Pologne / Mazovie

Lodz

Synagogue du cimetière juif de Lodz © Adam Jones – Wikimedia Commons

Lodz est une grande ville industrielle polonaise, où se concentraient au XIXe siècle un fort prolétariat juif, ainsi que des marchands et de riches industriels. On a une bonne adaptation de la réalité de la ville de Lodz au XIXe siècle dans le film d’Andrzej Wajda, La Terre de la grande promesse (Ziema obiecana).

Sous l’Occupation, le ghetto de Lodz (plus de 150000 personnes) était, à l’instar de celui de Varsovie, un camp de concentration au milieu de la ville, où les Allemands déportaient les juifs d’autres villes de Pologne et d’Allemagne. Les Allemands avaient débaptisés la ville en Litzmannstadt. Le Judenrat était dirigé par Chaïm Rumkowski, homme autoritaire et figure contestée de la communauté juive. Les premières déportations vers le camp de Chelmno ont commencé en 1942. La politique de Rumkowski lui a permis de survivre un an de plus que dans les autres villes : en août 1944, en effet, à quelques semaines ou quelques mois de la Libération, tous les juifs qui restaient encore à Lodz, soit 76700 personnes, ont été déportés et exterminés à Auschwitz. Il ne restait que 800 juifs à la fin de la guerre, et environ 300 aujourd’hui. En arrivant à Lodz, ou pour préparer votre voyage, il est conseillé de s’adresser à la dynamique  Communauté juive de Lodz.

La rue principale de Lodz, Piotrkowska, forme le lien entre le centre-ville et le quartier juif, situé dans la partie nord autour de la rue de la Révolution de 1905. Dans cette rue, dans la cour du numéro 28, demeure encore la  synagogue, qui est censée fonctionner lorsque le minyan est réuni. Dela rue, on voit encore une belle façade avec enseigne de boutique en russe et en polonais et, dans la cour, un bâtiment plus petit avec un vitrail et une étoile de David.

Centre Marek Edelman © Wikimedia Commons (Zorro 2212)

Dans la rue Piotrkowska, à la hauteur de la rue Zamenhofa, se dressait un bâtiment de la Communauté datant de 1899, qui servit de lieu à l’abattage rituel, puis du synagogue. Après la guerre, il fit office de magasin, puis d’imprimerie.

L’immense  cimetière juif est très impressionnant. Créé en 1892, d’une surface de 40 hectares, avec un portail fait d’une belle grille, il contient environ 180000 tombes, dont celles des parents du poète Julian Tuwin et du pianiste Arthur Rubinstein.

Le Musée des traditions de l’Indépendance de Lodz est le plus ancien musée historique de la ville. Il se compose de trois sections et de la forge des Roms (lieu de mémoire de l’extermination de la population rom durant la Seconde Guerre mondiale).

Le siège principal du musée se situe dans les locaux de la prison construite dans les années 1883-85, sur l’ordre du tsar de Russie, qui était majoritairement destinée aux prisonniers politiques. Durant l’occupation allemande et après la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’était un lieu d’isolation des femmes, incarcérées pour crimes politiques.

Mémorial de la gare de Radegast © Adam Jones – Wikimedia Commons

La section de martyrologie de Radogoszcz se situe dans l’ancienne fabrique de Samuel Abbe qui, durant la Seconde Guerre mondiale servit de prison de la police pour les habitants qui violaient la loi de l’occupant allemand. Radogoszcz était une prison masculine de transit. Selon les données de 1944, les prisonniers passaient là des périodes n’excédant pas deux mois dans l’attente de leur procès ou de leur transfert vers d’autres prisons ou des camps. C’est de là que partaient les convois pour les exécutions de masse dans la région de Lodz. C’est également de là que sont partis les prisonniers mis à mort au cours de la plus grande exécution publique, accomplie dans la ville de Zgierz le 20 mars 1942. On estime que, durant l’occupation allemande, près de 40000 prisonniers sont passés par l’établissement.

Dans la nuit du 17 au 18 janvier 1945, juste avant l’arrivée de l’Armée rouge, les nazis ont mis le feu à la prison tout en plaçant un fusil mitrailleur devant l’unique sortie de l’immeuble. Dans le massacre qui a suivi, plus de 1500 personnes ont trouvé la mort. Ce lieu est donc consacré à la mémoire des victimes de la Seconde Guerre mondiale et au martyre des habitants de Lodz et de la région de la Warta.

Durant l’occupation hitlérienne, la section de la gare Radegast portait le nom de la gare de transbordement du ghetto de Radogoszcz (Verladebahnhof Getto-Radegast). C’était le point de transbordement de la nourriture, des combustibles, des matières premières pour la population du ghetto et ses ateliers, ainsi que le point de chargement des produits qui y étaient fabriqués. La gare est devenue également un « Umschlagplatz » pour les personnes déportées dans les camps de la mort. Aujourd’hui, c’est un lieu de mémoire du martyre des juifs de Lodz et ses environs, mais également des juifs de Vienne, de Prague, de Berlin, de Berlin et du Luxembourg. C’est l’un des lieux les plus émouvants de Lodz. La scénographie, sobre et majesteuse, fait évoluer le visiteur dans un couloir sombre, rythmé par la documentation visuelle du quotidien des juifs du ghetto de Lodz. Si vous n’avez qu’une journée prévue à Lodz, ce mémorial doit figurer sur votre liste.

Manufaktura © Wikimedia Commons (Hubar)

Le Centre de Dialogue Marek Edelman est un centre culturel et éducatif qui se veut le miroir de l’histoire multiculturelle et multi-ethnique de Lodz. Les expositions et conférences sont principalement axées autour de l’histoire des Juifs de la ville et des relations entre la communauté juive et polonaise. En sortant du Centre, prenez une demi heure pour faire le tour de l’impressionnant parc des survivants, surplombé par une statue de Jan Karski.

Pour finir votre visite de Lodz, rendez-vous pour dîner à la Manufaktura, quasi ville dans la ville et ancien emplacement des usines d’Izrael Poznanski. Ce site, qui ne lasse pas d’étonner, montre l’influence de l’industriel juif sur la ville.

Izrael Kalmanowicz Poznanski

Izrael Kalmanowicz Poznanski (Aleksandrów Lódski 1833 – Lódz 1900) était un homme d’affaire et un industriel juif polonais établi à Lódz.

Son père, de condition modeste, s’installa dans la vieille ville de Lódz en 1834. Il y tenant un stand d’articles de cuir et de textiles. Après avoir terminé ses études secondaires, Izrael Poznanski débute son ascension fulgurante comme vendeur ambulant. Peu à peu, il se hisse parmi les entrepreneurs les plus éminents de Pologne, se constituant un empire industriel qui employa des milliers de salariés dans ses usines de coton.

Il acquit également une réputation de patron philanthrope : au début peu soucieux du bien-être et de la sécurité de son personnel, il entreprit à la fin de sa vie de s’engager dans des actions caricatives et fit construire des orphelinats, des écoles et des hôpitaux.

Avec Ludwig Geyer et Karol Scheibler, les deux autres « rois du coton », Poznański était devenu le fabricant le plus important de Łódź, une ville à l’époque fortement industrialisée et multi-culturelle, surtout peuplée de Polonais (catholiques et juifs) et d’Allemands (protestants) et dont les milieux bourgeois furent fort bien dépeints dans le roman de Władysław Reymont intitulé La Terre promise (Ziemia Obiecana), adapté plus tard pour le cinéma par Andrzej Wajda.

Tombe d’Izrael Poznański au cimetière juif de Lodz © J.Nicolas Konda Yans – Wikimedia Commons

Poznański a laissé à Łódź un important patrimoine industriel qui constitue un ensemble architectural unique, ayant survécu aux deux guerres mondiales. Les sites reliés à sa mémoire sont d’ailleurs parmi les plus remarquables de la ville : on peut citer les énormes bâtiments industriels de la rue Ogrodowa, aujourd’hui totalement rénovés et devenus le centre commercial, de services et divertissements appelé « Manufaktura », le Palais Poznański tout proche, aujourd’hui transformé en musée (et abritant une importante exposition sur Arthur Rubinstein) et son tombeau de marbre, dans le cimetière juif — le plus grand cimetière israélite d’Europe — dont le style et l’envergure tranchent fortement avec la tradition juive qui interdit toute forme d’ostentation pour les funérailles et les tombeaux et qui est le plus grand monument funéraire individuel juif au monde.

Eric Slabiak est, avec son frère Olivier, le fondateur du célèbre groupe Les Yeux Noirs (1992), mêlant musique tzigane et yiddish. Après 8 albums et 1800 concerts à travers le monde, il crée en 2019 le groupe Josef Josef. Sur l’album des Yeux Noirs, Balamouk on retrouve le morceau « Lodz », inspiré par son lien familial à la ville. Rencontre.

Eric Slabiak en concert. Photo de Patrick Martineau

Jguideeurope : Quel est votre lien familial à Lodz ?

Eric Slabiak : C’est la ville de naissance de mon grand-père maternel. A chaque fois que j’entends le nom de cette ville, j’ai l’impression que s’y déroulait toute l’histoire juive de Pologne. Lorsque je parle à des gens dont les ancêtres étaient également de Lodz, je vois leurs regards s’illuminer. Un regard immédiatement chargé de mélancolie.

C’est une ville que je percevais dans mon imaginaire comme un shtetl, un village. Un sentiment renforcé par le fait que ma famille était de condition modeste. Plus tard, j’ai appris qu’il s’agit en fait d’une grande ville industrielle.

Ma famille est originaire de nombreuses villes polonaises : Varsovie, Lublin, Czestochowa, Lodz et d’autres. Lodz représente pour moi la ville mystérieuse, elle attise ma curiosité. Nourri par un double sentiment affectif et de rejet. Mes ancêtres en ont été chassés. Néanmoins, il demeure un lien qui dépasse les générations. Je n’arrive pas totalement à me l’expliquer mais il est bien présent.

Qu’est-ce qui a inspiré le morceau « Lodz » ?

Aujourd’hui, j’éprouve l’envie de découvrir Lodz et les autres villes polonaises. J’aimerai y ressentir, même s’il s’agit de liens fantasmés, ce que ma famille a vécu. Retrouver les quartiers dans lesquels ils vivaient, les traces de leur présence ancienne de plusieurs générations. Une nostalgie pour un passé que je n’ai pas connu dans un lieu que je n’ai pas connu. Pour mes grand-parents, il était inconcevable d’y retourner après en avoir été chassés par crainte de l’accueil des Polonais.  J’ai donc, à travers ce morceau, tenté de traduire mes impressions, mes souvenirs imaginaires de Lodz.

Eric Slabiak. Photo de Patrick Martineau

Vous avez également tutoyé les racines familiales dans d’autres parties de votre œuvre ?

Je suis issu d’une famille de musiciens, alors le grand éventail des émotions était très présent autour des chants, musiques et danses. Ma passion est absolument liée à ma famille. Celle que je n’ai pas connu et celle que j’ai connu. Cela s’est donc retrouvé de différentes manières sur les albums des Yeux Noirs et sur celui de Josef Josef. Je choisi souvent les chansons yiddish en pensant que mes grands-parents les ont entendu ou chanté eux-mêmes. Sur l’album de Josef Josef, on retrouve cinq chansons yiddish. Sur scène, j’en ajoute souvent d’autres…