Les juifs sont présents dans les îles Baléares depuis l’occupation romaine. Après la conquête de l’archipel par Jacques Ier, on note l’arrivée de nombreux juifs catalans, mais aussi du sud de la France et d’Afrique du Nord, qui viennent repeupler les nouvelles terres chrétiennes prises aux arabes. Après 1343, au moment où Pierre IV d’Aragon s’empare de ces îles, s’ouvre un véritable âge d’or du judaïsme aux Baléares. Les grandes familles juives font du commerce avec toute la Méditerranée et avec le Maghreb où elles ont mis sur pied un très efficace réseau d’agents commerciaux. Elles se consacrent aussi à l’orfèvrerie et à la bijouterie, ainsi qu’au prêt avec intérêt. Elles possèdent de belles maisons dans le call de Palma de Majorque, ainsi que des esclaves. La communauté, régie par ses propres statuts, est dirigée par six secrétaires et un conseil de trente personnalités. Parmi les savants les plus connus, citons le rabbin Simon ben Zemah Duran, grand talmudiste qui s’exila à Alger, et les cartographes Abraham Cresques et Jafuda Cresques, son fils. En 1391, le siège du call provoque de nombreuses victimes et est suivi de conversions forcées. Une partie des juifs opte pour l’exil et part pour Alger. En 1495, une accusation de crime rituel explique la conversion forcée de la quasi-totalité de la communauté, déjà fort réduite. A compter de cette date, il n’y a officiellement plus de juifs. La vie juive ne se maintient que d’une façon très diffuse, chez les chuetas ou crypto-juifs, qui forment une société très fermée d’orfèvres et de bijoutiers dont l’intégration dans la société majorquine reste, encore au XXe siècle, un problème.

La couronne d’Aragon, très puissante au Moyen-Âge puisqu’elle englobait en plus de l’Aragon, la Catalogne, Valence et les îles Baléares, a accueilli de nombreuses communautés juives, en particulier à partir de 1150, date de l’union avec la Catalogne. Dans cette région où les musulmans résidèrent presque jusqu’en 1500, les deux communautés avaient de très nombreux contacts.

Les juifs s’y installent dès la période romaine. Les communautés de Barcelone et de Gérone commencent à se constituer au Xe siècle. Au XIIe siècle, il existe cinq grands centres juifs : Barcelone, Gérone, Lérida, Tortosa et Perpignan. Les juifs sont cités dans le premier code légal de la Catalogne : Els Usatges de la Cort de Barcelona. Ils se distinguent dans le domaine de l’agriculture, du commerce, de l’administration, de la médecine et des sciences. Ils accueillent les juifs expulsés de France, d’Allemagne et de Provence, ce qui explique leur influence dans le développement des idées de la kabbale. À la suite de l’épidémie de peste noire de 1348, puis des massacres de 1391, la vie juive est pratiquement détruite, jusqu’à la disparition totale de 1492. On peut estimer que, dans la première moitié du XIVe siècle, la communauté juive comptait de 10000 à 12000 personnes, soit entre 4 et 7 % de la population totale.

La province historique de Navarre, à cheval sur l’Espagne et la France, terre âprement disputée par les Castillans et le comte de Champagne, fut le lieu de rencontre des juifs originaires des terres arabes, mais aussi de ceux de Castille et de France, qui mirent à profit le chemin de Saint-Jacques pour participer à l’essor commercial de cette voie fameuse, dont Najera fut un centre important. Au XIe siècle, par la charte dite de Najera, le roi acceptait de donner aux juifs les mêmes droits qu’aux chrétiens et, surtout, celui de s’organiser eux-mêmes, selon les lois rabbiniques. En 1492, les juifs de Navarre, ainsi que leurs voisins réfugiés des autres province limitrophes, obtinrent un répit. Mais, en 1498, les rois de Navarre cédèrent aux pression des Rois catholiques. La majeure partie de la communauté préféra la conversion à l’exil. De grandes figures comme Yehuda ha-Levi, Abraham ibn Ezra et Benjamin de Tuleda, se sont illustrés dans le domaine des arts et des lettres.

Synagogue Santa Maria la Blanca. Photo de Olivier Lévy – Wikipedia

La présence des juifs en Castille et en León est connue dès le Xe siècle. Au cours des deux siècles suivants, les souverains accordent aux juifs les mêmes droits et devoirs qu’aux chrétiens. Les monarques considèrent que les juifs sont leur propriété personnelle et, durant toute la période de la reconquête, ces derniers apportent leur aide à l’organisation de la vie administrative et commerciale des territoires conquis.

À partir du XIIe siècle, devant les risques encourus par les juifs, la législation royale cherche à les protéger et les regroupe dans des quartiers autour du Palais royal ou du palais des Évêques, ou encore à l’abri des murailles. Malheureusement, cette période est riche en luttes internes entre les divers royaumes chrétiens et, bien souvent, les juifs en font les frais.

À partir du XIIIe siècle, c’est Tolède qui devient le centre du judaïsme castillan. Le recensement dit de Huete, en 1290, nous dresse un tableau assez fidèle de l’implantation des communautés juives en Castille et León. La vague de violence de 1391 atteint presque toutes les implantations juives, et marque leur déclin, même si, en 1432, une réunion a lieu à Valladolid pour essayer de donner une impulsion au renouveau des juderías. En 1492, les expulsés de ces régions se dirigent essentiellement vers le Portugal. La présence matérielle de ces communautés a cependant pratiquement disparu, à quelques exceptions près.

Via Giudecca, Trapani © Andrew and Suzanne – Flickr

Les communautés du sud de la péninsule étaient au Moyen-Age les plus florissantes d’Italie, les plus riches et les mieux intégrées, notamment en Sicile où vivaient plus de 37000 juifs, soit autant qu’en Italie aujourd’hui, dont bon nombre à Palerme. Ce monde qui vivait dans des territoires soumis à la couronne d’Espagne a été balayé en quelques années après l’édit d’expulsion de 1492. Il n’en reste aucune trace, sinon dans la toponymie de quelques villes, dont Trapani en Sicile avec sa via Giudecca, dans le quartier san Pietro et quelques très rares monuments.

Paolo Uccello, La Légende de la Profanation de l'Hostie, 1465-1469, Galerie nationale des Marches, Urbino
Paolo Uccello, La Légende de la Profanation de l’Hostie, 1465-1469  © Galerie nationale des Marches, Urbino

La présence juive dans les Marches est attestée dès le XIIe siècle. Elle se développa surtout à la suite des expulsions d’Espagne, de Sicile et du royaume de Naples. On peut noter les vestiges de rues juives ou de synagogues dans nombre de petites villes de cette région bordant l’Adriatique, un peu à l’écart des grands circuits touristiques, mais pourtant très pittoresques.

Les juifs furent contraints, par les bulles papales de 1555 et 1569, de se concentrer dans quatre villes : Ancône, Urbino, Pesaro et Senigallia. Une vie juive intense se maintint dans ces villes jusqu’au XIXe siècle. Les synagogues de ces quatre villes méritent d’être visitées.

La région de Vénétie, comme son nom l’y invite, rend toute visite obligatoire par la mystérieuse et inspirante Venise, inspirant même un certain William Shakespeare pour y situer plusieurs de ses plus grandes pièces (Othello, Le Marchand de Venise) sans jamais y séjourner. Ce qui ne rend pas jalouse Vérone, puisque sa plus célèbre pièce s’y déroule, Roméo et Juliette. Palais, artistes, intrigues politiques, bouleversements historiques, tout cela fera la grandeur de cette région et nourrira la curiosité du monde entier.

A Venise donc, vous verrez bien entendu son ghetto, ses sublimes synagogues et un musée qui vous racontera l’envers et l’endroit de ce décor de rêve. Moins nombreuses, les synagogues de Vérone méritent toutefois aussi vos salutations.

Les petites villes ne sont pas en reste non plus. Si impressionner Venise parait difficile, Piove di Sacco a le mérite d’avoir été le centre d’impression de textes hébraïques avant sa grande rivale en la matière. Quant à Padoue, son musée du Patrimoine juif y accueille de nombreux objets anciens. La présence juive fut moindre à Trévise, Conegliano Veneto et Este, mais on y retrouve quelques références.  

Jusqu’au milieu du XIXe siècle et jusqu’à l’unification italienne, les juifs étaient très peu nombreux en Lombardie, comme dans les siècles précédents dans tout le duché. Aujourd’hui, Milan représente, après Rome, la deuxième communauté juive d’Italie en importance, avec quelque 9000 personnes d’une trentaine d’origines différentes, dont de nombreux juifs venus d’Égypte, de Libye et d’Iran. C’est une communauté très dynamique à l’image de la capitale lombarde.

Injustement méconnue d’un point de vue touristique, cette région est l’une des plus riches d’Italie pour le patrimoine juif, avec de magnifiques petites synagogues baroques comme celles de Carmagnola, Casale Monferrato, Cherasco, Mondovi, Saluzzo. Les juifs piémontais furent les premiers d’Italie à obtenir définitivement, dès 1848, la pleine égalité. Les principales restrictions sur leur résidence ou les activités économiques autorisées avaient déjà été levées depuis 1816, dans les domaines de la dynastie des Savoie qui n’osèrent revenir complètement sur les droits accordés par Napoléon. Avec l’émancipation, les juifs émigrèrent de plus en plus nombreux vers les grandes villes, en premier lieu Turin, abandonnant les petites cités où de riches communautés vivaient jusque-là. Les juifs bénéficiaient d’une situation relativement protégée et leur insertion dans la vie économique était déjà ancienne.

Les ghettos ne furent réellement institués qu’en 1679 à Turin et au début du XVIIIe siècle dans les dix-neuf autres centres où vivaient les quelque 5000 juifs du Piémont. Outre le prêt et le commerce de la fripe, les juifs pouvaient avoir d’autres activités économiques, comme l’orfèvrerie, l’imprimerie, l’industrie textile et notamment celle de la soie.

Assez bien représentés dans les élites administratives de la monarchie des Savoie, devenus les premiers rois de l’Italie unifiée, les juifs piémontais jouaient aussi un rôle significatif dans l’économie et dans la vie culturelle. Dès la fin du XIXe siècle, de grandes synagogues furent érigées, à Vercelli, en style néo-byzantin, à Alessandria, en style néo-gothique, et à Turin avec une grande bâtisse néo-mauresque. La communauté locale avait d’abord commissionné à l’architecte Alessandro Antonelli, émule transalpin de Gustave Eiffel, une « synagogue tour » en acier, haute de 167 m, afin de célébrer tout à la fois sa puissance nouvelle et la modernité. Faute de moyens, la communauté dut finalement déclarer forfait à la moitié des travaux, et la municipalité récupéra et acheva la Mole Antonelliana, qui devint le Musée national de l’Indépendance.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les juifs piémontais payèrent un très lourd tribut (il y avait 4000 juifs au Piémont en 1939 et moins de 2000 en 1945). Malgré cette tragédie, ils restèrent très actifs dans l’après-guerre avec des hommes d’affaires de premier plan, comme Adriano Olivetti, et de nombreux intellectuels ou écrivains, dont Primo Levi, Carlo Levi ou Natalia Guinzburg.

Mes ancêtres

« Rejetés ou mal acceptés à Turin, ils [mes ancêtres] s’étaient installés dans des petites localités agricoles du Piémont méridional, où ils ont introduit les techniques du travail de la soie sans jamais dépasser, même dans les périodes les plus florissantes, la condition de minorité extrêmement réduite. Ils ne furent jamais beaucoup aimés, ni vraiment haïs; nous n’avons jamais su qu’ils aient subi d’importantes persécutions; toutefois, un mur de soupçon, d’hostilité indéfinie, de mépris a dû les tenir séparés du reste de la population plusieurs décennies après l’émancipation de 1848. »

Primo Levi, Le Sytème Périodique, Paris, Albin Michel, 2000

 

Avec un musée modèle à Bologne où, au cœur de la ville, demeurent les traces de l’ancien ghetto, et surtout Ferrare qui fut un très important centre du judaïsme italien, cette riche région, située au sud de la plaine du Pô, mérite incontestablement un séjour. Deux ou trois jours sont nécessaires pour parcourir sans trop se presser les monuments et les témoignages de ce passé juif qui remonte au Moyen Âge, quand de nombreuses petites communautés vivaient dans la région. Leur histoire a été très différente selon les lieux. Dans les États pontificaux, dont Bologne et Ravenne, les persécutions furent dures dès le XIVe siècle. L’enfermement des juifs dans les ghettos contribua à vider les petites villes de Romagne (Rimini, Forlì) de leurs très actives communautés. Dans les possessions des ducs d’Este, dont Modène ou Ferrare jusqu’en 1598, la situation des juifs fut bien meilleure, comme en témoigne la richesse du patrimoine encore visible aujourd’hui.

Intérieurs de la synagogue et musée juif de Florence
Photo du Musée Juif de Florence

Avec Livourne, le grand port franc qui fut, entre le XVIIe et le XIXe siècle, la plus importante ville juive d’Italie avec une puissante communauté hispano-portugaise, et dont la synagogue était considérée comme la plus somptueuse d’Europe avec celle d’Amsterdam.

Et avec Florence, dont le Grand Temple richement décoré, achevé en 1882, passe pour l’un des plus fastueux de ceux qui furent édifiés par les juifs italiens après leur émancipation, la Toscane reste une étape indispensable, bien que les témoignages y soient moins nombreux qu’en Vénétie ou au Piémont.

Synagogue de Livourne. Photo de I Saliko – Wikipedia

Des petites communautés juives vivaient dans la région dès le Moyen Âge. Les premiers documents dé- montrant une présence stable de prêteurs juifs à Florence datent du début du XVe siècle, grâce aux Médicis. Ceux-ci restèrent pendant presque un siècle bien disposés vis-à-vis du judaïsme. Cosimo Ier n’hésita d’ailleurs pas à accueillir, dès 1555, les juifs qui fuyaient les États pontificaux. Quelques années plus tard, il céda néanmoins aux pressions du pape et obligea tous les juifs du grand-duché à s’enfermer dans deux ghettos, à Florence et à Sienne.

Mais en 1593, son successeur Ferdinand Ier renoua avec une politique pragmatique et relativement tolérante, incitant les juifs, notamment ceux qui avaient fui un siècle plus tôt la péninsule Ibérique, à s’installer à Livourne afin de développer le commerce du grand-duché avec le Levant. Un autre centre du judaïsme toscan fut la petite ville de Pitigliano, près de l’ancienne frontière avec les États pontificaux: des réfugiés juifs s’y installèrent au XVIe siècle, attendant des temps meilleurs pour revenir à Rome. Leurs descendants y restèrent jusqu’au milieu du XIXe siècle et à l’émancipation.

Vue du mikve de Spire protégé par des vitres
Le Mikveh aujourd’hui ©WikiCommons (Nemracc)

Les plus anciens vestiges de la présence juive en Allemagne se trouvent dans la région rhénane. Le fleuve constitua longtemps la frontière orientale de l’Empire romain, et les juifs de la diaspora trouvent dans les cités forteresses de ce limes, comme Colonia Agrippina (Cologne), des conditions favorables à l’exercice de leurs talents industriels et commerciaux.

Plus tard, au Moyen Âge, ils bénéficient dans ces cités, dont certaines comme Worms ou Francfort sont sous l’autorité directe de l’empereur, de la protection que le souverain leur accorde. Quelques princes-évêques, comme ceux de Spire et de Mayence, marquent leur autonomie vis-à-vis de Rome en accordant des franchises aux communautés juives, alors que la papauté prône une politique de mise à l’écart des tenants d’une religion considérée comme hérétique et rivale. Aux Xe et XIe siècles, ce judaïsme rhénan rivalise en prospérité et en vitalité religieuse et intellectuelle avec celui de l’Andalousie d’avant la Reconquista.

Développement du judaïsme rhénan

Bien des siècles plus tard, le judaïsme rhénan, qui doit sa survie aux tourmentes à l’habileté des juifs de cour, engendre quelques éclaireurs de la modernité : Meyer Amschel Rothschild à Francfort, Karl Marx à Trèves, Heinrich Heine à Düsseldorf et Jacques Offenbach à Cologne.

En 2021, les vestiges juifs de trois villes de la région, Worms, Spire et Mainz furent reconnus sur la liste du patrimoine universel de l’Unesco. Une première concernant le patrimoine culturel juif en Allemagne pour cette institution. Elles furent saluées pour leur rôle de berceau de la civilisation juive régionale mais aussi pour le travail interreligieux avec les communautés chrétiennes effectué par les communautés de ces villes.

La communauté juive de Mainz est la plus nombreuse de la région avec près de 1000 membres. Une nouvelle synagogue y a été d’ailleurs construite en 2010. Elle fut construite à l’emplacement d’une synagogue précédente, datant de 1912 et détruite pendant la Shoah.

Le rabbi Meir de Rothenbourg

Ce savant de la Torah, qui attirait dans sa yeshiva des étudiants venus de l’Europe entière, prêchait le retour à la terre des ancêtres pour fuir les persécutions dont les juifs étaient alors victimes.
Il se mit lui-même en route pour Jérusalem, mais fut arrêté en Lombardie par les troupes de l’empereur Rodolphe de Habsbourg qui ne voulait pas voir ses « protégés», et surtout contribuables, fuir vers l’Orient. Emprisonné de 1286 à sa mort, le rabbi Meir avait refusé que ses amis payent l’énorme rançon exigée pour sa libération. Ce n’est que quatorze ans plus tard que l’empereur consentit à remettre sa dépouille à sa communauté. Elle fut rachetée par Alexander Süsskind Wimpfen, un riche juif de Francfort, qui y sacrifia sa fortune à la seule condition de reposer, après sa mort, aux côtés du rabbi Meir.

Le Sud-Ouest, longtemps terre anglaise, retourne à la France au XVe siècle. Dès lors, Louis XI, fort désireux de favoriser la prospérité de cette région mise à mal par la guerre de Cent Ans, accorde de grands privilèges à tous les étrangers désireux de s’y établir. Des libéralités qui attirent les juifs d’Espagne et du Portugal en butte dans leur pays à l’Inquisition et à l’intolérance religieuse.

Région très riche géographiquement de par son voisinage avec les Pyrénées et la Méditerranée, l’Occitanie l’est également culturellement. Elle regroupe des territoires aux histoires et vécus très différents. On y trouve d’ailleurs des vestiges de la Préhistoire dans ses grottes et des monuments incontournables de l’ère romaine tels le Pont du Gard et les Arènes de Nîmes.

Si la présence juive est attestée dans la région depuis l’époque romaine, son âge d’or est incontestablement le Moyen-âge classique. Comme en témoignèrent les écrits du grand voyageur Benjamin de Tudèle, mais aussi et surtout l’activité intellectuelle culturelle, scientifique et religieuse. Qu’il s’agisse de Béziers, surnommée « la petite Jérusalem », des découvertes médicales d’Isaac de Lattes, les célèbres yeshIvot de Lunel, Narbonne, Nîmes, Posquières-Vauvert et Perpignan, le mikvé médiéval de Montpellier et les commerçants de Pézenas. Mais aussi une histoire contemporaine importante, notamment avec la participation de nombreux juifs dans les réseaux de la Résistance à Toulouse et dans le reste de la région. La ville rose étant également tristement célèbre pour les assassinats antisémites qui s’y déroulèrent en 2012.

Synagogue d’Avignon. Photo de Franckiz – Wikipedia

Dans les sources hébraïques, le terme Provintçia désignait plus ou moins la Provence et le Languedoc. Dans l’histoire des juifs de France, cette région est marquée, au Moyen Âge, par des personnalités et des œuvres exceptionnelles et par une présence juive ininterrompue sur deux millénaires dans le Comtat venaissin.

Une lampe datée du premier siècle, trouvée près de l’oppidum d’Orgon et conservée à la synagogue de Cavaillon, à Narbonne une épitaphe hébraïque (« Paix sur Israël») accompagnée d’une menorah, datant probablement du VIIe siècle, sont les témoins les plus anciens de la présence juive en France. Aux VIe et VIIe siècles, Marseille abrite une forte communauté juive. Les incursions sarrasines du siècle suivant mettent en lumière le « patriotisme» juif : lors du siège de Narbonne, les israélites prennent une part active dans la défense de la ville. L’empereur récompensera cette action par l’octroi de l’un des trois quartiers de la ville ; de là date la légende du « roi juif de Narbonne ».

Synagogue de Marseille-synagogue. Photo de Rvalette – Wikipedia

Des études historiques détaillées sur des villes provençales nous montrent une communauté juive intégrée à son environnement urbain et rural. Ils sont, entre autres, artisans (plâtriers) à Avignon, vignerons à Taras- con, négociants à Marseille ou à Toulouse, commerçants, prêteurs sur gage et médecins un peu partout. Mais c’est dans le domaine culturel que les communautés juives de Provence ont fait preuve d’une vitalité et d’une ouverture d’esprit étonnantes. Au XIIe siècle, le voyageur Benjamin de Tudela raconte : « À Lunel vit une grande communauté juive étudiant la Torah jour et nuit. Tous ceux qui veulent étudier sont pris en charge. Posquières est une ville qui abrite plus de 400 juifs et une école talmudique dirigée par le grand rabbin Abraham fils de David (le Rabad). On vient chez lui des pays les plus lointains pour apprendre la Torah.» Il n’est pas possible de donner ici la liste de tous les savants qui vécurent en Provence du XIIe au XVe siècle. Citons seulement les plus remarquables: le Rabad de Posquières (1125-1198) que mentionne Benjamin de Tudela, Menahem fils de Salomon (1249- 1316), le Meir, talmudistes célèbres et auteurs d’importants commentaires ; les quatre générations des Tibbonides (de 1120 à 1307) qui traduisirent d’arabe en hébreu nombre d’ouvrages philosophiques, religieux et scientifiques, notamment Le Guide des égarés de Maïmonide ; enfin Levi ben Gershom (1288- 1344) – Gersonide, qui vécut principalement à Orange et composa une œuvre aussi vaste et diversifiée, souvent traduite en latin à son époque (commentaires d’Aristote et d’Averroès, de la Bible et des prophètes, du Talmud, travaux d’arithmétique et de géométrie, traité d’astronomie…).

Synagogue de Carpentras. Photo de Konradm – Wikipedia

En 1306, Philippe le Bel expulse tous les juifs du royaume de France. Ils sont rappelés en 1315 par Louis X. En 1320, la croisade des Pastoureaux s’accompagne de massacres dans tout le Sud-Ouest. L’expulsion de 1394 met fin définitivement à la présence juive en Languedoc. Les communautés de Provence, du Comté de Nice et de la principauté d’Orange, encore distincts de la France, ne sont pas concernées par ces expulsions, mais elles sont touchées à double titre par la grande peste de 1348. Les juifs sont accusés d’avoir empoisonné les puits pour propager l’épidémie. Des émeutes détruisent presque complètement les communautés de Toulon, de Haute-Provence et du Comtat venaissin. Le XVe siècle apporte son cortège d’émeutes antijuives : violences et massacres ont lieu en 1425 à Manosque, en 1430 à Aix-en-Provence et à Pertuis, en 1475 à Digne, puis en 1495 à nouveau à Manosque. Le destin de cette région bascule le 11 décembre 1481, à la mort du comte Charles III, qui lègue la Provence au roi de France Louis XI. Celui- ci s’engage à respecter les droits des juifs, mais meurt en 1483. En 1500, Louis XII signe l’édit d’expulsion des juifs de Provence qu’il renouvelle en 1510 et qui provoque le départ d’une partie de la communauté et la conversion d’une autre. Enfin, en 1505, le Prince d’Orange signe l’édit de Courthézon, qui expulse les juifs de sa principauté. Une partie de la communauté juive provençale émigre vers l’Italie, une autre vers la « Barbarie» (Afrique du Nord), l’Empire Ottoman et vers le Comtat venaissin, dernier refuge juif en France.

Synagogue de Nice. Photo de Jesmar – Wikipedia

La fin du XVe siècle fut elle aussi fatale à la liberté des juifs comtadins. Le pape décida de les regrouper dans des carrieres (habitat des juifs dans les villes), où ils eurent l’obligation absolue de résider. S’ajoutent à cela des mesures discriminatoires datant du IVe Concile du Latran (1215): stricte séparation d’avec les chrétiens, port obligatoire d’un signe distinctif – rouelle, puis chapeau jaune –, restrictions économiques – interdiction de posséder des propriétés excepté les maisons d’habitation –, autorisation de ne vendre que des objets usagés – fripe, brocante –, interdiction de pratiquer une profession manuelle… À la suite de l’ordre donné par le cardinal Barberini en septembre 1624, les juifs du Comtat venaissin durent se regrouper dans trois villes : Carpentras, Cavaillon et L’Isle-sur-la- Sorgue. On y adjoint habituellement Avignon pour dénommer cet ensemble « les quatre carrieres du Comtat ». Il s’agit bien évidemment, pour Avignon, d’un abus de langage car la ville n’a jamais fait partie du Comtat.

La nuit, les carrieres restent closes et un portier juif, rémunéré par la communauté, en surveille la porte. Comme l’a écrit Armand Lunel, ces carrieres sont en quelque sorte « de petites républiques censitaires», administrées par des syndics qui édictent des « escamots » (du terme hébraïque Haskama signifiant convention), où la population juive vit en vase clos.

Synagogue de Cavaillon. Photo de Véronique Pagnier – Wikipedia

À partir du XVIIe siècle, et bien que l’édit de 1394 ne soit pas abrogé, les juifs avignonnais et comtadins, jouant sur l’ambiguïté du statut de « régnicole » que possèdent les habitants du Comtat, s’installèrent peu à peu dans le royaume de France. Cette ouverture augmente considérablement leur accès aux nouveaux marchés et améliore leur situation économique.

Au XVIIIe siècle, la communauté judéo-comtadine connaît une situation financière plus favorable. S’ils sont toujours enfermés dans leur carriere et portent toujours le chapeau jaune, le prêt à intérêt et les professions autorisées permettent à beau- coup de survivre. Ainsi, les juifs sont actifs dans toutes sortes de commerces: maquignonnage, achat et vente de coton, commerce de la soie, friperie, etc. Dans les carrieres, on reconstruit les synagogues à grands frais ; Carpentras en 1740, L’Isle-sur-la-Sorgue et Avignon au cours des années 1760-1770, Cavaillon entre 1771 et 1774.

Le statut particulier des juifs ne s’en voit pas amélioré pour autant. Les règlements s’alourdissent. Le 28 janvier 1790, l’Assemblée nationale adopte le décret stipulant que « juifs portugais, espagnols et avignonnais continueront de jouir des droits consacrés en leur faveur par des lettres patentes; et en conséquence, ils jouiront des droits de citoyens actifs, lorsqu’ils réuniront par ailleurs les conditions requises par les décrets de l’Assemblée ».

Des juifs habitaient la Lugdunum romaine, puis disparurent de Lyon en raison des expulsions. Il faut attendre le règne de Louis XV pour voir une communauté se reconstituer avec des immigrés venus du Comtat Venaissin et d’Alsace. La région évoque surtout la guerre et la Résistance. C’est là que Klaus Barbie occupa le poste de chef de la gestapo lyonnaise. Il fut jugé en 1986.

Mizrah Indiquant la direction de Jérusalem (Musée d'Art et de Traditions populaires, Marmoutier)
Mizrah Indiquant la direction de Jérusalem ©Musée des Arts et Traditions Populaires, Marmoutier, Alsace

La terre d’Alsace est chargée d’histoire juive : dans un village comme Schirrhoffen vers 1850, les juifs étaient au nombre de 450 sur une population totale de 650 âmes. Aujourd’hui, on peut recenser plus de 200 sites spécifiques (synagogues, bains rituels, cimetières…). Hélas, de nombreux lieux fermés, abandonnés ou situés à l’intérieur de propriétés privées se dérobent aux yeux du visiteur. Si le bourg de Rouffach, dans le Haut-Rhin, peut s’enorgueillir de posséder les vestiges d’une synagogue du XIIe siècle, vous n’y verrez que la façade ravalée d’une banale maison à colombages.

Synagogue de Rouffach
Synagogue de Rouffach ©WikimediaCommons (Psu973)

Ailleurs, les synagogues villageoises du XIXe siècle offrent un étonnant panorama architectural. L’émancipation du judaïsme se lit sur la pierre : il suffit de comparer la façade discrète de la synagogue d’Hochfelden (Bas-Rhin), construite en 1841, à celle de Saint-Louis (Haut-Rhin), consacrée en 1904, qui élève fièrement vers le ciel ses deux bulbes de style rhénan.

 

Depuis quelques années, un immense effort a été entrepris pour sauver le patrimoine juif alsacien. Synagogues restaurées et musées aménagés forment aujourd’hui un parcours juif passionnant et unique en son genre. L’Agence de développement touristique du Bas-Rhin gère ce programme et propose brochures et calendriers d’animations.

C’est à Caen et à Rouen que se concentrent les principaux lieux de diffusion du patrimoine juif de la région.

Présents en Gaule depuis la conquête romaine, les Juifs sont expulsés de France par l’édit royal du 10 mars 1182, signé par Philippe Auguste, qui l’annule en 1198. Philippe le Bel fait de même entre 1306 et 1315.

La Normandie serait au Moyen Âge la province française accueillant le plus de Juifs, et Guillaume le Conquérant favorise leur installation à Londres après 1066. Rouen est un important centre du judaïsme à partir du XIe siècle, et Caen possède une synagogue jusqu’en 1306. Un relevé toponymique semble prouver la présence des Juifs sur l’ensemble du territoire de la Manche au XIIe siècle.

Exclus des activités agricoles et artisanales, ils se spécialisent dans l’usure et le prêt.

L’ouvrage Les familles juives en France XVIe siècle-1815 de Gildas Bernard, indique qu’aucun juif n’a été recensé dans la Manche ni en Basse-Normandie suite au décret de Bayonne du 28 juillet 1808.

À l’époque de l’Affaire Dreyfus, la Manche n’est pas épargnée par l’antisémitisme. La Croix de la Manche écrit le 15 juin 1898 que « si l’on n’interdit pas aux commerçant israélites de s’installer à Cherbourg, on sera obligé de porter des vêtements qui sentent la race fétide de Judas ».

Au début du XXe siècle, Cherbourg est un port important d’émigration vers les États-Unis pour les Juifs de l’Europe de l’Est, une synagogue provisoire étant créée dans l’hôtel Atlantique pour eux. Jonas Lévy siège au conseil municipal de Cherbourg sous l’étiquette radical-socialiste de 1908 à 1929.

À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, on évalue entre 150 et 200 le nombre de Juifs en Normandie. Sur les 130 répertoriés, les deux tiers vivent à Cherbourg, et cinq foyers sont à Avranches, dont les Mainemer, marchands ambulants en bonneterie originaires de Pologne, installés en 1932, et Zalma et Ruchla Rozenthal, qui exercent le même métier, et viennent du même pays.

En 1943, de juin à octobre, la caserne Dixmude à Querqueville est utilisée par les Allemands comme « camp d’israélites » pour des prisonniers en attente de transfert vers Aurigny.

(Source : Wikipédia)

Synagogue de la rue Notre Dame de Nazareth © Wikimedia Commons (Flll)

En 1182, Philippe Auguste décide d’expulser les juifs de la capitale : les synagogues sont transformées en églises et les immeubles détenus par des juifs vendus au profit du roi. Avec les sommes ainsi réunies, le souverain fait construire le donjon du château de Vincennes ainsi qu’un mur d’enceinte autour du bois. Dans la ville même, il édifie un marché sur l’ancien quartier des Champeaux, désormais vide de ses habitants. L’expulsion des juifs fut donc à l’origine de l’implantation des anciennes halles de Paris.

Les juifs contribuant toutefois à la prospérité économique sont rappelés dix-sept ans plus tard. Ils s’établissent dans le quartier Saint-Bont, près de l’actuel Centre Georges Pompidou, rue des Rosiers ; ainsi que sur la rive gauche, entre la rue de la Harpe et le boulevard Saint-Germain. C’est ici même que l’on situe alors la « juiverie » la plus importante de l’époque. Des travaux entrepris au siècle dernier mirent au jour un important cimetière juif médiéval à cet emplacement. Au XIIIe siècle, sous l’autorité de rabbi Yéhiel, l’Ecole juive de Paris connaît son grand rayonnement. Le 6 juin 1242, à la suite d’une disputatio théologique entre le rabbi et Nicolas Donin, juif apostat, Saint-Louis fit brûler en place de Grève (actuelle place de l’Hôtel de Ville) tous les exemplaires du Talmud trouvés dans la capitale. Rabbi Yéhiel quitta définitivement la France et s’en alla créer une nouvelle école à Saint-Jean-d’Acre. En 1394, Charles VI promulgua un décret d’expulsion interdisant aux juifs de résider dans Paris. Ce n’est que quatre siècles plus tard, à l’époque des Lumières, que ces derniers furent autorisés à revenir dans la ville.

 

Meurtre sur le Petit Pont

Un samedi matin de l’an 583, un juif drapé dans son châle de prière traverse la Seine sur le Petit-Pont pour se rendre à la synagogue de l’île de la Cité. Cet homme se nomme Priscus, il est le monétaire du roi mérovingien Chilpéric Ier. C’est alors que Phatir, un juif renégat, se précipite sur lui et le poignarde à mort. Ce drame rapporté par Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs constitue le premier épisode historiquement confirmé de l’histoire du judaïsme parisien.