République tchèque

Horloge à caractères hébreux, Hôtel de Ville de Prague © Øyvind Holmstad – Wikimedia Commons

Sous le clocheton de l’Hôtel de Ville juif de Prague, deux cadrans sont superposés, l’un orné de chiffres romain, l’autre de lettres hébraïques. Les aiguilles du premier tournent normalement de gauche à droite ; celles du second vont de droite à gauche, comme on lit l’hébreu. De telles horloges sont très rares, et celle-ci est la seule qui orne la façade d’un bâtiment public. Apollinaire et Cendrars, comme de nombreux poètes et écrivains, furent fascinés par cette pendule évoquant « un temps qui semble éperdument tourner à rebours ». Juste en face, se dresse le grand triangle dentelé de la façade de la synagogue vieille-nouvelle, construite au XIIIe siècle. À quelques pas de là, s’ouvre l’entrée de l’ancien cimetière avec son amoncellement de 12000 tombes. Certes, il ne reste plus que 1200 juifs dans la capitale tchèque, alors qu’ils étaient 32000 avant guerre. Les quelques 700 communautés qui vivaient dans les villes et villages de Bohême et de Moravie ont été presque entièrement rayées de la carte par la Shoah. Mais synagogues et cimetières ont échappé, pour la plupart, aux destructions des nazis qui concentrèrent à Prague une grande partie du patrimoine pillé, afin d’y constituer un « musée de la race disparue », une fois achevée son extermination. La République tchèque, avec les vestiges du zidovske mesto, l’ancien quartier juif de la capitale, et les nombreux petits ghettos de province, n’en représente pas moins encore le plus riche et fascinant ensemble de lieux de mémoire juifs en Europe.

Les premières mentions d’une présence juive dans les pays tchèques datent des IXe et Xe siècles. Le marchand et voyageur juif arabe Ibrahim ibn Jacob décrit la ville de Prague, en 965, comme une grande cité commerciale : « Les Russes et les Slaves y viennent de leurs villes royales avec des biens. Et les musulmans, les juifs et les Turcs y arrivent aussi depuis le pays des Turcs avec des marchandises et des monnaies. » D’après ce texte célèbre, une partie des premiers juifs de Prague serait donc venue d’Orient, se mêlant à ceux qui étaient arrivés des pays allemands ou italiens. La vie juive se concentre alors sur la rive gauche de la Vltava, au pied de la colline où s’élèvera plus tard le château. Des massacres et des baptêmes forcés sont mentionnés dès 1096, lors de la première croisade, mais ces tragédies demeurent isolées. Les juifs disposent des mêmes droits et privilèges que les autres marchands étrangers, et cette charte est confirmée à nouveau en 1174 par le prince Sobeslav II. Elle leur garantit la liberté de mouvement de d’installation sur les grandes routes commerciales. Ils s’activent dans le négoce et dans l’importation de produits de luxe depuis l’Orient. Certains savants fréquentent même la cour. Leur florissante communauté s’administre en toute autonomie. C’est à cette époque qu’elle s’établit sur sur la rive droite de la Vltava dans une enclave au nord de la vieille ville, qui deviendra plus tard le quartier juif. Dès cette époque, Prague représente l’un des hauts lieux de la culture juive en Europe, avec des talmudistes reconnus dont Isaac ben Jacob ou son disciple Abraham ben Azriel.

Les sort des juifs des pays tchèques change, comme ailleurs en Europe, après le IVe concile du Latran

Vieille-nouvelle synagogue, Prague © Øyvind Holmstad – Wikimedia Commons

(1215) qui leur interdit de posséder de la terre et même de faire du commerce, et les oblige à habiter dans des quartiers séparés ; il leur laisse la possibilité de pratiquer l’usure. Quelques années plus tard, leur vie s’améliore à nouveau quand le roi Premysl Otakar II, suivant l’exemple du pape Innocent IV à Rome, instaure en 1254 une législation plus favorable, qui place les juifs sous la protection directe de la couronne. C’est à cette époque qu’est construite la Nouvelle Synagogue, appelée ensuite Stare-nova (« vieille-nouvelle ») -elle est le plus ancien bâtiment de culte de la République tchèque.

Au cours des décennies suivantes, malgré la réaffirmation par Charles IV de ces garanties, les persécutions et les massacres s’amplifient. Le plus terrible est le le pogrom de Pâques de 1389 qui coïncide cette année-là avec les deux derniers jours de Pessah. Des milliers de juifs sont massacrés par une foule fanatisée qui les accuse, encouragée par des prêtres, d’avoir profané des hosties. « Beaucoup ont été tué et les nommer tous est impossible, des jeunes et des femmes, des vieillards et des bébés. Ô toi, Dieu de toutes les âmes, point n’est besoin de te les remémorer, tu jugeras tout et tu sauras tout… », écrivit le rabbin Avigdor Kara qui, enfant, fut témoin du carnage où mourut son père. Cette élégie est toujours lue le jour de Yom Kippour dans la synagogue de Stare-Nova.

Entre 1417 et 1439, les guerres hussites ravagent les pays tchèques et ne simplifient guère la vie des juifs. La doctrine de Jan Hus se réfère au christianisme des origine contre les abus de l’Église. « Les catholiques considéraient les hussites comme une secte judaïsante, et les hussites eux-mêmes, notamment les plus radicaux du mont Tabór, se voyaient comme une extension de l’Israël biblique », notre l’historien Arno Parik, conservateur du Musée juif de Prague, soulignant que ce mouvement de révolte antiféodal a montré une certaine bienveillance vis-à-vis des juifs locaux malgré quelques dérapages.

Le développement de l’économie monétaire marginalise peu à peu les juifs. Ils sont expulsés de nombreuses villes de Bohême et de Moravie par une bourgeoisie qui s’affirme et ne veut pas de concurrents pour des activités de banque et de prêt. Les choses s’aggravent même pour les juifs de la capitale, pourtant protégés dans les premières décennies du XVIe siècle par les rois Vladislsav Jagiello, Ludwig Jagiello et par l’empereur Ferdinand Ie de Habsbourg au début de son règne. En 1541, la diète vote l’expulsion de tous les juifs de la ville avec l’accord du souverain. Seules une quinzaine de familles échappent, contre espèces sonnantes et trébuchantes, au bannissement. Peu à peu, en payant le prix fort, les juifs commencent à revenir en ville. En 1551, Ferdinand Ie oblige tous les juifs de Bohême « à porter un signe distinctif qui permettra de les distinguer des chrétiens », et il leur impose de vivre derrière les murs des ghettos.

Hans von Aachen, Portrait de Rudolf II, 1590, Musée d'Histoire de l'Art, Vienne
Hans von Aachen, Portrait de Rudolf II, 1590 © Musée d’Histoire de l’Art, Vienne

Les juifs de la capitale sont à nouveau menacés d’expulsion en 1558 et doivent payer pour y demeurer. Cette situation précaire dure encore neuf ans jusqu’au décret du nouvel empereur Maximilien II, qui autorise les juifs déjà présents à Prague et dans les autres villes de Bohême à rester là où ils sont. Le souverain leur restitue la liberté de circulation et de commerce. Ces mesures sont encore accentuées par son successeur, le flamboyant Rodolphe II (1552-1612), ce « bouffon sage et poète fou », grand protecteur de savants, d’astrologues et d’artistes, qui s’installe à Prague avec toute sa cour après six ans de règne.

C’est à cette époque que la communauté juive praguoise connaît son apogée, dans l’effervescence baroque d’une cité devenue le coeur de la vie intellectuelle du continent, telle que la décrivit magistralement le grand slaviste italien Angelo Mario Ripelino, dans son ouvrage Praga magica (Paris, Plon, 1993). Des personnalités juives un rôle de premier plan, comme le mathématicien et astronome David Gans, ou le très saint savant et chroniqueur rabbi Yehuda Loew ben Betsalel qui, selon une légende tardive, façonna le Golem, créature d’argile et homme artificiel qui échappa à son démiurge. Le fameux rabbi, dont la tombe est toujours honorée, aurait même été reçu en audience le 16 février 1592 par l’empereur Rodolphe II, curieux des rites de la kabbale. Une autre grande figure est le financier et philanthrope Marcus Mordechaï ben Samuel Meisl, maire du quartier juif qui agrandit le cimetière et construisit l’hôtel de ville et de nouvelles synagogues.

La splendeur de la Prague juive continue au début du XVIIe siècle sous Ferdinand II, alors que la révolte

des pays tchèques gagnés par la Réforme est écrasée en 1620 à la bataille de la Montagne blanche. Jacob Bashevi, un aventurier et grand financier arrivé d’Italie, est même anobli comme « von Treuenburg », grâce à son protecteur, le redoutable condottiere Albrecht de Wallenstein. Le banquier juif se voit ainsi récompensé pour être resté fidèle à l’empereur, comme la plupart des membres de sa communauté. La contre-Réforme triomphe dans tout l’empire des Habsbourg. Les juifs de Prague échappent aux mesure d’expulsion qui frappent les communautés de province, mais une épidémie de peste en 1680, puis un grand incendie en 1689, dévastent le ghetto. Certains pensent alors le transférer dans un autre quartier. Il est finalement reconstruit sur les décombres. La situation demeure très précaire avec des explosions d’antijudaïsme, notamment en 1694 avec l’affaire Simon Abeles (un adolescent de 12 ans, voulant se convertir au catholicisme, aurait été tué par son père et un ami de ce dernier).

Au début du XVIIIe siècle, environ 12000 juifs résident à Prague, devenue la plus grande ville juive sous la chrétienté. Mais leur vie devient très difficile sous l’empereur Charles VI (1711-1740), décidé à limiter de manière drastique leur nombre. En 1726, il organise un recensement et instaure une loi fixant un plafond au nombre des familles juives vivant dans les pays tchèques (8541 en Bohême et 5160 en Moravie). Un seul fils par famille -en général l’aîné- a le droit de se marier et de fonder un foyer ; les autres enfants mâles désireux de convoler doivent émigrer ou attendre des départs ou des extinctions d’autres noyaux familiaux. L’arrivée sur le trône de Marie-Thérèse (1740-1780) aggrave encore le sort des juifs tchèques et, en premier lieu, ceux de Prague. Pour les punir de leur prétendue « déloyauté » pendant la guerre de Silésie contre les prussiens, la très bigote impératrice publie en 1744 un décret chassant sous un an tous les juifs de la capitale. La mesure suscite de nombreuses protestations en Europe, mais Marie-Thérèse demeure inflexible, et 13000 juifs quittent la ville en mars de l’année suivante tout en restant aux alentours. L’impératrice exige alors aussi leur départ des pays tchèques. Finalement, elle se laissera fléchir. Après le paiement de très lourdes amendes, équivalentes à dix fois leurs impôts en une année, ils juifs reviennent à Prague en 1748-1749. Ils vivotent sous la menace de nouvelles expulsions, dans un ghetto toujours plus insalubre et surpeuplé, avec une moyenne de 1822 habitants par hectare, soit trois fois plus que dans le reste de la ville. Les incendies sont redoutables ; celui de 1754 rase une grande partie du quartier dont six synagogues. C’est seulement à la fin du siècle, avec l’empereur Joseph II (1780-1790), que les juifs commencent à voir leur sort s’améliorer.

Le vieux quartier juif de Prague s’appelle toujours Josefov, en l’honneur de ce souverain éclairé qui abolit une partie des discriminations avec « l’édit de tolérance » (Toleranzpatent) de 1781 : sont accordés aux juifs et aux protestants une liberté religieuse limitée, ainsi que la plupart des droits dont disposent les autres citoyens de l’Empire. Il faudra toutefois encore attendre soixante-dix ans pour que la pleine égalité devienne réalité. les réformes modernisatrices de Joseph II qui instaure, entre autres, le service militaire et la germanisation de l’enseignement, ont profondément marqué l’Empire comme le quotidien des juifs qui y vivaient. Ces derniers peuvent désormais accéder à l’enseignement secondaire et même supérieur, mais les communautés de Bohême et de Moravie doivent aussi instaurer des écoles primaires où l’instruction sera dispensée en allemand. Les traditionalistes, dont le rabbin Ezekiel Landau, adversaire résolu de la Haskalah (les Lumières et l’émancipation juive) qui parcoure déjà les communautés allemandes, dénoncent les risques de l’assimilation. Ils doivent néanmoins s’incliner. La première école germano-juive de Prague ouvre le 2 mai 1782. Une élite juive moderniste naît, s’affirme et commence à quitter le ghetto, même si ses murs ne tomberont officiellement qu’au milieu du siècle suivant. Dans la population, l’antisémitisme est assez virulent, comme en témoignent les émeutes de 1844 où des ouvriers du textile en colère détruisent les ateliers des usines tenues par des juifs. En 1848, alors qu’une grande vague révolutionnaire balaye l’Europe et les pays tchèques, l’armée doit intervenir à Prague pour protéger les biens juifs. Mais, cette même année, avec la première constitution autrichienne, les juifs de l’Empire deviennent finalement des citoyens à part entière, et les lois familiales sont abolies -les juifs devront patienter encore une décennie pour avoir le droit d’acquérir officiellement de la terre ou des maisons hors des anciens ghettos.

La population juive augmente considérablement dès le milieu du siècle. En 1890, 94599 juifs vievent en Bohême, et 45324 en Moravie. Les juifs des villages et des bourgades affluent toujours plus nombreux vers Prague et les centres industriels. Une bourgeoisie juive s’affirme, mais l’intégration est d’autant plus difficile qu’il lui faut choisir entre le monde germanique, celui de sa culture, et un sentiment national tchèque toujours plus ouvertement germanophobe et anti-impérial. « Pour les jeunes nationaliste tchèques, les juifs étaient des Allemands. Pour les Allemands, les juifs étaient des juifs », souligne Ernst Pawel dans sa biographie de Kafka qui vécut directement ce déchirement (Franz Kafka ou le cauchemar de la raison, Paris, Seuil, 1996). La haine des juifs représente le seul point d’accord entre les plus radicaux des nationalistes allemands et tchèques. Rien d’étonnant donc si bon nombre des premiers militants sionistes viennent des pays tchèques. Lors du premier recensement linguistique de 1880, véritable déclaration de foi pour l’une ou l’autre de ces deux identités, à peine un tiers des juifs tchèques déclarent le tchèque comme leur langue principale. Dis ans plus tard, 55% choisissent le tchèque. Dans les faits, la quasi totalité des juifs parlent plutôt l’allemand mais, soumis à la pression ambiante, ils montrent ainsi leur attachement à une nation tchèque encore en gestation.

Le jeune mouvement national tchèque dérape volontiers dans l’antisémitisme : lors des émeutes de décembre 1897, après s’en être pris aux établissements culturels et commerciaux allemands les plus connus, la foule attaque pendant trois jours les magasins juifs et les synagogues, rossant quiconque à l’air « youpin ». La haine deviendra encore plus virulente deux ans plus tard avec l’affaire Hilsner, équivalent pour l’Europe orientale de l’affaire Dreyfus en France. « Telle était l’atmosphère remplie de haine du monde de Kafka. mais il n’en avait jamais connu d’autre et il lui fallut du temps pour comprendre pourquoi il lui était si difficile de respirer », souligne Ernst Pawel.

L’affaire Hilsner

Tomáš Masaryk
Tomáš Masaryk

Une jeune fille est trouvée assassinée le 1e avril 1899, la veille de Pâques, près de son hameau de Polna. Pour les villageois, il s’agit clairement d’un meurtre rituel juif. Un petit journal antisémite de Prague reprend la nouvelle, amplifie la campagne d’opinion et accuse Leopold Hilsner, un cordonnier juif du village. Il est arrêté, jugé et condamné à mort sans preuve, alors que la propagande antijuive se déchaîne dans tout l’Empire. Tomás Masaryk, le futur premier président de la Tchécoslovaquie, qui est le seul homme politique à avoir le courage d’aller à contre-courant : dans une petite brochure, il démonte minutieusement toutes les incohérences de l’enquête. Des étudiants manifestent alors afin qu’il soit chassé de l’université. Le livre est interdit, et on le considère comme un traître. Néanmoins, la gauche est ébranlée, ainsi qu’une partie de l’intelligentsia. Un nouveau procès a lieu s’achevant sur le même verdict, mais la peine est commuée. Le cordonnier est finalement gracié en 1918.

Au même moment commence la destruction du vieux ghetto, qui s’inscrit dans un vaste programme d’assainissement des quartiers les plus anciens de la ville. Les nouvelles élites juives, comme dans beaucoup d’autres villes d’Europe, ne tiennent guère à conserver ces maisons et ces ruelles sordides qui témoignent d’un passé encore récent. L’opération d’urbanisme dure jusqu’en 1905. Les démolisseurs, outre les taudis et vieilles masures, détruisent aussi de petites synagogues. Avant la Première Guerre mondiale, puis après 1918 dans une Tchécoslovaquie devenue indépendante, l’intelligentsia juive praguoise, de langue allemande, joue un rôle de tout premier plan, notamment dans le domaine littéraire, avec le « cercle de Prague » (Franz Kafka, Max Brod, Franz Werfel, Leo Perutz…). Dans cette ville que le poète Paul Kornfeld présente comme « un asile d’aliénés métaphysiques », les trois cultures, allemande, juive et tchèque, s’entremêlent faisant de Prague l’une des grandes capitales culturelles de l’Europe. Des juifs jouent un rôle clé dans l’industrie du nouveau pays, mais aussi de la politique -Adolf Stransky publie notamment depuis 1893 le plus prestigieux quotidien tchèque, Lidové Noviny. Le président Tomás Masaryk se rend même en 1927 en Palestine sous mandat britannique pour visiter Jérusalem et les colonies juives. Mais la République démocratique et humaniste qu’il a réussi à créer ne durera que vingt ans.

En septembre 1938, les accords de Munich imposés par Hitler à une Tchécoslovaquie abandonnée par

Adolf Hitler passe ses troupes en revue dans le château de Prague le jour de l’occupation de la ville. Prague, Tchécoslovaquie, 15 mars 1939. (Czechoslovak News Agency)
Adolf Hitler passe ses troupes en revue dans le château de Prague le jour de l’occupation de la ville. Prague, Tchécoslovaquie, 15 mars 1939. (Czechoslovak News Agency)  © Bundesarchiv

Londres et Paris amputent le nouveau pays des Sudètes à l’ouest, que fuient des milliers de juifs et de Tchèques. Peu après, une partie du sud de la Slovaquie est cédée à la Hongrie pro-nazie, puis les troupes allemandes s’installent dans le reste de la Slovaquie, qui se proclame État indépendant allié du Reich. En mars 1939, l’armée occupe ce qui reste de la Bohême-Moravie, placée sous la directe administration du Reich. Quelque 118000 juifs vivent à l’époque sur ce territoire. Les lois raciales nazies sont aussitôt appliquées. Les juifs sont chassés de tous les emplois publics et les médecins juifs ne peuvent plus soigner que des juifs. Les entreprises juives sont confisquées. Les juifs doivent enregistrer tous leurs biens, et leurs capitaux et devises sont saisies. Un an plus tard, ils sont tous contraints de porter l’étoile jaune.

La Solution finale commence dans les pays tchèques en octobre 1941, avec le départ d’un premier convoi de 1000 personnes vers des ghettos est créé dans la petite ville de Terezín (au nord de la Bohême), vidée de tous ses habitants. Les juifs tchèques sont entassés là, quelques semaines ou quelques mois avant de partir pour les camps d’extermination en Pologne. Environ 89000 juifs de Bohême et de Moravie ont été déportés, et 80000 sont morts. Après la guerre, des réfugiés juifs de l’Est, notamment de la Ruthénie, affluent vers Prague, et environ 19000 juifs émigrent vers Israël. Une autre vague de 15000 départs suit en 1968 l’écrasement du printemps de Prague par les chars soviétiques. il ne reste aujourd’hui que 6000 juifs dans la République tchèque.

Partir ?

Des après-midi entières, je suis maintenant dans la rue et je baigne dans la haine antisémite. J’ai une fois entendu qualifier les juifs de race galeuse. Cela ne va-t-il pas de soi que l’on quitte les lieux où l’on est tant haï ? Nul besoin d’invoquer le sionisme ou le sentiment d’appartenance à un peuple. L’héroïsme qui consiste à rester malgré tout est celui des cafards qu’on arrive pas à exterminer dans la salle de bain. Je viens juste de regarder par la fenêtre : police montée, gendarmes baïonnette au fusil, foule qui se disperse en criant ; et ici en haut à la fenêtre, la honte odieuse de continuer à vivre sous protection. »

Franz Kafka, Lettres à Miléna, Paris, Gallimard, 1988.

La richesse du patrimoine juif de la capitale tchèque éclipse celle du pays, trop souvent négligée par les institutions juives comme les touristes. Dans les petites villes de Bohême-Moravie, il vous sera encore possible de voir d’extraordinaires cimetières juif, comme à Kolín, ou des ghettos qui ont gardé leur aspect extérieur de jadis, comme à Trebic. Les nazis ont éliminés presque totalement les petites communautés juives des pays tchèques. Un demi-siècle d’incurie sous le communisme a détruit une bonne partie de ce qui restait de ce patrimoine. Beaucoup de synagogues ont été transformées en magasins, en entrepôts ou en salles municipales. Des immeubles ont été construits sur d’anciens cimetières…Cependant, il reste encore de très nombreux vestiges de la présence des quelque 118000 juifs vivant en Bohême-Moravie avant 1939, recensés grâce au patient travail d’historiens et de conservateurs.

Jiri Fiedler : Archéologue de la mémoire

Cet historien, né à Olomoc en Moravie, a longtemps travaillé, presque seul malgré l’indifférence, voire l’hostilité des autorités communistes, dressant la liste des derniers vestiges témoignant de la présence pluriséculaire de quelque 700 communautés juives dans les pays tchèques.

« Il y a aujourd’hui 200 synagogues dans le pays. Il y en avait encore 300 après la guerre », souligne cet historien. Son livre, Jewish Sights of Bohemia and Moravia (Prague, éd. Sefer, 1991) est un guide incontournable, qui recense de façon complète un patrimoine toujours en péril. Nombre de petites synagogues de village, transformées depuis des décennies en magasins ou dépôts ont été détruites par l’État ou par leurs propriétaires. Les petits cimetières juifs e campagne qui parsèment le territoire tchèque sont menacés par le vandalisme ou par des pilleurs, convaincus qu’il y a de l’or dans les tombes juives.

 


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