Autriche

Vienne

Vienna. Photo by Steve Krief

On peut distinguer plusieurs périodes dans l’histoire de la communauté juive de Vienne, et deux quartiers principaux dans lesquels elle s’est établie : une partie du centre-ville (1er Berzirk) et la Leopoldstadt (2e Berzirk).

Au Moyen-Âge, une première communauté juive s’installe à Vienne et s’établit dans la « Judenstadt » en plein centre-ville, non loin de la cathédrale, dans un périmètre délimité approximativement par les actuels Seitenstettengasse, Hoher Markt, Jordangasse, Judenplatz.

La synagogue, de style gothique, proche de celui de L’altneuschul de Prague, mentionnée dès 1294 par le nom de Schulhof donné à la place sur laquelle elle fut élevée (actuelle Judenplatz) se trouvait à proximité immédiate de la Cour.

Synagogue du quartier de Leopoldstadt. Photo de Steve Krief

Il existe aujourd’hui une Judenplatz, mais aussi, non loin de là, une place nommée Schulhof, bordée par une église gothique qui ressemble à cette ancienne synagogue et en est peut-être une réplique, après que celle-ci fut détruite en 1421. Entre 1360 et 1400, la communauté juive, forte de 800 à 900 personnes, représentait 5% de la population. En 1421, tous furent chassés ou contraints à la conversion.

À partir de 1624, un nouveau quartier, dit Unter Werd, fut accordé aux juifs, de l’autre côté d’un bras du Danube, dans l’actuelle Leopoldstadt, le long de la Taborstrasse. Une nouvelle synagogue fut construite ; sur son emplacement s’élève aujourd’hui l’église Leopoldskirche. Ce ghetto, qui rassembla jusqu’à 132 maisons, accordait une certaine protection aux juifs, jusqu’à ce qu’il fût détruit en 1670 et ses habitants chassés de Vienne.

Synagogue du quartier de Leopoldstadt. Photo de Steve Krief

À partir de 1781 et de l’édit de tolérance de Joseph II, les juifs s’établirent à nouveau à Vienne et purent élever une nouvelle synagogue, construite en 1826 par l’architecte Kornhäusl dans la Seitenstettengasse, revenant donc dans le centre historique de la vie juive du Moyen-Âge. À partir de 1858, une autre synagogue, Leopoldtstädter Tempel, fut construite de l’autre côté du bras du Danube, non loin de l’ancien ghetto Unter Werd, attirant l’établissement de juifs dans ce quartier qu’on allait bientôt appeler Mazzesinsel, l’île des matsot.

Au hasard des rues, vous trouverez parfois une plaque indiquant un ancien établissement de la communauté juive. Le Leopoldstädter Tempel se trouve dans la rue qui porte encore le nom de Tempelgasse, au numéro 5.

Une plaque évoque l’ancienne synagogue, ainsi que quatre grandes colonnes dues à l’architecte Martin Kohlbauer. À sa place se trouve aujourd’hui  l’ESRA , centre psychosocial traitant les troubles psychiques des victimes de la Shoah et du déracinement.

Au numéro 7 de la rue, se trouve le  Centre séfarade , regroupant les associations de juifs de Boukhara et de Géorgie et leurs deux synagogues. Dans la Zirkusgasse (« rue du Cirque ») se trouvait avant la guerre le Temple turc, de la communauté des juifs venus de l’Empire ottoman. Construit en 1885, de style mauresque, il a été détruit en 1938. À sa place, un immeuble d’habitation a été bâti dans les années 1950. Une surprenante plaque proclame : « Gesunde Wohnungen, glückliche Menschen » (« Appartements sains, Hommes heureux »), tandis qu’une autre, plus petite, cachée sous un balcon, commente « Ici se trouvait la synagogue turque… » Dans la Leopoldgasse, au numéro 29, la Polnische Shul, de rite orthodoxe, construite sur trois nefs, fut détruite elle aussi le 9 novembre 1938.

Théâtre Hamakom. Photo de Steve Krief

Depuis les années 1980, c’est à nouveau dans ce quartier que se concentre l’activité de la communauté juive. A tel point, qu’en 2022 ce quartier accueille 19 des 21 synagogues de la ville, hormis le Stadttempel et une autre qui se situe dans le 19e district.

Certes, ces synagogues sont relativement petites, dans des immeubles vétustes et ce qui semble être d’anciens appartements réaménagés. En se promenant à partir de la Taborstrasse dans le quartier, on aperçoit la vie juive présente, surtout dans la partie sud. Des synagogues d’obédiences et de rites différents.

Lieu important de la culture juive dans ce quartier, le  Théâtre Nestroyhof Hamakom , installé dans un magnifique immeuble Art Nouveau, construit par l’architecte Oskar Marmorek. Le Théâtre Nestroyhof accueillit différentes formes de théâtre populaire viennois, ainsi que des pièces en yiddish. Il s’efforça de continuer malgré les mesures imposées par les nazis en 1938. Néanmoins, le lieu fut confisqué en 1940. Ce n’est qu’en 2004 qu’il put rouvrir en tant que salle de théâtre. Le lieu ajouta le mot « Hamakom » (signifiant « le lieu » en hébreu), des pièces de différents horizons y étant présentés, notamment israéliennes.

On trouve également à Leopoldstadt un centre chabad, des épiceries cashers et de nombreux restaurants, tels le Mea Shearim, le Novellino et Bahur Tov (nom signifiant en hébreu « brave gars »). Attention, la plupart de ces restos ont comme qualité première de permettre une restauration casher à ceux qui le souhaitent. Car ils proposent souvent de tout et ont plutôt des allures de fast food.

Immeuble accueillant le Musée juif de Vienne
Museum Dorotheergasse. Photo de Ouriel Morgensztern

Par contre, on sera étonné de voir l’empreinte méditerranéenne et notamment israélienne dans les bons restaurants viennois classiques. Avec comme plat récurrent proposé, la shakshuka ! Ce qui aurait probablement plu à Theodor Herzl, lui qui fut initialement enterré à Vienne et a une  place nommée en son nom près du Stadtpark du centre-ville. Anecdote qui nous permet de faire la transition avec les lieux à visiter dans le centre-ville. En particulier, le Musée juif, le Musée de la Judenplatz et la synagogue.

Le Musée juif

Vienne, qui hébergeait depuis 1897 le premier Musée juif au monde, a ouvert celui-ci en 1990. Ce musée, qui se veut un lien entre juifs et non-juifs, est aussi une fenêtre sur le monde très riche et englouti du judaïsme viennois.

Expo permanente du Musée juif de Vienne. Photo de Steve Krief

Le rez-de-chaussée abrite deux expositions permanentes. La première présente des objets de la vie liturgique juive, la seconde -création de l’artiste new-yorkaise Nancy Spero- illustre l’histoire juive de Vienne.

Des panneaux expliquent l’histoire juive de Vienne et la lente reconnaissance des crimes de la Shoah par les autorités. Mais aussi la vie agréable que fut celle des juifs en d’autres périodes de l’histoire de la ville. Puis, des photos et objets des différentes époques de cette vie.

Expo permanente du Musée juif de Vienne. Photo de Steve Krief

Le premier étage est consacré aux expositions temporaires. Le deuxième étage expose une rétrospective en vingt et un tableaux de la vie juive en Autriche. Au troisième étage, une salle nommée Schaudepot (« dépôt-expo »), présente en vrac, dans des vitrines, des centaines d’objets de culte sauvés après la Nuit de cristal. La bibliothèque est la plus importante des musées juifs d’Europe. Elle comprend 25000 volumes en allemand, hébreu, yiddish et anglais. À l’entrée du musée se trouve une librairie bien fournie en catalogues et ouvrages (en langue allemande).

Portrait de Hedy Lamarr à l’expo Love me Kosher au Musée juif de Vienne. Photo de Steve Krief

Au même niveau, le café Teitelbaum, l’un des meilleurs de la ville, propose vins cacher autrichiens, pâtisseries viennoises et spécialités végétariennes.

Le petit magasin du musée a cette particularité rare parmi les musées, d’offrir des souvenirs à des prix non délirants. Et aussi d’acheter les anciens catalogues des expositions précédentes, notamment celles très réussies concernant Hedy Lamarr, l’iconique actrice viennoise ou « Love Me Kosher » sur les différentes représentations de la sexualité dans le judaïsme.

Judenplatz. Photo de Steve Krief

Judenplatz

Sur la Judenplatz, l’ancienne Schulhof, s’élève depuis octobre 2000 un monument dû à l’artiste londonienne Rachel Whiteread, à la mémoire des juifs autrichiens exterminés dans la Shoah. Ce monument représente une pièce carrée, fermée, dont les murs extérieurs supportent des étagères tapissées de livres.

Derrière le monument se trouve le musée de la Judenplatz, ouvert également en 2000. Il est consacré à la ville juive du Moyen-Âge et centré sur les fondations de la synagogue médiévale gothique (« Or Zaru’a »), retrouvées lors de fouilles archéologiques en 1995. Deux vidéos et des vitrines animées par ordinateur informent sur la vie juive médiévale.

Vestiges de l’ancienne synagogue au Musée de la Judenplatz. Photo de Steve Krief

Les présentations de la vie juive viennoise médiévale sont très nombreuses, mais la présentation est un peu trop dense, permettant difficilement d’avoir un bon aperçu des choses. À l’entrée du musée, une salle équipée d’ordinateurs permet de retrouver les noms des 65000 victimes de la Shoah.

Dans la ville se situe d’ailleurs aussi  l’Institut Viennois Wiesenthal d’études sur la Shoah . Un institut nommé en mémoire du chasseur de nazis qui souhaita permettre aux chercheurs d’avoir accès à ses archives. Il permet d’étudier le mécanisme des haines liées au racisme et à l’antisémitisme et fournit une aide pédagogique aux chercheurs et enseignants.

Synagogue de Vienne. Photo de Steve Krief

La synagogue de Vienne

Le Stadttempel, édifié en 1826 par l’architecte Josef Kornhäusl, est la seule synagogue à n’avoir pas été détruite lors de la Nuit de cristal. Kornhäusl, très réputé de son temps, était spécialisé dans les théâtres et, effectivement, le Stadttempel est conçu comme un petit théâtre ou comme un opéra baroque à l’italienne, de forme circulaire, avec une scène et trois séries de balcons, des coulisses, un foyer. Le cadre, mais aussi le talent de ses hazanim motivèrent même la venue parmi les fidèles de Richard Wagner, peu enclin pourtant à apprécier ce style d’ambiance.

Il y a plusieurs raisons qui permirent au Stadttempel de ne pas avoir été détruite, contrairement à la cinquantaine d’autres. Tout d’abord que selon les coutumes en vigueur lors de sa construction, les lieux de cultes juifs devaient être discrets, non visibles de la rue, donc abriter derrière une façade. Bruler cette synagogue aurait occasionné des ravages dans toute la rue, ne pouvant être un feu localisé. De plus, les nazis s’étaient installés dans l’immeuble attenant à la synagogue, où ils conservèrent les archives concernant la population juive et le bureau d’Adolf Eichmann au 4e étage.

La  Judengasse , petite rue qui relie la Seitenstettengasse au Hoher Markt, était au Moyen-Âge, comme son nom l’indique, une rue centrale du quartier juif. Elle se trouve à proximité du Stadttempel.

Les autres adresses célèbres

Musée Sigmund Freud, Vienne ©WikimediaCommons

Une connaissance de la Vienne juive ne serait pas complète sans une visite de quelques lieux où ont vécu des personnalités intellectuelles juives majeures qui ont contribué à faire de Vienne l’une des capitales de la modernité au début du XXe siècle. On pense tout particulièrement Sigmund Freud, de par son impact. Mais aussi d’autres noms qui marquèrent l’Histoire, à savoir, par exemple, Arnold Schönberg, Josef Roth, Martin Buber.

L’adresse Bergasse 19 est légendaire,  la maison de Freud : un lieu culte pour tous les amateurs de la psychanalyse. Le mobilier est d’origine, mais le fameux divan a été emporté à Londres lorsqu’il émigra en 1938, un an avant sa mort.

Centre Arnold Schönberg ©WikimediaCommons

Né en 1874, Arnold Schönberg a fondé avec Alban Berg et Anton Webern l’ « École de Vienne » puis créa la musique dodécaphonique.

Converti en 1898 au protestantisme (de même que Mahler s’était converti au catholicisme, le « billet d’entrée dans la culture européenne »), il est retourné au judaïsme en 1933 à Paris, avec pour témoin Marc Chagall, puis émigra aux États-Unis, où il mourut en 1951, conscient qu’il ne serait reconnu qu’après sa mort.

Depuis 1998, a été créé un  Centre Arnold Schönberg où l’on peut consulter manuscrits, partitions, correspondances et archives.

Martin Buber
Martin Buber ©The David B. Keidan Collection of Digital Images from the Central Zionist Archives

Fondateur de la « philosophie du dialogue » entre les civilisations, militant et auteur de nombreuses œuvres,  Martin Buber est né à Vienne en 1878, puis a passé son enfance en Galicie avant de revenir à Vienne. De ses diverses rencontres et vécus dans différents pays, il partagera sa volonté de militer pour l’amélioration des conditions de vie et l’épanouissement culturel, mêlant textes anciens et mouvements intellectuels et politiques contemporains. Il s’installera en Israël où il poursuivra cette tâche. Martin Buber est mort à Jérusalem en 1965.

Dans la Rembrandtstrasse se trouve la maison où a vécu  Josef Roth . Né en 1894 à Brody, en Galicie, il a fait ses études à Lemberg (Llov) et à Vienne. L’effondrement de l’Empire austro-hongrois fut pour lui un traumatisme politique et personnel. Son œuvre mêle critique sociale et transfiguration de la monarchie autrichienne. Et dans ce tourbillon international, le devenir incertain des shtetls, subissant ces évolutions. Les romans qui l’ont rendu célèbre sont Le Poids de la grâce (1930), La Marche de Radetzky (1932), La Crypte des capucins (1938). Il mourut en exil à Paris en 1939.

Si la ville comptait 200 000 juifs avant la guerre, en 2022 seuls 8 000 juifs viennois y vivent, principalement dans le 2e district.


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