La capitale, naguère dénommée la « Jérusalem de l’Est », n’est guère riche en monument juifs. À signaler cependant, ces dernières années, le Musée de la Tolérance du Gaon de Vilnius s’efforce louablement de multiplier les initiatives visant à célébrer la mémoire de la communauté juive de la ville.
La Shulhof, grande synagogue de 3000 places, bâtie en 1630, a été partiellement détruite par les nazis en 1941 ; ses restes furent rasés après guerre par les Soviétiques, qui construisirent un complexe immobilier sur son emplacement. L’actuelle synagogue est la seule qui a survécu à l’occupation nazie puis soviétique de la Lituanie, des 105 synagogues ou oratoires juifs qui existaient à Vilnius avant la Seconde Guerre mondiale. La communauté compte environ 5000 membres et édite un bulletin comprenant des articles en anglais, intitulé Jerusalem of Lithuania. Ses institutions sont concentrées dans la rue Pylimo : le siège de la communauté abrite également le centre israélien de Culture et d’Art et le Musée juif d’État, au premier étage.
À part ce qu’il reste de l’ancien ghetto – dont vous trouverez un plan gravé sur une plaque de marbre à l’entrée de ce qui fut la porte principale du ghetto – le monument d’intérêt majeur est la tombe du Gaon de Vilna. Elle était naguère située dans le cimetière juif de Shnipishok (un quartier de la ville), au nord de la rivière Vilia. Elle est désormais dans le cimetière Dembovka, connu sous le nom de Saltonishkiu, au nord-ouest de l’ancien ghetto, près de Virshulishkes et Sheshkines. Le site exact de la tombe est encore un objet de controverse, en raison des conditions dans lesquelles, sous le régime communiste, eurent lieu les exhumations du Gaon et de quelques autres personnes enterrées à ses côtés comme le comte Potocki, un noble polonais converti au judaïsme. Il existe des restes d’un autre cimetière, celui de la rue Zaretcha.
Le centre Chabad Loubavitch , dirigé depuis une quinzaine d’années par le rabbin américain Sholom Ber Krinsky est un centre communautaire et culturel très actif.
L’université de Vilnius héberge désormais un très intéressant centre de recherche sur les cultures sans État, qui comprend un département d’Études juives et yiddish.
Le récemment inauguré Centre de culture juive , propose des activités, un centre d’information, une salle d’exposition, un café un un musée virtuel de la Vilnius juive sur leur site Internet.
En continuant votre visite de la Vilnius juive, rendez-vous au coin des rues J. Basanaviciaus et Mindaugo devant la statue d’un petit garçon qui lève les yeux au ciel. Cet enfant n’est autre que Romain Gary, né Roman Kacew, qui a vécu à quelques pas de là (Basanaviciaus 18). La statue évoque un passage de La Promesse de l’Aube, dont une partie de l’action se déroule à Vilnius, où le jeune héros tente de manger l’une de ses chaussures pour impressionner une camarade de classe.
Installé dans un ancien théâtre juif, le Musée de la Tolérance du Gaon de Vilna accueille visites guidées et conférences et a sous sa juridiction plusieurs musées. Tout d’abord, vous pouvez visiter la maison de bois verte qui abrite l’aile consacrée à l’exposition sur la Shoah. Vous y trouverez des information sur l’histoire et la culture des juifs lithuaniens, les Litvaks en Yiddish. La majorité de cette communauté fut exterminée pendant la Shoah et le musée explore en profondeur la Seconde Guerre mondiale. Fait méritant d’être relevé, le musée ne fait pas l’impasse sur le difficile sujet de la collaboration lituanienne pendant l’extermination nazie. Une installation audio et vidéo retrace la vie de la ghetto de Malina, avec des extraits d’authentiques journaux intimes.
Toujours géré par le Musée du Gaon, le mémorial de Paneriai commémore la mémoire des 70000 personnes, dont plus de la moitié était juive, assassinées entre juillet 1941 et 1944 par la Gestapo, le SS, et l’Unité spéciale de Vilnius. Un petit musée expose des reproductions de photographies d’archive – la majorité des images est insoutenable.
À noter également, cette fois sur le site du Musée du Gaon, le musée Samuel Bak, inauguré en novembre 2017. Cet artiste juif né à Vilnius en 1933 est le seul survivant avec sa mère du ghetto de Vilnius. Après de multiples pérégrinations, de camps de transit en camps de personnes déplacées, ils émigrent en Israël en 1948. Bak étudia à l’Académie des Beaux-Arts de Bezalel, avant de vivre à Paris et Rome pour plus tard s’installer définitivement aux États-Unis. Il est revenu pour la première fois à Vilnius en 2001.
Pour finir sur l’extension remarquable du Musée du Gaon, et donc du développement formidable de la culture et de l’histoire juives ces dernières années, signalons que le Musée Jacques Lipchitz rouvrira bientôt ses portes après des travaux de rénovations et que sont en contruction deux nouveaux musées : Le Musée de la Culture et de l’Identité des Litvaks, et le Musée-Mémorial de la Shoah et Lituanie et du Ghetto de Vilnius.
Interview de Bernard Pucker, propriétaire et directeur de la Pucker Gallery, qui travaille avec Samuel Bak depuis plus de 50 ans. Référence majeure dans la représentation artistique de l’histoire juive, le peintre a contribué à la création du Musée Samuel Bak à Vilnius, ville où il est né.
Jguideeurope : Quelles œuvres peintes par Samuel Bak sont exposées en permanence dans votre galerie ?
Bernard Pucker : Il y a environ 35 des peintures de Sam exposées en permanence. Notre galerie est structurée de telle sorte que la plupart des artistes ont leur propre petit espace où leur travail est en exposition permanente. La galerie mesure 500 mètres carrés, ce qui représente une grande quantité d’espace. En plus de cela, nous avons des panneaux coulissants où sont exposées certaines des principales peintures de Sam, telles que «La famille» et «Le ghetto de l’histoire juive».
Quand et où avez-vous rencontré Samuel ?
Ma femme Sue et moi avons vécu à Jérusalem en 1959-1960. Au cours de cette année, j’étudiais pour devenir rabbin et Sue étudiait l’hébreu. Sue a reçu 300 $ d’un membre de la famille désigné pour acheter de l’art israélien. Cela nous a amené à rencontrer Dov Safrai et la galerie Safrai à Jérusalem. À notre retour aux États-Unis, nous avons commencé à vendre des œuvres d’art pour la galerie Safrai depuis notre appartement. Lorsque nous avons ouvert la galerie en octobre 1967, le travail de Sam Bak a été le premier que nous avons reçu à exposer au nom de la galerie Safrai. Un an plus tard, j’ai rencontré Sam en Israël. À la suite de cette rencontre, nous travaillons ensemble. Et cela donc, depuis plus de 50 ans !
L’art représentait-il un moyen de se réconcilier avec la vie après tout ce qui est arrivé à sa famille pendant la Shoah ?
Pas entièrement, parce qu’il dessinait depuis l’âge de 3 ans. C’était sa forme d’expression personnelle, même enfant. L’Art était avec lui dans le ghetto de Vilna, pendant sa cachette et ses voyages, au camp de Landsberg DP en 1946 et lors de son arrivée finale en Israël. Dans le cas de Bak, l’art était une vocation. Il avait littéralement peu ou pas de choix pour poursuivre sa vie d’artiste pratiquant. Il continue de travailler et prépare 100 tableaux pour notre prochaine exposition sur le thème de la nature morte. Il existe un catalogue raisonné en ligne où vous pouvez voir plus de 8000 œuvres créées par Sam de 1946 à 2020.
J’ai lu dans certains articles que Sam avait récemment vécu des entretiens très émouvants avec des étudiants. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur sa volonté de transmettre ?
Sam est l’un des conteurs et professeurs les plus extraordinaires que je connaisse. Chaque fois que vous lui posez une question, vous recevez généralement une peinture à part entière en mots ! Une expérience récente a eu lieu à l’Université du Nebraska à Omaha où nous avons fait une exposition intitulée «Témoin». Là, il a spécifiquement rencontré des étudiants sur le thème de l’écriture d’une autobiographie et sur l’accès au passé grâce à leurs efforts créatifs dans le présent.
En conséquence, l’Université du Nebraska a décidé de construire un musée Samuel Bak pour lequel il fera don de 512 œuvres qui seront exposées à tour de rôle. C’est un miracle au-delà de toute croyance, en particulier en ces jours de pandémie, de difficultés financières et de troubles généraux au sein de notre nation… Cela représente un investissement important de cette université et son engagement pour l’avenir de ses étudiants. En outre, il servira à explorer et à élargir le dialogue autour des questions de choix moral et de philosophie et de la manière dont nous, en tant qu’êtres humains, y répondons.
Comment a-t-il vécu son retour à Vilnius en 2001 ?
En 1997, j’ai invité Sam à se joindre à moi pour un voyage intitulé «Roots» avec Sir Martin Gilbert, l’historien, et quelques amis. Il a dit qu’il ne pouvait pas revenir en arrière, que c’était trop douloureux. Quelques années plus tard, Rimantas Stankevicius, un homme issu de Vilnius, est venu en Nouvelle-Angleterre pour rechercher des chrétiens justes, Juozas Stakauskas, Marija Mikulska et Vladas Žemaitis, qui avaient tous contribué à sauver Sam et sa mère. Rimantas a ensuite invité Sam à revenir à Vilnius. Il a créé une carte avec les anciens noms de rue pour que Sam puisse trouver son chemin. Sam a des souvenirs très vifs.
Cela a conduit à l’exposition de 2001 de Vilnius. Je suis allé avec lui lors de ce voyage. C’était très émouvant. Il est venu avec sa femme et ses trois filles. Nous avons traversé les endroits où il avait vécu, où il s’était caché. Puis nous sommes allés à Ponary et à la seule pierre tombale qui commémore les quelques Juifs restants qui ont été tués en juillet 1944. Son père en était un. Sam se tenait devant cette pierre et versa sur le sol un mélange de sable du Sahara et les cendres de son petit-fils mort-né pour que son père et son petit-fils puissent être réunis à Ponary. C’était une expérience incroyable. Le livre Return to Vilna présente des peintures que Sam a réalisées après cette visite à Vilnius.
Rimantas continue d’être un ange gardien pour Sam. Il a non seulement encouragé Sam à revenir à Vilnius, mais a aidé à créer un Musée Samuel Bak là-bas. Sam leur a donné 126 peintures et nous avons demandé à de nombreux donateurs de donner des œuvres supplémentaires au musée. Le personnel, bien que pour la plupart non juif, est très motivé à partager l’héritage culturel juif. Ils utilisent son art pour réfléchir aux expériences passées des juifs de Vilnius et pour construire un avenir bien meilleur pour tous.
Pucker Gallery, 240 Newbury Street, Boston Massachusetts 02116
Tel : + 1 617 267 9473
https://www.puckergallery.com/