Turquie / Istanbul et ses environs

La Corne d’Or : Hasköy

Les enseignantes de L'Alliance israélite universelle d'Hasköy en 1904 (Crédit : Istanbul guide)
Les enseignantes de L’Alliance israélite universelle d’Hasköy en 1904 (Crédit : Istanbul guide)

Hasköy, l’autre faubourg juif d’Istanbul, sur la rive nord de la Corne d’Or, était un peu plus peuplé que Balat et concentrait l’élite de la communauté aux XVIe et XVIIe siècles, à l’apogée de l’Empire ottoman. Là vivait Moshe Hamon, prestigieux physicien venu de Grenade qui fut un conseiller du sultan Mehmet II le Conquérant. C’est aussi dans ce quartier que furent installées les premières imprimeries juives, ainsi que les plus prestigieuses institutions éducatives et culturelles dont la jadis renommée « Gvira Yeshiva », fondée par Joseph Nasi au XVIe siècle. « Il y a plus d’un millier de maisons au milieu de jardins à Hasköy qui est un bel endroit avec un bon air », racontait Evliya Tchelebi, célèbre voyageur et chroniqueur ottoman du XVIIe siècle, qui évaluait à 17000 personnes la communauté juive – à l’époque, l’écrasante majorité de la population du quartier. Ensuite, le quartier entama une phase de décadence, mais la tradition est restée. Au siècle dernier, Abraham de Camondo y fonda, en 1858, l’institut homonyme, première école juive de la capitale à enseigner selon les critères occidentaux. Dans ce même quartier fut inaugurée, en 1899, le grand bâtiment scolaire de l’Alliance israélite universelle, qui devint en 1955 le siège du séminaire rabbinique, transféré par la suite à Galata. Il abrite aujourd’hui le principal hospice juif pour personnes âgées d’Istanbul  (Köy Mektep sokak). Les transformations urbaines, la construction de nouveaux immeubles et de grands axes routiers ont dévasté ce quartier encore plus que Balat. Il ne reste aujourd’hui que deux de la trentaine de synagogues d’Hasköy.

La  synagogue Maalem fut fondée en 1754. Récemment restaurée après des années d’abandon, cet élégant bâtiment se dresse dans une cour protégée par un haut mur. Deux colonnes de marbres entourent le porche ouvrant sur une grande salle presque carrée, avec six piliers. La tévah, au milieu, sous la petite coupole aux décorations florales, a la forme d’un navire comme dans la synagogue Ahrida. Elle fait face à un aron aux portes de bois avec de riches moulures dorées. Jadis simple et sobre, avec ses murs crépis de clair contrastant avec le bois sombre des bancs, la salle aujourd’hui alterne le bleu ciel et le blanc. Les travaux ont permis de raviver une partie des décorations murales.

À Hasköy se dresse aujourd’hui le principal  centre des karaïtes à Istanbul. Leur kenassa (synagogue), Béné Mikra, est une petite bâtisse de bois et de pierre derrière un grand mur de brique. Selon la tradition locale, un temple karaïte existait déjà là à l’époque byzantine. L’actuel bâtiment, avec son beau portique à deux colonnes et son fronton triangulaire sculpté, a été reconstruit au XVIIIe siècle après qu’un incendie l’a dévasté. On y descend par un petit escalier. « Comme toutes les autres synagogues karaïtes, celle-ci est construite au-dessus du niveau du sol par respect pour la phrase biblique : « Depuis les profondeurs j’en appelle à Toi, mon Dieu », note Ilan Karmi. À l’intérieur, des tapis sur le sol remplacent les bancs des fidèles. Les maisons en bois autour du bâtiment étaient autrefois habitées par des familles karaïtes.

Les karaïtes

Cette secte dissidente du judaïsme, qui se caractérise essentiellement par son rejet de la loi orale représentée par le Talmud, vivait à Byzance avant même l’invasion ottomane, comme en témoigne au XIIe siècle le voyageur Benjamin de Tuleda. Il évoquait notamment une communauté de 500 karaïtes à Galata, près du Bosphore, dans l’actuel quartier de Karaköy. Plus de quatre-vingt communautés karaïtes vivaient sur le territoire de l’Empire ottoman, en Syrie, en Égypte, dans les Balkans mais surtout en Crimée.

En remontant sur la colline, vers le nord, vous arriverez au grand cimetière juif d’Hasköy, le plus grand de la ville avec celui de Kuzguncuk, sur la rive asiatique du Bosphore. À demi abandonné, le cimetière est aujourd’hui traversé par une autoroute urbaine. Elle passe au pied du tombeau d’Abrahma de Camondo, mausolée néo-gothique, qui devait rappeler pour la postérité la grandeur de cet entreprenant financier, qui, bien que vivant déjà à Paris, avait demandé à être inhumé à Istanbul.