La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.
Prise aux Turcs par l’amiral de Ribas pour Catherine II, Odessa, fondée en 1794, s’est développée rapidement au XIXe siècle grâce à l’arrivée de colons sur ces terres de la « Nouvelle Russie ». Elle est vite devenue un creuset d’influences de toutes sortes, russes, françaises, arméniennes, polonaises, grecques, moldaves, et juives. Les juifs, interdits de résidence à Saint-Pétersbourg, Moscou et Kiev, avaient le droit de s’établir à Odessa et Nicolaïev. Ils se sont installés massivement dans ces deux grandes villes du sud de la Russie, en formant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale le tiers de la population, et les marquant fortement de leur empreinte.
Une ville juive
« Un jour, on demande à une Odessite :
-Combien y a-t-il d’habitants à Odessa ?
-Un million.
-Et combien de juifs ?
-Je viens de te dire : un million ! »
L’Odessa juive commence à partir de la place Grecque (« Gretsk, c’est ainsi que s’appelle à Odessa la rue où les juifs font des affaires », dit Scholem Aleïkhem), de la perspective Alexandrovski , du vieux marché, et des rues Evreïskaïa , Bazarnaïa , Malaïa-Arnaoutskaïa ; elle se poursuit, de l’autre côté de la rue Preobrajenska , dans la rue Tiraspolskaïa jusqu’à la rue Staroportofrankovskaïa , et s’étend au-delà de celle-ci dans le quartier de la gare , du célèbre marché de Privoz et de toute la Moldavanka qui lui est attenante, jusqu’au quartier de Slobodka , d’où sont partis les convois de déportation pendant l’occupation germano-roumaine. Il s’agit donc d’un immense périmètre, allant du centre-ville jusqu’aux faubourg ouest et nord. Avant la guerre, 350000 juifs y vivaient. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 40000…
Visiter l’Odessa juive, c’est donc d’abord arpenter ces rues, marcher, se promener, entrer dans les cours, aller au marché de Privoz, respirer l’odeur des légumes frais, des herbes amères, des amandes, des raisins secs, sentir l’atmosphère particulière qui se dégage de la Moldavanka avec les gamins qui jouent dans les rues. Au gré de votre promenade, vous vous arrêterez devant l’une ou l’autre des synagogues encore visibles, des monuments et des plaques commémoratives, ainsi qu’au cimetière de Slobodka.
Odessa, berceau de la musique klezmer
Odessa est aussi la ville de naissance de la musique klezmer, dont les sons, où se mêlent clarinette, violoncelle, balalaïka sur des rythmes venus du Proche-Orient, reviennent aujourd’hui en Europe après avoir traversé l’Atlantique. À Odessa, s’est constitué le groupe klezmer Migdalor qui jour sur des partitions d’Alexander Tcherner.
Les synagogues d’Odessa
Avant la Première Guerre mondiale, il y avait sept synagogues à Odessa et quarante neuf maisons de prière. La plus ancienne était la synagogue Brodskaïa (de Brody), ou chorale, élevée en 1840. Avec ses quatre coupoles, elle domine encore l’angle des rues Pouchkine et Joukovsky, mais abrite aujourd’hui les archives. Ce magnifique bâtiment vient d’être rendu à la communauté juive de la ville et sera retransformé -vraisemblablement- en lieu de culte d’ici quelques années.
Seules deux synagogues sont de nos jours en service : la synagogue Glavnaïa (« principale ») et la synagogue hassidique. Il y avait aussi la synagogue des dockers (près du port en ruine) et même la synagogue des marchands de volaille casher.
La synagogue Glavnaïa a été rendue depuis quelques années à la communauté juive après avoir été transformée en salle de sports. Il y a encore quelques années, on voyait encore sur le sol les traces des lignes délimitant un terrain de basket-ball. Les galeries pour les femmes ont été détruites, de sorte qu’une cloison a été réalisée au rez-de-chaussée, séparant la grande salle en deux parties. La communauté est très jeune, elle entretient une école avec un internat et édite un quotidien, Or Sameakh. Lors des fêtes comme Pourim ou Pessah, la synagogue résonne du brouhaha des fidèles.
La synagogue hassidique , plus petite, a été rénovée il y a quelques années. Elle est très belle à l’intérieur.
Dans la rue Nizhyns’ka se trouve le centre culturel juif , Beit Grand, où l’on enseigne l’hébreu ; il organise de nombreuses manifestations.
Isaac Babel
Isaac Babel (1894-1941), né à Odessa dans le quartier de la Moldavanka, auteur des Contes d’Odessa, admirateur de Flaubert et de Maupassant, remarqué par Gorki, engagé dans la « cavalerie rouge » de Boudienny pendant la guerre civile, favorable à la Révolution, a été arrêté en 1939 et fusillé en 1941. Son oeuvre, devenue un classique du XXe siècle, est redécouverte depuis les années 1950.
Sur les pas d’Isaac Babel
La figure la plus célèbre de l’Odessa juive est le bandit Bénia Krik, roi des gangsters, héros des Contes d’Odessa d’Isaac Babel. L’écrivain y brosse un tableau de la vie juive du faubourg de la Moldavanka : « (…) Notre mère généreuse, une vie bourrée d’enfants à la mamelle, de hardes qui sèchent et de nuits de noce, pleines de chic suburbain et d’une vigueur infatigable de troupier » (Contes d’Odessa, Gallimard, 1979).
Il est assez difficile de s’orienter à Odessa, car il n’existe pas de de plan portant le nouveau nom des rues, et les gens ne connaissent d’ailleurs que les anciens. Pour retrouver les lieux de la Moldavanka les plus décrits par Isaac Babel, qui a vécu au numéro 23 de la rue Dalnitskaïa , munissez-vous d’un plan, tentez de retrouver la configuration des rues et confrontez-les avec les descriptions.
La boutique de Lioubka Schneeweiss, dit Lioubka le Cosaque, était située à l’angle des rues Dalnitskaïa et Bankovskaïa, tout près donc de l’actuelle rue Isaac Babel (ex-Vinogradnaïa). La rue Gloukhaïa , où les gangsters se réfugiaient dans la maison de tolérance de Yoska Samuelson, porte aujourd’hui le nom de Bougaevskaïa, après s’être appelée longtemps Instrumentalnaïa. La rue Prokhorovskaïa , où vivait le forgeron Piatiroubel, a repris son ancien nom après avoir porté celui de Khvorostine.
Promenade avec Scholem Aleïkhem et Eisenstein
Sur la place triangulaire qu’elle forme à son intersection avec la rue Staroportofrankovskaïa (« du Vieux Port Franc ») a été élevé un monument commémorant le départ des déportés du ghetto, entre 1941 et 1943, pour les camps d’extermination de Bogdanovka, Domanievka, Beriozovka et d’autres camps de Transnistrie. Des dizaines de milliers de juifs d’Odessa ont péri dans ces déportations.
Non loin de là, une rue pittoresque portait à l’époque soviétique le nom de Scholem Aleïkhem. Elle a repris maintenant son ancien nom, Miasoedovskaïa (des « mangeurs de viande »). À l’angle qu’elle forme avec rue Bogdan Khmelnitsky se trouvait l’hôpital israélite.
Odessa, dont les fameux escaliers ont été immortalisés par Eisenstein dans Le Cuirassé Potemkine, est aussi la ville d’Ilf et Petrov (auteurs des très humoristiques Douze Chaises), d’Arkadi Lvov, et, parmi les musiciens, de Jasha Heifetz, d’Émile Guilels et de bien d’autres. Scholem Aleïkhem aussi y a vécu.
Les cimetières d’Odessa
Le premier cimetière juif d’Odessa (dont la plus vieille tombe datait de 1793) a été rasé et transformé en un parc, juste derrière Privoz : le parc Illitch. Seule la forme des allées donne une vague idée de l’ancienne destination du lieu.
Le deuxième cimetière juif, proche d’un hospice de vieillards, se trouvait dans la rue Lustdorfskaïa, en face du cimetière orthodoxe. Il ne reste plus que l’arcade de l’entrée. la tombe de l’écrivain yiddish Mendel Moïkher Sforim aurait été déplacée dans un autre cimetière.
Le seul cimetière juif que l’on puisse visiter est situé tout au bout de la longue rue Razoumovskaïa, à l’angle de la rue Khimitcheskaïa et de la chaussée Leningradskoïe. Il est très grand, bien entretenu et constamment visité. Il n’a pas cet aspect d’abandon que donnent pas plupart des cimetières juifs d’Ukraine.
Le Musée juif d’Odessa
Pour finir votre visite du patrimoine juif de la ville, rendez vous au Musée juif d’Odessa. Si le musée est de facture très modeste, il recèle cependant de documents originaux. Son personnel est très serviable et sympathique et vous orientera certainement vers les événements et activités en cours pendant votre séjour. Pour les actualités culturelles, il est vivement conseillé de visiter le site de The Odessa Review, éditée par Regina Maryanovska-Davidzon et Vladislav Davidzon.
Par ailleurs, en amont de votre voyage, contactez Les Amis d’Odessa. La dynamique association, fondée et dirigée par Isabelle Némirovski, propose concerts, rencontres, lectures, conférences, et un site Internet de plus en plus riche.
Odessa, entre hier et aujourd’hui
Aujourd’hui, seulement 3% de la population d’Odessa est juive, soit 30000 personnes. Pour autant, la ville est toujours considérée comme l’une des capitales juives d’Europe. Quand, en 1916, Isaac Babel parlait d’une « ville construite par les juifs », il ne se réfère pas seulement aux nombre de juifs, mais également à une atmosphère de tolérance générale à l’égard des minorités.
Récemment, des archéologues ont retrouvés des tombes juives datant de 1770, prouvant donc qu’une communauté juive était déjà implantée avant la création d’Odessa. En effet, au milieu du XVIIIe siècle, des juifs vivaient du commerce du sel dans cette région, connue alors sous le nom d’Hadjibey. Avant sa conquête par Iossif Deribos, selon les registres, une dizaine de juifs vivait sur cette zone. Cent ans plus tard, ils sont 138000. Les premiers habitants juifs d’Odessa viennent de shtetls de L’empire russe et de la célèbre ville de Brody en Galicie. À noter, beaucoup de juifs d’Odessa portaient comme nom de famille le patronyme du shtetl d’où ils étaient originaires.
Les premiers habitants d’Odessa étaient attirés par les privilèges offerts par l’Empire russe aux volontaires pour occuper cette partie du sud de la Russie. Pour la population juive, s’installer à Odessa permettait d’échapper à l’oppression qu’ils subissaient dans le reste de l’Empire. À Odessa, les juifs étaient quasi-égaux aux autres citoyens. Ainsi, à peine cent ans après sa création, Odessa est au tiers juive et devint « l’étoile de l’exil », selon les mots d’Isaac Babel. Ajoutons qu’en quittant le shtetl pour Odessa, la communauté améliorait -en général- son niveau de vie. La possibilité d’une émigration vers la Palestine passait donc pour certains de rêve à réalité. Bien évidemment, les pogroms fréquents contribuèrent également à la montée du sionisme. Cependant, en 1941, 50% de la population était juive.
Vie en différents quartiers d’Odessa
Contrairement à beaucoup des villes de l’Empire russe, Odessa n’avait pas de quartier juif. Les juifs étaient partout, même si certains endroits comme Moldavanka, Yevreyskaya, Bazarnaya, et Malaya Arnautskaya devinrent des centres de la vie communautaires. Ayant vécus auparavant dans le petites communautés, les communautés juives reproduisaient la structure sociale héritée de leur shtetl natal. La vie quotidienne tournait donc autour de la synagogue, de l’école, du mikveh, de la boucherie et des organisations charitables. En 1795, le premier journal communautaire paraît.
L’élite de la communauté était incarnée par les juifs de Brody qui étaient les plus éduqués, fortunés, et libéraux. De manière plus générale, l’aspiration européenne des juifs de Brody la distance géographique d’Odessa des centres du judaïsme, les diverses nationalités et couches sociales qui composent la ville, et la participation importante des juifs de la ville au commerce et à la finance : tous ces éléments expliquent pourquoi la communauté d’Odessa était unique.
Au début du XXe siècle, Odessa est devenue le plus grand marché d’échange et de commerce du sud de l’Empire russe. Les juifs assuraient 90% de l’export de graines, étaient propriétaires de 50% des usines. Ils étaient également majoritaires dans les carrières de pierres qui servirent à la construction de la ville. La famille Korelsky dirigeait la plus célèbre usine de tabac de l’Empire etc…De l’autre côté du spectre, un tiers des juifs de la ville vivait dans la pauvreté.
Itinéraire dans Odessa au gré des anciennes Synagogues
En plus des deux synagogues déjà mentionnées, voici une liste des bâtiments qui ont jadis hébergés des lieux de culte.
La synagogue des boulangers établie en 1875, est aujourd’hui une école.
La synagogue Yavne était fréquentée par l’aile sioniste de la ville et était fréquentée par Bialik. C’est aujourd’hui une résidence privée.
La synagogue des bouchers a fermé en 1925. En 1991, elle a été rendue à la communauté juive de la ville.
La synagogue des fabricants de meubles est aujourd’hui un jardin d’enfants.
La Synagogue Nakhlas Eliezer, au 5 Lesnaya, a été détruite par un dégât des eaux en 1990. Elle est aujourd’hui en ruines.
Enfin, vous trouverez trois immeubles qui abritaient des maisons de prières aux 10 Nechipurenko, 7 Bolgarskaya et 48 Kuznechnaya.
Les organisations caricatives juives d’Odessa
La ville était connue, chez les juifs du monde entier, pour la quantité de ses associations philanthropiques. La plus ancienne organisation était l’hôpital juif, inauguré en 1802. Un siècle plus tard, on compte une douzaine d’organisations caritatives juives à travers la ville. Vous pouvez en visiter les vestiges avec la liste ci-dessous :
Association des marchands juifs d’Odessa abritait également une bibliothèque.
Société d’entraide pour les juifs de la Modalvanka Société d’aide aux démunis Association d’aide aux étudiants juifs Soupe populaire juiveL’enseignement de Bialik et Tchernikovsky
C’est à Odessa qu’a ouvert, en 1828, le premier lycée juif communautaire de d’Empire russe. En plus de l’enseignement de la yeshiva, les élèves apprenaient également les matières « laïques ». Le lycée juif des arts et et métiers ouvre en 1864 et contribue au renforcement de la communauté dans les métiers techniques et mécaniques. Par ailleurs, à l’école Tarbut , l’enseignement se faisait en Hébreu par des maîtres tels que Chaim Nahum Bialik ou Shaul Tchernikovsky.
La « Porte de Sion »
L’historien Steven Zipperstein estime que l’histoire des juifs d’Odessa est plus proche de celle de la communauté de San Francisco que de celle de Kiev. Dans cette ville portuaire, les juifs vivaient sans les contraintes et limitations de l’Empire russe. Ils n’étaient pas isolés et participaient activement à toutes les structures de la vie de la cité. Rappelons que la barrière de la langue ne s’appliquait pas non plus. Cependant, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la tolérante et multiculturelle Odessa est surnommée la « Porte de Sion ». Elle est en effet devenue l’un des centres du mouvement sioniste, et la ville d’où des milliers de juifs partent vers la Palestine.
Le centre névralgique de l’activité sioniste était le « Comité Palestine ». Cette organisation s’occupait de faciliter la relocalisation des ouvriers agricoles et des artisans. Initiée dans les années 1880 par Lev Pinsker, siègaient également au comité Ahad Haam, Bialik, Klauzner, ou encore Ben Ami. Les membres s’occupaient également de collecter des fonds pour acheter des terres en Palestine. Le terrain où est construit l’Université hébraïque de Jérusalem a d’ailleurs été acheté par ce comité. C’est pourquoi la dépouille de Lev Pinsker y a été déplacée en 1934.
L’un des membres les plus actifs de ce comité, Meir Dizengoff, fut le premier maire de Tel-Aviv. Ce n’est pas un hasard : dans une certaine mesure, Tel-Aviv a été imaginée depuis Odessa. Lilienblum, l’un des premiers journalistes du yishuv, écrira qu’à Odessa des juifs étaient arrivés sur les rives de la mer noire, et avaient construit une ville et développé un port. S’ils avaient pu le faire à Odessa, ils sauraient le faire en Palestine.
Un autre centre de l’activité sioniste et de la collecte de fonds pour la Palestine était la synagogue Brodsky. Environ 70 habitations furent construites grâce à l’argent collecté par les fidèles. Ces maisons furent les premières de la future ville de Ness Ziona.
Pour mieux préparer le départ vers la Palestine, une école où l’enseignement se fait uniquement en hébreu ouvre en 1903. En même temps, la maison d’édition Moria commence à publier des ouvrages scolaires en hébreu, et à les envoyer aux premières écoles de Tel-Aviv.
De 1919 à 1927, le navire Ruslan achemine un bon nombre de l’intelligentsia juive vers le port de Jaffa. Parmi eux, beaucoup des dirigeants du futur État d’Israël.
Sur les traces des juifs illustres d’Odessa
Ahad Ha’am (1856-1927), philosophe et publiciste, a vécu à Odessa de 1887 à 1907 aux 11 Sturdzovsky et 26 Bolshaya Arnautskaya (cette dernière maison a été détruite en 2006).
Isaac Babel (1894-1940), écrivain, est né à Odessa et y a vécu jusqu’en 1911, puis de 1919 et 1920. Il a vécu aux 17 Rishelievskaya (vous trouverez une plaque commémorative), au 23 Dalnitskaya (maison détruite), et au 12 Tiraspolskaya.
Eduard Bagritsky (Dzubin) (1895-1934), poète. Il est né à Odessa et y a vécu jusqu’en 1925 aux 40 Bazarnaya (plaque commémorative), 4 Osipov, 21 Konnaya, 40 Koblevskaya, 3 Novobazarny et 13 Belinsky.
Chaim Nahman Bialik (1873-1934), poète et pédagogue, a vécu à Odessa entre 1892 et 1921 aux 6 Vagnerovsky et 9 Malaya Arnautskaya.
Meir Dizengoff (1861-1936), le premier maire de Tel-Aviv a vécu à Odessa de 1895 à 1905 au 30 Osipov.
Simon Dubnov (1860-1941), historien et pédagogue a vécu à Odessa de 1890 à 1902 au 12 Bazarnaya.
Vladimir (Zeev) Jabotinsky (1880-1940), écrivain, poète, publiciste, dirigeant sioniste. Né à Odessa, il y a vécu jusqu’en 1898, puis entre 1901 et 1903 aux 33 Bazarnaya, 1 Yevreyskaya (plaque commémorative), et 91 Novoselsky.
Ilya Ilf (Fainzilberg) (1897-1937), écrivain et satiriste, est né à Odessa et y a vécu jusqu’en 1923 aux 137 Staroportofrankovskaya (plaque commémorative), 9 Malaya Arnautskaya, 19 Sophievskaya.
Joseph Klauzner (1874-1958), historien, publiciste, dirigeant sioniste et rédacteur en chef de la revue « Ha-Shiloah », a vécu à Odessa entre 1890 et 1919.
Mendele Mocher Sforim (S.Y. Abramovitch) (1836-1917), écrivain, a vécu à Odessa entre 1881 et 1917 au 12 Degtyarnaya.
Leon Pinsker (1821-1891), médecin, pédagogue, fondateur du « Comité Palestine », a vécu au 26 Rishelievskaya. La maison originale a été détruite, mais vous trouverez une plaque commémorative sur le bâtiment qui a été construit à sa place.
Avraham Menahem Mendl Usyshkin (1863-1941), dirigeant sioniste et administrateur du « Comité Palestine », a vécu au 46 Pastera.
Schalom Aleikhem (S.N. Rabinovitch) (1859-1916), écrivain, a vécu à Odessa entre 1891 et 1893, au 26 Kanatnaya.
Interview d’Isabelle Némirovski, Docteur de l’INALCO (études juives et hébraïques), fondatrice et présidente de l’association « Les Amis d’Odessa », suite à la publication le 29 avril 2022 de son livre Histoire, Mémoires et représentations des juifs d’Odessa aux Editions Honoré Champion.
Jguideeurope : Votre livre propose de partager les 1001 histoires de ces personnages qui ont peuplé et enrichi la fabuleuse Histoire d’Odessa. Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce livre ?
Isabelle Némirovski : Vous avez raison, mon ouvrage accueille une multitude de petites histoires qui ont germé puis grandi sur le sol fertile d’Odessa au fil de sa grande Histoire. J’ai voulu dessiner le paysage odessite par petites touches colorées de contes et de réalités. Un exercice d’écriture souvent périlleux sachant que cet ouvrage est à l’origine une thèse de doctorat. Mais, ne pas jouer les équilibristes m’aurait conduite à décrire une ville aux charmes évanouis. Le mariage de ces deux éléments était nécessaire à sa compréhension. Le rêve s’est également invité dans la représentation odessite et ce, dès le titre de mon livre : « Un vieux rêve intime ». Les premiers mots cités en exergue ont ensuite confirmé ce désir de voyage onirique : « A mon grand-père Shlomo Némirovski que je n’ai pas connu. Il m’a conduite à l’ombre des acacias d’Odessa, plongée dans mes rêveries… » Toutefois, au-delà de ce désir de « retour » aux pays de mes ancêtres juifs odessites par la voie des songes, un constat plus « terre à terre » est à l’origine de cette volonté d’écriture : Odessa n’a pas de livre du souvenir alors que de nombreuses bourgades juives d’Europe centrale et orientale sont pourvues d’un yizker-bukh. La communauté juive fut pourtant décimée au trois quarts durant la Seconde Guerre mondiale par les nazis et leurs alliés roumains. En outre, Odessa la Juive a largement contribué à enrichir le patrimoine culturel mondial. Cet ouvrage propose donc de « réparer » en partie cet oubli en écrivant l’Histoire et la petite histoire de cette société d’avant le génocide, en établissant la chronologie des massacres, en accomplissant tout simplement un devoir de vérité. Car sinon comment transmettre ?
Quelle réalité et quel personnage marquant vous semblent trop peu connus ?
C’est l’Histoire d’Odessa et de sa communauté juive qui demeurent, à mon sens, trop peu connues. Qui savait localiser Odessa sur un planisphère avant l’invasion russe en Ukraine du 24 février dernier ? Le récit familial transmis par mon père à ses enfants n’associait jamais Odessa à une ville russe mais à la patrie de la musique avec ses grands interprètes violonistes. Insatisfaite de cette approche réductrice des lieux, j’ai décidé d’en proposer une lecture qui rendrait compte de la complexité du « concept » odessite aux composantes multiples – historique, sociale, politique, économique mais aussi affective –, qui sont venues s’agglomérer et se féconder mutuellement au fil du temps. Mes « Contes d’Odessa » invitent le lecteur à sortir du cadre idyllique de la ville qui a été immortalisé par les appareils photographiques des experts en clichés-souvenirs. J’ai pris le parti de décoller les étiquettes flatteuses et de franchir la barrière des évidences délavées sur la ville d’Odessa pour explorer sa nature profonde et tenir le rôle de révélateur de son « invisibilité », source potentielle d’un génie du lieu. J’ai pensé aussi à mes disparus, à ces disparus de l’Histoire juive odessite… Je suis partie à leur rencontre… Un index des noms de personnes en fin d’ouvrage lève le voile sur ces oubliés, banquiers, négociants, intellectuels, artistes, bandits et « Juifs ordinaires » qui ont pareillement écrit le modernisme et les légendes colorées d’Odessa la Juive.
Le partage du patrimoine culturel juif d’Odessa est-il d’autant plus important face au risque de destruction de lieux à cause de la guerre actuelle en Ukraine ?
Le monde déploie des richesses inestimables à portée de vue mais il faut à l’individu des évènements tragiques pour en prendre conscience et commencer à les apprécier. Pour l’heure, Odessa est épargnée par la guerre. Mais les Odessites se préparent au pire et multiplient les actes de résistance. Une photographie circule sur les réseaux sociaux : la statue du duc de Richelieu recouverte de sacs de sable. Une autre plus sonore montre des chanteurs devant « leur Opéra », implorant le ciel en musique de protéger la ville de la malédiction. Héritière de cette fabuleuse culture, je n’ai qu’un seul désir : la partager. J’espère que ce satané conflit sera l’occasion de braquer des projecteurs sur un lieu, un patrimoine, des hommes et de femmes restés trop longtemps dans l’oubli.