À la fin du XIIe siècle, le voyageur juif espagnol Benjamin de Tudela ne rencontre qu’un juif esseulé à Corfou. Mais ils sont si nombreux, trois siècles plus tard, que les Vénitiens, devenus maîtres de cette île convoitée, verrou de l’Adriatique, les regroupent dans un ghetto.
Une légende chrétienne locale, faisant étrangement de Juda un natif de Corfou, leur rendit aussi la vie des plus déplaisantes. L’expulsion des juifs d’Espagne conduisit, cependant, des colonies séfarades à s’établir à Corfou ou dans les six autres îles ioniennes de l’Heptanèse.
Grâce aux idéaux de la Révolution, la domination française (1807-1815) offrit aux juifs corfiotes l’égalité des droits, ce qui ne fut pas du goût de la majorité chrétienne, orthodoxe et catholique. Quand Corfou et les îles ioniennes furent placées sous le protectorat de l’Angleterre, à la suite du congrès de Vienne, le sort des 4000 juifs empira brusquement en raison d’une série de mesures discriminatoires, dont la suppression du droit de vote.
Leur rattachement à la Grèce en 1864 signifia pour les juifs le retour à l’égalité civique, mais aussi des poussées récurrentes d’antisémitisme. En 1891, un pogrom éclata sur une accusation de crime rituel. S’ensuivit un exode de familles juives comme celle d’Albert Cohen, l’un des plus importants écrivains séfarades du XXe siècle.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la communauté juive de Corfou ne comptait que 2000 membres. Selon l’historien Mark Mazower, le commandant territorial de la Wehrmacht tenta cependant plusieurs fois de s’opposer à leur déportation, un cas quasi-unique.
Le 9 juin 1944, ordre fut finalement donné de les déporter, à la satisfaction affichée des autorités collaborationnistes. Toute différente fut l’attitude des notables civils et religieux de Zante, une île voisine où les juifs furent protégés et purent se cacher dans la montagne. À Corfou, il ne reste plus qu’une soixantaine de juifs.
Des quatre synagogues du vieux ghetto de Corfou, seule la Scuola greca (« Temple grec »), a survécu à la Seconde Guerre mondiale.
De style vénitien, elle peut être datée du XVIIe siècle. La salle de prière est située au premier étage, avec une section pour les femmes en mezzanine. Construits en bois avec une colonnade corinthienne, la tévah et l’aron-ha-kodesh se font face d’ouest en est.
Le quartier juif, le vieux « ghetto » vénitien, encore aujourd’hui nommé Evraïki en grec, s’étendait dans la partie sud-est de la ville, près des fortifications vénitiennes. Il était sillonné de venelles bordées de demeures décaties, hautes de plusieurs étages, comme à Venise. Le ghetto a perdu de son unité urbanistique du fait des bombardements et dernier conflit mondial.
On peut le parcourir à partir de la Porta Réale en se dirigeant vers les rues Solomou , Palaiologou et Velissariou . Des colonnes d’une synagogue détruite durant la guerre ont été retrouvées, il y a une vingtaine d’années, au numéro 74 de la rue Palaiologou.