Allemagne

Berlin

Plaques commémoratives, Berlin ©Wikicommons (The Profitcy)

Redevenue capitale de l’Allemagne unifiée, Berlin est aussi aujourd’hui la ville qui compte la plus importante communauté juive du pays (près de 11000 personnes). On est loin, certes, des quelque 170000 juifs qui y vivaient à la veille de la prise de pouvoir par Hitler en 1933, et on peut légitimement penser que les fantômes de l’histoire erreront encore longtemps dans cette ville qui fut jadis, avec Vienne, un centre majeur de la vie économique, intellectuelle et religieuse des juifs de langue allemande. Quelques monuments et des cimetières (notamment le Weissensee, l’un des plus grands cimetières juifs d’Europe) ont échappé aux destructions nazies et aux bombardements alliés de 1945.

La volonté de l’Allemagne nouvelle d’assumer la totalité de son héritage, y compris sa partie la plus sombre et la plus honteuse, et de faire son mea culpa pour les horreurs commises au nom du peuple allemand, a été à l’origine de l’édification ou de la réédification de synagogues, de centres communautaires, d’écoles et de monuments du souvenir dans tous les quartiers de la ville.

Le devoir de mémoire

En 1989, la chute du Mur a permis de reconstituer une partie de l’ancien quartier juif de l’Oranienburgerstrasse. Inauguré en 1999,  le Musée juif de Berlin, a été conçu par l’architecte Daniel Libeskind.

Musée juif de Berlin ©flickr (Dominic Simpson)

Plus modestement, à Schöneberg, dans le « quartier bavarois » où vivaient jadis de nombreux juifs, quatre-vingts panneaux ont été accrochés aux lampadaires, sur lesquels sont rappelées les étapes de la persécution des juifs sous le nazisme, ou bien sont imprimés des extraits de lettres d’habitants du quartier ayant été déportés.

Dans toute la ville, des plaques commémoratives témoignent de cette vie juive disparue : à Steglitz, par exemple, sur un panneau-miroir de 3,80 m de haut et de 12 m de long, les noms des 3186 juifs habitant le quartier en 1933 ont été gravés.

Après de longs débats, le Parlement allemand a accepté, le 25 juin 1999, l’édification

Mémorial de la Shoah, Berlin ©Wikicommons (Jorge Roya

d’un monument du souvenir de l’Holocauste près de la porte de Brandebourg; la réalisation en a été confiée à l’architecte américain Eisenman : il se compose de 2700 piliers de béton de différentes hauteurs, et d’un centre d’information sur la persécution des juifs sous le national-socialisme.

En revanche, les traces de la présence ancienne des juifs à Berlin, attestée dès 1295, c’est-à-dire moins de soixante ans après la fondation de la ville, ont été effacées soit par les incendies qui ravagèrent ce gros village à ses débuts, soit à l’occasion des diverses expulsions que la communauté subit au cours des siècles, soit enfin dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale.

Musée juif de Berlin. Photo de Superchilum – Wikipedia

Sur les lieux où les principales institutions de l’appareil de terreur nazi (Gestapo, Reichsführung SS, Sicherheitsdienst) avaient leur siège central, a été installée  la fondation Stiftung Topographie des Terrors. Cette institution, financée par le gouvernement fédéral et le Land de Berlin, se propose de faire connaître in situ le fonctionnement de l’État nazi. En attendant le bâtiment définitif, dont la conception a été confiée à l’architecte suisse Peter Zumthor, la fondation organise des expositions en plein air et des visites guidées du quartier.

Le Anne Frank Zentrum poursuit le même objectif pédagogique que la Maison d’Anne Frank d’Amsterdam avec une orientation plus marquée vers l’information en direction des adolescents, étudiants et lycéens.

Anne Frank Zentrum. Photo de Katharinaiv – Wikipedia

Le centre de Berlin

Jusqu’en 1989, le cœur historique de Berlin était situé sur le territoire de la République démocratique allemande (RDA), séparée par un mur de la partie occidentale de la ville, depuis 1961. C’est là que Frédéric II le Grand fit construire son palais et que se concentra l’activité politique et économique de la capitale de la Prusse. C’est également dans ce quartier que fut édifiée, en 1714, la première synagogue de Berlin (sur la Heidereuterstrasse, aujourd’hui Rosenstrasse). Épargnée lors de la Nuit de cristal, car elle avait déjà été réquisitionnée par la poste allemande, elle a été complètement détruite par les bombardements de 1945.

L’Oranienburgerstrasse n’est pas à proprement parler un « quartier juif », dans la mesure où les juifs y vivant n’ont jamais dépassé 10 % de la population juive de la ville. Sous l’Empire et Weimar, cette rue du centre de Berlin et les artères avoisinantes étaient le point de ralliement des émigrants juifs de l’Est portant caftans, longues barbes et papillotes, et qui étaient donc plus « visibles» que leurs coreligionnaires allemands assimilés. La restauration de ce quartier, notamment de la Grande Synagogue, vient d’être achevée.

Grande synagogue de Berlin ©Creative Commons Zero-CC0

La Grande Synagogue, conçue par l’architecte Eduard Knoblauch dans le style mauresque, très prisé à l’époque, est inaugurée en 1866. Elle faisait la fierté de l’opulente communauté juive berlinoise avec sa coupole dorée de 50 m de haut et sa capacité à accueillir 1800 fidèles.

Lors de la Nuit de cristal, le 9 novembre 1938, elle ne fut pas dévastée grâce à l’action courageuse d’un brigadier de police, Wilhelm Krützfeld qui, avec quelques hommes, fit reculer les hordes de SA en prétendant que la synagogue avait été placée sous protection policière en raison des richesses artistiques qu’elle contenait. Fermée par les nazis en 1940, elle fut transformée en entrepôt, puis gravement endommagée par un bombardement en 1943.

À la fin des années 1980, la RDA, désireuse de modifier son image auprès des juifs et d’Israël, commença la rénovation de la synagogue et édifia un centre culturel juif à proximité. Autour de la synagogue, des cafés et des restaurants, sans être tous casher, servent les boissons et plats traditionnels des juifs de l’Est, auxquels s’ajoutent quelques fleurons de la gastronomie israélienne.

Palais Ephraïm, Berlin ©WikimediaCommons (Presse Stadtmuseum)

À la  Jüdische Galerie sont exposés des tableaux de peintres juifs issus pour la plupart de l’ex-URSS, ainsi que des objets artisanaux relatifs au culte, neufs ou anciens.

Achevé en 1765,  le palais Ephraïm appartenait au financier Veitel Heine Ephraïm (1703-1775), qui fut le banquier de Frédéric II le Grand. Démolie lors de grands travaux d’urbanisme de 1935, la façade rococo est démontée et mise à l’abri des bombardements. En 1987, elle est remontée dans le cadre des opérations de rénovation du centre de Berlin entreprises par le gouvernement de la RDA. Le palais abrite aujourd’hui une annexe du musée des Beaux-Arts, comprenant notamment une collection de monnaies anciennes.

Le Klezmer à Berlin

À Berlin-Est, avant la chute du Mur, quelques jeunes musiciens s’étaient mis, par provocation, à jouer de la musique klezmer, ce mélange de musique juive d’Europe centrale et de jazz américain, issu de la rencontre de ces deux styles dans les quartiers juifs de New York. Cette musique, souterraine du temps du communisme, est devenue très populaire à Berlin.  Le Theater in den Hackeschen Höfen propose, presque tous les lundi et samedi soir, des concerts klezmer.

Synagogue Pestalozzistraße. Photo de FLLL – Wikipedia

Charlottenburg – Wilmersdorf

On est ici au cœur de l’ancien Berlin-Ouest, dont l’artère principale est le Kurfürstendamm. Dans ce quartier, se trouve  le Centre administratif de la communauté de Berlin, avec ses institutions sociales et culturelles.

La synagogue de la Pestalozzistrasse a été édifiée en 1912 à l’initiative de Betty Sophie Jacobson, une riche commerçante du quartier.

Le 9 novembre 1938, elle faillit disparaître dans un incendie, mais les pompiers éteignirent les flammes, craignant que le feu ne se propageât aux immeubles alentour.

L’intérieur de la synagogue n’a subi que de légers dommages, et elle a pu être rouverte dès 1946. On y célèbre aujourd’hui des offices selon le rite libéral, avec chœurs mixtes et musique d’orgue.

La synagogue de la Joachimstaler strasse est une ancienne salle de conférence du B’nai Brith. Des offices de rite orthodoxe y sont actuellement célébrés.

Cimetière jui sur la Schönhauser Allee. Photo de Joe Mabel – Wikipedia

Le Musée juif de Berlin présente une exposition permanente sur l’histoire des juifs de Berlin, et abrite le fond d’objets d’art, religieux ou profanes, qui était conservé dans l’ancien Musée juif, une institution privée ouverte jusqu’en 1938. Ce musée est avant tout remarquable par l’architecture « métaphorique » de Daniel Libeskind, avec ses façades métalliques déchirées de fentes, évoquant un puissant ébranlement dont il aurait été victime.

Le cimetière de la Schönhauserallee, inauguré en 1827, renferme les tombes de personnalités qui animèrent la vie économique et culturelle du Berlin juif de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, comme les banquiers Gerson von Bleichröder et Joseph Mendelssohn, le musicien Giacomo Meyerbeer, ou le peintre Max Liebermann.

Cimetière juif de Weissensee

Avec ses 40 hectares, le Weissensee est l’un des plus grands cimetières juifs d’Europe. Ouvert en 1880, dévasté pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut rénové petit à petit par les autorités de la RDA. La réunification accéléra cette réhabilitation. Dans l’allée d’honneur, on trouve les tombes d’éminentes personnalités juives du Berlin d’avant-guerre: le philosophe Hermann Cohen, le théologien Léo Baeck, les patrons de presse Thedor Wolff et Rudolf Mosse, l’éditeur Samuel Fischer.

La Literaturhandlung est la plus importante librairie juive de tout l’espace germanophone (avec des succursales à Munich et à Vienne). On y trouve également des objets rituels (mezouzot, chandeliers, châles de prières…), ainsi que des cartes de vœux pour les fêtes juives.

Les cafés et les restaurants ne manquent pas. Salomons Bagels est une minuscule échoppe vouée aux Bagels, cette « sagesse comestible » selon le patron des lieux, Andreas Pfeffer.

La communauté juive de Berlin compte en 2022 plus de 10000 membres, ce qui en fait la plus nombreuse du pays. Signe de la renaissance et du développement du judaïsme berlinois, une synagogue est en reconstruction, sur les lieux où elle avait été détruite pendant la Shoah, dans le quartier de Kreuzberg. Elle devrait être inaugurée en 2023 par Beate Hammett, la fille d’Alexander Beer, l’architecte responsable de la construction de la synagogue originale.