Ukraine / Galicie orientale, Podolie et Bucovine

Lvov

Un violon sur le toit, film de Norman Jewison basé sur la pièce de Scholem Aleikhem

La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.

Lvov -Lviv en ukrainien, Lwow en polonais, Lemberg en allemand, Léopol en français-, ville longtemps de culture polonaise, fit partie successivement de la Pologne, de l’Autriche-Hongrie, puis à nouveau de la Pologne entre les deux guerres. Annexée par l’Union soviétique lors du pacte germano-soviétique en 1939, elle fut occupée de 1941 à 1944 par l’Allemagne nazie, puis reprise par les Soviétiques après la Seconde Guerre mondiale et rattachée à l’Ukraine.

La communauté juive de Lvov est mentionnée depuis le XIIIe siècle, c’est-à-dire depuis la fondation de la ville. Dès la seconde moitié du XIVe siècle, il y eut à Lvov deux quartiers juifs, ce qui distingue Lvov de la plupart des grandes villes européennes : l’un se trouve « hors les murs », dans le faubourg de Cracovie (Krakowskie przedmiejsce) autour de la place Stary rynek (du « vieux marché ») et date de 1352 ; l’autre, qui date de 1387, est situé dans la ville.

L’ancien ghetto intra-muros

L’ancien ghetto s’étendait autour des actuelles rues Ruska, Straroevreïska et Fedorova, à proximité de l’Arsenal, au sud-est du centre-ville.
Quartier juif de Lvov. Photo de J. Weiss – Wikipedia

L’ancien ghetto s’étendait autour des actuelles rues  Ruska,  Straroevreïska et  Fedorova, à proximité de l’Arsenal, au sud-est du centre-ville. On peut y voir aujourd’hui l’emplacement de la Zolotaïa Roza Gildene Roiz (« Grande Synagogue de la Rose d’or »), à l’angle des rues Straroevreïska et Fedorova.

Élevée en 1582, elle était un chef-d’œuvre du gothique flamboyant avec de hautes ogives qui dominaient tout le quartier et elle fut, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’un des plus beaux et anciens édifices de Lvov. Elle devait son nom à l’épouse de Nahman, Rosa Jakubovna. Détruite en 1941 par les nazis, il ne reste aujourd’hui que la place vide à l’angle des deux rues, quelques vestiges d’ogives et une plaque commémorative en anglais en ukrainien.

Ghetto de Lvov (1942). Photo de Wikipedia

L’ancien ghetto hors les murs

L’ancien ghetto « hors les murs » est beaucoup plus important en superficie. C’est ici, au nord du centre-ville, que s’établirent les juifs de Lvov tout au long du XIXe siècle. Le quartier devint, pendant l’occupation allemande, un ghetto.

Derrière l’opéra se trouvait la Zydowska brama (« porte Juive »), à quelques pas de la Krakowska brama (« porte de Cracovie ») que les juifs de Lvov appelaient Vor der Shul (« devant la synagogue »).

L’actuelle  rue Bodgan-Khmelnitsky se prolonge dans la rue Zamarstynowska, la rue centrale du ghetto. Ici, toutes les maisons avant la guerre étaient juives. Dans la petite  rue Sanska, anciennement Boznicza (« rue de la synagogue »), s’élevaient la grande synagogue du Faubourg et, un peu plus bas, la Hassidim Schul. Les deux emplacements sont aujourd’hui des places vides : une plaque a été apposée en anglais et en ukrainien, sur le mur de l’ancienne synagogue hassidique, élevée au XVIIe siècle, reconstruite au XIXe  et détruite en 1941.

Synagogue des Hassidim

Dans ce quartier qui en possédait un grand nombre, seule une synagogue peut être visitée, c’est l’ancienne synagogue des Hassidim novateurs ; longtemps transformée en salle de sports, elle a été rendue récemment à la communauté juive qui en a fait le siège de  l’Association culturelle Scholem Aleïkhem, qui organise des rencontres pour les personnes âgées et édite la revue Chofar.

Mémorial de la Shoah. Photo de Glaube – Wikipedia

Pour s’imprégner de l’ancien quartier juif de Lvov, vous vous promènerez dans les rues  Zamarstynowska,  Muliarska,  Balabana,  Koulicha, et dans tout le périmètre situé au nord de la ville. Dans la rue Tchernovola, ex-rue des 700 ans de Lvov, au-delà du pont de chemin de fer, s’élève un monument datant de 1991, commémorant le massacre des 136800 juifs de Lvov, exterminés dans le ghetto ou déportés entre 1941 et 1943.

Sur les traces de Scholem Aleïkhem

Une autre exploration possible du ghetto commence, à l’ombre de l’opéra, de l’autre côté de la  rue Gorodecka. Pénétrant dans la  rue Szpitalna, vous vous trouverez transporté peu à peu dans le monde des anciens shtetlekh. Bien que la rue ne soit plus juive, elle a conservé son aspect de jadis, son marché avec des vendeurs portant des vêtements et autres objets à bout de bras.

À l’angle qu’elle forme avec la  rue Kotliarska, se trouve une plaque indiquant que l’écrivain Scholem Aleïkhem à vécu dans cette maison en 1906. Plus loin, la rue débouche sur une place très animée où convergent les rues Rappaport, Scholem Aleïkhem, Bazarna : c’était l’un des centre d’animation du ghetto, à proximité de l’ancien marché de Cracovie (Krakowski rynek), devenu « bazar ». Dans la  rue Rappaport se trouve l’ancien hôpital israélite, un grand bâtiment élevé dans le style mauresque avec une coupole orientale.

Sur la façade, on peut déchiffrer encore les lettres polonaises arrachées : « Izraelicki Szpital », ainsi que les lettres hébraïques recouvertes par une inscription en cyrillique : « Maternité numéro 3 ». Le jardin de la maternité est bordé par un terrain qui n’était autre que le vieux cimetière juif de Lvov, qui remontait au XIVe siècle, dont d’anciennes photos permettent de se faire une idée de la richesse. Il a été totalement rasé et, à sa place, se trouve une extension du bazar.

Dans la rue Scholem Aleïkhem, se trouve un très beau bâtiment dont l’entrée monumentale s’apparente à celle de la gare d’Orsay : jadis consistoire israélite, avec le tribunal rabbinique, cet édifice abrite aujourd’hui le  Bnai Brith « Leopolis » et le Centre d’études juives de Lvov.

Le camp de Janowska

On arrive ensuite  rue Chevtchenko, plus connue des historiens de l’Holocauste sous son ancien nom de rue Janowska. Dans cette rue se trouvait, à l’intérieur du ghetto, un véritable camp de concentration, le sinistre camp de Janowska. Il s’élevait à la place des actuelles casernes de cette rue. À l’extrémité de la rue, vous trouverez le  cimetière Janowski, dont une partie est un cimetière juif. Presque toutes les tombes sont postérieures à 1945, donc écrites en russe.

L’unique  synagogue en service de Lvov se trouve plus loin encore, dans le quartier de la gare, rue des Frères Mikhnowski, anciennement rue Moskovskaïa.

Le quartier juif de Lvov s’étendait aussi au sud de la rue Gorodecka et à l’ouest de la  perspective Svobody. Ainsi, dans la  rue Nalivaïko, à la hauteur du numéro 11, vous verrez encore sur la façade d’un ancien magasin des inscriptions en yiddish. Plus loin, sur la place qui forme l’angle des rues Nalivaïko et Grebinka, se trouvait une synagogue, aujourd’hui rasée. En face, le théâtre de marionnettes (Teatr lalok) de la rue Grebinka est  l’ancien théâtre juif de Lvov. Un peu plus loin dans la  rue Bankovska, un emplacement vide entre deux maisons signale lui aussi une ancienne synagogue.

Un témoignage

En 1929, Albert Londres visite les communautés d’Europe orientale et décrit ainsi le ghetto de Lvov : « Le marché est le cœur du ghetto. Un amas de baraque comme celles qu’on construit après un tremblement de terre ou l’incendie d’une ville…Un marché ? Un champ d’épandage, oui ! Le choix de toutes les boîtes à ordures de la ville polonaise ! »

Albert Londres, Les Juif errant est arrivé. Le Serpent à Plumes (Paris, 2000).