La terrifiante guerre menée contre l’Ukraine change, bien entendu, la fonction de ces pages consacrées au patrimoine culturel juif de ce pays. Une grande partie des lieux mentionnés ont été rasés par les bombes. Si ces pages ukrainiennes n’ont pas actuellement de vocation touristique, elles pourront peut-être servir à des chercheurs et étudiants comme références historiques. Références à tant d’histoires douloureuses lors des pogroms et de la Shoah mais aussi heureuses du judaïsme ukrainien, dans ses dimensions culturelle, cultuelle et sioniste. En souhaitant au peuple ukrainien une fin rapide à ces atrocités dont il est victime.
L’Ukraine, la plus importante des Républiques ex-soviétiques, est, avec la Biélorussie et la Lituanie, l’héritière de l’ancienne « zone de résidence », cordon sanitaire destiné à refouler les juifs aux marges occidentales de l’Empire russe. Malgré les pertes considérables dues à la Shoah puis à l’émigration, elle possède toujours une importante communauté juive (environ 500000 membres, soit 1% de la population), concentrée principalement dans les grandes villes (Kiev, Odessa, Dniepropetrovsk, Kharkov, Donetsk) et dans certains anciens shtetelekh du Sud. La vie culturelle juive, en pleine renaissance depuis l’indépendance du pays en 1991, reste cependant limitée du fait de la pesanteur des soixante-dix ans d’assimilation et de persécutions du régime soviétique, et du fait de la recrudescence de l’émigration.
L’histoire des communautés juives de l’Ukraine d’aujourd’hui doit être replacée dans le contexte de la réalité historique complexe de l’Ukraine elle-même, qui n’a jamais eu de véritable identité étatique, sauf à l’époque de la puissante principauté de Kiev (Kievskaïa Rus’), aux XIe-XIIIe siècles, berceau commun de la Russie et de l’Ukraine.
Une géographie mouvante
Pendant des siècles, l’histoire des juifs d’Ukraine se confond avec celle des juifs de Pologne. À partir du partage de la Pologne jusqu’à la Première Guerre mondiale, elle se confond avec celle des juifs de Russie, sauf pour la Galicie qui fait partie de l’Empire Austro-Hongrois. Depuis la révolution de 1917, c’est celle des juifs soviétiques, sauf pour la Galicie et la Volhynie qui font partie de la Pologne jusqu’en 1939.
Quand les juifs sont chassés de la France (en 1394), puis d’Espagne et du Portugal (en 1492), la Pologne, alors en pleine expansion économique et militaire, apparaît comme un pays d’accueil où règne la tolérance religieuse, pour qui se soumet à l’autorité et à la primauté du catholicisme.
Les rois de Pologne, notamment Sigismond Ier et Sigismond II au XVIe siècle, ont une politique de tolérance envers les juifs, leur accordant certaines franchises et suscitant la création d’institutions communautaires chargées de collecter les impôts. L’expansion de la communauté juive dans le royaume de Pologne au XVIe siècle se remarque dans presque toutes les villes, notamment du centre et de l’Est (Galicie, Volhynie, Podolie, Lituanie, Ukraine), où affluent artisans et commerçants juifs.
Massacres des populations juives
Cette expansion est brutalement interrompue en 1648-1649, lors de la première grande catastrophe vécue par ces communautés : les révoltes des Cosaques de Khmelnitsky contre la noblesse polonaise et les massacres des populations juives qui accompagnent la prise de chaque ville, pogroms d’une incroyable cruauté dont sont victimes environ 100000 juifs dans toute l’Ukraine.
Les communautés juives de certaines villes (Ostrog, Sokal, Vladimir-Volynski, Ouman, Proskourov, etc.) sont entièrement anéanties. Elles ne se reconstituent que plus tard, dans les localités qui jouissent de la protection d’un noble ou du souverain lui-même.
Naissance du hassidisme
Il faut un siècle entier après les massacres pour que les communautés juives d’Ukraine prennent un nouvel essor, notamment à partir du renouveau religieux marqué par le hassidisme, mouvement fondé en Podolie par Israël ben Eliezer (1700-1760), dit le Baal Shem Tov de Medzyborz, qui a un succès considérable et essaime en Lituanie, en Pologne et dans toute l’Ukraine, grâce à de nombreux maggidim ou prêcheurs itinérants et aux disciples, comme le Maggid de Doubno (Jacob Kranz), proche des mitnaggedim, adversaires du hassidisme, Dov Baer de Mezeritch puis Nahman de Bratzlav et d’autres tsaddikim.
À la fin du XVIIIe siècle, avec les partages successifs de la Pologne (1772, 1793 et 1795) et l’absorption de l’Ukraine par la Russie, la situation des juifs change considérablement. La Russie, qui a interdit toute résidence aux juifs sur son territoire, se trouve soudain administrer la population juive la plus importante du monde. Le gouvernement tsariste fixe donc les limites d’une « zone de résidence » dans laquelle les juifs ont le droite de s’établir, qui coïncide approximativement aux zones prises à la Pologne (Lituanie, Biélorussie, Ukraine jusqu’au Dniepr, Royaume de Pologne), auxquelles on ajoute les terres vierges à peupler de la Nouvelle Russie (Kherson, Nicolaïev, Odessa, la Crimée), puis la rive gauche du Dniepr (Poltava, Iekaterinoslav).
Développement de la littérature yiddish
Au cours du XIXe siècle, la politique répressive de l’Empire russe perdure. En 1827, est promulguée l’expulsion des juifs de Kiev. Après une période de réformes libérales sous Alexandre II, l’oppression des juifs se poursuit avec Alexandre III, sous le règne duquel ont lieu de nombreux pogroms contre la population juive, qui incitent celle-ci à émigrer de plus en plus massivement vers l’Europe et surtout les États-Unis. Simultanément, se développe la littérature classique en langue yiddish, avec notamment Scholem Aleïkhem et Mendel Moïkher Sforim.
Après la Première Guerre mondiale, la révolution et la guerre civile se propagent en Ukraine de 1917 à 1921, au cours de laquelle de terribles pogroms sont perpétrés par les bandes nationalistes de Simon Petlioura, qui massacrent dans le pays environ 100000 juifs : à Zitomir, Proskourov, Rovno, Belaïa, Tserkov, Kiev, Vinnitsa, etc. Le pouvoir soviétique abolit la « zone de résidence » et les restrictions contre les communautés juives, mais mène simultanément une campagne contre la religion qui conduit à fermer de nombreuses synagogues.
Exterminations pendant la Shoah
Le traumatisme le plus grand pour la communauté juive d’Ukraine fut celui de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Les Allemands envahissent l’Union soviétique le 21 juin 1941 et organisent aussitôt l’extermination de la communauté, forcée à résider dans des ghettos qui sont « liquidés » un à un, le plus souvent au cours d’exécutions de masse à ciel ouvert, dans des fosses communes creusées par les victimes elles-mêmes.
Dans presque toutes les villes d’Ukraine, on peut trouver dans un bois, à l’extérieur de la ville, le lieu de ces exécutions, marqué en général par une stèle « Aux victimes du fascisme ». Le recensement de tous ces lieux prendrait à lui seul un autre site Internet.
Renaissance de la vie culturelle juive
Après la Seconde Guerre mondiale, certaines communautés juives se reconstituent grâce au retour de ceux qui ont pu être évacués (vers le centre de la Russie) à temps, mais la politique officielle antireligieuse et antisémite se poursuit avec le soi-disant complot des « blouses blanches » : de nombreuses synagogues et institutions communautaires sont fermées. Ce n’est que depuis la perestroïka (1985) et d’indépendance de l’Ukraine (1991) que l’on assiste à une renaissance de la vie culturelle juive, mais aussi à un accroissement de l’émigration, surtout des plus jeunes, qui produit le vieillissement, l’appauvrissement et la fragilisation de cette communauté.