Italie / Emilie-Romagne

Ferrare

Synagogue de Ferrare © Wikimedia Commons (Sailko)

Le quartier juif, où les juifs ne furent réellement forcés de résider qu’au début du XVIIe siècle, est le plus étendu et le mieux conservé avec celui de Venise.

Tant qu’elle resta la capitale des ducs d’Este jusqu’en 1598, cette ville fut l’un des grands centres du judaïsme italien et européen avec plus de 2000 juifs pour 30000 habitants à l’âge d’or, entre le XVe et le XVIe siècle. Ashkénazes venus d’Allemagne et séfarades accueillis après leur expulsion d’Espagne y vivaient côte à côte sous la protection des autorités locales, sans devoir porter un signe distinctif, sans obligation de résidence dans tel ou tel quartier de la ville.

La grande rue qui relie la Ferrare médiévale à la Ferrare Renaissance, le corso della Giovecca (ou Giudecca), témoigne de ce passé heureux. De prestigieux rabbins et médecins vivaient dans la ville qui fut, comme Bologne, un haut lieu de l’imprimerie juive: Abraham Usque y publia, en 1555, la célèbre Bible de Ferrare. La situation se précipita en 1597 lorsque le duc Alfonse d’Este mourut sans héritier mâle. La papauté prit le contrôle de la ville abandonnée par la cour d’Este qui partit pour Modène, comme de nombreux juifs. Puis, le ghetto fut instauré en 1627. Malgré les difficultés et même après l’émancipation (1859), les juifs restèrent assez nombreux dans la ville, jusqu’aux lois raciales imposées par Mussolini en 1938. Cette tragédie a été magnifiquement racontée par l’écrivain Giorgio Bassani qui a consacré la plupart de ses livres à la Ferrare juive.

Un  Musée national du judaïsme italien et de la Shoah (MEIS) a été ouvert en 2017. Ce musée a pour ambition de partager les deux mille ans de l’histoire juive italienne. Il présente les heures glorieuses et sombres de cette histoire, marquée par l’accueil chaleureux et les expulsions, la participation active des juifs à la culture italienne et les persécutions fascistes puis les déportations. Le lieu accueille également des dialogues interculturels.

Le jardin des Finzi-Contini

Eh bien, nous seuls, juifs d’accord, mais grandis dans l’observance d’un même rite, nous pouvions nous rendre vraiment compte de ce que cela voulait dire avoir son banc de famille à la synagogue italienne, là-haut à l’étage, au lieu de l’avoir en dessous, à la synagogue allemande si différente avec son assemblée sévère, presque luthérienne, de riches chapeaux mous bourgeois. […] Qui, en dehors de nous, eut été en mesure de fournir des renseignements sur ceux « de la via Vittoria»? […] Tous des gens un peu étranges, en tout cas des types un tantinet ambigus et fuyants, pour lesquels la religion, qui, à la synagogue italienne, avait pris des formes populaires et théâtrales, quasiment catholique, avec des reflets évidents également sur le caractère des personnes […], était restée essentiellement un culte à pratiquer peu nombreux, dans des oratoires semi-clandestins où il était opportun de se rendre de nuit et en rasant par petits groupes les ruelles les plus obscures et les plus mal famées du ghetto.

Giorgio Bassani, Le jardin des Finzi-Contini, Paris, Gallimard, « Folio », 1975

Le ghetto s’étendait tout près de la cathédrale, autour de l’actuelle via Mazzini (ancienne via dei Sabbioni) restée très commerçante. La plupart des boutiques étaient tenues par des juifs jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les trois principales synagogues de la ville (scola tedesca, scola Farnese et scola italiana) sont toujours installées dans cette rue, dans un grand édifice acheté au XVe siècle par un riche prêteur juif, Samuel Melli, qui en fit ensuite don à la communauté. Ce bâtiment en est encore le siège, ainsi que celui du Musée juif.

La magnifique scola tedesca ne sert actuellement que pour les grandes cérémonies. La salle de prière est éclairée par cinq grandes fenêtres donnant sur la cour. Le mur opposé est décoré de très beaux médaillons et stucs montrant des scènes allégoriques du Lévitique, probable dorés citant les Dix Commandements. En haut d’un autre escalier et d’une longue galerie, se trouve aussi l’élégante salle de la scola italiana, qui n’est plus consacrée au culte. Sur le mur du fond, sont exposés trois précieux aronot de bois laqué et ouvragé. Celui du centre, tout d’or et d’ivoire, appartenait à la scola italiana, les deux autres, bleu vert, avec chacun deux magnifiques colonnes torsadées, viennent de l’ancienne scola spagnola, via Vittoria. Dans le vestibule ont été placés des meubles provenant de l’académie rabbinique.

Meis. Photo by Emilio2005 – Wikipedia

En continuant la visite de l’ancien ghetto, vous noterez derrière le bâtiment communautaire, dans la via Contrari qui était hors du quartier, les fenêtres murées pour empêcher les juifs de regarder à l’extérieur. Le ghetto avait cinq entrées. De nombreuses cours et passages permettaient d’aller discrètement d’un bâtiment à l’autre.

Les érudits se doivent de passer à la Biblioteca Ariostea qui a, dans ses réserves, de nombreux manuscrits, ouvrages et gravures sur la Ferrare juive.

Près des remparts,  le cimetière juif, en usage depuis 1620, avec ses tombes, vieilles et nouvelles, au milieu des peupliers, est un lieu très émouvant.

 

Le MEIS représentait un défi dès sa construction, à savoir transformer un lieu d’enfermement en un espace ouvert et inclusif. Rencontre avec Rachel Silvera, Directrice de la communication du MEIS, qui nous parle de ce lieu important du patrimoine culturel juif italien et des nombreux projets qu’il organise.

MEIS building. Photo de Bruno Leggieri

Jguideeurope : Pouvez-vous nous présenter certains des objets exposés dans l’exposition permanente consacrée à l’histoire des Juifs d’Italie ?

Rachel Silvera : Dans notre exposition permanente « Les Juifs, une histoire italienne », nous présentons des objets prêtés par d’autres musées italiens, des reconstitutions et des installations multimédia. Par exemple, nos visiteurs peuvent admirer le relief de l’Arc de Titus montrant le butin du Temple, une reproduction en plâtre réalisée en 1930. Le relief représente la procession triomphale de Titus à Rome après la campagne militaire en Judée, paradant les butins pillés du Temple de Jérusalem. On trouve également des reconstitutions de catacombes juives, à Rome (comme la Villa Torlonia et la Vigna Randanini) et dans le sud de l’Italie (Venosa).

Comment percevez-vous l’évolution de l’intérêt pour les études sur la Shoah en Italie ?

C’est un moyen fondamental : 1) de connaître l’histoire et de renforcer la prise de conscience ; 2) d’offrir des outils utiles aux étudiants et de transmettre des valeurs à la prochaine génération ; 3) de combattre le déni et la déformation de l’Holocauste.

Catacombes juives. Photo de Marco Caselli Nirmal

Quels projets éducatifs axés sur la Shoah sont menés par le musée ?

Pendant la pandémie, nous avons organisé deux importants événements en ligne pour les élèves, consacrés à la Shoah et à l’avenir de la mémoire. Nous avons touché plus de 12 000 élèves. Chaque année, nous proposons également un cours en ligne destiné aux enseignants et axé sur l’histoire de la Shoah et la relation avec les nouveaux médias. Nous travaillons également sur un projet financé par le ministère de l’éducation publique avec un lycée de Ferrare (Liceo Roiti) et l’Institut d’histoire contemporaine de Ferrare : les étudiants travaillent avec nous pour créer une exposition sur les lois raciales et la persécution.

Pouvez-vous nous raconter une rencontre émouvante au Musée avec un visiteur ou des participants à l’exposition ?

Le Museo Nazionale dell’Ebraismo Italiano e della Shoah (musée national du judaïsme italien et de la Shoah) se trouve à Ferrare, dans les anciennes prisons de la via Piangipane. Pendant la guerre, ses murs ont emprisonné des opposants antifascistes et des Juifs, dont l’écrivain Giorgio Bassani, Matilde Bassani et Corrado Israel De Benedetti. Le défi consistait à transformer un lieu d’enfermement en un espace ouvert et inclusif.

Lors de la dernière Journée internationale de commémoration de l’Holocauste, nous avons dévoilé une plaque commémorative qui rappelle l’histoire de ce lieu. L’invité spécial était Patrizio Bianchi, le ministre italien de l’éducation. Ce fut un moment très émouvant.

Quel sera le thème de la prochaine exposition temporaire ?

L’exposition portera sur les nombreuses significations de la fête de Souccot. Le vernissage aura lieu le 14 octobre. L’idée est de présenter au public un aperçu des préceptes religieux, de la manière dont la fête est célébrée, de son lien avec la nature et des nombreuses expressions qu’elle génère. L’exposition sera réalisée par le directeur du MEIS, Amedeo Spagnoletto, la conservatrice Sharon Reichel et l’architecte Giulia Gallerani.

Le récit de l’exposition commence par l’évaluation de la fête de Souccot, avec la description des sept jours de la fête, une introduction qui donnera aux visiteurs les notions de base pour comprendre le reste de l’exposition, puisqu’à partir de là, ils seront encouragés à s’engager directement, en découvrant les contenus par l’interaction. Nous exposerons également les 10 panneaux de la « Sukkah de Praglia », des panneaux en bois peint provenant d’une sukkah, produite dans la région vénitienne probablement à la fin du XVIIIe ou au XIXe siècle, appartenant à l’Abbazia di Praglia à Teolo (Padoue).

La sukkah de Praglia comprend dix panneaux, peints de sujets bibliques et accompagnés d’écritures hébraïques. Certains panneaux évoquent les fêtes juives de Pessah et la construction de la souccah (Sukkot). D’autres illustrent plusieurs personnages bibliques importants, tels qu’Abraham, Melchizédek, Isaac et Rebecca, Jacob, Rachel, Josué, le roi David, Moïse et Élie.