Italie

Région des Pouilles

Mosaïques de la Cathédrale d’Otranto © Wikimedia Commons (Palickap)

Par sa position géographique et la présence des ports de Brindisi, Otranto, Bari, Trani et Barletta, la région des Pouilles a longtemps été un point de transit pour les juifs émigrant vers Israel. Ce point de passage a donc fait des Pouilles un lieu de prédilection pour la diaspora d’Europe occidentale.

La première évocation des Pouilles juives est celle du commentateur de la Bible Rabbi Akiva (17-137) : en route depuis Jérusalem vers Rome pour plaider la cause des juifs à l’occupant Romain, il fait escale au port de Brindisi et le mentionne dans son journal.

Si les premiers juifs à s’être installés dans les Pouilles arrivaient directement de Palestine -exilés de Jérusalem, vinrent les y rejoindre rapidement les communautés des Balkans, d’Espagne, du Portugal, de France, d’Europe centrale et des autres régions d’Italie. Ce mélange des cultures a crée une communauté unique en son genre en Europe occidentale.

Trace de présence juive dans la ville d'oria, dans la région des pouilles avec ce bas relief
Bas relief de Donnolo à Oria. Photo de Laura Buccolieri – Wikipedia

La culture juive des Pouilles étaient tenue en haute estime au Moyen-Âge. Le rabbin français Rabbenu Tam compare même au XIe siècle Bari et Otranto à Jérusalem : « La Torah rayonnera depuis Bari et la parole de Dieu depuis Otranto ».

Des grandes figures, comme l’illustre physicien et philosophe Sabbatai Donnolo, natif d’Oria, et les travaux d’autres grands auteurs juifs de la région révèlent cet extraordinaire brassage des cultures de la société des Pouilles médiévale. Les traces de ce multiculturalisme en Italie du Sud sont évidentes dans les commentaires du Pentateuch (Sefer HaHadash) dont on pense qu’ils ont été compilés à Naples à la fin du XVIe siècle. L’un des thèmes centraux de ces annotations concerne les migrations des peuples et mentionne la population juive des Pouilles et leurs relations aux pères fondateurs de Rome. Cette tendance a créer des parallèles entre cultures montre bien que les juifs d’Italie du Sud n’étaient pas fermés aux autres peuples et que leurs capacités d’adaptation étaient considérables.

Couple (Herta et Roman Reich) dans le camp de personnes déplacées de Bari © Ronny Reich – Wikimedia Commons

Une illustration intéressante du multiculturalisme distinctif des Pouilles médiévales peut être admiré dans les mosaïques qui ornent le sol de la cathédrale d’Otrento, oeuvre d’un moine byzantin du XIIe siècle. L’artiste a fusionné les éléments de la Bible et d’autres histoires juives, les mêlant à des références néo-platoniciennes et aristotéliciennes qui elles-mêmes coexistent avec des éléments mythologiques ou encore celtiques. Réalisée à l’époque de la conquête normande, cette oeuvre est un hommage à la capacité byzantine de synthèse culturelle, adoptée tant bien que mal par les nouveaux occupants.

Après la conquête normande, la vie des juifs des Pouilles rejoint l’histoire générale de la communauté italienne. On notera cependant un bref « renouveau » forcé de la vie juive de cette région après la Seconde Guerre mondiale. Entre la fin du conflit et l’indépendance de l’État d’Israël, des milliers de réfugiés d’Europe centrale et de l’est ainsi que des Balkans, en grande majorité survivants de la Shoah, seront placés dans des camps de transit des Nations Unies. Pour les empêcher de gagner la Palestine, les Forces Alliées les établissent dans les villes de Santa Maria al Bagno, Santa maria di Leuca, Santa Cesarea, Tricase, Bari ou encore Barletta où ils rejoignent tout de suite les organisations communautaires, écoles religieuses et partis politiques existants. La majorité de ces réfugiés a cependant quitté les Pouilles pour Israel dès que cela leur fut autorisé. Source : Fabrizio Lelli, « Judaism in Puglia as a Metaphor for Mediterranean Judaism ».

Interview de Sara Brownstein, directrice de HaShorashim, qui organise des voyages en Europe et en Israël, permettant de se reconnecter avec le patrimoine culturel juif et qui revient récemment d’un grand voyage aux Pouilles.

Photo de groupe du voyage de l'organisme Hashorashim aux Pouilles en Italie

Jguideeurope : Pourquoi avoir choisi de visiter les Pouilles ? 

Sara Brownstein : Nous sommes toujours intéressés de « remonter le temps » et trouver des traces de présence juive quelque part. Nous avions la preuve par nos textes d’une présence juive en Italie datant de plus de 2000 ans. Yehouda Maccabi (dont nous fêtons la victoire sur les Grecs à Hanoukka) y avait en effet envoyé son frère négocier le support de Rome dans sa révolte contre les Grecs. On trouve trace de nombreuses communautés dans le Sud de l’Italie datant de cette époque. Ce qui nous a séduit était de construire, comme nous aimons le faire, un itinéraire dans une région peu connue, hors des sentiers battus, loin des villes du Nord de l’Italie et de leurs ghettos juifs beaucoup plus touristiques comme ceux de Rome ou de Venise.

Mais cette région est aussi le lieu où tout un village d’Italiens se convertit au judaïsme en pleine montée du fascisme. Les Juifs de San Nicandro, du nom de leur village, ont inspiré bien des livres. Nous avons d’ailleurs rendu visite à leurs descendants, une rencontre bien émouvante.

Les régions méconnues rendent le déplacement difficile pour ceux qui ne mangent que casher car aucune structure n’existe pour les recevoir et accommoder leurs besoins. Aussi, nous avons effectué un voyage pilote, fait des repérages, organisé la logistique et avons été enchantés par ces paysages et la gentillesse des habitants qui sont trop souvent “snobés” par leurs compatriotes du Nord. Nous avions donc le tiercé gagnant pour nous lancer !

Comment s’est déroulé le séjour ? 

ancien tissu utilisé dans la synagogue des Pouilles

Les gens étaient particulièrement accueillants et aussi très émus par le nombre de nos participants. Ils n’ont guère l’habitude des touristes. Nous étions près de 60 personnes et il était parfois difficile de trouver assez de place pour tous, qu’il s’agisse d’une promenade en bateau, de la visite d’un musée ou encore d’un restaurant qui avait accepté que nous « casherisions » sa cuisine ! Tous étaient fiers de nous montrer leur région. Nous avons axé nos visites, comme nous en avons l’habitude, sur le thème des « tribus perdues », sur la trace de nos frères juifs, ce qui est le fil conducteur de tous nos voyages. Mais nous visitons également les sites incontournables comme ici dans les Pouilles, la petite ville de Alberobello, digne de contes et légendes ou encore les magnifiques grottes de Castellana.

Nous avons fait partout l’objet de beaucoup d’attention. Les Italiens, du moins ceux-ci, sont traditionnalistes et pratiquants. Ils se rendent à la messe en famille, puis vont déguster une glace tous ensemble, grands-parents et adolescents bras dessus, bras dessous. Aussi, lorsqu’ils nous demandaient d’où nous venions et que nous leur répondions Israël, ils en étaient émus aux larmes. Des voyageurs venant de la Terre Promise ! Nous avons d’ailleurs gardé contact avec nos hôteliers et ceux qui nous ont servis de guides localement.

emplacement d'une mezouza dans un mur d'une maison de la région des Pouilles

Quel lieu vous a particulièrement marqué ? 

La prière de Shabbat dans la synagogue de Trani construite en 1234 fut un moment fort. Nous avions convié les descendants juifs de Trani et ceux de Lecce à se joindre à nous pour l’office et le déjeuner.

Mais l’histoire des juifs durant la Shoah est aussi surprenante et très émouvante. Lors de l’avancée des troupes alliées remontant le Sud de l’Italie vers le Nord du pays, les soldats ont pu libérer les camps d’internement notamment celui de Ferramonti et des milliers de juifs se sont retrouvés sur les routes. La Brigade Juive venant de Palestine (sous le Mandat Britannique) qui combattait aux côtés des Anglais, avait reçu l’ordre de les regrouper. C’est ainsi que ces hommes, femmes et enfants, dans un état de santé très précaire se sont retrouvés répartis dans quatre petits villages de pêcheurs de l’extrême Sud des Pouilles.

Leurs habitants, des gens simples et généreux, les accueillirent, partageant avec eux la maigre nourriture qu’ils possédaient et leur offrant la chaleur humaine dont ils avaient tant besoin. Nous avons eu la chance de rencontrer un homme qui avait alors 8 ans et qui se souvenait très bien de toute cette période. Il existe un beau musée à Santa Maria Al Bagno qui raconte cette incroyable histoire.

Le patrimoine culturel et historique juif est-il bien entretenu dans cette région ? 

La région a conservé le souvenir de la présence juive. Un musée fascinant dans la ville de Lecce retrace le parcours de cette ancienne communauté. Il a été créé par un professeur d’université non-juif qui vous explique en détails notre histoire.

Menorah sur un socle dans une rue de la région des Pouilles

Un autre Italien a retrouvé, lors de travaux dans sa maison, des ruines qu’il n’a pu identifier tout de suite. Après avoir fait des recherches sur l’histoire de sa ville, Manduria, il a compris que sa maison était en fait une synagogue, avec un mikvé datant du Moyen-Age. Il a transformé son habitation en musée et est ravi d’y accueillir des visiteurs pour leur expliquer l’histoire des juifs de cette époque.

Il faut souligner que certains petits villages reculés des Pouilles ou de Sicile ont des traditions qui rappellent beaucoup les nôtres, comme celle par exemple de recouvrir les miroirs d’une maison lors d’un décès familial pendant 7 jours.

 

Quels sont les prochains voyages que vous prévoyez d’effectuer en Europe ?

Nous avons une forte demande pour refaire des voyages au Portugal et en Andalousie. Chaque nouvelle destination exige un gros travail de repérage et plusieurs mois de recherches pour fournir des explications lors de nos séjours mais également pour parvenir à faire « revivre » pour nos participants l’histoire de ces communautés. Mais si nous trouvons le temps, la Sicile est une destination fascinante car on y trouve des traces de communautés juives remontant à 2300 ans. Mais tout peut changer, il suffit d’un témoignage d’un habitant sur une coutume qui nous rappelle les nôtres pour nous ouvrir d’autres horizons et lancer notre programme HaShorashim (nos racines) dans de nouvelles aventures !