Pologne / Galicie

Cracovie

Vue du quartier de Kazimierz © Wikimedia Commons (Elapros)

En 1335, le roi Casimir le Grand fonda à proximité de Cracovie une ville indépendante : Kazimierz, dans laquelle il autorisa les juifs à s’établir autour de la rue Sukiernikow (« rue des Drapiers », aujourd’hui rue Jozefa), à côté du quartier chrétien.

Ils y édifièrent la synagogue Stara, un mikveh, un hôtel et une maison de mariage, dans la rue principale appelée Szeroka (« Large »). Au XVIe siècle, un grand nombre de juifs arrivèrent de Bohême. À partir de 1553, les juifs achetèrent le terrain situé entre la rue Waska (« Étroite ») et l’enceinte de la ville, pour y construire des maisons d’habitation, ainsi que celui de la rue Jakuba pour y établir le cimetière et la synagogue Rema. Il y avait alors trois portes qui donnaient dans le quartier juif : une près de l’enceinte de la ville et la synagogue Stara, l’autre près du cimetière, et la troisième dans la rue Jozefa, entre ville chrétienne et ville juive. C’est à l’emplacement de cette porte qu’on éleva bientôt la synagogue Wysoka (« Haute »).

En 1564, les juifs obtinrent du roi Sigismond Auguste le privilège de non tolerandis christianis : les chrétiens ne pouvaient acheter de terrains dans ces rues, et, inversement, les propriétaires chrétiens ne pouvaient vendre de parcelles à d’autres que des juifs. En 1635, toutes les parcelles du quartier Kazimierz situées dans ces quelques rues étaient juives.

Au XVIIe siècle, l’accroissement de la communauté juive imposa d’édifier de nouvelles synagogues : la synagogue Popper, fondée en 1620 par le riche marchand Wolf Bocian, dans la rue Szeroka, la synagogue Ajzyk en 1644, du nom de son fondateur Isaac Jakubowicz, et la synagogue Kupa. À cette époque, Kazimierz était l’une des grandes villes juives d’Europe, avec 4500 habitants contre 5000 dans la partie chrétienne de la ville. Comme à Cracovie, les juifs aisés de Kazimierz firent venir des architectes pour édifier de nouvelles maisons de pierre, ou pour reconstruire la synagogue Stara, détruite par le feu en 1557.

Restaurant Ariel

Après le partage de la Pologne, Cracovie et la Galicie furent annexées à l’Autriche. En 1800, l’administration autrichienne réunit Kazimierz à Cracovie.

À partir de 1867, la constitution austro-hongroise mit fin aux discriminations contre les juifs et leur permit même de choisir librement leur lieu d’habitation. Les juifs les plus pauvres et les plus religieux demeurèrent à Kazimierz, dans les frontières de l’ancien ghetto. Les plus émancipés construisirent leur synagogue réformée, le Temple, dans la rue Miodowa, à l’extérieur de ces limites.

Pendant l’Occupation, le ghetto de Cracovie subit le même sort que les autres ghettos polonais. Il fut « liquidé » en 1943, ses habitants exterminés à Belzec ou dans le camp de Plaszow.

Le quartier juif de Cracovie, Kazimierz, est le mieux conservé de toute la Pologne. Son intérêt culturel et touristique est considérable. Longtemps à l’abandon, refoulé de la conscience des Polonais après la disparition de ses habitants, il a resurgi en tant qu’entité à forte valeur patrimoniale à la faveur du tournage du film de Steven Spielberg, La Liste de Schindler (1994). Et depuis 1991, la ville organise chaque année un festival de la culture juive. Pour préparer votre visite, vous pouvez vous rendre au centre de la communauté juive de Cracovie.

Les chants de Mordechaï Gebirtig

Mordechaï Gebirtig, né en 1877 à Kazimierz, a été le plus talentueux des chanteurs-auteurs-compositeurs yiddish du XXe siècle. Il était menuisier dans le ghetto de Cracovie, où il fut assassiné en 1942. Ses chants nostalgiques, tel Kinderyorn (« Années d’enfance ») résonnent encore à nos oreilles. En 1938, il composa une chanson prémonitoire, Unzer Shtetl brent (« Notre shtetl brûle »), qui allait devenir un hymne pour les combattants :

« Il brûle, petit frère, il brûle !

Oh, notre pauvre shtetl brûle. »

Kazimierz

La visite commence par la rue Miodowa (« du Miel »), d’où l’on entre dans la rue Szeroka, rue centrale du ghetto. À l’angle des deux rues, se trouve le beau bâtiment de l’ancien mikveh, datant de 1567, transformé aujourd’hui en  restaurant où on sert des spécialités juives.

La rue Szeroka est, en fait, une très grande place rectangulaire, autour de laquelle s’agencent la plupart des édifices de la communauté, le cimetière et la synagogue Rema sur la droite, la synagogue Stara tout au bout, la synagogue Popper sur la gauche, les maisons et restaurants juifs. Au centre de la place, le petit parc est entouré d’une grille faite de chandeliers à sept branches. Le reste de la place est devenu un parking.

Synagogue Stara © Bart Van den Bosch – Wikimedia Commons

La Vieille synagogue fut édifiée au XVe siècle en style gothique, inspirée par celles de Worms, Prague et Ratisbonne, elle fut reconstruite dans un style Renaissance par le Florentin Matteo Gucci, après l’incendie de 1557. Elle abrite aujourd’hui le musée d’Histoire et de la Culture des Juifs de Cracovie. L’intérieur est magnifique et restitue parfaitement l’atmosphère d’une vieille synagogue, avec en particulier, au centre, une bimah circulaire, réalisée en fer forgé, sorte de temple dans le temple. Sur les côtés et dans les pièces adjacentes à la salle de prière, sont exposés des oeuvres d’art et objets de culte, ainsi que des photographies figurant l’ancien Kazimierz. Non loin se situe le Musée de Galicie, qui met en avant le patrimoine culturel juif de la région. Il a été créé à l’initiative d’un photographe anglais et a été inauguré en 2004. Des expos consacrées à la Galicie juive y sont montrées. On y trouve également un charmant salon de thé.

Synagogue Popper © Zygmunt Put – Wikimedia Commons

Fondée en 1620, l’ancienne synagogue Popper est située au fond de la cour. Elle a été détruite pendant la guerre, puis reconstruite et finalement transformée en un centre d’art pour enfants et adolescents. À l’entrée de la cour de la synagogue, se trouve le café galerie Ariel et un  café restaurant juif.

La maison de Landau date du XIVe siècle, c’est l’une des plus vieilles et des plus grandes maisons de pierre du quartier juif. Son architecture est particulière et attire immédiatement l’attention. À l’intérieur, il y a un café et la librairie juive Jarden qui propose des guides sur Kazimierz et organise des visites guidées sur les lieux de tournage de La Liste de Schindler.

Synagogue Remah © Laima Gūtmane – Wikimedia Commons

La synagogue Rema est la seule en activité actuellement. Elle fut fondée en 1553 par Israël ben Josef Isserles, venu de Ratisbonne, et porte le nom de son fils, le philosophe et célèbre rabbin Moses Isserles (1525-1572), dit Reb Moses ou Rema. Sa porte d’entrée monumentale est aussi celle du cimetière ! Cette synagogue forme en effet avec celui-ci un important ensemble de l’architecture juive du XVe siècle, comparable à l’Altneuschul et au cimetière de Prague. À l’intérieur, elle est relativement petite. Elle possède, elle aussi, une bimah en fer forgé. Le cimetière date de 1533. Avec celui de Lublin, c’est le plus vieux cimetière juif de Pologne. Il mérite une visite attentive. On y trouve de nombreuses tombes de personnalités célèbres en leur temps, notamment de Moses Isserles et de sa famille, mais aussi d’Eliezer Achkenazi, rabbin au Caire puis à Poznan, de Nathan Spira, rabbin et cabaliste, de Yomtov Heller, rabbin à Vienne, Prague, Nemirov et Cracovie, directeur de la yeshiva, etc. La tombe de Moses Isserles, juste derrière la synagogue, est l’une des plus remarquables : elle est couverte de cailloux que les visiteurs laissent en signe d’hommage. Un peu plus loin, le cimetière s’élève, formant une colline qui est en réalité une accumulation de tombes. Le mur du cimetière, près de l’entrée, est constitué de pierres tombales cimentées. Les récentes rénovations permettent de mieux apprécier les fresques.

Synagogue Wysoka © Wikimedia Commons (Ludek)

En reprenant la rue Szeroka jusqu’au bout, vous arrivez à la rue Jozefa, où vous découvrez, au numéro 38, face à une petite place, à l’intersection avec la rue Waska, la synagogue Wysoka (« Haute ») qui doit son nom au fait que la salle de prière se trouvait au premier étage. Construite entre 1556 et 1563, elle a été détruite par les Allemands, reconstruite après la guerre et donnée au Monuments historiques. Belle à l’extérieur, il ne reste plus grand chose à l’intérieur.

Depuis la rue Jakuba, vous apercevez l’arrière de la très impressionnante synagogue Ajzyk, à l’angle de la rue Izaaka, qui fait face au mur du cimetière. Elle date de 1638 et a été fondée par un riche marchand, Isaac Jacubowicz (dit reb Ajzyk ben Jekeles). Sa façade à l’escalier monumental donne sur la rue Kupa. Détruite par les Allemands, reconstruite aujourd’hui, elle est un lieu de mémoire qui abrite une exposition sur les juifs de Pologne et où sont programmés de nombreux films sur Kazimierz.

La synagogue Ajzyk en 1936 (Collection du Musée historique de la Ville de Cracovie)
La synagogue Ajzyk en 1936 © Collection du Musée historique de la Ville de Cracovie

La synagogue Kupa se trouve au bout de la rue Kupa, dans la rue Warszauer. Construite au début du XVIIe siècle à l’emplacement de l’enceinte extérieure du ghetto, elle a été magnifiquement restaurée et abrite des concerts de musique. Elle contient de belles peintures représentant des villes de Palestine. Vous parvenez ensuite sur la place Nowy (« Nouvelle »), très pittoresque, appelée aussi « Place juive », où s’élève un marché couvert de forme circulaire, ou okraglak, dans lequel avait lieu l’abattage rituel. Au numéro 6 de la rue Estery, se trouvait l’école Talmud Torah.

En continuant dans la rue Meiselsa, vous découvrez au numéro 15 une magnifique cour intérieure de maison juive, avec des galeries parcourant le premier étage, et un porche donnant sur la rue Jozefa, avec, en arrière-plan, le clocher de l’église du Très-Saint-Corps-du-Christ. Dans cette cour (entrée par le 12 rue Jozefa), fut tournée l’une des scènes de La Liste de Schindler. Par la rue Bozego Ciala, revenez à la rue Miodowa avec, à l’angle de la rue Podbzezie, la synagogue réformée Templ, remarquable par ses beaux vitraux.

Portail du ghetto de Cracovie ca. 1941 © United States Holocaust Museum, courtesy of Instytut Pamieci Narodowej – Wikimedia Commons

À l’autre bout de la rue Miodowa, derrière la voie ferrée, se trouve le nouveau cimetière juif. Il fut créé en 1800, après la fermeture du cimetière Rema. Immense, il donne par son ampleur une idée de celle de la communauté juive avant guerre. À l’entrée, un monument fait de nombreuses tombes et de plaques commémoratives est élevé en mémoire des victimes de la Shoah.

De l’autre côté de la Vistule, en prenant la rue Starowisla, vous parvenez à ce qui fut le ghetto sous l’occupation allemande, autour de la place Bohaterow Getta (« des Héros du Ghetto ») et des rues Lwowska, Josefinska et Limanowskiego. Vous pouvez visiter le musée situé dans la pharmacie Pod Orlem, dont le propriétaire, Tadeusz Pankiewicz, a beaucoup aidé les juifs du ghetto. Remarquez, dans la rue Lwowska, un fragment du mur du ghetto, semblable à une allée de tombes. Plus loin encore, à Plaszow (rue Kamienskiego), s’élève un monument en l’honneur des victimes du camp de concentration établi en cet endroit, déportées du ghetto de Cracovie.

Le Centre communautaire juif a toujours été très impliqué, mais avec la guerre menée par la Russie en Ukraine, son rôle a évolué bien au-delà du culturel et social. Voici notre entretien avec Agnieszka Kocur-Smoleń, directrice de la programmation au JCC de Cracovie.

Photo courtesy of JCC Krakow

Jguideeurope : Pouvez-vous nous dire comment le JCC a été créé ?

Agnieszka Kocur-Smoleń: Le JCC a été inauguré en 2008, lors d’une cérémonie officielle, par le Prince de Galles. Le centre fournit des services sociaux et éducatifs à la communauté juive de Cracovie. Mais il a aussi des objectifs différents. Tout d’abord, participer à la résurgence de la vie juive à Cracovie et favoriser les relations polono-juives. À ces fins, il était également important de prévoir un lieu symbolique, au cœur du quartier juif historique de la ville, Kazimierz.

Photo courtesy of JCC Krakow

Y a-t-il des projets éducatifs proposés par le musée et comment la ville de Cracovie participe-t-elle au partage de la culture juive ?

Nous avons toute une variété de projets éducatifs, d’activités, d’événements pour la communauté ainsi que pour les personnes qui souhaitent approfondir leur connaissance et leur compréhension du monde juif. Nous travaillons avec les écoles locales, coopérons avec des universités, d’autres organisations à but non lucratif, des musées et des centres culturels. Tout cela, dans le but de partager largement la culture juive.

Photo courtesy of JCC Krakow

Participez-vous aux Journées européennes de la culture juive de cette année ? Si oui, qu’est-ce qui a été organisé au musée en 2023 ?

Chaque année, nous participons au Festival de la culture juive en tant qu’organisation partenaire et nous préparons le riche programme des événements qui l’accompagnent. Le festival est soutenu par la ville de Cracovie. Nous avons créé un programme de 38 événements pendant le festival qui dure 7 jours – conférences, entretiens, jeux de ville, spectacle culinaire, visites touristiques, ateliers de danse, consultations généalogiques, débats, activités pour les enfants et les personnes âgées, cours de yiddish, dîner de Shabbat, etc.

Vous avez été impliqué dans l’aide aux réfugiés ukrainiens. Pouvez-vous nous donner quelques détails ?

Le JCC et ses partenaires ont aidé plus de 80 000 Ukrainiens au cours des quatre premiers mois de l’attaque russe, et continuent de le faire. Il s’agit aussi bien de réfugiés qui ont fui vers la Pologne que d’Ukrainiens de l’autre côté de la frontière, sans faire de différence entre les appartenances culturelles et cultuelles. Le JCC sert de point de distribution de nourriture, de médicaments, de jouets, de vêtements… Plus de 12 000 nuits d’hôtel ont été fournies. Des camps d’été sont également organisés pour les enfants ukrainiens. Une hotline a été mise en place pour répondre à tous types de questions et de problèmes, ainsi qu’une équipe de 12 psychologues. Nous avons également établi un partenariat avec une université locale et une ONG israélienne afin de former 68 psychologues supplémentaires pour faire face à une telle crise. Et bien d’autres actions encore pour diminuer la souffrance de la population civile.