Pologne / Mazovie

Varsovie

La rue Krakowskie Przedmieście à Varsovie en 1910 © National Library of Poland – Biblioteka Narodowa

Le nom seul de cette capitale évoque le martyre du ghetto qui suivit l’écrasement de l’insurrection d’avril 1943. Ce nom est de ce fait ancré dans la conscience de l’humanité.

Les juifs s’installèrent à Varsovie à partir de l’an 1414, première mention de leur présence. En 1792, à la veille de passer sous domination russe, ils étaient 6750, soit 9,7% de la population. Leur nombre s’accrut considérablement au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et de nouvelles synagogues, des écoles juives, une école rabbinique furent ouvertes. En 1864, ils étaient déjà 72800, soit 32,7% de la population, et en 1917, 363400, soit 41%. Des quotidiens paraissaient en yiddish, comme le yiddishes Tageblat. En 1878, la Grande Synagogue de la rue Tlomacka fut construite. en 1939, il y avait à Varsovie 400000 juifs, un chiffre qui atteignit 500000 en automne 1941, lorsque fut créé le ghetto, véritable camp de concentration au milieu de la ville.

Les Allemands nommèrent, comme dans chaque ghetto, un Judenrat, à la tête duquel se trouvait Adam Czerniakow. Le ghetto était séparé du reste de la ville, la « ville aryenne », par de hauts murs, et il était interdit à quiconque d’y pénétrer ou d’en sortir sans laissez-passer. Les « juifs aptes au travail » (Arbeitsjuden) travaillaient pour des entreprises allemandes (les shops), les rations alimentaires étaient extrêmement faibles, et les Allemands réquisitionnaient les fourrures, les vêtements, l’or, tout ce qu’ils pouvaient prendre pour alimenter l’effort de guerre de la Wehrmacht. En un an, de l’été 1941 à l’été 1942, 100000 juifs moururent de faim, de froid et du typhus. La mort était un spectacle quotidien dans les rues du ghetto. Des charrettes passaient régulièrement pour ramasser les cadavres. À partir du 22 juillet 1942, les exigences allemandes devinrent inouïes : ils demandèrent à Czerniakow de leur livrer chaque jour 6000 ou 7000 juifs pour un soi-disant « déplacement de population vers l’Est » (Umsiedlung).

22 juillet 1942

« On nous a déclaré que, à l’exception de quelques cas, tous les juifs, sans exception d’âge ni de sexe, seraient évacués vers l’Est. Aujourd’hui nous devons livrer un contingent de 6000 personnes avant 16h. Et il en sera de même, sinon plus chaque jour. » (22 juillet 1942)

Adam Czerniakow, Carnets du Ghetto de Varsovie, 6 Septembre 1939-23 juillet 1942, Paris, La Découverte, 1996.

Czerniakow comprit très bien de quoi il s’agissait et se suicida. Durant tout l’été 1942, au cours de rafles sans précédent, les Allemands « nettoyèrent » le ghetto, rue par rue, dirigeant les juifs vers un centre de triage appelé Umschlagplatz, d’où des trains partaient chaque jour pour Treblinka et revenaient le soir, vides, à Varsovie. Au cours de ces « actions », près de 300000 juifs furent ainsi déportés et immédiatement gazés. Les déportations se calmèrent puis reprirent au printemps 1943, après l’échec de la Wehrmacht à Stalingrad. Le 19 avril 1943, le jour de la Pâque juive, éclata l’insurrection du ghetto sous la direction de Mordechaï Anielewicz, qui tint tête aux allemands pendant quatre semaines. Elle fut écrasée dans le sang et dans le feu des lances incendiaires du général Stroop. Après quoi celui-ci put écrire, victorieux, à Berlin : « Il n’y a plus de quartier juif à Varsovie ».

Immeuble du ghetto © Flickr (njaminjami)

L’ancien quartier juif

Pour essayer de comprendre où se trouvait le quartier, il faut y passer plusieurs jours, deux plans à la main : un de l’époque du ghetto et un actuel.

L’ancien quartier juif de Varsovie, qui correspondait principalement au quartier de Muranów mais s’étendait jusqu’à la rue Swietokrzyska (« Sainte-Croix »), est aujourd’hui méconnaissable puisque rasé à 99% ; aucune maison n’est restée debout et la reconstruction d’après-guerre a transformé jusqu’au tracé des rues et au plan d’occupation des sols.

La Grande Synagogue de la rue Tlomacka n’existe plus. Seul subsiste le bâtiment mitoyen, ancien Institut des Sciences judaïques fondé en 1920, aujourd’hui  Institut historique juif, aux numéros 3-5 de la rue Tlomacka. On y trouve un petit musée, une bibliothèque, des documents d’archives.

Le rabbin Baruch Steinberg devant la grande synagogue de Tłomackie en 1924

La seule synagogue en activité est la  Nozykow de la rue Twarda. Elle a été élevée à la fin du XIXe siècle sur des terrains offert à la communauté par Zelman Nozyk. Au cours des années 1980, elle a été restaurée et redonnée au culte. Les offices ont lieu régulièrement, rassemblant quelques personnes âgées ainsi que des juifs étrangers ou travaillant à Varsovie. À côté de la synagogue, une école pour enfants juifs à été créée, ainsi qu’un « lieu d’information pour visiteurs juifs » (Fondation Ronald S. Lauder). La rédaction de la revue Midrasz y est également installée.

À proximité se trouve, place Grzybowski, le  Panstwowy Teatr Zydowski (« Théâtre juif d’État ») portant le nom de Rachel Kaminska, sa fondatrice en 1950. On y donne régulièrement des spectacles en langue yiddish, couvrant tout le répertoire classique et moderne de cette littérature, depuis Scholem Aleïkhem, Schalom Asch, An-Ski, jusqu’à Isaac Bashevis Singer, en passant par des adaptions du Chant du peuple juif assassiné d’Itzhak Katzenelson ou des soirées de chants yiddish interprétées par Golda Tencer.  L’Association culturelle des juifs polonais a son siège dans le même bâtiment, c’est là qu’est édité le bimensuel Dos Yiddish vorte (ou Slowo Zydowshe), petit journal moitié en yiddish, moitié en polonais. De l’autre côté de la place triangulaire, vous trouverez en restaurant plus ou moins casher,  Menorah. Remarquez aussi quelques maisons qui semblent dater du ghetto.

Musée POLIN © Wikimedia Commons (Mamik)

La renaissance du quartier juif

Depuis quelques années, la vie culturelle juive de Varsovie renaît de ces cendres. Le signe le plus évident de ce changement a été l’ouverture de POLIN, le Musée de l’Histoire des juifs polonais en 2013. Ce majestueux bâtiment en verre abrite un centre culturel et éducatif, et un musée qui propose une collection permanente et des expositions temporaires. L’exposition permanente, qui présente mille ans d’histoire juive en Pologne s’étend sur plus de 4000 mètres carrés et a été conçue par 120 universitaires et chercheurs. La visite de POLIN prend au minimum 6 ou 7 heures, il est recommandé de le visiter en deux jours, tant le contenu de son exposition permanente est riche et passionnant. Vous pouvez également faire appel à un guide, la visite durera dans le cas entre 3 et 5 heures. Autre réussite de ce musée, son restaurant, Besamim (niveau 0 du musée) qui propose un audacieux mélange de cuisine israélienne, juive ashkénaze et polonaise. La cuisine est casher.

Le ghetto

Le ghetto lui-même est situé plus loin. Prenez la rue Jean-Paul II, promenez-vous autour du Hala Mirowska (« marché couvert »), qui donne une toute petite idée de l’ambiance ancienne de ce quartier populaire. Visitez les cours des maisons datant des années 1950 et 1960 : vous y trouverez, ici et là, des monticules qui signalent que le champ de ruines qu’était le ghetto en 1943-1944 n’a jamais pu être totalement déblayé. Empruntez les rues Nowolipie, Karmelicka, Nowolipki, Dzielna, Pawia et essayez de vous représenter ce qu’était le ghetto, même si rien ne transparaît aujourd’hui. Passez aussi par la rue Krochmalna où se passe le roman d’Isaac Bashevis Singer, Le Petit Monde de la rue Krochmalna.

Isaac Bashevis Singer

Isaac Bashevis Singer, né à Radzymin en 1904, mort à New York en 1991, prix Nobel de littérature en 1978, est l’un des plus importants écrivains yiddish du XXe siècle, continuateur de Scholem Aleïkhem et d’Itzhak Leybush Peretz. Fils de rabbin, il vécut à Varsovie jusqu’en 1933, puis émigra aux États-Unis où il continua d’écrire en yiddish des histoires qui ont pour cadre la vie des shtetlekh polonais, ainsi que les milieux de l’émigration. Presque toute son oeuvre est traduite en français.

Monument aux Héros du Ghetto de Varsovie © Cezary Piwowarski – Wikimedia Commons

À l’angle des rues Jean-Paul II et Dzielna se trouvait le Pawiak, sinistre prison où de nombreux résistants furent torturés. Plus loin, l’on parvient rue Mordechaï Anielewicz, (ex-rue Gesia). Prenez à droite, et vous tomberez devant une grande place non bâtie, avec tout au bout le monument aux Héros du Ghetto, élevé dès 1948, comprenant un groupe sculptural dû à Natan Rappaport avec l’inscription « La nation juive à ses combattants et à ses martyrs ». À l’arrière du monument, le simple bas-relief est plus émouvant que la sculpture grandiloquente et quelque peu marquée par le style stalinien. En 1972, le chancelier Willy Brandt s’est agenouillé devant ce monument, geste qui n’était pas prévu par le protocole. Derrière le monument, suivez la rue Zamenhofa (du nom de Ludwik Lazar Zamenhof, linguiste juif né à Bialystok, fondateur de l’espéranto), dans laquelle ont été placées depuis 1988, tous les 100 mètres environ, des pierres représentant un « chemin de mémoire et du martyre », menant à l’Umschlagplatz et évoquant les noms les plus illustres de l’insurrection : Josef Lewartowski, Michal Klepfisz, Arie Wilner « Jurek », Mordechai Anielewicz, Meir Majerowicz « Marek », Frumka Plotnicka, Itzhak Nyssenbaum.

À l’angle des rues Zamenhofa et Mila, à l’ancien numéro 18 de la rue Mila, se trouvait le bunker d’où Anielewicz et ses compagnons dirigeaient l’insurrection, où ils s’enfermèrent et trouvèrent la mort le 8 mai 1943. Une pierre tombale y est élevée sur un monticule. Le long de la rue Stawki, le chemin continue jusqu’à la rue Dzika, avec des blocs de granit évoquant Janusz Korczak -l’écrivain, pédagogue et médecin de l’orphelinat juif de Varsovie, qui monta dans le train de la mort avec ses enfants lorsque ceux-ci furent déportés -et Itzhak Katzenelson, le poète yiddish, qui put quitter par miracle le ghetto et s’enfuir en France où il écrivit Le Chant du peuple juif assassiné, avant d’être livré aux Allemands et déporté à Auschwitz.

La rue Mila

« Il est une rue à Varsovie, c’est la rue Mila.

Ô arrachez vos coeurs de la poitrine et placez-y des pierres au lieu de coeurs.

Arrachez de vos têtes vos yeux mouillés et placez-y des éclats de verre, comme si vous n’aviez rien vu,

si vous ne saviez rien, bouchez-vous les oreilles et n’écoutez pas -soyez sourds !

Je vous parle de la rue Mila. »

Itzhak Katzenelson, Le Chant du peuple juif assassiné, in C. Dobzynski, Le Miroir d’un peuple, anthologie de la poésie yiddish, Paris, Gallimard, 1987.

Au numéros 5-7 de la rue Stawki, une plaque indique que c’est de ce bâtiment que le commandement des SS surveillait les opérations de triage de l’Umschlagplatz, et au 6-8 se trouvait l’hôpital israélite où les juifs étaient rassemblés juste avant leur « embraquement ». Juste en face, un monument élevé en 1988, sorte de porte de marbre, symbolise l’Umschlagplatz avec, gravés sur un mur haut de 3 mètres, 400 prénoms juifs représentatifs des 300000 pour lesquels ce fut la dernière gare. Juste derrière se trouvaient les rampes, les quais où les wagons attendaient chaque matin leur tribut à emmener à Treblinka. Non loin de là, se trouve le restaurant  Warsaw-Jérusalem, ouvert par un chef israélien.

Pour avoir une idée de ce à quoi ressemblait Varsovie et le ghetto, vous pouvez vous rendre au Musée de l’Insurrection de Varsovie (celle de la ville en 1944, à ne pas confondre avec celle de l’insurrection du ghetto en 1943). Le musée ne présente pas beaucoup d’intérêt en soi, sauf pour un film, enregistré par les avions américains en 1945, qui offre le spectacle épouvantable de la ville, presque entièrement détruite, et du ghetto, rasé à 99%.

Cimetière juif © Håkan Henriksson – Wikimedia Commons

Le cimetière juif

Le cimetière juif, dans la rue Okopowa, est très beau et très impressionnant. Par miracle, il n’a pas été détruit par les Allemands. Créé en 1799, d’une surface de 33 hectares, il rassemble environ 200000 tombes. Se promener dans ces allées, au milieu des tombes et de la végétation, permet de s’imaginer l’importance qu’avait la communauté avant la guerre. Certaines tombes se distinguent, comme celles de Ludwik Lazar Zamenhof, de l’actrice Rachel Kaminska, ou encore du président du Judenrat Adam Czerniakow, ainsi qu’une sculpture représentant Janusz Korczak, mort à Treblinka, et un carré consacré aux insurgés du ghetto. Si vous cherchez une tombe spécifique, vous pouvez vous adressez au petit bureau de l’entrée. Cependant, armez-vous de courage et de patience, il est très difficile de se repérer correctement dans le cimetière -ce qui ajoute néanmoins à sa poésie. Si vous voulez vous recueillir, veillez bien  de prendre en compte le temps que vous passerez à chercher la sépulture, avant la fermeture du lieu à 17h.

De la même manière que le Musée de l’Insurrection, le Musée de Katyn n’est pas un lieu de recueillement ou de recherche spécifique sur les juifs de Pologne, puisqu’il honore la mémoire des 22000 prisonniers de guerre polonais assassinés par le NKVD soviétique en 1940 dans la forêt de Katyn. Cependant, il présente un intérêt particulier pour qui veut comprendre la relation complexe qu’entretiennent les recherches sur l’histoire intérieure de la Pologne et l’histoire des juifs de Pologne pendant la guerre. En effet, quelques pièces du musées sont dédiées exclusivement aux soldats juifs assassinés à Katyn – alors qu’ils étaient en fait une petite minorité. À l’extérieur du Musée, le mémorial du Musée est orné d’une étoile de David, côte à côte avec la Croix catholique.

Pour une visite de la ville de Varsovie, du ghetto, ou encore du Musée POLIN, nous vous conseillons vivement de contacter la guide Katarzyna Kasia Kacprzak, qui parle un français parfait et se spécialise dans la généalogie juive. Vous pouvez la contacter par téléphone +48 505782083 ou par email kkacprzak.pm@gmail.com.