Au XVIe siècle, c’était l’un des grands centres du judaïsme médiéval, avec une très célèbre académie rabbinique où de nombreux étudiants venaient de toute l’Europe, attirés aussi par l’antique faculté de médecine qui était la seule à accepter des juifs parmi ses étudiants. La conquête vénitienne en 1405 obligea les juifs à vendre maisons et terrains et limita à 12 % les taux d’intérêts qu’ils pouvaient exiger. En 1509, la conquête de la ville par les lansquenets de Maximilien d’Autriche fut marquée par le saccage du quartier juif. La reconquête par les Vénitiens quelques mois plus tard entraîna de nouveaux pillages, et jusqu’en 1560, la ville célébra cette victoire du 17 juillet avec trois courses, dont celle des ânes et des juifs, obligés de courir sous les quolibets. Le ghetto fut institué en 1601: plus de 600 personnes s’entassèrent dans une poignée de rues étroites et malsaines. Il ne fut supprimé qu’en 1797.
L’ancien quartier juif
Installé dans les ruelles proches de la piazza delle erbe, l’ancien ghetto a gardé une bonne partie de son aspect original. Dans la via San Martino e Solferino, où se trouvent les bureaux de la communauté, au no 9, se dressait l’une des quatre portes surmontées du lion de saint Marc. Un peu plus loin, la via delle Piazze était le cœur du quartier, avec deux des trois antiques synagogues aujourd’hui disparues.
Dans la corte Lenguazza, fut inauguré en 1525 le Grand Temple « allemand» (ashenazi), la principale synagogue de la cité qui fut remaniée et embellie en 1683. Au XIXe siècle, elle devint de rite italien, et la grande plateforme baroque centrale fut enlevée. Endommagée par un premier incendie en 1927, elle fut à nouveau brûlée en 1943 par les fascistes locaux. Seul le magnifique aron baroque de marbre échappa aux flammes. En 1955, il fut démonté (40 tonnes) et installé à Tel-Aviv en Israël dans la synagogue Yadan Eliahu.
La Synagogue italienne , édifiée en 1548 dans la via San Martino e Solferino, est restée l’ultime témoignage de la vie juive de Padoue. L’aron et la bimah se font face sur les grands côtés de la salle rectangulaire (18 m sur 7). Le bel aron du XVIIe siècle est enserré par quatre colonnes de marbre noir veiné de blanc.
Dans l’Albergo Toscanelli de la proche via Arco, on peut encore voir une cheminée ornée de la colombe, emblème de la famille Salom. C’était le siège de l’académie rabbinique. Cette rue avec ses très hautes maisons aux étroites façades évoque ce qu’était le ghetto.
Les cimetières juifs
On peut aussi visiter, en lisière de la ville, une partie des sept cimetières juifs, dont le plus ancien, situé près de San Leonardo, remonte à 1384. Là se trouve la tombe du célèbre rabbin Meir Katzenellenbogen (1482- 1565), qui est toujours l’objet de pèlerinages. Dans le cimetière de via Codalunga, est enterré Isaac ben Juda Abravanel (1437-1508), ministre des Finances d’Alfonse V du Portugal et, avant, des rois d’Espagne.
Interview de Simonetta Lazzaretto, responsable du Musée du patrimoine juif de Padoue
« Située au milieu du labyrinthe des petites rues du ghetto, avec ses maisons qui s’élèvent, le Musée du patrimoine juif garde les valeurs, la mémoire et les secrets de la tradition et de la présence du judaïsme dans la ville… » (Denis Brotto,Le Musée du patrimoine juif de Padoue)
Jguideeurope : Le Musée du patrimoine juif de Padoue est un pont entre les mondes anciens et modernes. Pouvez-vous nous parler du lieu où il est situé, à savoir la synagogue ?
Simonetta Lazzaretto : Le musée se trouve à via delle Piazze 26, à côté de la Piazza delle Erbe, dans le quartier de l’ancien ghetto. L’ancienne synagogue ashkénaze a été brulée en 1943 par les fascistes italiens et demeurait en ruines jusqu’à la fin des années 1990, quand elle fut restaurée grâce aux à l’aide des autorités locales. Il y a un peu plus de quatre ans, la communauté juive locale décida de créer le Musée du patrimoine dans un lieu où pouvait être naturellement partagé les objets précieux qui se trouvait dans la synagogue.
L’exposition présente des objets traditionnels liés à la vie familiale. Par exemple, des chandeliers, boites à épices, vaisselle de Pessah ou d’autres objets en lien avec les rituels de la synagogue. Parmi les objets les plus précieux, on trouve une parokhete mamelouke du XVe siècle, des tissus brodés et des sefer torahs.
Vous pouvez également vivre une expérience multimédia à l’intérieur du musée grâce à deux installations vidéo mises en place par Denis Brotto. Un court-métrage documentaire captivant offre une vue d’ensemble historique de la communauté juive de Padoue. Celui de 50 minutes vous aide à tutoyer la vie de dix éminents personnages : « Une génération arrive, une génération s’en va ». C’est le récit des femmes et d’hommes qui faisaient partie de la communauté et qui l’ont incarné. Ils prennent vie afin de raconteur leur histoire par l’intermédiaire des sites, représentatives du judaïsme de Padoue. Leurs mots s’adressent idéalement à toutes celles et ceux qui prennent la succession des générations précédentes et qui feront le relais avec celles qui suivront.
Qu’apporte précisément le travail de Denis Brotto au partage du patrimoine culturel de Padoue ?
Le rôle de Denis Brotto dans la création du musée a été fondamental. Son background culturel et sa connaissance des sentiments et émotions ont constitué une contribution majeure à la vie du musée.
Les deux installations vidéo qu’il a créé ont joué un rôle significative dans la narration de la vie communautaire, de Jehuda Mintz au présent. Brotto precise la démarche dans son texte, Le Musée du patrimoine juif de Padoue : « J’ai ressenti le besoin de trouver une manière originale et inhabituelle de raconter une histoire. Je cherchais la combinaison de solutions narratives, visuelles et auditives qui pourraient souligner la coexistence de personnages et d’âges toujours présent… Dans ce processus de construction mémorielle, on demande à chaque personnage aux autres mais aussi de parler au présent, à notre présent, duquel nous nous adressons à eux afin de trouver une forme de continuité, dans le but de renforcer notre lien à la tradition… La bande originale a été conçue en se basant sur l’histoire célèbre de la musique juive, réinterprétée à travers des morceaux et sons contemporains. »
Pouvez-vous nous parler du célèbre internat rabbinique et nous expliquer pourquoi Padoue a accueilli des importants ?
L’Internat rabbinique de Padoue a été créé en 1829, qui faisait alors partie de l’empire austro-hongrois. Aujourd’hui encore il est considéré comme la première école rabbinique moderne et un modèle pour la plupart des institutions similaires d’importance. Parmi les illustres enseignants, figuraient les rabbins Samuel David Luzzatto, Lelio Hillel de la Torre et Eude Lolli.
Comme l’affirment Del Bianco et Maddalena Cotrozzi dans leur article « Il Collegio Rabbinico di Padova » (publié dans La Rassegna Mensile Di Israel, vol. 57, no. 3, 1991, pp. 359–380. JSTOR, www.jstor.org/stable/41285859), “la création de l’Internat rabbinique de Padoue pour une série de candidats en 1829, après pas loin de dix années de préparation et de discussions, fut un événement exceptionnel pour son époque. Il s’agissait en réalité de la première institution municipale de son genre et à cause de son originalité il semblait contraster avec le processus traditionnel d’études rabbiniques… »