L’Est a été la terre d’accueil à la fois des classes sociales défavorisées de la ville, victimes de l’embourgeoisement d’autres quartiers puis celle des réfugiés des conflits continentaux du 20e siècle : Arméniens, Grecs et juifs. Entre le 3e, 11e et 19e se développa l’industrie de la confection et la fabrication de chaussures où étaient employés un grand nombre de ces migrants.
Avant-guerre, Paris compte 50000 juifs originaires d’Europe de l’Est, qui constituent jusqu’aux années 1970 la grande majorité des juifs parisiens. Dans les années 1930, la plupart habitent différents quartiers : le Marais, Belleville, La Roquette, Clignancourt et Saint-Gervais. Des regroupements parfois liés aux pays d’origine, aux pratiques religieuses voire aux engagements politiques.
Dans le quartier du 11e arrondissement de la Roquette se sont installés dès le début du 20e siècle des juifs originaires de l’Empire ottoman, principalement de régions de l’actuelle Turquie, Grèce et Bulgarie.
Ils s’installèrent en grande partie entre la place Voltaire, la rue Sedaine, la rue Popincourt et la rue de la Roquette. Ils y travaillaient surtout dans le textile et la lingerie et se retrouvaient régulièrement dans les cafés, dont le célèbre Bosphore et des petits clubs associatifs.
La construction de la synagogue Don Isaac Abravanel sur la rue de la Roquette a été décidée dans le but de favoriser la renaissance du judaïsme levantin, suite aux nombreuses déportations de la Shoah et à l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord. A une centaine de mètres, sur la place Léon Blum se trouve une statue honorant la mémoire du chef de gouvernement qui instaura les congés payés.
Construite par l’architecte Alexandre Persitz, elle fut inaugurée en 1962 par le grand rabbin Jacob Kaplan qui y vit le symbole du lien entre tradition et modernité. Traits de cette modernité, la façade découpée en deux niveaux, une cour précédant la synagogue derrière la grille d’entrée, la sobriété des motifs religieux et l’inscription en français des 10 commandements.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux juifs de quartiers populaires de l’Est s’engagent dans la Résistance, qu’il s’agisse d’une partie des membres du groupe Manouchian ou de jeunes comme Henri Krasucki.
Une grande fresque dans le quartier de Gambetta honore le courage du groupe Manouchian qui mena des attaques audacieuses contre les Nazis et leurs serviteurs de Vichy avant d’être capturés et exécutés.
De nombreuses plaques commémoratives rappellent l’engagement de ces juifs dans la Résistance ainsi que sur les écoles de quartiers le grand nombre d’enfants juifs déportés dans cette partie de la ville.
Parmi les lieux honorant ces Résistants, la statue en hommage à Marcel Rajman (membre du groupe Manouchain), la rue Hélène Jakubowicz et la plaque à la mémoire de Léopold Rabinovitch .
De nombreux Arméniens de ces quartiers, dont les familles avaient connu un génocide une génération avant, se montrèrent solidaires des juifs, les aidant à se cacher.
Un autre quartier emblématique du milieux ouvrier est Belleville où de nombreux juifs habitent et travaillent, se diversifiant en participant à toutes sortes de métiers : épiceries, cafés, presse… Les ouvriers juifs polonais formant un grand nombre des travailleurs dans le tissu, le cuir et la chaussure, vivent dans une grande précarité.
Après la guerre, à cause du grand nombre de morts pendant la Shoah et du changement de zone de migration, le quartier de Belleville devient petit à petit un quartier juif tunisien emblématique, principalement issus comme ceux d’Europe de l’Est avant eux, des classes populaires. De nombreux restaurants tunisiens, comme René & Gabin, épiceries et lieux de culte ouvrent ainsi dès les années 1960.
Parmi les lieux de culte restants à Belleville à noter tout d’abord la la synagogue de Pali Kao , inaugurée en 1930. Conçue par les architectes Germain Debré et Lucien Hesse, elle représente le premier lieu de culte israélite moderniste.
Moderne, car il privilégie l’aspect fonctionnel permettant au lieu de servie à la fois de lieu cultuel et culturel. Mais aussi le peu de motifs anciens et la discrétion de sa façade. Les deux rites ashkénaze et sépharade son aujourd’hui assurés en ce lieu. Également dans le quartier, deux synagogues datant des années 1960, Or Ha-haïm de rite constantinois et Michkenot Yaacov de rite tunisien.
Depuis 2000, suite à la très forte hausse des actes antisémites, de nombreux juifs quittèrent les quartiers populaires de l’Est parisien pour trouver refuge dans le 11e, 20e et aux alentours de Saint-Mandé et Vincennes. On retrouve ainsi de petits oratoires près du Boulevard Voltaire entre la place du même nom et la place de la Nation. Mais aussi des commerces cashers et des restaurants.
A noter depuis le tournant du siècle, le succès grandissant des communautés massortis et libérales à Paris, notamment dans l’Est. Avec les synagogues Dor Vador et JEM Surmelin dans le quartier de Gambetta. Quartier à proximité du Cimetière du Père Lachaise, où sont enterrées de nombreuses grandes figures de l’Histoire de France.
Près de l’allée Chantal Akerman , dans le 20e arrondissement de Paris, résidait depuis ses 18 ans une des plus grandes cinéastes de tous les temps. « Ma fille de Ménilmontant » comme elle est surnommée par sa mère Natalia dans « Une Famille à Bruxelles », dialogue des mémoires, récits et silences. Bruxelles et Paris lui ont consacré en 2024-5 une belle expo et ses films peuplent encore régulièrement les salles de par le monde.
Comme Albert Cohen, elle est l’auteure de chefs-d’œuvre de genres bien différents. Avec cette différence peut-être, qu’elle n’a pas eu besoin de réaliser le Film de ma mère sur le tard, puisque Natalia Akerman est à l’honneur dès le début dans l’œuvre de sa fille.
Survivante d’Auschwitz, Natalia, n’en parle pas, partagée entre le besoin imminent de tenir et de se reconstruire et cette résilience juive consistant à promettre une meilleure aube pour la génération suivante. Tout en transmettant force et dignité à ses filles Chantal et Sylviane.
De son père Jacob, elles héritent de l’humour, le travail consciencieux et la volonté de danser la vie pour virevolter autour des ennuis. Jacob Akerman est commerçant, possédant une fabrique de vêtements dans le quartier du Triangle et un magasin dans la galerie de la Toison d’Or.
Quant à Bruxelles, elle partage avec les deux jeunes femmes nées au lendemain de la guerre, son esprit belge bon vivant aux personnages bd, verres et histoires tout en rondeur rondeurs facilitant les embarcations débordantes de plaisir, inspirant à sa manière tant d’histoires aux bières joyeusement renversées.
L’arrière-grand-père maternel Polonais de Chantal était en route vers les Etats-Unis, tentant de rejoindre le port d’Anvers pour y embarquer. Mais comme pour tant de juifs il réalisa à quel point on peut être heureux comme un juif en Belgique.
Chantal Akerman nait à Bruxelles en 1950. A 15 ans, elle va voir « Pierrot le fou » au cinéma avec son amie et future productrice Marilyn Watelet, amusées par le titre du film. C’est une révélation et désormais la naissance d’une ambition.
Elle réalise à 18 ans le court-métrage « Saute ma ville », soutenue par André Delvaux et Eric de Kuyper. L’histoire d’une ado qui s’enferme dans la cuisine et agit de manière de plus en plus incohérente, en jetant tout et cirant ses chaussures puis ses jambes à côté d’une boite Manischewitz.
Chantal déménage à Paris après le tournage, espérant y trouver l’inspiration, celle-ci ne lâchant plus Chantal à Paris, New York, Bruxelles, Tel Aviv, en Allemagne, en Europe de l’Est et même sur la frontière mexicano-américaine.
A 23 ans, elle réalise « Je, tu, il, elle » avec Niels Arestrup et Claire Wauthion, entre inquiétudes, errance et retrouvailles d’opéra des corps. Deux ans plus tard, Chantal entre déjà et définitivement dans la cour des très grands avec « Jeanne Dilman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles ». Delphine Seyrig mène une vie ultra ordonnée pour tenir, pour couvrir les silences et blessures, élevant seule son fils. Une vie sans plaisir jusqu’à ce qu’advienne un dérèglement très inattendu. Une œuvre élue en 2022 meilleur film de tous les temps dans le classement décennal établi par « Sight and Sound », la revue du British Film Institute.
Dans « Pierrot le fou », Jean-Paul Belmondo demande à Samuel Fuller de lui définir le cinéma. Le réalisateur répond qu’il s’agit d’un champ de bataille émotionnel. C’est peut-être pour cette raison que Chantal Akerman est une des plus grandes cinéastes de tous les temps. Sa caméra présente amour et humour, chants et silences, pensées profondes et inquiétudes lancinantes grâce à son regard malicieux et doux à la fois. En avance sur son temps, sur notre temps aussi, entre la reconstruction d’une génération et la quête du plaisir et de l’affirmation de soi de leurs enfants, lesquels craignent le retour des temps sombres. Sylviane Akerman, la sœur de Chantal, préserve aujourd’hui sa mémoire, notamment à travers une fondation.