La présence juive à l’Isle-sur-la-Sorgue est attestée à partir de 1278 et date très probablement de bien avant. Plusieurs familles habitaient le quartier de Villefranche, où se situe la place de la Juiverie .
Les juifs sont alors regroupés dans des carrières. Il en sera ainsi jusqu’à la Révolution française. Le quartier juif de l’Isle-sur-la-Sorgue s’étend sur une superficie de 6000 m², y accueillant au XVIIIe siècle entre 300 et 400 personnes.
Située au sud-ouest de la carrière, la synagogue semblait dater du XVIe siècle. Selon des recherches effectuées, son architecture ressemblait à celles de Cavaillon et Carpentras. Des travaux ont été réalisés à plusieurs reprises au fil du temps dans ce bâtiment de deux étages. A l’abandon, la synagogue fut détruite au milieu du XIXe siècle.
Il subsiste aujourd’hui deux immeubles témoins des carrières de l’Isle-sur-la-Sorgue datant du XVIIIe siècle : l’immeuble Carcassonne, nommé ainsi par rapport à ses propriétaires et l’immeuble Beaucaire. Ce dernier a été nommé pour les mêmes raisons, construit entre 1760 et 1765 par les frères David-Aron et Isaac Beaucaire.
De nombreux travaux ont été entrepris ces dernières années pour mettre en valeur le patrimoine culturel juif de l’Isle-sur-la-Sorgue. Qu’il s’agisse de l’emplacement du quartier juif, de l’ancienne synagogue, du cimetière juif ou de l’immeuble Beaucaire. Le cimetière (situé au quartier des Bagnoles, il a été utilisé jusqu’à l’aube de la Seconde Guerre mondiale) et l’immeuble ont d’ailleurs été protégés au titre des Monuments historiques.
Rencontre avec François Guyonnet, Directeur du Patrimoine à la Mairie de l’Isle-sur-la-Sorgue
Jguideeurope : De quand date la présence juive à l’Isle-sur-la-Sorgue ?
François Guyonnet : L’Isle-sur-la-Sorgue est une ville assez récente par rapport à ses voisines et qui naît vers l’an 1000, grâce à un réseau hydraulique naturel. Elle s’étend remarquablement aux 12e et 13e siècles, devenant la deuxième agglomération après Avignon. Elle attire une noblesse pléthorique et fonctionne avec un système particulier, celui du consulat entre les nobles qui gèrent la ville.
La communauté juive est très présente dans la région à cette époque, mais on ne retrouve qu’une mention administrative à l’Isle au 13e siècle, même s’il est fort probable que sa présence est plus ancienne. Suite aux événements politiques et religieux des 13e et 14e siècles dans le Comtat Venaissin, les juifs vivront dans des carrières du 15e à la fin du 18e siècle. Certes, de nombreux juifs habitaient aux alentours du lieu de culte, mais avant ces carrières, il n’y avait pas de « quartier juif », les populations se mélangeant dans la ville. Beaucoup de questions demeurent sur la pratique de cet enfermement, sur la fermeture des rues, l’accès aux logements. À partir du 17e siècle, les choses vont être tranchées, puisque les autorités pontificales imposent la concentration des juifs dans quatre villes de la région : Avignon, Carpentras, Cavaillon et l’Isle. Cela demeurera ainsi jusqu’à l’émancipation de 1791.
Quelles traces du patrimoine culturel juif demeurent ?
Contrairement à Cavaillon et Carpentras, nous n’avons plus de synagogue depuis la fin du 18e siècle, celle-ci ayant été abandonnée puis démolie par les autorités municipales en 1856. Carpentras et Cavaillon ont toujours leurs magnifiques synagogues et Avignon a reconstruit la sienne au 19e siècle. L’Isle possède un cimetière juif extérieur, situé à 2 km du centre ancien, qui résulte probablement d’une mutualisation avec la communauté voisine.
Mon travail de conservateur consiste à identifier tout ce qui constitue le patrimoine, les traces matérielles de ces communautés juives. Certes, nous n’avons plus de synagogue, mais nous avons des immeubles collectifs de cette juiverie du 18e siècle. La taille de la carrière de l’Isle est assez impressionnante pour l’époque. Elle est évaluée à environ 6000 m² pour une population qui aurait atteint 400 personnes au milieu du 18e siècle, vivant dans des immeubles de plusieurs étages. Deux bâtiments témoignent aujourd’hui de l’amélioration des conditions de vie dans les carrières au 18e siècle résultant de l’enrichissement de diverses familles : l’immeuble Beaucaire et l’immeuble Carcassonne qui jouxtait la synagogue. La plupart des autres maisons de l’ancien quartier juif sont tombées en ruine.
Il y a trois ans, j’ai saisi l’opportunité d’une cession de l’immeuble Beaucaire, afin que l’on se positionne pour sa protection au titre des Monuments, effective depuis février 2022. Ce qui nous a assuré des financements institutionnels de l’État. On a conduit une étude archéologique, puis acheté une partie du lieu afin de rendre sa fonction première à l’escalier historique. Il va desservir des appartements privés et sociaux et au dernier étage sera aménagé un espace avec un centre d’interprétation du patrimoine juif local, lequel sera probablement ouvert en 2024. En voyant cet étonnant escalier, surgissent les images des portes qui ouvraient sur les vieux appartements avec les enfants qui courent et la vie quotidienne du ghetto. C’était très émouvant de le sauver.
Avez-vous retrouvé le lieu exact où se situait l’ancienne synagogue ?
Nous savons où elle se trouvait grâce au cadastre napoléonien et des documents topographiques du 19e siècle. Elle est aux 2/3 sur l’espace public aujourd’hui, sur un lieu peu traversant, une sorte de parking anarchique dans un recoin de la place de la Juiverie. Le conseil municipal a récemment dénommé le lieu où elle se situait place de la synagogue. Ce fut ma première démarche en tant que conservateur dans ce domaine. Tout cela est réalisé dans le but de permettre à la population locale de se reconnecter avec cette partie de leur histoire.
L’autre tiers de l’ancienne synagogue se situe sous les bâtiments construits par la famille Abraham, une des dernières familles juives du Comtat, après la démolition du lieu. Ils avaient récupéré une partie du foncier pour y construire une écurie. Il y a peu, la propriétaire souhaitait y construire des immeubles d’habitation. Je me suis dit que si on autorisait cette transformation, il n’y aurait plus de possibilité de mettre en valeur cet ensemble. La mairie s’est donc positionnée pour développer un projet qualitatif sur l’emplacement de la synagogue. On a acheté la remise puis des recherches archéologiques ont été entreprises. Mon idée est simple : après un travail de fonds archéologique, on pourrait détruire la remise du 19e siècle afin de dégager une perspective sur l’immeuble Carcassonne, témoin de la renaissance du patrimoine des familles juives du 18e siècle. On trouvera ensuite des moyens pour mettre en valeur cette façade. Sur l’emplacement de la synagogue, on travaille avec un jeune architecte sur un projet qualitatif d’aménagement de l’espace public. Celui-ci permettra de visualiser le plan de la synagogue et les vestiges retrouvés. Le tout, avec une dimension artistique permettant de donner une fonction mémorielle au lieu et de faire renaître en filigrane la synagogue au sol, qui retrouvera ainsi sa place dans l’espace public. Un espace public qui sera, lui aussi, magnifié par l’ancienne façade des maisons juives.
Ces projets de mise en valeur du patrimoine culturel juif concernent-ils également le cimetière ?
En 2013, on a entrepris une étude archéologique dans le cimetière qui était abandonné depuis un siècle. On a décapé et nettoyé les tombes et rendu les enclos spoliés par des voleurs de matériaux ferreux. Un nettoyage effectué avec l’université d’Avignon et la DRAC nous a permis de réaliser un scan et une étude complète du cimetière. Nous avons contacté un paysagiste afin d’envisager un projet d’embellissement.
Nous lançons actuellement des campagnes de mécénat pour mener à bien ces projets. Certains sont en partie financés par les autorités locales et nationales, mais il nous manque encore des fonds, notamment concernant le projet sur la synagogue. La réalisation de ces trois projets portant sur l’immeuble Beaucaire, la synagogue et le cimetière permettra à l’histoire juive de retrouver la place importante qui est la sienne à l’Isle-sur-la-Sorgue.