La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.
Dès son origine, l’histoire de Kiev est liée à celle de la communauté juive, puisque l’une des premières mention de la ville figure dans un document du Xe siècle, trouvé dans la guenizah de la synagogue du Caire : une lettre envoyée de Kiev par Jacob bar Hanouker. On trouve mention d’une synagogue en 1113. Une jydovskie vorota (« porte juive ») est attestée dès 1146, à proximité de l’actuelle place de Llov.
Décimée par les Tatars puis les Cosaques, la communauté juive n’a véritablement pris de l’ampleur qu’à la fin du XIXe siècle.
C’est de cette époque que datent les deux synagogues les plus importantes, toutes deux en service aujourd’hui, la synagogue Kravtsev et la synagogue Brodskogo.
Les synagogues de Kiev
Construite en 1894-1895 par l’architecte Nikolaï Gordenine, dans le quartier du Podol, en bordure du Dniepr, la synagogue Kravtsev (dite « des tailleurs ») ne devait laisser aucun symbole du judaïsme apparaître sur sa façade. Elle porte néanmoins certaines marques d’orientalisme et d’architecture néo-romane typiques des synagogues du XIXe siècle. À l’intérieur, elle est d’une grande richesse. Elle n’a pas été fermée à l’époque soviétique.
La synagogue centrale s’est longtemps appelée synagogue Brodskogo, du nom du riche industriel et mécène de Kiev, Lazare Brodski, qui a financé les travaux de construction en 1897-1898, sur les plans de l’architecte Georg Schleifer. « C’est du sérieux, Brodski ! Lorsqu’il se promène dans son carrosse, le Krechtchatik et tous les juifs soulèvent leur couvre-chef, et moi avec. Ah, si je devenais un jour Brodski ! », écrit Scholem Aleïkhem.
La synagogue fut transformée en théâtre de marionnettes jusqu’en 1997. Depuis cette date, elle a été rendue à la communauté juive et porte le nom de Synagogue centrale.
C’est la communauté Chabad (Loubavitch) qui la gère. Depuis mars 2000, elle a été totalement restaurée et a retrouvé son éclat de jadis.
Il y avait d’autres synagogues à Kiev, dont les bâtiments ne sont pas tous conservés.
La synagogue des Marchands, rue Shota Rustaveli, à quelques pas de la précédente, a été transformée en cinéma Kinopanorama.
Le film Shoah y a été d’ailleurs présenté en septembre 1998, en présence du réalisateur Claude Lanzmann. La synagogue de Galicie se trouvait au 97 rue Jilanska, non loin de la gare.
La synagogue Karaïte s’élevait dans la rue Yaroslavov-Val, elle a été transformée en « Maison des acteurs ». l’oratoire hassidique était, quant à lui, dans le Podol, au 37 Nijny-Val, dans la cour.
Le curieux nom de « Yehoupets »
La visite de la Kiev juive est liée aux personnalités qui y ont vécu, comme Scholem Aleïkhem, qui lui donne le nom quelque peu ridicule de Yehoupets. « Tous se rient de moi. Je ne peux même pas passer dans la rue. On me montre du doigt : voici la femme de Menahem Mendel de Yehoupets. Beau nom en vérité », écrit-il dans Menahem Mendel le rêveur (Paris, Albin Michel, 1993).
Vous trouverez facilement les maisons où il a vécu, au numéro 5 de la rue Bolchaïa Vassilkovska , de 1897 à 1903 et au numéro 27 de la rue Saxaganski de 1903 à 1905. Depuis 1997, un monument dédié à Scholem Aleïkhem se dresse au milieu de la place Basseïnaïa, près de marché de Bessarabie, à proximité de la maison où est née et à vécu Golda Meir de 1898 à 1906 : au numéro 5 de la rue Basseïnaïa.
Parmi les autres personnalités du monde juif, citons Isaac Babel, qui y a fait ses études, le pianiste Vladimir Horowitz, né à Kiev en 1903, qui y a vécu jusqu’en 1925 avant d’émigrer aux États-Unis, Moses Beregovski, musicologue et spécialiste du folklore yiddish, l’écrivain Ilya Ehrenbourg, l’acteur Solomon Mikhoëls, l’écrivain Perez Markich, arrêté et fusillé avec d’autres membres du Comité antifasciste juif.
Le massacre de Babi Yar
L’événement le plus tragique de l’histoire de la Kiev juive est le massacre de Babi Yar, perpétré les 28 et 29 septembre 1941 par les SS et les Einsatzgruppen, quelques jours après leur entrée dans la ville. Tous les juifs de Kiev furent rassemblés et dirigés vers le cimetière juif de Loukianovka, puis de là, vers le ravin de Babi Yar, où ils furent exécutés par balle ; 33000 en deux jours. Deux monuments commémorent aujourd’hui cet épisode tragique.
Le premier, rue Dorogojitska , a été élevé en 1976 à la suite des protestations de l’intelligentsia soviétique, notamment du poète Evgueni Evtouchenko et du compositeur Vlamdimir Chostakovitch, contre les tentatives d’effacer la mémoire de l’événement. C’est un monument officiel dans le grand style de la statuaire soviétique. La plaque est rédigée en trois langues (russe, ukrainien, yiddish), mais ne nomme pas l’identité des victimes : « En ce lieu, les fascistes allemands ont exécuté près de 100000 citoyens de Kiev et prisonniers de guerre. »
Le second, rue Melnikova , érigé en 1991 sur l’emplacement même du ravin, à quelques mètres du lieu d’exécution, représente une grande ménorah, mais ne donne néanmoins aucune précision : « En mémoire de la tragédie de Babi Yar », est-il écrit en ukrainien.
Chaque année, le 29 septembre, des commémorations ont lieu, rassemblant la communauté juive et d’autres personnalités de la ville.