833). Le Danemark nomma des gouverneurs juifs ; en 1850, la moitié des habitants européens des îles étaient juifs, venus pour la plupart des Antilles néerlandaises.
Des artisans et commerçants juifs s’installèrent dans les cités romaines de Suisse entre le IIIe et le IVe siècle, mais les premiers documents les mentionnant ne datent que du XIIIe siècle. Au cours des deux siècles suivants, les juifs furent régulièrement accusés de crimes rituels sur les enfants chrétiens ou d’empoisonnement des puits. Ils furent expulsés de toutes les villes entre 1384 et 1491. Quelques familles bénéficièrent toutefois de la tolérance des autorités locales. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que des communautés se constituèrent de nouveau, à l’initiative de juifs alsaciens. Les juifs de Suisse furent parmi les derniers en Europe à obtenir l’égalité politique, en 1866, sous la pression étrangère. En 1893, un vote populaire interdit l’abattage rituel en Suisse. Cette interdiction est toujours en vigueur aujourd’hui et la viande casher doit être importée.
L’attitude prétendument neutre de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale a donné lieu, à partir de 1995, à un vaste débat : de nombreuses recherches historiques ont montré que le gouvernement suisse avait adopté une politique d’asile antisémite, en refoulant des milliers de réfugiés, en exigeant de l’Allemagne un tampon J sur les passeports de ses ressortissants juifs. Les banques suisses ont finalement admis avoir indûment conservé des comptes en déshérence appartenant à des victimes de la Shoah, tandis que les assurances étaient montrées du doigt pour non-paiement de primes aux ayants droit. Cette remise en question fondamentale de l’histoire suisse, jusque-là auréolée de mythes de neutralité, de résistance et d’engagement humanitaire, a donné lieu à une profonde vague d’antisémitisme, attisée par des déclarations de hauts responsables politiques et relayée dans les médias. La petite communauté juive (18000 personnes), habituée à la discrétion, s’est soudain trouvée en première ligne, prise en étau entre les revendications des organisations juives et l’attitude des institutions suisses. Il faudra plusieurs années de dialogue pour que l’antisémitisme diminue en Suisse.
Pourquoi je suis juif ?
Edmond Fleg, de son vrai nom Flegheimer, est un romancier, poète et penseur né à Genève en 1874. Jusqu’à sa mort, en 1963, il a été engagé pour la cause juive, dans le cadre des éclaireurs israélites de France, de l’Alliance israélite universelle et de l’amitié judéo-chrétienne.
« Je suis juif, parce qu’en tous lieux où pleure une souffrance, le juif pleure.
Je suis juif, parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le juif espère.
Je suis juif, parce que la parole d’Israël est la plus ancienne et la plus nouvelle.
Je suis juif, parce que la promesse d’Israël est la promesse universelle. »
Texte de 1928, Paris, Rééd. Aux Belles Lettres, 1995.
A la fin du XIXe siècle se tient un congrès de l’organisation sioniste consacré au problème de la langue du futur État juif. Le débat est houleux avant de procéder au vote au cours duquel la langue hébraïque ne l’emporte que de quelques voix sur l’allemand. Aussi absurde que cela puisse paraître, il s’en est fallu de peu que la langue de Goethe ne soit parlée officiellement en Israël.
Entre la fin du XIXe siècle et l’époque actuelle, il existe bel et bien un « avant » et un « après». Entre les deux, ce que les juifs nomment la Shoah et les Allemands l’Holocauste. Pourquoi cette tragédie a-t-elle été conçue, planifiée et mise en œuvre en Allemagne précisément, dans ce pays de haute civilisation, patrie « des poètes et des penseurs»?
Terre de refuge
L’Allemagne plus encore que la France – rendue suspecte par l’affaire Dreyfus – sert de refuge entre 1870 et 1914 à bon nombre de juifs chassés de Russie, de Pologne ou d’Ukraine par la misère et les pogroms qui ensanglantent régulièrement les shtetlekh. Nahum Goldman – père fondateur du Congrès juif mondial –, né en Russie en 1885, arrivé à l’âge de cinq ans à Francfort-sur-le-Main, explique dans ses mémoires qu’il fut naturel pour lui, juif et sioniste, d’entrer dans les services de propagande de la diplomatie de Guillaume II.
À cette époque, estimait-il, « la grande puissance antisémite était la Russie tsariste, et la victoire de l’Allemagne me paraissait une bonne chose pour l’émancipation des juifs de l’Est opprimés de Pologne, de Lituanie et autres territoires soumis à l’arbitraire de l’administration russe ». Un demi-siècle plus tard, le même Nahum Goldman négocie avec le chancelier Konrad Adenauer le montant des réparations que l’Allemagne en ruine s’engage à payer aux survivants du génocide hitlérien et au tout jeune État d’Israël…
La synagogue de Worms dans le Palatinat – l’une des plus anciennes d’Europe, fondée en 1034 et construite par les mêmes architectes et compagnons que la cathédrale romane de la ville – pourrait symboliser à elle seule l’histoire de l’Allemagne et de ses juifs. Sept fois détruite et rebâtie, elle est dynamitée et rasée lors de la Nuit de cristal du 9 novembre 1938, déchaînement de la violence antisémite hitlérienne. Reconstruite après guerre, elle sert aujourd’hui de lieu de culte pour les militaires juifs de la base américaine voisine, car il n’y a plus suffisamment de juifs à Worms pour constituer un minyan.
Alternance d’accueil et de persécution
Comme dans toute l’Europe chrétienne, les juifs d’Allemagne, qui ont toujours vu dans ce pays l’Ashkenaz (Genèse 10) – d’où le nom générique d’ashkénazes donné aux juifs d’Europe centrale et orientale –, ont connu une alternance de périodes de tolérance, de cohabitation plus ou moins harmonieuse avec les chrétiens, voire de prospérité relative, et de périodes d’oppression, de persécution et d’expulsion.
L’arrivée des premiers juifs en Allemagne a fait l’objet de plusieurs récits légendaires. Leo Trepp, rabbin honoraire de Mayence et auteur d’une Histoire des juifs allemands note avec sagesse que « la légende ne peut certes pas remplacer l’Histoire, mais elle ne peut pas être en contradiction totale avec elle, sous peine d’être rejetée. Pour ce qui nous concerne, cela signifie que l’on croit fermement à un établissement très ancien des juifs en Allemagne ».
Origines et légendes
La présence juive à Worms remonterait selon certains récits à la première destruction du Temple de Jérusalem, en 587 avant Jésus-Christ, et à leur refus de répondre à l’appel du prophète Ezra de retourner sur leur terre à la fin de l’exil babylonien. D’autres indiquent que les premiers juifs seraient arrivés au bord du Rhin avec Marcellinus, un officier romain qui participa à la conquête de Jérusalem en l’an 70 de notre ère. C’est ainsi qu’au Moyen Âge, la famille von Dalberg prétendait descendre en droite ligne de ce Marcellinus et revendiquait du même coup le droit de protéger les juifs de la cité et de recevoir les confortables revenus que ce privilège lui octroyait…
Présence juive dès l’Empire romain
La première mention écrite signalant leur présence sur le territoire allemand actuel figure dans un édit de l’empereur Constantin, daté de l’an 321, qui enjoint les juifs de Cologne (Colonia Agrippina) d’envoyer « deux ou trois membres» de leur communauté à la curie (gouvernement) de la cité.
Ce « privilège » n’en est pas vraiment un: les décurions sont responsables de la collecte de l’impôt pour Rome et doivent bien souvent payer de leurs deniers les sommes exigées par l’empereur, lorsque la population est trop misérable ou trop rebelle pour être taxée. Cet édit indique que, dès cette époque, les membres des communautés juives rhénanes ont acquis une certaine aisance.
Cette situation perdure après la chute de l’Empire romain, et les nouveaux maîtres du pays, les seigneurs et les évêques issus des peuplades germaniques, entretiennent des rapports cordiaux avec les juifs. Cela ne va pas sans quelques tensions avec la papauté, qui voit dans le judaïsme un rival de la chrétienté.
L’empereur, revendiquant l’héritage de ses prédécesseurs romains, se considère comme le protecteur des juifs et le garant d’une prospérité sur laquelle il prélève sa dîme. Cette situation irrite une partie du clergé. Agobard, évêque de Lyon au IXe siècle, se plaint amèrement que les juifs aient acquis dans son diocèse trop d’influence sous la protection impériale: la noblesse recherche plutôt la bénédiction des rabbins que celle de l’évêque, et les commerçants juifs sont parvenus à faire déplacer le marché hebdomadaire du samedi au dimanche.
Développement de Spire, Mayence et Worms
Dans les villes, les juifs se heurtent de plus à l’hostilité des artisans chrétiens organisés en corporations. Exclus de la plupart d’entre elles, ils se consacrent au commerce, notamment avec l’Orient musulman, profitant de leurs relations avec les communautés juives installées dans ces régions. La rareté du numéraire en Occident et l’interdiction qui frappe les chrétiens de pratiquer le prêt avec intérêt poussent les juifs vers cette activité.
Au cours du XIe siècle, les communautés juives de Spire, Mayence et Worms, fort prospères, entretiennent d’excellents rapports avec les autorités locales, notamment ecclésiastiques. Ainsi, en 1096, l’archevêque de Spire invite-t-il les juifs persécutés à s’installer dans sa ville, car leur présence, affirme-t-il, « augmente considérablement le prestige de la cité ». La vie religieuse et culturelle de ces communautés est florissante: de nombreuses synagogues sont édifiées; des « sages» comme Gershom ben Yehuda, ou Salomon ben Isaac, plus connu sous le nom de Rachi, s’y installent pour dispenser un enseignement religieux et juridique qui fait encore autorité aujourd’hui.
Le début des croisades, en 1096, puis le durcissement de l’Église vis-à-vis des juifs lors des troisième et quatrième conciles de Latran (1179 et 1215) mettent fin à cette cohabitation paisible. Dans le sillage des premiers croisés, des bandes de fanatiques religieux, de paysans sans terre et d’aventuriers en route vers Jérusalem se « font la main» sur les non-chrétiens rencontrés sur leur chemin. En dépit des avertissements dispensés par les juifs de France qui ont déjà subi les assauts meurtriers de ces bandes armées, notamment à Rouen, les responsables des communautés rhénanes estiment que la protection des princes et des évêques constitue un bouclier suffisant. C’est le cas à Spire où les juifs et les troupes de l’évêque Johannes Ier parviennent à repousser les assaillants. À Worms et à Mayence en revanche, les autorités et la population ne s’opposent pas à ces massacres.
Maintien du yiddish
Pourchassés ou enfermés dans des ghettos par suite de discriminations de plus en plus sévères imposées par le pape, les juifs allemands n’échappent pas au destin de leurs coreligionnaires de l’Europe chrétienne dans son ensemble. Des accusations de meurtre rituel provoquent à intervalles réguliers des pogroms et des expulsions qui soldent de façon opportune les dettes contractées par les chrétiens auprès des prêteurs juifs. Ces persécutions conduisent de nombreux juifs allemands à partir vers la Pologne, les souverains de ce pays étant disposés à les accueillir pour bénéficier de leurs talents commerciaux et financiers. Ainsi le yiddish, ce mélange de dialecte moyen haut-allemand et de tournures hébraïques, se maintiendra en Europe de l’Est jusqu’à la disparition de ces communautés, victimes de la Shoah.
La chronique des communautés juives, de l’Empire jusqu’à la fin des guerres de Religion, est une alternance de périodes de relative tolérance dans cet ensemble morcelé et disparate, où des princes locaux se déclarent « protecteurs des juifs» essentiellement par intérêt, et de périodes de violences antijuives, comme celles perpétrées en 1298 par les hordes du chevalier Rindfleisch, qui anéantissent en l’espace de six mois 140 communautés juives en Franconie et en Saxe.
Influences de Martin Luther
Les bouleversements provoqués dans l’Empire par le mouvement de réforme religieuse conduit par Martin Luther ne contribuent pas à améliorer le sort des juifs. Luther a d’abord espéré les convertir en manifestant à leur égard douceur et compréhension. Il s’élève ainsi, en 1523, contre les mauvais traitements infligés aux juifs et note que « si les apôtres, qui étaient des juifs, s’étaient comportés de la sorte avec nous autres païens, aucun d’entre nous ne serait devenu chrétien […]». Vingt ans plus tard, Luther, profondément déçu par le peu d’empressement des juifs à le rejoindre dans la foi réformée, laisse libre cours à sa haine antijuive.
A propos des juifs et de leurs mensonges : la réforme et les juifs
Dans cet écrit tristement célèbre, Luther invite à une « dure compassion» envers les juifs; « brûler leurs écoles et leurs synagogues […], détruire leurs maisons et leur faire comprendre que, comme les Tziganes, ils ne sont pas chez eux dans ce pays […], détruire tous leurs livres, [interdire] à leurs rabbins d’enseigner leurs hérésies, et enfin que l’on suive l’exemple de bon sens des autres nations, comme la France, l’Espagne et la Bohème qui les ont exclus à jamais de leur territoire». Ces imprécations justifient pendant quatre siècles en Allemagne un antisémitisme populaire, en dépit des efforts de nombreux théologiens et pasteurs protestants pour se distancier de ce « dérapage» du grand réformateur.
Dans cette situation précaire, les communautés juives allemandes doivent souvent leur salut et leur survie à l’existence et l’habileté des « juifs de cour», dont les princes allemands, toujours par manque d’argent, ont besoin pour assurer leur train de vie et financer leurs expéditions militaires. C’est ainsi que Samuel Oppenheimer rassemble les moyens nécessaires à la défense de Vienne contre les Turcs, et que Joseph Süsskind Oppenheimer, dit « le juif Süss» (1692-1738), devient le principal conseiller du duc Charles Alexandre de Wurtemberg. Cette faveur des princes permet à ces juifs de cour d’obtenir des protections pour leurs coreligionnaires, souvent remises en cause lors des successions dynastiques. À la fin du XVIIe siècle, environ 60000 juifs vivent dans l’Empire, qui compte quelque 40 millions d’habitants. La communauté la plus importante est installée à Francfort (3000 membres).
Emancipation et Haskalah
L’émancipation des juifs allemands et leur sortie des ghettos demandent un long processus, amorcé à la fin du XVIIe siècle et qui atteint son apogée après 1871, sous Guillaume Ier. L’émergence des idées de l’Aufklärung, l’équivalent allemand des Lumières françaises, contribue à la sécularisation des communautés juives, en dépit de la restriction de leurs droits civiques, qui demeure la règle dans la plupart des États allemands. Sous Frédéric-Guillaume Ier et, surtout, Frédéric II le Grand, la Prusse accueille de riches familles expulsées d’Autriche, de la même façon qu’elle a ouvert ses portes aux huguenots français chassés de leur pays après la révocation de l’édit de Nantes.
C’est à Berlin qu’émerge une grande figure du judaïsme allemand, Moses Mendelssohn (1729- 1786), l’initiateur de la Haskalah, mouvement d’inscription de la foi juive dans son époque, de sortie de l’isolement et du confinement dans les ghettos réels et spirituels. Négligeant les critiques des rabbins orthodoxes, il traduit en allemand la Torah et incite les juifs à utiliser cette langue dans leurs échanges intellectuels avec les savants des autres religions, afin de dissiper les malentendus véhiculés dans les caricatures du judaïsme et diffusés dans les écrits polémiques judéophobes. Ce courant de pensée ouvre la voie à la sécularisation croissante des juifs allemands, qui se manifeste souvent par une conversion au christianisme, « ticket d’entrée» obligé de la classe dominante.
La victoire des armées de la République française, puis de l’Empire napoléonien, apporte l’émancipation légale des juifs d’Allemagne, en introduisant dans les territoires soumis le statut personnel et collectif des juifs établi en France par les lois de 1791 puis de 1807. Dans la Prusse vaincue, le chancelier Hardenberg, qui prépare la revanche, juge opportun de se rallier les juifs en leur accordant, en 1812, la pleine citoyenneté. En retour, la grande majorité des juifs allemands font montre d’un patriotisme exalté lors des « guerres de libération» de 1813-1815.
Heine et Marx : deux juifs Rhénans convertis
Heinrich Heine (1797-1856), né à Düsseldorf, et Karl Marx (1818-1883), né à Trèves, sont les deux représentants les plus éminents de cette vague de conversion au christianisme plus ou moins sincère, de membres de la bourgeoisie juive, pour qui le baptême constituait le « ticket d’entrée » dans la bonne société. Leur attitude vis-à-vis de la religion de leurs pères est, cependant, à l’opposé l’une de l’autre. Pour Heine, la conversion ne changeait rien. C’est en français que le grand poète allemand s’en expliqua: « On ne change pas de religion. On en quitte une que l’on n’a plus, pour une autre que l’on n’aura jamais. Je suis baptisé, mais je ne suis pas converti.» Marx, en revanche, baptisé à l’âge de six ans, pensait en ces termes: « Les fondements terrestres du judaïsme qui conditionnent sa vie ici-bas, c’est l’égoïsme. Sa religion, c’est le colportage et son Dieu l’argent.»
La maison natale de Heine à Düsseldorf et celle de Marx à Trèves ont été transformées en musée.
Développement intellectuel et économique
En dépit de la persistance d’un antisémitisme de la population, toutes classes confondues, la loyauté des juifs à l’égard de la patrie allemande est sans faille jusqu’à ce qu’il devienne évident, avec l’arrivée de Hitler au pouvoir, que cette symbiose judéo-allemande est promise à une issue tragique.
En 1871, l’Allemagne compte 512153 juifs (1,25 % de la population); en 1933, ils sont encore 502773 (0,76 %) et représentent la troisième communauté juive d’Europe, après la Pologne et la Russie. Leur poids économique, intellectuel et culturel, dans la société allemande est sans rapport avec leur importance démographique. Figurent dans leurs rangs de grands banquiers, tels les Rothschild, Warburg, Bleichröder, etc., des industriels comme le chimiste Heinrich Caro, cofondateur d’IGFarben, des armateurs comme Alfred Ballin, président de HAPAG, la plus importante compagnie maritime allemande, des fondateurs de
grands magasins (Hermann Tietze, Wertheim), dont les enseignes sont toujours présentes dans les villes allemandes. Ils apportent également leur contribution à la science et à la culture: Albert Einstein, Robert Oppenheimer, Hermann Cohen, Hannah Arendt, Alfred Döblin, Lion Feucht-Wanger, Arnold Schönberg, Max Reinhardt, Fritz Lang, Billy Wilder… Tous, parmi beaucoup d’autres, sont issus de ce monde juif allemand dont l’esprit se perpétue en d’autres lieux, porté par ceux qui eurent la chance d’échapper à l’entreprise exterminatrice hitlérienne.
La politique systématique d’abolition des droits civiques et économiques, d’expulsions, puis d’extermination des juifs dans les territoires conquis par les nazis, marque la fin d’un monde, déplaçant le centre de la vie juive mondiale vers Israël et les États-Unis.
1938, l’année terrible
1er janvier: les juifs sont exclus de la Croix-Rouge.
25 juillet : les médecins juifs ne sont plus autorisés à exercer.
17 août: les juifs sont contraints d’ajouter le prénom « Israël» ou « Sara» à leur état civil.
27 septembre: les avocats juifs sont « interdits professionnels».
8 octobre: les passeports des juifs doivent être pourvus du tampon « J».
8 et 10 novembre: la Nuit de cristal. À l’instigation de la Gestapo, des bandes armées saccagent les synagogues, les institutions et les boutiques juives.
15 novembre: les enfants juifs sont exclus des écoles communales.
3 décembre: il est interdit aux juifs de fréquenter les cinémas, les théâtres, les musées et les manifestations sportives. Les permis de conduire des juifs sont annulés.
8 décembre : les juifs sont exclus des universités.
Evolution contemporaine
Aujourd’hui, la communauté juive d’Allemagne compte quelque 100000 membres. Longtemps constituée par ceux qui avaient survécu aux camps et qui n’avaient nulle part où aller, et ceux qui s’étaient exilés mais étaient revenus par nostalgie, elle a vu ses effectifs croître brusquement avec l’arrivée de ressortissants des anciens pays communistes. En les accueillant, l’Allemagne nouvelle et réunifiée souhaite signifier qu’elle assume pleinement ses responsabilités historiques. Ce même souci a poussé les autorités du pays à préserver ce qui restait du patrimoine juif après les destructions perpétrées par les nazis. D’ailleurs, l’Allemagne est, paradoxalement, le pays d’Europe où l’on trouve le plus grand nombre de lieux de mémoire juifs, sauvegardés à l’initiative des autorités dans les grandes villes, et grâce à l’action de personnes ou d’associations voulant lutter contre l’oubli dans les petites villes et les villages.
En général, les municipalités ou les offices du tourisme fournissent volontiers toutes les informations nécessaires pour les visiter.
Le 9 novembre 2021, afin de marquer le 83e anniversaire de la Nuit de cristal, 18 municipalités allemandes et autrichiennes ont projeté des images de synagogues détruites sur les murs des bâtiments situés aujourd’hui en ces lieux. La reconstruction virtuelle de ces synagogues a été réalisée par le Conseil central juif d’Allemagne, en partenariat avec le Congrès juif mondial. Une démarche entreprise notamment dans une volonté de transmission historique et géographique aux futures générations, moins familières avec ces pages douloureuses du passé. Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a d’ailleurs rappelé dans un discours les conséquences de la nuit du 9 novembre 1938, lorsque les nazis ont assassiné 91 personnes et ont détruit 1400 synagogues.
L’histoire des Juifs belges est semblable à celle de leurs coreligionnaires d’Europe occidentale, avec des migrations et des changements de structure des anciennes communautés pour évoluer vers d’autres traditions.
Les juifs s’installent sur le territoire belge au XIIIe siècle : à Arlon, Bruxelles, Hasselt, Jodoigne, Leau, Louvain, Malines, Saint-Trond et Tirlemont. Une pierre tombale juive de 1255 a d’ailleurs été retrouvée dans cette dernière ville. Elle porte un texte hébreu qui mentionne le prénom Rebecca. Elle est désormais exposée au Musée royal d’Art et d’Histoire du Cinquantenaire.
De 1348 à 1350, la peste noire déferle sur l’Occident. Les juifs, accusés d’avoir empoisonné les fontaines, sont persécutés.
Au XVIe siècle, une nouvelle ère s’amorce. Des marranes portugais et espagnols arrivent à Anvers. Ils contribuent largement à l’essor de la ville grâce à leurs relations. Charles Quint ordonne l’expulsion des « nouveaux chrétiens» à plusieurs reprises non sans l’opposition de la ville.
Dès le XVIIIe siècle, les juifs se consacrent à un type d’activités économiques très différentes de celles de leurs frères d’Europe orientale. Ils se mettent au service de la royauté, se lancent dans le commerce et contribuent ainsi grandement au développement économique.
En 1808, les quelque 800 juifs belges sont intégrés dans le Consistoire israélite de Créfeld reconnu par l’État français. En 1831, après de longues négociations avec le nouveau Parlement, un consistoire israélite indépendant est créé à Bruxelles, la capitale du pays, qui accueille une population migrante croissante en provenance d’Europe de l’Est.
En 1914, au début de la Première Guerre mondiale, les juifs d’Anvers cherchent refuge aux Pays-Bas voisins restés neutres jusqu’à la signature de l’armistice en 1918, et se concentrent à Amsterdam, La Haye et Scheveningue.
En 1939, une partie de la population juive d’Anvers s’enfuit à Cuba, qui autorise un certain l’arrivée de réfugiés juifs de cette ville afin qu’ils y développent l’industrie diamantaire. Certains reviendront plus tard, d’autres gagneront les États-Unis.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la population juive vivant en Belgique est estimée à près de 80000 âmes. De la caserne Dossin de Malines, 25490 Juifs et 353 Roms seront déportés à Auschwitz, entre 1942 et 1944. Seuls un peu plus d’un millier reviendront.
Aujourd’hui, environ 40000 juifs vivent principalement à Bruxelles et Anvers. Leurs positions politiques et religieuses se démarquent géographiquement, ainsi que les activités professionnelles qui ont fait leur réputation.
Anvers a une communauté plus religieuse, où coexistent des lieux de références orthodoxes, traditionalistes et culturels. Les juifs y constituèrent depuis le début du 20e siècle jusqu’au début du 21e une grande partie des travailleurs de l’industrie du diamant.
Tandis que Bruxelles a une communauté juive en grande partie laïque et quelques traditionnalistes. Une histoire juive très intéressante est à découvrir dans d’autres villes comme Liège, Charleroi, Gand et Ostende.
La Hollande a toujours accueilli les réfugiés politiques et religieux. Les juifs, quoique présents depuis le XIIe siècle, y trouvent pour la première fois la possibilité d’afficher leur religion après la première grande vague d’immigration de la fin du XVIe siècle, en provenance d’Espagne et du Portugal. Ce sont, en effet, d’abord les séfarades qui marquent ce pays de leur empreinte. Cette province en lutte contre la domination espagnole qui cherche à imposer aux calvinistes la religion catholique, ainsi qu’une centralisation et des impôts impopulaires, constitue pour eux une terre d’accueil inespérée. Dans le contexte mouvementé de l’époque, les juifs préfèrent d’ailleurs se présenter comme des Portugais plutôt que comme des Espagnols, y compris lorsqu’ils arrivent de Castille ou d’Andalousie. Le premier noyau s’installe sur les bords de l’Amstel. Il faudra une quinzaine d’années à cette communauté pour être reconnue.
Très discrets jusqu’en 1616, les juifs, qui utilisent des noms hollandais pour mener à bien leurs affaires, vont peu à peu se déclarer ouvertement, se faire circoncire et renouer avec une tradition qu’une partie d’entre eux ne connaît même pas. Ils sont alors tolérés en Hollande mais ne peuvent pas encore remplir de charge civile ou militaire. Ils ne peuvent se marier avec des chrétiens, ni faire de prosélytisme. Les guildes et le commerce de détail leur sont interdits, mais il n’existe aucun ghetto.
La première synagogue est construite à Amsterdam en 1612. En 1619, une loi stipule que chaque ville du pays est libre d’adopter sa propre politique vis-à-vis des juifs, mais qu’elles ne peuvent en aucun cas leur demander d’afficher un signe distinctif. En 1657, la Hollande les reconnaît officiellement comme sujets du pays.
Les autorités néerlandaises leur demandent non seulement de déclarer leur religion, mais de se comporter comme de « bons juifs», c’est-à-dire de manière orthodoxe. Cette exigence, également appliquée aux différentes composantes du protestantisme dans le pays, et qui va au-delà de la liberté de culte, a de quoi plonger la plupart des exilés dans une certaine perplexité.
Ces crypto-juifs ou marranes, ayant largement modifié les rituels juifs en les pratiquant en cachette, ne savent plus en quoi consiste exactement leur religion et doivent faire venir des rabbins d’autres pays à leur secours. Le premier d’entre eux fut un rabbin hispanophone de Salonique (Grèce). La nouvelle « règle du jeu » donne un pouvoir important aux chefs religieux des communautés juives, qui édictent des règles très strictes. Ces dirigeants (parnassim) sont responsables envers les autorités hollandaises du bon ordre au sein de leur groupe. La communauté fonde sa première synagogue, crée ses institutions éducatives (des écoles talmudiques ouvrent à Amsterdam : le premier Talmud Torah accueille un jeune garçon de cinq ans, qui deviendra le célèbre philosophe Baruch Spinoza) et caritatives, jusqu’à un tribunal de commerce pour régler les litiges entre juifs. Il faut payer une taxe pour faire partie de la communauté et se soumettre à ses règles. Faute d’obéissance, la menace de mise au ban de la communauté (herem) signifie l’isolement pour un individu (il est interdit, même aux membres de sa famille, de lui adresser la parole) et un vide juridique, puisque les magistrats d’Amsterdam ne reconnaissent que les communautés religieuses : la non-appartenance à une communauté religieuse est impensable et source de graves problèmes en Hollande. Les registres conservés recensent des herem allant d’un jour à onze ans.
Un herem à vie
Un herem ne fut prononcé à vie qu’à deux reprises, notamment en 1656 contre Baruch Spinoza. Ce descendant de marranes portugais fut mis au ban de la communauté pour avoir douté de la valeur des écrits bibliques, nié en bloc les notions d’immortalité de l’âme, de surnaturel, d’existence de miracles et d’un Dieu autre que philosophique : selon ce disciple de Descartes, la religion avait été inventée de toutes pièces par l’homme pour obtenir l’obéissance et imposer à la société une conduite morale.
C’est seulement à partir de 1635 que des juifs originaires d’Europe de l’Est s’installent, d’abord en provenance d’Allemagne, puis de Pologne et de Lituanie après 1648. Ils arrivent en général complètement démunis et vivent dans des taudis.
Ashkénazes contre Séfarades
Les nouveaux venus sont d’abord rejetés, à tel point qu’il est interdit de leur distribuer des aumônes à la sortie de la synagogue. Les mariages mixtes entre les deux communautés ne sont pas permis. Le cimetière d’Ouderkerk (dans la banlieue d’Amsterdam) est interdit aux ashkénazes. Ils sont ensuite relégués dans des tâches subalternes : ils sont parfois les domestiques des séfarades et ce n’est pas un hasard si le mot tudesca (littéralement allemande) est, à l’époque, synonyme de domestique. Plus tard, les notables lituano-polonais adopteront la même attitude en cherchant à se débarrasser des plus pauvres d’entre eux…
En 1674, pour la première fois, la communauté ashkénaze rejoint en nombre la communauté séfarade. A Amsterdam, chacune d’entre elle compte 2500 membres, sur une population totale de 180000 habitants. Un siècle plus tard, les ashkénazes deviennent largement majoritaires, les séfarades ne représentant que 10% des juifs en 1780 (et 6% au début du XXe siècle).
Au milieu du XVIIe siècle, 20 % des courtiers assermentés à la Bourse d’Amsterdam sont juifs. Ils ont un savoir-faire reconnu, grâce notamment à leur connaissance des langues et au réseau constitué par la diaspora. Ces qualités leur permettent également d’exercer un rôle d’intermédiaires diplomatiques. Ils ont aussi la possibilité de faire carrière dans la banque et le commerce. Ils occupent des positions en vue dans le travail de la soie, les raffineries de sucre, la taille du diamant, ainsi qu’en tant qu’imprimeurs, libraires (de livres religieux d’abord) et médecins. Certains s’impliquent dans le commerce avec les Antilles et les Indes néerlandaises, allant jusqu’à détenir le quart des actions de la Compagnie des Indes.
Au milieu du XVIIIe siècle, Amsterdam possède la plus grande communauté juive d’Europe. Avec la Révolution française et la conquête de la République batave, l’Assemblée nationale accorde, en 1796, l’ensemble des droits civiques aux 23400 juifs de Hollande. Le pays est le premier en Europe à accepter des juifs au Parlement et à leur confier des postes gouvernementaux. Napoléon Bonaparte est par ailleurs l’initiateur d’un concordat régulant les relations entre juifs « allemands» et « portugais», et d’une organisation commune sous la houlette d’un consistoire supérieur.
Le roi Guillaume Ier (1815-1840) favorise également le sort et l’éducation de la communauté juive. En 1857, les juifs ont l’obligation de fréquenter les écoles publiques et de réserver l’éducation religieuse au dimanche et aux cours du soir. Des écoles juives ne sont rouvertes qu’au XXe siècle, à Amsterdam toujours.
La première moitié du XXe siècle est ainsi marquée par un déclin de la structure communautaire traditionnelle juive, avec un nombre croissant de mariages mixtes. Les nouveaux capitaines d’industrie comme Van den Bergh, dont l’usine de margarine donnera naissance au géant Unilever, ou ceux qui se distinguent à la tête de chaînes de grands magasins sont parfaitement intégrés. Il existe encore des journaux juifs à la veille de la Seconde Guerre mondiale (quatre hebdomadaires, de nombreux mensuels et magazines), mais ils sont désormais en néerlandais.
Le pays est occupé par les troupes allemandes en mai 1940. Les juifs néerlandais payent un très lourd tribut à la domination nazie : 104000 seront assassinés, sur un total de 140 000. Une minorité de Néerlandais oppose aux nazis une résistance active. Ils aident en particulier 22 000 juifs à se cacher. Environ 8 000 se feront néanmoins prendre.
Après la guerre, entre 20000 et 30000 juifs ont réintégré leur foyer. Ils sont au nombre d’environ 27000 à l’aube du troisième millénaire, sur une population totale de 15,5 millions d’habitants. Il reste trente synagogues sur la centaine existant en 1940. Des services réguliers n’ont lieu que dans quelques-unes d’entre elles.
Si l’Irlande ne constitue pas le premier choix du voyageur amateur de culture juive, l’île recèle néanmoins de quelques surprises. La population juive d’Irlande n’a jamais excédé 8 000 personnes, et ce vers la fin des années 1940. Elle est aujourd’hui réduite à moins de 2 000 membres, dont 1 500 en République d’Irlande. La dernière boucherie casher a d’ailleurs fermé ses portes en mai 2001.
Il semblerait que la toute première trace d’une présence juive se trouve dans les Annales d’Innisfallen qui rapportent l’arrivée de cinq juifs, probablement des marchands de Rouen, débarquant à Limerick.
Mais il faut attendre 1290, et l’expulsion des juifs d’Angleterre, pour qu’une véritable communauté prenne corps. L’expulsion des juifs de la péninsule Ibérique, au XVe siècle, apportera son lot d’émigrants sur le sol irlandais, principalement sur la côte sud.
Un siècle plus tard, en 1656 ou en 1660 selon les sources, un groupe de marranes ouvre le premier lieu de prière, face au château de Dublin. Le cimetière de Ballybough (comté de Dublin) accueille quant à lui des tombes juives depuis le début du XVIIIe siècle.
Entre la fin des guerres napoléoniennes et le début du XXe siècle, affluent les immigrants juifs, chassés par les pogroms d’Europe centrale, de Lituanie en particulier. Ceux qui ne poursuivaient pas leur route vers les Amériques, s’installaient parfois dans les villes irlandaises, y construisaient des synagogues, y ouvraient des boucheries casher, et constituaient des communautés soudées. La plus importante était celle de South Circular Road, à Dublin.
Les juifs deviennent aussi visibles dans la vie publique. Des juifs originaires de la Russie tsariste exercent un rôle de leader dans le Syndicat international des Tailleurs fondé en 1909. Les juifs participent au mouvement indépendantiste, victorieux en 1921, et dans lequel on se souvient surtout de Robert Briscoe.
Haut en couleurs, seul membre juif de l’IRA, selon ses dires, il fut aussi maire de Dublin à deux reprises dans les années 1950-1960. Son fils, Benjamin Briscoe, occupa lui aussi cette fonction de 1988 à 1989.
L’autre nom que l’on retient est celui de la famille Herzog. Après avoir occupé les plus hautes fonctions religieuses en Irlande, le rabbin Isaac Herzog devint le premier Grand Rabbin du tout jeune État d’Israël.
Son fils Chaïm, né à Belfast et élevé à Dublin, devient le sixième président de l’État juif. Aujourd’hui encore, les bureaux du rabbinat sont situés dans Herzog House, sur Zion Road à Dublin.
En lisière des fouilles d’Ostie, qui fut le grand port de la Rome impériale, se dressent les restes d’une antique synagogue avec des chapiteaux de colonnes ornés de la menorah, le chandelier à sept branches. Construite vers le milieu du Ier siècle, peut-être même avant la destruction du Temple de Jérusalem, elle témoigne de quelque 2000 ans de présence juive en Italie, notamment à Rome. Dans la Ville éternelle, la synagogue a précédé le Vatican. « Parmi les groupes de juifs qui émigrèrent de Palestine pour se fixer en Europe, ceux qui choisirent l’Italie sont non seulement les plus anciens mais aussi les seuls qui n’ont jamais interrompu leur présence dans leur nouveau lieu de résidence », écrit Attilio Milano, auteur d’une Histoire des juifs en Italie. À l’en croire, les juifs de la péninsule célébraient jadis, dans les moments fastes, leur terre d’adoption comme « l’île de la rosée divine », traduction assez libre des trois mots hébreux I-tal-yah.
Les premières communautés juives s’installent à Rome et dans quelques centres du sud de l’Italie à partir du IIe siècle avant Jésus-Christ, mais il n’existe guère de document précis en attestant. Les premiers contacts officiels sont établis en 161 avant Jésus-Christ, quand Judas Maccabée, qui lutte pour libérer la Palestine de la dynastie syrienne des Séleucides, envoie deux ambassadeurs au Sénat pour demander l’aide de Rome. L’affaire n’a pas de suite, car la rébellion est rapidement écrasée. Au siècle suivant, Rome s’implique de plus en plus dans les affaires de la Judée, qui est finalement conquise par Pompée en 63 avant Jésus-Christ, et qui devient un protectorat romain. Des milliers de juifs sont emmenés comme esclaves à Rome mais, dans l’ensemble, ils obtiennent assez rapidement leur affranchissement. Leur refus de travailler le samedi et leurs exigences alimentaires en font une main-d’œuvre difficile.
Ces liberati augmentent le nombre de leurs co-religionnaires, pour la plupart commerçants et artisans,
attirés de longue date par la richesse de la capitale. Leur nombre est estimé à une dizaine de milliers dans les dernières années de la République et cette communauté commence à compter. Dans la guerre civile entre Pompée et César, elle choisit massivement d’appuyer ce dernier qui leur en sait gré et leur octroie un certain nombre de droits spécifiques. Ils sont exemptés du service militaire. Leurs communautés obtiennent le droit de juger les affaires internes selon leurs lois. Elles sont autorisées à récolter des fonds et à en envoyer une partie pour le Temple de Jérusalem. Quand César est assassiné en 44 avant Jésus-Christ, les juifs de Rome sont, selon Flavius Josèphe, parmi les plus nombreux à se presser sur le forum pour honorer celui qui a redonné toute leur dignité aux anciens esclaves.
Auguste confirme et élargit ces privilèges. Dans les premières années de l’Empire, la population juive de Rome est estimée à quelque 40000 personnes, sur une population d’un million d’habitants. Mais les exigences absolutistes des successeurs d’Auguste, leur tentative d’imposer à tous – y compris aux juifs– un culte de l’Empereur divinisé créent des problèmes croissants. Caligula est le premier à vouloir installer sa statue dans les synagogues avant de renoncer à son projet. Le pouvoir impérial considère avec une suspicion croissante ces juifs à la religion incompréhensible, et leurs querelles avec ces chrétiens jugés plus étranges encore. Leur situation devient plus délicate quand éclatent les révoltes de Judée, écrasées dans le sang par Vespasien et son fils Titus: en 70, ce dernier reconquiert Jérusalem, détruit le Temple de Salomon et emmène plus de 100000 juifs en captivité ; il décide, en outre, que le tribut que les juifs versaient jusque-là pour l’entretien de leur temple serait maintenu et versé à celui de Jupiter Capitolin.
La conversion de Constantin au christianisme en 312, proclamé peu après religion d’État, change encore la donne, en pire. L’Église ne peut refuser l’héritage de l’Ancien Testament sans se renier, ni vraiment assumer cette filiation avec le monde juif sans perdre son prestige de culte officiel. Elle décide que les juifs pourront continuer à pratiquer leur religion en tant que témoins vivants de la part de vérité contenue dans l’Ancien Testament, mais qu’ils devront aussi, perpétuellement, expier leur refus de Jésus. Le concile de Nicée en 325 sépare clairement les deux religions, en instituant notamment le dimanche à la place du samedi comme jour de repos obligatoire, et instaure les premières mesures discriminatoires interdisant aux juifs les charges publiques ou la possession de biens immobiliers.
Après les invasions barbares, les juifs ne sont plus qu’une poignée dans une Rome misérable, réduite à quelques dizaines de milliers d’habitants. La venue au pouvoir du pape Grégoire Ier le Grand, en 590, rétablit l’autorité de l’Église en Occident. La bulle Sicut Judaeis fixe quelques mesures de protection pour les juifs. Tout au long du haut Moyen Âge, alternent ainsi, pour les juifs italiens, persécutions et périodes de relative tranquillité.
La chronique du voyage en Italie de Benjamin de Tudela, juif de Navarre, permet de se faire une idée assez précise du judaïsme dans la péninsule au milieu du XIIe siècle. Les juifs sont alors très peu nombreux au nord de l’Italie : à peine deux familles à Gênes et pas beaucoup plus à Venise. À Rome, vit une communauté active de 200 chefs de famille, assez respectée par le reste de la population et libre de tout tribut, formée d’artisans et de commerçants, mais aussi de lettrés et de médecins qui ont leurs entrées à la cour des papes. Ces derniers n’appliquent guère dans leur ville les mesures vexatoires imposées aux juifs dans le reste de la chrétienté. Mais c’est au sud de l’Italie, à Naples, à Salerne et surtout en Sicile, que les communautés sont alors les plus florissantes. Avec plus de 8000 juifs pour 100000 habitants, la Palerme des rois normands est alors le plus grand centre de la vie juive en Italie. Ils excellent dans la teinturerie et dans la fabrication de la soie. Héritier de cette culture plurielle, l’empereur Frédéric II de Souabe, grand ennemi des papes et premier prince moderne d’Europe à l’aube du XIIIe siècle, instaure dans ses domaines de Sicile et du sud de l’Italie les premières lois protégeant les juifs ; il reconnaît notamment leur rôle économique essentiel. Ces mesures ne lui survivent pas, d’autant que le IVe concile du Latran (1215) durcit les discriminations contre les juifs.
Les princes d’Anjou, puis les Espagnols, conquièrent l’Italie du Sud et la Sicile. La situation des juifs se fait plus difficile. Le judaïsme sicilien est rayé de la carte en même temps que celui d’Espagne, avec l’ordre d’expulsion de 1492. Cas unique, la population et la municipalité, notamment à Palerme, protestent contre l’arrêté et défendent les juifs, quoique sans succès. Les expulsés de Sicile partent vers Naples dont ils sont chassés peu après. Au XVIe siècle, le judaïsme italien est dans une situation complètement nouvelle. À Rome et dans les États pontificaux, les persécutions sont de plus en plus sévères depuis le milieu du siècle. En 1555, Paul IV, à peine élu, lance l’édit Cum Nimis Absur- dum instituant le ghetto pour les juifs de Rome, soumis dès lors à un ensemble de mesures vexatoires sans précédent dans la Ville éternelle. Pour être reconnaissables, ils doivent porter un bonnet jaune ou un voile de la même couleur pour les femmes. Ils n’ont plus le droit d’avoir des biens immobiliers et des serviteurs chrétiens. Les seuls métiers autorisés sont ceux de la « fripe», et les titulaires de banque n’ont plus le droit de faire des prêts à plus de 12 %. À Rome, comme à Ancône et dans tous les territoires administrés par la papauté, les communautés juives s’enfoncent dans une nuit longue de trois siècles. Les principaux foyers de la vie juive, renforcés par l’arrivée des juifs d’Espagne, du Portugal ou de Sicile, rayonnent désormais dans des villes du nord de la péninsule, grâce à la précaire tolérance des princes ou des pouvoirs locaux, dans la Mantoue des Gonzague, dans la Ferrare des Este ou même à Venise, qui est pourtant la première cité à instaurer un ghetto en 1516. La Toscane de Cosimo Ier a d’abord accueilli de nombreux juifs à Florence et Sienne, avant de céder aux injonctions des papes. Mais son successeur Ferdinand Ier, décidé à faire de Livourne un grand port de commerce avec le Levant, encourage les juifs à s’y installer, et cette ville devient l’ultime havre de liberté du judaïsme italien.
Le souffle de la Révolution française qui, pour la première fois, accorde aux juifs la pleine égalité avec les autres citoyens, secoue le judaïsme italien. Considérés comme « des alliés naturels des Français et des idées nouvelles», les juifs sont victimes d’émeutes, fomentées par le clergé, à Livourne en 1790 et à Rome en 1793. Dès 1796, les soldats de Bonaparte franchissant les Alpes font tomber les murs des ghettos au fur et à mesure de leur avancée, apportant la parité des droits aux juifs du Piémont, puis de Lombardie, d’Émilie et enfin de Venise où les troupes françaises entrent en mai 1797. Moins d’un an plus tard, elles marchent sur Rome où les juifs se débarrassent du bonnet jaune de l’infamie pour arborer la cocarde tricolore. La République romaine est proclamée : « Les juifs qui réunissent les conditions prescrites pour être citoyens romains seront soumis aux seules lois communes à tous les citoyens.» Ils s’engagent en masse dans la garde civique, dont un bataillon est commandé par un certain Isacco Barraffael.
Quand les troupes françaises se retirent un an plus tard, le retour de bâton est féroce et les communautés sont soumises à de fortes amendes. De nombreux quartiers juifs sont pillés. Mais en 1800, les soldats tricolores reprennent le contrôle de la péninsule. Pendant quatorze ans, les juifs d’Italie jouissent pleinement de leurs droits de citoyens. Ils ouvrent des boutiques hors des ghettos ou achètent des terres. Un lycée juif est créé à Reggio Emilia. Après la déroute de Napoléon, le Congrès de Vienne tente de faire revenir l’histoire d’un quart de siècle en arrière. Le pape Pie VII revient à Rome, les Autrichiens au nord de la péninsule, et les Bourbons au sud. La Restauration n’éradique pas les idées nouvelles. L’Italie s’est découverte comme nation, et les juifs italiens comme hommes libres. Ils jouent dès lors un rôle actif dans toutes les conspirations et les combats qui finalement conduiront, un demi-siècle plus tard, au Risorgimento, c’est-à-dire à l’unité italienne, réalisée sous l’égide de la monarchie piémontaise.
Le 20 septembre 1870, les troupes italiennes entrent à Rome par la brèche de Porta Pia, mettant fin au règne temporel des papes et parachevant l’unification du pays. Le ghetto de Rome est définitivement supprimé. Les juifs de la nouvelle capitale deviennent à leur tour, comme leurs coreligionnaires du reste de la péninsule, des citoyens à part entière. La conquête de l’égalité des juifs italiens est plus tardive qu’ailleurs en Occident, mais ces derniers disposent dès lors de conditions « qui ne peuvent être meilleures », comme le souligne Cecil Roth dans son Histoire des juifs d’Italie, et jouent un rôle de tout premier plan dans le nouveau royaume. Isacco Artom, secrétaire particulier du Premier ministre piémontais Camillo Cavour entre 1850 et 1860, est le premier juif européen à occuper un poste diplomatique d’importance. Luigi Luzzati, héritier d’une grande famille juive vé- nitienne, est Premier ministre en 1910, après avoir tenu plusieurs années le portefeuille des Finances. Le général Giuseppe Ottolenghi, juif piémontais, est choisi par le roi comme professeur de science militaire pour le prince hériter avant de devenir ministre de la Guerre en 1903. Ernesto Nathan, juif et grand maître de la franc-maçonnerie, est maire de Rome entre 1907 et 1913. Nombre de juifs italiens s’illustrent dans l’université, la musique, la littérature (Italo Svevo, Umberto Saba), les arts plastiques (Amedeo Modigliani). Les communautés concentrées dans les grandes villes bâtissent de nouveaux temples comme la Grande Synagogue de style « néo-babylonien » de Rome, pour afficher l’harmonieuse intégration au sein de la nation des quelque 45 000 juifs italiens. L’Italie ignore presque totalement l’antisémitisme. Même le fascisme ne joue pas sur cette fibre, du moins pendant sa première décennie au pouvoir.
Benito Mussolini ne cesse de répéter qu’en Italie, « il n’y a pas de problème juif ». Des juifs sont membres du fascio depuis sa création. Margerita Sarfatti, intellectuelle raffinée, biographe et égérie du Duce, était juive. Si Mussolini pourfend dans ses discours « la ploutocratie internationale juive », il entretient des relations avec certains dirigeants du mouvement sioniste, espérant ainsi réduire l’influence anglaise au Proche-Orient. Après 1933 et la prise du pouvoir par Hitler, l’Italie fasciste accueille plusieurs milliers de réfugiés juifs fuyant l’Allemagne nazie, qui s’embarquent par Trieste pour la Palestine. Mais le renforcement de l’axe Rome-Berlin soutient, dès le milieu des années 1930, un antisémitisme fasciste de plus en plus virulent, qui aboutit, en juillet 1938, au Manifeste de la race, écrit pour une bonne part directement sous l’influence du Duce. Trois mois plus tard, le régime proclame les premières lois raciales destituant certains juifs de leur nationalité, les chassant tous de l’armée et de l’administration, et leur interdisant de posséder ou d’administrer des entreprises de plus de 100 salariés. Ces lois infâmes sont appliquées avec rigueur. Les juifs italiens sont humiliés, réduits à être des citoyens de seconde zone, mais ils ne sont pas tués.
La Solution finale est mise en œuvre après septembre 1943, dans le centre et le nord de l’Italie occupée par les Allemands et la fantoche République de Salo, proclamée par Mussolini après son renversement par le grand conseil fasciste et le roi. Les massacres débutent dans quelques villages du Nord où des juifs ont trouvé refuge. Puis, la machine d’extermination se met à fonctionner à plein régime. Le 16 octobre 1943, le quartier de l’ancien ghetto de Rome est entouré par les SS, et 2000 juifs, dont de nombreux vieillards et enfants pris dans ces trois jours de rafle, sont aussitôt déportés. Seuls quinze d’entre eux reviendront des camps. Des déportations similaires ont lieu peu après à Florence, Trieste, Venise, Milan, Turin, Ferrare, etc. Aidés par leurs concitoyens, de nombreux juifs italiens réussissent à se cacher mais, à la merci d’une dénonciation, ils doivent sans arrêt changer d’abri. Certains parviennent à gagner la Suisse limitrophe. D’autres rejoignent les rangs des partisans. Quelque 85 % des juifs italiens ont survécu à la guerre, le pourcentage le plus fort après celui du Danemark.
Près de 35000 juifs vivent aujourd’hui en Italie (sur 62 millions d’habitants). La plus forte communauté est celle de Rome, qui est la plus anciennement enracinée avec son dialecte, ses traditions et sa cuisine. De nombreux juifs de Hongrie, dans l’après-guerre, mais surtout d’Égypte, de Tunisie et de Libye dans les années 1950-1960, se sont installés dans la péninsule. La communauté est économiquement florissante, avec un haut niveau d’éducation, et très bien intégrée. Des intellectuels et écrivains juifs – Carlo Levi, Primo Levi, Alberto Moravia, Natalia Guinzburg pour ne citer que les plus célèbres au-delà des frontières – ont joué ou jouent toujours un rôle de premier plan dans la vie culturelle. L’antisémitisme reste presque inexistant. Sa manifestation la plus grave fut l’attentat perpétré, le 9 octobre 1982, par des terroristes arabes à la sortie du Grand Temple de Rome. Un enfant fut tué et quarante personnes blessées. À partir du concile Vatican II, lancé par Jean XXIII, puis par Paul VI, l’Église s’est toujours plus engagée dans le dialogue judéo-chrétien, tournant la page de siècles d’antisémitisme doctrinal. Cette dynamique aboutit, le 13 avril 1986, à la visite historique de Jean- Paul II au Grand Temple de Rome, où il a rendu hommage, au nom des catholiques, « à leurs frères aînés ».
En France, l’histoire des communautés juives se caractérise par une étonnante diversité au fil des époques et des lieux. Entre les communautés rançonnées par le pouvoir dans les terres formant le cœur du royaume (Paris, Rouen), les riches heures des séfarades du Comtat venaissin (Carpentras, Cavaillon) et les communautés villageoises d’Alsace (Marmoutier, Bischheim), il serait vain de chercher une cohérence ou une aventure commune. Chacune de ces grandes régions a connu, au gré des aléas politique et des mouvements de l’histoire, des judaïsmes aux destins différents.
En l’an 70, après la destruction du Temple de Jérusalem, l’empereur romain Vespasien fit embarquer des prisonniers sur trois bateaux. Ces esquifs abandonnés échouèrent, le premier à Arles, le deuxième à Bordeaux et le troisième, qui remontait le Rhône, à Lyon. Ainsi se seraient crées, en Gaule, les noyaux des premières communautés juives.
Celles-ci connaissent un âge d’or : au XIe siècle, la Champagne est illuminée par la présence et l’influence de Rachi, rabbi de Troyes. A la fois juge, rabbin, commentateur de la Bible et du Talmud, il reste l’une des grandes figures du judaïsme, et ses œuvres sont toujours passionnément étudiées.
Sous le règne de Charles VI, le peuple se plaint des charges trop lourdes qui pèsent sur lui et tourne sa colère contre les juifs coupables de tous les maux : des nombreuses demeures sont saccagées et pillées. Peu de temps après, le 3 novembre 1394, le roi met un terme au désordre en expulsant tous les juifs de ses Etats. Cette décision sonne le glas d’une réelle présence juive dans le royaume de France jusqu’à la Révolution française.
En janvier 1790, les juifs « portugais » du sud de la France remettent leur adresse à l’Assemblée constituante et obtiennent gain de cause : ils deviennent citoyens français. Les communautés d’Alsace-Lorraine ne bénéficient de ce privilège qu’en septembre 1791.
Désireux d’organiser un peu cette communauté aux multiples facettes, Napoléon réunit un « Grand Sanhédrin » qui rassemble rabbins et laïcs. Au programme de cette assemblée, l’urgence de « faire considérer aux israélites le service militaire comme un devoir sacré ». En même temps, l’empereur crée le Consistoire central des israélites qui régit, aujourd’hui encore, la vie religieuse des juifs de la nation.
Dès 1831, le culte israélite est officiellement reconnu : ses ministres sont dès lors rétribués par le Trésor public, situation qui se prolonge jusqu’à la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, et qui perdure encore dans les « départements concordataires » (ceux de l’Est occupés par les Allemands entre 1870 et 1918).
Au milieu du XIXe siècle, se développe le mouvement de l’émancipation des juifs. Certains d’entre eux parviennent à entrer à l’Institut, au Collège de France, au Parlement. Les communautés construisent leurs grandes synagogues dans un style néo-roman mâtiné d’orientalisme. Cette époque est aussi marquée par l’antisémitisme politique prôné par Edouard Drumont, qui trouve son expression la plus criante avec l’affaire Dreyfus, divisant le pays de 1894 à 1906.
Au XXe siècle, les immigrations de l’Est transformèrent le visage du judaïsme français. Vinrent ensuite les années noires de l’occupation nazie. Quelque 76 000 des 300 000 juifs que comptait la France fut exterminés dans les camps de la mort avec la collaboration du régime de Vichy. Après la guerre, l’arrivée dans l’Hexagone des juifs d’Afrique du Nord insuffla une vitalité nouvelle à la communauté. En l’absence de véritables statistiques, on estime aujourd’hui le nombre de juifs de France à 475 000 ; la moitié réside à Paris et en région parisienne.