Belgique

Anvers

Quartier juif d’Anvers © Michael Day

Dernier véritable shtetl d’Europe occidentale, cette ville se caractérise par l’orthodoxie et l’industrie diamantaire. Environ 80 % des juifs anversois vivaient, il y a 20 ans encore, de l’industrie du diamant, à une époque où plus de la moitié de la production mondiale transitait par les quelques rues à proximité de la gare centrale.

L’histoire des juifs d’Anvers constitue un grand roman du XXe siècle. Avec ses moments forts, ses âges d’or, mais aussi la guerre et les crises économiques et politiques.

Surnommée la « Jérusalem du Nord » pour ses synagogues et yeshivoth ashkénazes, Anvers a pourtant été d’abord une communauté sépharade, fondée en 1526 par des juifs marranes issus du Portugal. La Belgique subissant depuis longtemps les conflits des grandes puissances voisines, le sort des juifs évolua selon les empires entre tolérance, expulsion, droits civiques accordés… Le rattachement de la Flandre à la Hollande avant l’indépendance de la Belgique en 1830, ainsi que le développement des ports, favorisa un rapprochement avec la communauté ashkénaze d’Amsterdam.

De 151 juifs en 1829, Anvers en compta 35000 un siècle plus tard. Cela, principalement suite à la venue de juifs d’Europe de l’Est. Ils prirent une grande part au développement local de l’industrie du diamant. A tel point, que durant la Seconde Guerre mondiale, Cuba accueillit des juifs réfugiés tailleurs de diamants pour développer ce secteur sur l’île.

Le documentaire Cuba’s Forgotten Jewels réalisé par Judy Kreith et Robin Truesdale raconte cette fabuleuse histoire de centaines de juifs anversois autorisés à s’installer à La Havane pour y créer une taillerie de diamants. Mais, avant cela, ils doivent déjouer les pièges sur le chemin de l’exode, à travers la France, l’Espagne et le Portugal pour embarquer.

Nuchem Bodner, diamantaire anversois réfugié à Cuba pendant la guerre.

Les âges d’or, puisqu’on peut dire que deux générations en bénéficièrent, dans les années 50 puis 70, témoignèrent d’un formidable développement de la vie juive à Anvers. Anvers comptait d’ailleurs pendant ces décennies le plus grand nombre d’enfants en école juive au monde, en dehors d’Israël bien entendu. Des écoles qui n’étaient pas que des yeshivot. Au contraire, à l’image de la Tachkemoni, il s’agissait principalement d’écoles sous contrat avec l’Etat. En plus du curriculum classique, les études juives y étaient très poussées. La Tachkemoni accueillit jusqu’à 1000 élèves. Depuis quelques années, Jan Maes, un de ses anciens directeurs, effectue un travail remarquable pour retrouver les noms de victimes de la Shoah et les inscrire dans l’histoire collective belge. Un monument a d’ailleurs été érigé en souvenir des victimes de la Shoah.

En dehors des grandes fêtes et du secteur diamantaire, les juifs d’Anvers ont longtemps vécu en deux groupes : d’un côté les communautés orthodoxes et de l’autre, le reste des juifs qui se fréquentaient, allant des athées jusqu’aux disciples du Rav Kook. Ainsi, les jeunes qui fréquentaient les mouvements de jeunesse Hachomer Hatzaïr, Hanoar Hatzioni et Bné Akiva, se retrouvaient aussi aux clubs de sport Maccabi.

Le Maccabi qui eut son heure de gloire avec sa grande équipe du water-polo dans les années 50-60, son équipe de foot aux victoires marquantes dans les années 30 et qui encore dans les années 80 atteignit la 4e division belge (un de ses joueurs avait d’ailleurs pour surnom Arsenal, en hommage à son amour pour le foot anglais) et son club de tennis, dont fut issu deux champions nationaux dans les années 80.

Le club de tennis du Maccabi au début des années 80

Le centre Romi Goldmuntz, situé à la Nerviersstraat, était également un espace social et culturel important, parmi de nombreux lieux et associations dans la ville. Les mariages, bar et bat mitsvoth y étaient souvent célébrés dans sa grande salle jusqu’aux années 90. Cet immeuble, de par la diversité des activités a accueilli toutes les générations. La salle de soirée, où se déroulaient également des galas et défilés se trouvait au rez-de-chaussée, derrière un café-bar et une salle où était donnés des cours de bridge, une des activités préférées de la communauté juive d’Anvers. Au 1e étage, un restaurant qui accueillait notamment de nombreux écoliers à midi et une salle omnisport où étaient dressés les tables de ping pong à midi en guise de divertissement après le repas et avant la reprise des cours. Et à côté une salle pour les cours de karaté et judo. Aux étages supérieurs, une salle de jeux pour enfants, un théâtre, une bibliothèque et une salle d’expo. Et même au sous-sol une boite de nuit qui servait également pour les ados y célébrant leur bat-mitsva et bar mitsva dans un cadre moins formel que la grande salle.

Depuis 20 ans, l’évolution du secteur diamantaire, avec la disparition des tailleries et le déplacement du centre de gravité du marché, motiva un choix plus varié professionnellement pour la plupart des juifs anversois et géographiquement pour ceux qui voulaient tout de même rester dans le secteur.

Nuchem Bodner en face de la synagogue d'Anvers
Nuchem Bodner devant la synagogue Romi Goldmuntz. Photo de Steve Krief

Si le centre Romi Goldmuntz n’est plus en activité et d’autres lieux comme la librairie de Monsieur Kahane qu’un lointain souvenir, la communauté juive est encore assez présente de par ses écoles et mouvements de jeunesse. Elle a quitté le centre-ville et a offert de grands noms au théâtre national.

Il y a six synagogues de rite ashkénaze à Anvers. La plus grande est la Romi Goldmuntz.

La synagogue Shomrei haDas (« des Gardiens de la Loi»), avec plus de 6000 membres, et l’Israelitische Gemeente Van Antwerpen, fondée en 1904, représentent la communauté de la ville.

Viennent ensuite les communautés plus orthodoxes, regroupées dans  l’organisation Mahzikai. On y trouve tous les courants du mouvement hassidique, dont les Satmar, les Gourer, les Sanzer, etc. En Europe, seule Londres présente encore une telle diversité, à Stamford Hill.

Les séfarades se réunissent dans leur synagogue, à côté de à la Bourse du diamant : la synagogue de la communauté israélite de rite portugais d’Anvers compte environ 300 familles et s’est agrandie avec l’arrivée de nombreux Israéliens. Une plaque apposée sur un mur extérieur commémore les victimes de l’attentat terroriste de 1981, revendiqué par un groupe palestinien.

La Yiddish Town, encore appelée « Pelikaan », du nom de l’une de ses principales artères, se trouve autour de la gare centrale. On y trouve divers restaurants-traiteurs dont le nom est généralement celui de la famille. Ils sont installés à l’arrière des maisons, ou situés dans une galerie. Les restaurants n’offrent aucune vue sur la rue, sauf la pizzeria USA Pizza de la rue Isabellalei, mais tous proposent des livres de prières…

Boulangerie Kleinblatt. Photo de Steve Krief

À première vue, le promeneur non initié ne se doute pas qu’il faut pénétrer dans la boucherie pour accéder au Dresdner. Il parcourt ensuite l’arrière-cour en forme de galerie avant de se retrouver dans un petit restaurant moderne. Le vestiaire, avec ses longues redingotes traditionnelles, ses chapeaux noirs, les livres de prières déposés à côté des tables, témoignent de la grande orthodoxie du lieu.

Signalons également l’excellent Blue Lagoon, situé dans le quartier diamantaire : c’est le seul établissement sino-casher du Benelux.

Anvers compte un nombre important de boucheries, de boulangeries et de magasins spécialisés en produits typiquement juifs. N’hésitez pas à faire vos provisions de gâteaux et pâtisseries chez Kleinblatt et chez Steinmetz.

Autre référence culinaire proche de la Tachkemoni : Beni falafel, où les jeunes écoliers se ruent depuis des générations pour y goûter les falafels dont les nostalgiques parlent encore, en particulier les pitoth gonflées au fer à repasser.

En dehors de ce quartier une autre étape s’impose. Une promenade dans le quartier du somptueux Musée Royal des Beaux-Arts vous permettra aussi de découvrir la sublime Synagogue hollandaise. Construite par l’architecte Joseph Hertogs en 1893, elle accueille souvent de grandes cérémonies. Fermées pendant huit ans pour causes de travaux, elle a accueille à nouveau les fidèles depuis l’automne 2022.

Si la population orthodoxe habite surtout ce quartier, les autres juifs ont migré depuis ces mêmes années vers les quartiers sud de Berchem, Wilrijk et surtout Edegem. Ce dernier accueille le Chai Center abritant une synagogue et un centre culturel très actif.